Soulèvement du Bassin Minier

Lieu : Tribunal de Première Instance de Gafsa

Accusés et qualité au moment des faits :

  • Belqacem Rebhi, Chef de l’unité spéciale (district de sûreté de Gafsa)
  • Mohammed Soufi, Chef des services de renseignement (district de sûreté de Gafsa)
  • Moncef Laajimi, Chef de la Brigade d’ordre public
  • Sami Yahyaoui, Directeur du district de police de Gafsa
  • Lotfi Haydar, Chef du district de sûreté du Metlaoui
  • Rafiq Belhaj Qacem, Ancien ministre de l’Intérieur
  • Zine El Abidine Ben Ali, Ancien président de la République
  • Bouhlele Akrmi, Abdelrazaq Rhili, Abderrahmene Okkez, Zouhaier Rhili, Jalel Ayar
  • Mokni, Hsan Nsib, Faycel Drissi, Kamel Ouertani, Jalel Ben Farhat

Parties civiles :

  • Héritiers du défunt Hafnaoui Maghzaoui
  • Héritiers du défunt Abdel Khaleq Ben Mbarek Ben Hamed
  • Kamel Ben Brahim, Ismaïl Ben Abdallah, Nizar Abidi, Mohammed Harouni, Mohammed Achiri, Abdeltif Ben Ahmed, Helmi Hechmi, Fitouri Kouki, Tareq Boudhief, Ibrahim Fajraoui, Khaled Touati, Khaled Rahali, Tareq Jridi, Mostfa Lachkham, Hachem Ben Rezq, Ali Tabbabi, Mohammed Abidi, Hcine Ouled Amor, Adel Soualmi, Abbès Tabbabi, Boujemaa Azaza, Mohammed Ben Slimane, Faycel Ben Amor, Adnène Hajji, Mahmoud Shriti, Adel Jabbar, Mohammed Mabrouki, Abdelmajid Mabrouki, Thameur Maghzaoui, Issam Fajraoui, Hafnaoui Othmani, Ridha Ezzdine, Sami Ben Ahmed, Abdesleme Hlel, Khlifi Abidi, Othmane Ben Othmane, Faycel Ben Amor, Mahmoud Hileli, Mohammed Baldi, Modhafer Abidi, Radhouane Bouzaïane, et la liste est longue et n’est pas définitive.

Résumé des faits :

La région du bassin minier a connu une situation d’instabilité suite à l’annonce des résultats du concours de recrutement d’agents et de cadres à la Compagnie des Phosphates de Gafsa, le 05/01/2008. Cette annonce a été la goutte de trop qui a fait tout déborder. Initialement, on a annoncé que 300 personnes avaient été admises parmi les 1300 candidats. Toutefois, ce nombre a été limité par la suite à seulement 64 individus qui ont été choisis en fonction de leur loyauté au pouvoir. Certains candidats ont remis en cause la transparence du concours et accusé les responsables de corruption.

Des rassemblements de masse ont eu lieu à la délégation de Moularès, gouvernorat de Gafsa. Des manifestants ont bloqué la route qui mène à la CPG et ont scandé des slogans en faveur du droit au travail. Des chômeurs rejoints par un certain nombre de syndicalistes et de citoyens se sont rassemblés au siège de la délégation du Rdeyef avant de marcher en masse vers le siège de la CPG où un sit-in a été entamé. Ensuite, le mouvement de protestation s’est intensifié avec les manifestations qui ont eu lieu à Mdhila et Metlaoui.

Pendant quatre mois, le pouvoir est intervenu pour négocier avec les manifestants et trouver des solutions. A partir du mois d’avril, le pouvoir a abandonné le principe de dialogue et adopté une politique de confrontation et de répression étant donné que les revendications sociales spontanées ont été adoptées et encadrées par les syndicalistes. Par conséquence, certains domiciles ont fait l’objet de descentes violentes et plusieurs jeunes de différents âges et un certain nombre de syndicalistes ont été arrêtés arbitrairement. Cette politique a entraîné des décès et des blessures, en plus de l’incarcération d’un grand nombre de manifestants. Des familles de la région d’Oum Qsab de la délégation de Moularès étaient obligées le 05/04/2008 de fuir vers le territoire algérien, précisément la région d’Oum Chouicha, et d’y camper dans des tentes.

