Djugu 4

Tribunal Militaire de Garnison de l'Ituri

Democratic Republic of Congo

November 10, 2021

Audience d’examen des préalables

La continuation du dossier inscrit sous RP 1285/020, RMP 4285/RUS/020 qui avait été interrompu à IGA Barrière suite au problème sécuritaire, s’est poursuivi en chambre foraine à la Prison Centrale de Bunia.

Il a été question en ce jour du Mercredi 10 Novembre au Tribunal, d’analyser deux requêtes introduites par les parties civiles et le mémoire unique de la défense.

En effet, la partie civile avait introduit deux requêtes notamment l’une tendant à solliciter du Tribunal des mesures de protection en faveur des parties civiles et l’autre tendant à obtenir jonction des dossiers RP 1285 et 1220.

Selon la partie civile, diverses dispositions prévoient que dans le cadre de la répression de crimes prévus au titre IX du Code pénal, la juridiction saisie prend les mesures propres à protéger la sécurité, le bien-être physique et psychologique, la dignité et le respect de la vie privée des victimes, témoins et intermédiaires. Conforment aux art. 68 du Statut de Rome, les art. 87, 88 et 89 du règlement de procédure et de preuve de la CPI, l’art. 26 ter de la loi modifiant et complétant le décret du 06 Août 1959 portant Code de procédure pénale du 31 Décembre qui précise que dans le cadre de la répression de crimes prévus au titre IX du Code pénal, la juridiction saisie prend les mesures propres à protéger la sécurité, le bien-être physique et psychologique, la dignité et le respect  de la vie privée des victimes, témoins et intermédiaires ; ainsi que les principes fondamentaux et directives concernant le droit à un recours et à la réparation des victimes de violations flagrantes du droit international des droits de l’homme et international Humanitaire du 16/12/2005. Les parties civiles ont donc sollicité des mesures de protection tout au long de l’instruction des causes notamment :

  1. La désignation des victimes par les codes (anonymat)
  2. Le huis-clos pour les victimes qui le souhaitent
  3. La distorsion de la voix pour certaines victimes
  4. Le port d’une ténue permettant de voiler la figure des parties civiles qui comparaissent.
  5. La désignation d’un psychologue ou assistant social pour assister les parties civiles traumatisées.
  6. La désignation d’un interprète
  7. Et s’il échait la désignation de tout expert pour l’évaluation du traumatisme et tout autre préjudice subi par les victimes ou toute autre mesure appropriée.

Poursuivant dans l’explication ayant trait à sa deuxième requête, les avocats de la partie civile ont démontré qu’après avoir compulsé les deux dossiers, elle s’est rendue compte que dans ces causes non seulement les faits pour lesquels les prévenus sont poursuivis étaient commis dans la plupart des cas au Village TCHE, LOGO-TAKPA, KAWA, KAFE, JOO, TALI, etc. mais aussi les lieux de provenance des prévenus sont les mêmes.

Le tribunal donnant la parole au MP pour avis, celui-ci estime qu’il ne voit pas l’utilité du huis-clos et de la distorsion de la voix. Quant à la désignation d’expert le ministère public pense que cela pourrait être sollicité par les avocats de la partie civile lors des conclusions en terme d’évaluation des réparations appropriées.

Abordant la deuxième requête des parties civiles visant à obtenir jonction des causes 1285 et 1220, le Ministère Public ne suit pas l’avis des conseils des victimes car il estime que la seconde cause n’a pas été appelée ou inscrite dans l’extrait de Rôle, et soulève plusieurs interrogations : si les faits ont-ils été Commis par les mêmes personnes utilisant les mêmes modus operandi ? Les victimes sont-elles les mêmes ? Le MP a conclu en estimant qu’il ne voit pas l’utilité de joindre ces deux dossiers.

La Défense plaide à son tour en analysant la première requête de demande de mesures de protection en faveur des parties civiles et n’y voit pas d’inconvénient vu que la loi le permet. Toutefois, il sollicite que pour le huis clos, s’agissant des victimes qui le souhaitent pour éviter l’anonymat, le tribunal permette aux avocats des prévenus de constater, de voir ou carrément d’être associés lors de la comparution des victimes ayant sollicité le huit clos.

Pour la deuxième requête de la partie civile, la défense estime que c’est inopportun en s’alliant aux arguments tels qu’avancés par le MP, ayant constaté aussi que les faits se sont passés dans des villages différents, avec le modus operandi différents également. Elle sollicite au tribunal de déclarer cette requête recevable mais non fondée.

Les conseils de la partie civilement Responsable (RDC) quant à eux se sont abstenus à donner un commentaire à toutes les deux requêtes et pense s’allier à la sagesse du Tribunal.

Répondant sur le banc quant à la requête portant mesures de protection telles qu’énumérées, le Tribunal note que même si cette requête n’avait pas été introduite par les conseils des parties civiles elles seraient mises en pratiques parce qu’il s’agit de crimes internationaux. Il se prononce favorablement à la requête en ce qu’elle sollicite la distorsion des voix, le port d’une tenue, la désignation d’un psychologue et d’un interprète. Par ailleurs, le Tribunal constate l’inopportunité d’appliquer le huis clos.

