L’IVD a transféré le 31 décembre 2018 à la chambre spécialisée en matière de justice transitionnelle auprès du Tribunal de Première Instance de Tunis un acte d’accusation portant la référence 61 se rapportant aux violations commises par de hauts responsables de l’ancien régime : Ben Ali l’ancien président, ses conseillers, ses ministres, et membres de sa famille. L’affaire est aujourd’hui portée au numéro 31 selon la chambre spécialisée de Tunis.
L’avocat Adel Ben youssef, représentant de la famille Ajri
Parties civiles :
Rachida Kouki et son représentant, Maître Hayet Eljazar
Résumé des faits :
En 2004, Rachida Kouki commence à travailler comme femme de ménage couchante chez la famille Ajri-Trabelsi, parents de la famille royale de Ben Ali. Lors de son séjour et travail chez la famille Ajri-Trabelsi, elle est victime d’abus de pouvoir de la part de ses employeurs, séquestrée, victime de plusieurs agressions physiques et verbales. Ayant cherché de s’enfuir, elle est conduite dans le poste de police de Carthage, où elle est agressé Reconduite chez ses employeurs, suite à la plainte de Ines Ajri l’accusant d’avoir incendié la maison de sa mère Latifa Khlass, la victime est aménée au poste de police de la Marsa où elle subi des actes de torture par des agents de police, est contrainte à signer le procès verbal et ensuite emmenée au Tribunal de Première Instance de Tunis et condamnée à perpétuité sans respect des garanties du procès équitable. Après la révolution, elle bénéficiera de la grâce présidentielle et retrouvera sa liberté le 24 juillet 2012.
Charges :
Traite des personnes, selon l’article 8 et 14 de la Loi organique n° 2016-61 du 3 août 2016, relative à la prévention et la lutte contre la traite des personnes ;
Séquestration, selon les articles 250 et 251 du code pénal.
Zine el Abidine Ben Ali – décernement d’un mandat d’amener international à son égard
Azzedine Jnayah – Absent
Abdallah Kallel – présent
Belhassan Ben Kilani (directeur adjoint de la prison du 9 Avril) – présent
Abderrahmen Kasmi – absent, représenté par son avocat
Parties civiles: L
La victime, Rached Jaidane
Résumé des faits :
Rached Jaidane, enseignant à l’Université en France, se rend en Tunisie pour le mariage de sa sœur. Le 29 juillet 1993, les agents de la Sureté de l’Etat décident de l’interpeller sans mandat. Il est enlevé par la force de chez lui à 3h du matin. S’en suivent 38 jours de détention et des tortures au Ministère de l’Intérieur sous la supervision directe de hauts responsables du régime sécuritaire de Ben Ali. Il est alors interrogé sur ses possibles liens avec un responsable du mouvement à tendance islamique vivant en France. Sous la torture il signe des papiers en guise d’aveux dans lesquels il avoue avoir fomenté un attentat contre le parti de Ben Ali. Il sera condamné à 26 ans de prison à l’issu de 45 min de procès. Rached Jaidane sortira après 13 ans de prison et de torture.
Après la révolution, Rached Jaidane porte plainte pour torture. La torture étant entré comme délit dans le code pénal en 1998, les tortures qu’il a subit sont donc qualifiées de simple délit de violence. Ce procès a été repoussé à de nombreuses reprises avant d’être qualifié en prescription.
Zine El Abidine Ben ali, Président de la république
Abdallah El Kallel, Ministre de l’intérieur
Mohamed Farza, Chef direction de la Sûreté militaire
Mohamed Guezguez, Procureur général de la Cour militaire permanente de Tunis
Faouzi Aloui, sécurité militaire
Moussa Khalfa
Mustapha Ben Moussa, sécurité militaire
Mohamed Ali Ganzaoui, Directeur des services spéciaux en 1991
Abderrahmen Guesmi, Agent de la sécurité
Ezzeddine Jnayeh, Directeur de la sureté présidentielle en 1991
Mohamed Naceur Alibi, Agent de la sécurité
Zouhaier Rdissi, Agent de la sécurité
Houcine Jalleli, Agent de la sécurité
Parties civiles :
