Barreket Essahel

Chambre criminelle spécialisée du Tribunal de première instance de Tunis

Tunisie

June 15, 2020

Huitième Audience

L’audience a porté sur l’audition de 5 prévenus : Mohamed Guezguez, Mohamed Hedi Ben Hassine, le Général Abdelhafidh Farza, Faouzi Aloui et Mustapha Ben Moussa.

Le Tribunal a retenu les charges suivantes : la torture, l’arrestation et la détention d’une personne sans autorisation légale, accompagnées de violence et de menaces ainsi que la complicité, conformément à l’alinéa 4 de l’article 101 bis et l’alinéa 2 de l’article 32 du code pénal ainsi que les articles 250 et 251 du même code.

Mohamed Guezguez

Le prévenu a témoigné devant la Cour, niant toute connaissance des actes de torture subis par les détenus. Tout le long, il a tenté de démontrer qu’il n’avait pas été impliqué dans l’affaire. Ainsi, il reconnaissait être Procureur général et directeur de la justice militaire en 1991. Toutefois, lorsqu’il avait reçu l’affaire du Groupe Barreket Essahel, il l’aurait transmise au Parquet de la Cour Militaire Permanente de Tunis, sur instruction du Ministre de la Défense Habib Boulares et n’aurait donc présidé aucune audience relative à l’affaire. Mr. Guezguez a affirmé qu’il n’était pas au courant de la décision de clôture de l’instruction car il était en France durant cette période pour se faire soigner. Enfin, il ajouta qu’il avait pris sa retraite de l’armée nationale, en Août 2000, en tant que procureur général de la justice militaire.
Me. Bouali, l’avocate des parties civiles, est intervenue et a interrogé l’accusé Mohamed Guezguez sur la possibilité qu’il ait conservé ses fonctions durant son séjour en France pour se faire soigner. Ce à quoi le prévenu a répondu qu’ils les avaient effectivement conservées.
Me. Bouali a alors souligné que l’accusé était présent lors des jugements rendu par le tribunal militaire en juin 1992, en tant que représentant du parquet militaire. Ce qu’il a nié, en déclarant qu’il était le représentant du parquet militaire dans une autre affaire.
Interrogé sur sa participation à la réunion organisée afin de présenter des excuses aux militaires, le prévenu a répondu qu’il était présent, sur ordre du ministre de la Défense, avec le général Farza et Mohamed Ali Ganzoui. Il a affirmé qu’elle était présidée par le ministre de l’Intérieur, Abdallah Kallel, ainsi que d’autres agents de sécurité qui lui sont inconnus au siège du ministère de l’Intérieur. Ce sur quoi Me. Bouali a rebondi en évoquant la présence de Ezzedine Jenayah à cette réunion.
Enfin, l’accusé a nié sa participation à la réunion à Dar Behi Ladgham au triangle de la sécurité militaire de Bab Saadoun et refusé de présenter des excuses sous prétexte qu’il exerçait ses fonctions conformément à la loi.

Mohamed Hedi Ben Hassine

L’accusé a démenti les charges retenues contre lui. Il a commencé son audition en identifiant le poste qu’il occupait durant la période en question. Ainsi, en Juin 1990, il occupait le poste de chef d’état-major de l’armée de terre. Il a alors expliqué que le ministère de la Défense avait sous son contrôle les institutions de surveillance et de suivi et que dès lors, le département de la sécurité militaire était en lien direct avec le ministre de la Défense. Mr. Ben Hassine a ajouté qu’il n’était pas au courant de l’affaire du groupe de Barreket Essahel. Cependant, il avait remarqué que le lieutenant-colonel Mohamed Ahmed (Chef de la Section de sécurité de l’Armée de terre) avait commencé à convoquer les militaires des trois armées en tant que liaison entre le département de la sécurité militaire et le commandement d’état-major de l’armée terrestre. L’accusé a souligné que les militaires étaient détenus par d’autres militaires, selon la procédure, au ministère de la Défense ou au Triangle de Bab Saadoun. Toutefois, lorsqu’il a remarqué l’accumulation des convocations, dans la discrétion totale, il a demandé des explications au secrétaire de la Défense. En outre, il a expliqué qu’en 1991, il était préoccupé par le déploiement de l’armée tunisienne avec la guerre d’Irak. Enfin, le prévenu a affirmé n’avoir assisté à aucune réunion au ministère de l’Intérieur ni au Triangle de sécurité militaire.