Pour la deuxième requête, le tribunal note que les portes ne lui sont pas ouvertes et ne peut rien dire quand à ce, au motif que le dossier n’a pas été inscrit sur l’extrait de Rôle.

Nous avions dit précédemment que la défense avait déposé un mémoire unique en vue d’attaquer les procédures qu’elle a jugé contraire à la loi, notamment :  l’interrogatoire des prévenus par les officiers de la police judiciaire en Swahili et Lingala alors que ces derniers ne parlent que le Kilendu. Elle estime que leurs clients ont été appelés à signer des PV dont ils ne connaissent pas le contenu, elle cite par exemple le prévenu VOTE, qui n’a jamais été à l’école.

De plus, ces prévenus en comparaissant devant l’OPJ et OMP n’ont pas été assistés d’un défenseur pour apporter un soutien moral. Elle pense aussi que ses clients ont été arrêtés en violation de la loi. En occurrence, le prévenu JAKWONGA arrêté mais sans pièce de procédure. Pour la défense cela constitue des violations graves de droit à un procès équitable parce que la plupart selon la défense ne connaissent pas le contenu de leur PV, elle sollicite donc du Tribunal de les déclasser.

Par ailleurs, la défense fait remarquer au tribunal que dans les diverses décisions de renvoi de l’auditeur, les identifications de certains prévenus, la qualification des faits et les motifs mis à leur charge ne sont pas clairement indiqués.  L’auditeur a libellé des préventions à charge des prévenus en des termes généraux et imprécis en application de certains textes légaux qui du reste ne devaient pas être appliqués à telle enseigne, de sorte que chacun des prévenus ne sait pas ce pour quoi il est poursuivi. Or, il est de droit qu’au départ l’accusé connaisse le mode de participation lui reproché pour préparer sa défense. C’est-à-dire qu’il doit savoir s’il est poursuivi comme co-auteur ou complice et aussi comment va-t-il procédé. La partie défenderesse estime que l’auditeur devait le préciser dans l’acte d’accusation en application du droit de la défense.

En sus, l’auditeur est resté imprécis par rapport aux exigences contextuelles dont l’établissement permettrait de qualifier les actes prétendus posés par les prévenus, de crime contre l’humanité. Il parle des attaques généralisées ou systématiques sans préciser les différents incidents survenus dans ces territoires qu’occuperaient ces miliciens du mouvement « CODECO », leurs dates, les nombre des victimes par incident et les auteurs, alors même qu’il y a des prévenus comme  DJANGU Samy (cotes 24 à 27), BHURA DHEDONGA Ismaël (cotes 31 et 32), LODZA LOMBO Maximien ( cotes 33 à 44) qui ont bien collaboré avec eux et pouvaient lui fournir tous les détails nécessaires aux fins de bien libeller ses accusations. Il évoque l’art. 246 al 2 du Code Judiciaire Militaire qui dispose que : « si le prévenu ou le ministère public entend faire valoir des exceptions concernant la régularité de la saisine ou de la nullité de la procédure antérieure à la comparution, il doit, à peine d’irrecevabilité et avant les débats sur le fond, déposer un mémoire unique. »

Il découle de l’économie de cette disposition du Code Judiciaire Militaire que la partie qui veut s’attaquer à la procédure antérieure au débat ou à la saisine des juridictions militaires doit, sous peine d’irrecevabilité le faire par dépôt d’un mémoire unique avant le débat au fond.

Dans le cas d’espèce, les prévenus par le biais de leurs conseils ont déposé leur mémoire unique pour attaquer la procédure antérieure au débat dans cette affaire avant tout débat au fond car leur identification ne peut être considérée comme le début du débat au fond.

La défense soulève l’exception d’obscuri libelli qui consiste à déclarer le libellé de la prévention retenue à charge du prévenu non claire, ou incompréhensible, ou encore confuse. L’exception « d’obscuri libelli » suppose que la partie citée n’a pu comprendre de quels faits elle avait à répondre.

Dans le cas d’espèce, la défense soutient qu’il ne fait ombre d’aucun doute, comme souligné ci-haut que l’auditeur a libellé les préventions à charge des prévenus en des termes généraux et imprécis en application de certains textes légaux qui du reste ne devaient pas être appliqués à telle enseigne, de sorte que chacun des prévenus ne sait pas ce pour quoi il est poursuivi. Cet imbroglio souligne la défense, la met mal à l’aise pour organiser ses moyens dans la mesure où ces exploits sont inintelligibles.

