Cheka et al.

Cour militaire opérationnelle de Goma

Democratic Republic of Congo

January 31, 2019 - February 1, 2019

Le NDC : mouvement insurrectionnel spontané ou organisé? Cheka à la barre

Avant que soit entamée l’instruction des charges pesant sur lui, le prévenu Cheka a soulevé deux préoccupations devant la Cour :

  • il a sollicité de la Cour que ce procès soit couvert par les médias ;
  • il s’est plaint du mauvais traitement subi quant à la ration alimentaire qui lui est fournie (deux boites de sardines par semaine).

La Cour a pris très au sérieux cette seconde question, estimant l’alimentation du prévenu essentielle pour assurer la coopération du prévenu et la bonne poursuite du procès, et que cela rentrait dans le champ des droits humains. Il a ainsi été ordonné à l’Etat congolais via le ministère public d’y remédier, au besoin par l’intermédiaire de ses partenaires (MONUSCO essentiellement).

Quant à la couverture médiatique du procès, la Cour a fait remarquer que lors de la première audience de ce procès, la salle était pleine de journalistes et d’organes de presse et que ces derniers avaient été autorisés par le Président de céans à couvrir le procès. Suite à cette clarification, des journalistes de Mishapi et de la radio Okapi ont pu être aperçus à l’audience.

La Cour s’est ensuite lancée dans la lecture des préventions mises à charge du prévenu CHEKA. Elle a retenu sous le RP 0272/019 les préventions suivantes :

  • Mouvement insurrectionnel ;
  • Association de malfaiteurs ;
  • Vol ;
  • Responsabilité engagée pour les faits de vols et viols commis dans le cadre d’une attaque généralisée et systématique par les éléments de Nduma Defense of Congo (NDC) et des Forces Démocratiques de Libération du Rwanda (FDLR).

La première charge vise l’organisation et la commande d’un mouvement insurrectionnel à Irumba (Walikale, province du Nord-Kivu), entre 2007 à juillet 2017, période non encore couverte par le délai légal de prescription. Il est reproché à Cheka d’avoir organisé, dirigé et commandé un groupe armé dénommé Nduma Defense of Congo (NDC), dont les membres étaient porteurs d’armes de guerre ; faits incriminés aux articles 136, 137 alinéa 1 et 5 et 139 du code pénal militaire.

Le prévenu s’est défendu d’avoir participé à la création du NDC ; ce mouvement se serait créé de manière spontanée, suite aux souffrances endurées par la population de Walikale. Il a également rejeté la qualification de « mouvement insurrectionnel » pour lui préférer celle de « groupe d’autodéfense populaire » dans la mesure où aucune institution étatique n’aurait été mise en péril par le groupe armé.

S’est ensuivi un interrogatoire du prévenu par la Cour, qui a permis de faire la lumière sur le NDC, et les dynamiques politico-régionales entourant ses opérations. A notamment été précisée la couverture territoriale du NDC, essentiellement dans les localités subissant les atrocités des FDLR (Nototo, Kibua, Malembe, Mutongo, etc.) Le prévenu s’est défendu d’être coordinateur du mouvement, affirmant avoir été nommé « chargé des relations extérieures » et la mobilisation de la population par le gardien de coutume (T6, alias Kibonge Mutaka Cadet, tué en 2013 lors d’une opération des FDLR), ce qui a pu créer la perception qu’il en était le chef.

Toujours selon le prévenu, le NDC ne possédait pas d’était major mais se déplaçait au rythme de l’ennemi.

Au cours de son témoignage, Cheka a beaucoup mis en avant les liens étroits entretenus avec les autorités congolaises. Il a par exemple indiqué avoir séjourné à Goma, aux frais du gouvernement congolais (notamment durant l’opération Umoja Wetu). Il a également affirmé s’être vu confier, par le gouvernement provincial, la mission d’aller faire libérer un étranger pris en otage par les éléments FDLR. Le gouvernement provincial l’aurait alors récompensé d’une somme de vingt mille dollars versée par l’entremise de l’Abbé Munembwe. Enfin, toujours pour réfuter l’accusation de mouvement insurrectionnel, il a relaté avoir été approché par une délégation composée de représentants du gouvernement et de la Monusco, avec à sa tête Mr Martin Kobler fin 2013 à Pinga au sujet de sa réintégration suite à la fin des hostilités.

Le prévenu est toutefois demeuré vague quant à la composition du mouvement, englobant l’ensemble de population de Walikale, mais insistant sur les faits que tous les membres étaient volontaires. Interrogé sur la composition du mouvement, sa réponse a toutefois fait mention d’une certaine hiérarchie et de l’assignation de rôles, avec par exemple l’existence d’un chargé des opérations.

Le mouvement a progressivement renforcé son équipement en armes et munitions, récupérant notamment des armes dans le cadre du processus de démobilisation des membres des FDLR qui s’étaient rendus à la Monusco suite aux affrontements avec les FARDC.

Interrogé ensuite par le Ministère public sur la légalité de son engagement armé, le prévenu a cité l’article 63 de la constitution congolaise, qui dispose que : « tout congolais a le droit et le devoir sacré de défendre le pays et son intégrité territoriale face à une menace ou une agression extérieure ». Alors que le Ministère public lui rétorquait que le port d’armes était réservé aux militaires, Cheka a dénoncé la passivité de l’armée congolaise face aux atrocités commises par les FDLR.