Face à la persistance des violations policières, des citoyens ont essayé le 06/06/2008 de se rassembler devant le siège local de l’UGTT pour manifester contre la présence policière exagérée et le siège imposés sur la délégation de Rdeyef qui les empêchaient de mener une vie normale. Les brigades de l’ordre public (BOP) ont intervenu pour disperser la manifestation en utilisant des bombes lacrymogènes avant d’ouvrir le feu à balles réelles contre les manifestants causant le décès de Hafnaoui Maghzaoui qui a été atteint d’une balle au poumon droit et a succombé sur le coup, ainsi que de Abdelkhalek Amidi, abattu d’une balle au dos et décédé par la suite le 11/09/2008 à l’hôpital régional de Sfax.

Ces affrontements ont également provoqué de nombreuses blessures parmi les manifestants. Plusieurs manifestants ont été arrêtés, notamment entre le 1 er juin et le 30 juillet 2008, période marquée par l’intervention du service des renseignements de Gafsa qui a mené des campagnes d’arrestations des manifestants et de descentes, de jour comme de nuit, dans leurs domiciles. Certains ont également dû se rendre pour mettre fin au harcèlement de leurs familles. La plupart des 114 syndicalistes, chômeurs et militants de droits de l’homme détenus étaient soumis à la torture et à des sévices sexuels commis par les agents de la brigade police locale qui a été renforcé par d’autres agents de forces spéciales.

Après la révolution de janvier 2011 et suite aux plaintes présentées par les avocats et les familles des martyrs et blessés, le parquet militaire près le tribunal militaire permanent de première instance de Sfax a ordonné l’enquête judiciaire n°129/C/2 pour homicide volontaire avec préméditation à l’encontre de l’ancien président de la République et les personnes dont l’enquête aura révélé l’implication dans les assassinats et agressions qui ont eu lieu au gouvernorat de Gafsa.

Bien que l’affaire soit toujours pendante devant la Cour d’appel militaire, l’IVD n’est pas parvenu à avoir des informations officielles sur la suite malgré sa demande présentée au Procureur général de la direction de la justice militaire. L’IVD n’est pas parvenue à accéder aux dossiers des affaires relatifs au bassin minier.

Charges :

  • Homicide volontaire prémédité et tentative d’homicide volontaire prémédité conformément aux articles 201, 202 et 59 du Code pénal
  • Torture conformément à l’article 101 bis du Code pénal et complicité en vertu de l’article 32 du Code pénal selon l’acte d’accusation transmis par l’IVD
  • Viol et agression sexuelle conformément à l’article 227 du Code pénal et complicité en vertu de l’article 32 du Code pénal.

Tunisie

Le processus de justice transitionnelle tunisien s’inscrit dans un cadre contextuel qui va au-delà de la chute d’un régime autoritaire. Les violations graves des droits humains qui y ont été commises étaient surtout motivées par un souci de protéger et de garantir les intérêts personnels d’un groupe restreint qui visait à accaparer les richesses du pays au détriment de sa population. Cette politique a conduit au développement d’inégalités majeures entre différentes catégories de la population et de zones géographiques entières, avec la marginalisation de régions. Elle a été notamment rendue possible par la mise en œuvre d’un système centralisé, autoritaire, corrompu ou basé sur le clientélisme. Les revendications en Tunisie ne sont donc pas seulement liées aux violations de droits civils et politiques, mais également formulées en termes respect des droits économiques et sociaux, de lutte contre la corruption, d’égalité des chances dans le domaine économique et du développement. Cette particularité du contexte tunisien explique la nécessité d’une approche particulière de justice transitionnelle.

Le cadre de justice transitionnelle tunisien repose sur la loi organique 2013-53 adoptée par l’Assemblée Nationale Constituante le 15 décembre 2013.  Cette loi établit un ensemble de mécanismes visant à rechercher la vérité sur les violations des droits humains commises entre 1953 à 2013, à commencer par l’Instance Vérité et Dignité (IVD), chargée de faire la lumière sur ces violations et élaborer un programme global de réparations. L’IVD est également compétente pour transférer des dossiers d’auteurs présumés de telles violations auprès de chambres spécialisées, qui sont alors chargées d’enquêter et poursuivre au pénal ces personnes.

L’IVD a achevé son mandat le 31 décembre 2018, après quatre années d’enquêtes qui auront vu le dépôt de 62720 dossiers et l’audition de 49654 personnes.

Le 2 mars 2018, l’IVD a transmis son premier dossier aux chambres spécialisées, concernant l’affaire emblématique de « Kamel Matmati » à Gabès. Elle a depuis transmis un total de près de 180 dossiers aux 13 chambres situées sur l’ensemble du territoire tunisien.

Dans le cadre du projet « La Roujou3 » ou « Never again », Avocats Sans frontières a mis en place une stratégie d’observation constituée d’un pool de 16 avocats sélectionnés et formés afin de veiller à la bonne application des principes du procès équitable.