Au-delà de ça, la défense a noté des irrégularités des détentions. Elle invoque la Charte Africaine des droits de l’homme et des peuples ratifiée par la RDC le 20 juillet 1987 qui stipule en son article 6 que « Tout individu a droit à la liberté et à la sécurité de sa personne. Nul ne peut être privé de sa liberté sauf pour des motifs et dans les conditions préalablement déterminées par la loi ; en particulier nul ne peut être arrêté arbitrairement » ; ainsi que l’article 26 bis point f) de la loi n° 15/ 024 du 31 décembre 2015, qui stipule qu’il est un droit pour toute personne accusée d’une infraction et faisant l’objet des poursuites de ne pas être arrêtée ou détenue arbitrairement.

En droit militaire congolais, la détention est règlementée par les articles 205 et suivants du Code de Procédure Militaire. Selon ces articles, l’accusé ne peut être incarcéré ou détenu que suite à un mandat d’arrêt provisoire qui a une validité de quinze jours et il peut être prolongé d’un mois et ainsi de suite. Ce mandat d’arrêt provisoire doit déterminer les causes de l’incarcération de l’accusé et doit être confirmé dans les quinze jours sinon, il est mis fin à la détention.

Dans le cas sous examen, la défense fait remarquer au tribunal qu’au-delà de l’absence des pièces qui ont servi pour les arrestations des prévenus, les autres prévenus sont détenus sans pièces de détention. Il s’agit notamment de sieur NDJANGU SAMY.

La défense note aussi que certains prévenus notamment monsieur Dieudonné MALOBI n’ont même pas des pièces d’arrestation ni de PV de saisie de prévenu. Elle se pose alors la question de savoir, comment ils étaient arrêtés et détenus au niveau des OPJ.

La défense conclut en sollicitant du tribunal de recevoir non seulement ce mémoire unique mais aussi les moyens soulevés par les prévenus et les déclarer fondés ; de solliciter le renvoi de la procédure au parquet pour que le ministère public saisisse de nouveau la juridiction après avoir régularisé ces décisions de renvoi soit demander aux prévenus de comparaitre volontairement et reprendre ad novo l’instruction du dossier dans le respect de la loi ; et d’ordonner la mise en liberté immédiate de tous les prévenus car ils sont détenus irrégulièrement.

Prenant la parole, le MP demande que le Tribunal ne tienne pas compte de tous ces arguments parce qu’il vient de recevoir le mémoire unique. Il a argumenté un paragraphe de l’art. 19 de la constitution de la RD Congo, qui dit que :’’ … Le droit de la défense est organisé et garanti. Toute personne a le droit de se défendre elle-même ou de se faire assister d’un défenseur de son choix et ce, à tous les niveaux de la procédure pénale, …’’,

Prenant la parole, la partie civile se dit surprise des arguments de la défense qui ne respecte pas le principe du contradictoire qui fait partie du droit à un procès équitable, elle estime que la défense fait des amalgames entre exception et fond, la défense devrait démontrer en quoi la manière dont les exploits ont été libellés ne respectent pas les droits de la défense.

Le Conseil de la partie civile ajoute que toutes les exigences en ce qui concerne les libellés d’une prévention ont été annoncées, elle ajoute en arguant que les décisions de renvoi sont claires et permettent à chacun des prévenus de comprendre les faits mis à sa charge. Si irrégularité de la détention il y avait selon les arguments de la défense, il devrait alors, introduire la requête de liberté provisoire. La partie civile estime que la défense ne comprend pas les démarches du mémoire unique.

La RD Congo au travers de ses conseils s’est réservé de tout commentaire en laissant la sagesse du tribunal trancher au moment opportun.

Reprenant la parole, la défense a plaidé que quand le MP instruit, il doit le faire avec désintérêt, et que, si la partie civile n’a pas eu assez de temps pour lire le mémoire unique, elle doit solliciter du tribunal quelques heures afin d’approfondir la lecture.

Prenant la parole le Tribunal a reconnu que certains PV ont été irréguliers et d’autres réguliers. En parlant de l’inintelligibilité des décisions de renvoi, le tribunal estime que la défense devrait être plus précise, entre autre détailler de quelle décision de renvoi exactement il s’agit. Le tribunal estime que tous les éléments y afférents ont été décrits par le MP et n’accepte donc pas l’exception d’obscuri libelli.

Quant à l’irrégularité de la détention, le tribunal estime que la défense doit la démontrer sur base des pièces, et préciser à quel prévenu exactement elle a trait. Il poursuit et estime donc que la défense n’a pas eu le temps d’exploiter toutes les pièces du dossier.

Pour ce faire, le Tribunal est saisi par les décisions de renvoi. La partie lésée est en droit d’aller ester contre l’autorité qui avait cautionné cette irrégularité pour arrestation arbitraire ou détention illégale. Le tribunal ne peut donc se prononcer car il estime que c’est le fond qui détermine la responsabilité de chacun des prévenus dans cette cause et estime que les prévenus ont été cités régulièrement, par ce motif, le Mémoire unique est jugé recevable mais non fondé.

Le tribunal a donc suspendu l’audience pour le renvoyer à Jeudi 11/11/2021