Me. Bouali a demandé à entendre le témoignage du lieutenant-colonel Mohamed Ahmed qui était présent à l’audience. Ce à quoi le Tribunal a répondu que ce dernier avait déjà témoigné et qu’en marge de la confrontation, ses précédents témoignages et déclarations devaient être pris en considération. Le prévenu a ajouté qu’il pensait être pris pour cible dans cette affaire étant donné que les accusations ne concernaient pas le président du Tribunal militaire, le procureur général et les chefs d’état-major des armées de la mer et de l’air, malgré le fait qu’ils occupaient le même rang et la même section que lui, ainsi que Mahmoud Gannouni, l’inspecteur général, et le colonel Rachid Ammar, président du Conseil de discipline à l’époque. Néanmoins, il a exprimé ses regrets à propos des violations commises.

Général Abdelhafidh Farza

Le prévenu a démenti les charges retenues contre lui. Il a commencé son audition en identifiant le poste qu’il occupait durant la période en question. Ainsi entre le 15 août 1987 et le 1er septembre 1990, il était attaché militaire à Paris. A son retour, il a été nommé commandant de brigade à la caserne de Beja jusqu’en Février 1991. A la fin de l’année 1991, il a été surpris par l’existence d’un complot visant à renverser le régime après avoir été informé par le ministre de la Défense, que le juge d’instruction militaire avait adressé une lettre à l’appareil de la Sureté de l’État, lui demandant de convoquer plusieurs militaires. Cependant, le prévenu a remarqué que la liste des militaires convoqués était longue, ce qui a suscité des doutes quant à la fiabilité des enquêtes menées. Il en a alors informé le ministre de la Défense. Après la présentation de leur rapport au Chef de l’Etat, démontrant l’impossibilité technique qu’une réunion de complot ait eu lieu sans attirer l’attention du publique dans la région de Barreket Essahel, l’ancien chef de l’Etat aurait déclaré : « Vous voulez me faire croire qu’il n’y a pas de complot !!? ». Deux jours plus tard, l’administration militaire aurait convoqué une nouvelle liste qui comprenant de nombreux hauts cadres militaires. Mr. Farza a affirmé avoir assisté à une réunion au ministère de l’Intérieur et avoir été reçu par Mohammed Ali Ganzoui et Ezzedine Jenayah. Ils auraient été conduits dans la salle de réunion par Lamjed Yahiaoui, l’un des militaires arrêtés. Quand Yahiaoui aurait commencé à citer les noms, il aurait été interrompu par Ganzoui lui disant : « Il ne reste plus que moi à citer. » À ce moment-là, Yahiaoui aurait éclaté en sanglots, en disant : « Après toute la torture que j’ai vécue, je suis prêt à dénoncer mes parents si il le faut ». C’est à la suite de cet incident que les enquêtes auraient été clôturées. Au bout d’un mois environ, le prévenu aurait été invité à une réunion au siège du ministère de l’Intérieur, en présence d’Ali Seriati, Ezzedine Jenayah, Mohamed Ali Ganzoui et du ministre de l’Intérieur Abdallah Kallal afin de présenter des excuses aux militaires arrêtés et torturés.

Faouzi Aloui

Le prévenu a démenti les charges retenues contre lui. Il a commencé son audition en identifiant le poste qu’il occupait durant la période en question. Ainsi à l’époque, il occupait le rang de Major au département de la sécurité intérieure rattaché au département de la sécurité militaire. Suite à un test d’anglais effectué avec le major Fathi Kabsi, il aurait été nommé pour assurer une formation sur les renseignements, à Londres. Il s’y serait rendu le 03/02/1991 et en serait revenu pour commencer son travail le 26/06/1991. Mr. Aloui a alors affirmé que cela démontrait l’impossibilité technique d’avoir pu faire partie des incidents et violations étant donné le fait qu’il était à l’étranger. Le prévenu a également été confronté par la victime Mohsen Mighri, qui était présent à l’audience. Suite à quoi, le prévenu s’est rétracté, soulignant qu’il pourrait s’être tromper quant à la personne l’ayant emmené au Triangle militaire de Bab Saadoun.

Mustapha Ben Moussa

Le prévenu a démenti les charges retenues contre lui. Selon lui, l’affaire n’était qu’un complot orchestré entre l’ancien chef de l’Etat en personne et certains cadres du ministère de l’Intérieur tels que Ganzoui et Jenayah, afin de souiller l’institution militaire.

Me. Bouali a demandé au tribunal de pouvoir continuer de poursuivre les recherches et mener des confrontations durant les prochaines audiences.