Kamel Allouche ; Ali Smida ; Achouri Cheffai ; Noureddine Jomni ; Abdelwaheb Zagdoudi ; Tayaa Ennayli ; Bechir Ben Mansour ; Mohamed Ben Sidhom ; Mohamed Mekki Omri ; Mehdi Ben Amor ; Ali Ben Ahmed ; Mohamed Hedi Dridi ; Abdelwaheb Selmi ; Abdessattar Abidi ; Taoufik Aouadi ; Aabcha Cheybi ; Mehdi Aadouni ; Habib Amara ; Rached Ghribi ; Abdelfateh El Haj ; Mohamed Ben Amor ; Mohamed Yahyaoui ; Terzi Ben Amor ; Abou Medyen Hafdhi ; Fadhel Wergui ; Abderrazek Jalleli ; Mohamed Nakoussi ; Brahim Afi ; Imed Eddine Bardi ;Slimène Matoussi; Bechir Ben Mansour ; Abdessalem Ben Smid ; Saïd Frifta ; Mohamed Ridha Kallel ; Belgacem Ncira ; Mohamed Hazmi ; Mohamed Tahri ; Fethi Chtioui ; Mohamed Naceur Laabidi ; Jamel Dridi ; Abdallah Ben Hssine ; Mohamed Wakil ; Salem Bouzema ; Jamel Hachem ; Hedi Ferjeni ; Hammadi Ghazouani ; Abdallah Sghaier ; Ali Ben Salem ; Hédi Tijani ; Jamel Mihoub ; Hédi Arfaoui ; Sami Kourda ; Abdelwaheb Jdidi ; Fethi Hafssi ; Habib Ben Amor ; Mustapha Zomita ; Abdelwaheb Abouda ; Hssen Werghui ; Nasser Ben Mansour ; Wahid Fakhfakh ; Mohamed Khalfallah ; Kamel Slim ; Mohsen Manai ; Radhouen Ezzine ; Salah Arfaoui ; Hédi Kolsi ; Ahmed Ghiloufi ; Salem Kardoun ; Habib Khadimallah
Résumé des faits :
En 1991, 244 militaires tunisiens ont été arrêtés par la police et torturés par des officiers de la Sûreté de l’Etat en raison de leur participation à une réunion supposée tenue le 06/01/1991 à Barreket Essahel (situé à Hammamet) durant laquelle il aurait été décidé qu’ils mèneraient un coup d’Etat militaire contre le régime en place. Certains parmi eux ont été libérés après un mois de torture, d’autres ont été condamnés par la justice militaire.
Cette affaire représente le premier procès postrévolutionnaire contre les crimes de torture commis par l’ancien régime, traité par le tribunal militaire de première instance de Tunis. La chambre correctionnelle militaire a rendu son verdict le 29 novembre 2011 et a condamné Zine El Abidine Ben Ali à cinq ans de prison par contumace, Abdallah Kallel et Mohamed Al Ganzaoui et bderrahmen Kas à quatre ans et Ezzeddine Jnayeh, Zouhaier Redissi, Houcine Jallali et Bechir Redissi à cinq ans de prison. Le 7 avril 2012 la chambre correctionnelle de la cour d’appel militaire a réduit à deux ans deprison la peine des accusés Mohamed Ali Ganzoui, Abderrahmen Guesmi, Mohamed Ennacer Alibi et Abdallah Kallel.
Le processus de justice transitionnelle tunisien s’inscrit dans un cadre contextuel qui va au-delà de la chute d’un régime autoritaire. Les violations graves des droits humains qui y ont été commises étaient surtout motivées par un souci de protéger et de garantir les intérêts personnels d’un groupe restreint qui visait à accaparer les richesses du pays au détriment de sa population. Cette politique a conduit au développement d’inégalités majeures entre différentes catégories de la population et de zones géographiques entières, avec la marginalisation de régions. Elle a été notamment rendue possible par la mise en œuvre d’un système centralisé, autoritaire, corrompu ou basé sur le clientélisme. Les revendications en Tunisie ne sont donc pas seulement liées aux violations de droits civils et politiques, mais également formulées en termes respect des droits économiques et sociaux, de lutte contre la corruption, d’égalité des chances dans le domaine économique et du développement. Cette particularité du contexte tunisien explique la nécessité d’une approche particulière de justice transitionnelle.
Le cadre de justice transitionnelle tunisien repose sur la loi organique 2013-53 adoptée par l’Assemblée Nationale Constituante le 15 décembre 2013. Cette loi établit un ensemble de mécanismes visant à rechercher la vérité sur les violations des droits humains commises entre 1953 à 2013, à commencer par l’Instance Vérité et Dignité (IVD), chargée de faire la lumière sur ces violations et élaborer un programme global de réparations. L’IVD est également compétente pour transférer des dossiers d’auteurs présumés de telles violations auprès de chambres spécialisées, qui sont alors chargées d’enquêter et poursuivre au pénal ces personnes.
L’IVD a achevé son mandat le 31 décembre 2018, après quatre années d’enquêtes qui auront vu le dépôt de 62720 dossiers et l’audition de 49654 personnes.
Le 2 mars 2018, l’IVD a transmis son premier dossier aux chambres spécialisées, concernant l’affaire emblématique de « Kamel Matmati » à Gabès. Elle a depuis transmis un total de près de 180 dossiers aux 13 chambres situées sur l’ensemble du territoire tunisien.
Dans le cadre du projet « La Roujou3 » ou « Never again », Avocats Sans frontières a mis en place une stratégie d’observation constituée d’un pool de 16 avocats sélectionnés et formés afin de veiller à la bonne application des principes du procès équitable.