Matmati, Kamel

Chambre criminelle spécialisée du Tribunal de première instance de Gabès

Tunisie

May 29, 2018

Première audience

Atmosphère générale
Le Tribunal et la salle d’audience étaient accessibles après contrôle des documents d’identité. Dans la salle d’audience principale, comble, un paravent formait une zone de protection des témoins. Une seconde salle, peu remplie, était mise à disposition pour permettre la diffusion simultanée de l’audience sur grand écran avec traduction simultanée.

Le nombre d’avocats présents était supérieur au nombre de sièges qui leur étaient réservés, si bien qu’ils ont dû occuper une partie de ceux réservés aux journalistes, tandis que l’autre partie était occupée par les représentants de la société civile. Les journalistes, qui se tenaient à l’arrière de la salle, ont été ordonnés par  le Président de la Chambre d’arrêter de filmer, et au moment du témoignage des parties civiles, de faire sortir toute caméra de la salle. L’audience n’a connu que quelques incidents mineurs, le Président s’irritant notamment des sonneries de téléphone et les policiers demandant à plusieurs reprises aux membres de la société civile de ne pas utiliser leur téléphone ou de poster sur les réseaux sociaux.

Déroulé de l’audience
Après lecture de l’acte d’accusation rédigé par l’unité d’investigation de l’IVD, le Président de la Chambre a procédé à l’appel des inculpés, pour finalement constater leur absence collective. Cette audience a en effet été entachée par l’absence de mandats d’amener à l’encontre des accusés, certains se trouvant pourtant dans le pays. La Cour a ensuite entendu les parties civiles, considérées comme victimes indirectes en vertu de la loi sur la justice transitionnelle. Celles-ci ont relaté les faits tels que portés à leur connaissance, la manière dont elles ont été informées de l’arrestation de Kamel Matmati, la diffusion de rumeurs malveillantes et les représailles policières qui s’en sont suivi. Toutes les victimes ont confirmé l’impact de la disparition de Kamel Matmati sur leur vie personnelle et familiale et ont fait part de leur besoin d’obtenir justice, notamment que les accusés demandent pardon et qu’ils dévoilent où est enterré le corps de Kamel Matmati.

Ont ensuite été entendus les témoins des parties civiles. Certains ont choisi de ne pas rester cantonnés dans la zone de protection dédiée aux témoins, notamment les collègues de Kamel Matmati qui étaient présents lors de son arrestation sur son lieu de travail (STEG).

Deux autres personnes ont ensuite témoigné des séances de torture subies par Kamel Matmati. Ali Amer, médecin qui était lui-même incarcéré avec la victime, s’était vu obligé d’ausculter Kamel Matmati afin de constater s’il était encore en vie. Le médecin avait alors alerté les officiers tortionnaires de l’état particulièrement critique de la victime. Le Directeur des services d’investigation, Ali Bousseta, aurait néanmoins continué à asséner des coups, ce qui aurait conduit au décès de Kamel Matmati, constaté par Ali Amer. Toujours d’après ce dernier, le cadavre aurait ensuite été évacué. Selon les dires du second témoin Abdalah Ben Amor, ordre aurait été donné aux autres détenus de nettoyer la salle de toute trace de sang.

Parmi les autres témoins qui devaient être entendus, le Président a constaté l’absence d’Abdel Fateh Mourou, vice-président de l’Assemblée des Représentants du Peuple. Trois témoins policiers ont témoigné, après avoir demandé et bénéficié de mesures de protection des témoins. Leur témoignage a reflété une rare occasion d’aborder explicitement les pratiques de torture policières dans un contexte judiciaire.

Le premier, Khalifa, policier à la retraite et ancien agent des services de renseignement à Gabès, a nié avoir eu connaissance des faits et affirmé n’avoir pas assisté à l’interrogatoire de la victime. Il aurait cependant entendu ses collègues parler d’une personne décédée qui devait être conduite à l’hôpital de La Marsa à Tunis. Le témoin a nié toute intention de torture, parlant plutôt « d’actes un peu violents pour la nécessité de l’enquête » et d’« un minimum de violence nécessaire » pour obliger les suspects à parler. Cette qualification opérée par le témoin a donné lieu à de nombreuses questions et remises en cause de la part du Procureur de la République et des avocats des parties civiles. Le Président de la chambre a rappelé que les qualifications opérées par le témoin ne liaient en rien la Cour.

Deux autres policiers, Mongi et Ali, ont également témoigné dans le même sens, niant toute participation aux faits allégués. Tous deux ont toutefois affirmé que la victime aurait été amenée au poste de police par les accusés Moustapha Ounalah et Farhat Ben Amor, tandis qu’Anouar Ben Youssef et Riadh Chebbi se seraient attelés à la séance d’interrogatoire.

La séance a ensuite été levée pour 30 minutes de délibérations, à la suite desquelles le Président de la chambre a annoncé la date de la prochaine audience, le 10 juillet 2018, afin que puissent être « reconvoqués » les accusés. Aucun mandat d’amener n’a été délivré à ce jour.