Les audiences du 19 au 20 novembre 21 ont été consacrées aux plaidoiries des parties au procès.
Prenant la parole en premier la partie civile a commencé par rendre hommage au Tribunal pour le respect de certains principes essentiels, tels que le principe du droit à un procès équitable, la sagesse du Tribunal lors de l’instruction en rapport avec la distribution équitable des paroles aux parties, mais aussi des félicitations adressées au Ministère public pour avoir accompli un travail rigoureux lors des enquêtes.
En effet, les mouvements CODECO (Coopérative pour le Développement Economique du Congo), ont presque le même historique et les mêmes modus operandi depuis les faits de décembre 2017, période liée à la mort du prêtre Lendu NGUNDJI Floribert (survenu précisément le 10 Juin 2017) prêtre de l’Eglise Catholique paroisse de Drodro. Une autre vague des violences est intervenue entre Septembre 2018 et Mai 2019 marquée par les attaques répétitives entre les positions FARDC avec impact sur la population civile, causant de nombreuses victimes tuées et décapitées, et des maisons incendiées.
Le 10 Juin 2019, avec l’assassinat du commerçant de la localité de KOBU, une autre vague des violences a été déclenchée dans tous les villages où résident les Hema accusés par la CODECO d’avoir mis fin à la vie de cet influent commerçant Lendu. Ces attaques qui se font de manière coordonnée ont des graves conséquences sur plusieurs populations. En grand nombre ils mettent en première positions les jeunes qui poussent des cris pour distraire ; les femmes les suivent après pour piller les maisons et biens de ceux qui étaient attaqués pendant que les jeunes mettent en feu les maisons ; ainsi enfin interviennent les hommes qui tuent toute personne qu’ils trouvent sur leur chemin.
Plusieurs récits de victimes nous font savoir que beaucoup de membres de leurs familles n’ont jamais été retrouvés. C’est cette dernière vague des violences de CODECO qui est en cause dans cette affaire, car celle-ci comme d’autres reste caractérisée par le meurtre, incendie des maisons, pillage et déplacement des populations.
Ainsi, poursuit la partie civile, malgré les efforts des autorités provinciales pour ramener le calme, les incidents se sont multipliés sur une base journalière entre les deux communautés entrainant plus d’une centaine de mort, des dizaines de blessés, des centaines de cases brulées et des déplacements massifs des populations vers la ville de Bunia et vers d’autres localités du territoire de Djugu où sont positionnées le plus souvent les FARDC, et en Ouganda voisin. Aussi, il ressort des pièces du dossier judiciaire et des dépositions des victimes que les prévenus ne contestent pas que pendant la période visée par l’accusation, allant du mois de décembre 2017 jusqu’au moment de leurs arrestations, ils se sont livrés à une intense activité criminelle, systématique et généralisée, dirigée contre la population civile. En touchant ce point en rapport avec le droit, la partie civile a rappelé que ces prévenus sont poursuivis pour participation à un mouvement Insurrectionnel et Crime contre l’humanité par Meurtre et Crime contre l’humanité par déportation.
En rapport avec le droit applicable, elles se réfèrent au Statut de Rome ainsi que le code pénal militaire et le code pénal ordinaire congolais, tel que modifié par la loi n°15/022 du 31 décembre 2015 seront d’application, la loi N°15/022 du 31/12/2015 modifiant et complétant le décret du 30 Janvier 1940 portant code pénale congolais et la loi N°15/024 du 31 Décembre 2015 modifiant et complétant le décret du 06 Aout 1959 portant code de procédure pénale. Le statut de Rome en ses articles 153 alinéa 4 et 215 de la constitution de la RDC qi dispose respectivement que :
- Les cours et tribunaux civils militaires appliquent les traités internationaux dûment ratifiés, les lois, les actes réglementaires pour autant qu’ils soient conformes aux lois et à la coutume.
Dans l’examen de toutes ces préventions, les parties relèvent :
- Que l’analyse des éléments et pièces du dossier, l’instruction pré juridictionnelle et l’instruction juridictionnelle démontrent sans ambages ni atermoiement la réalisation des infractions susmentionnées dans le chef des prévenus.
- Que les parties civiles font siennes le réquisitoire du ministère public démontrant la responsabilité et la culpabilité de tous les prévenus et partant sollicitent leur condamnation aux peines légales. Qu’elles sollicitent également la condamnation des prévenus in solidum avec la RDC aux dommages-intérêts et autres types de réparations demandées notamment les réparations collectives :
Que partant de cela, les victimes sollicitent les réparations tant individuelles que collectives suivantes :
- L’indemnisation : réparation individuelle
Celle-ci vise la compensation pour les biens pillés, détruits, extorqués ou abandonnés dans les localités des résidences des victimes.
Attendu que plusieurs victimes avaient perdu des êtres chers qu’elles ne reverront plus jamais. Que du fait de cette perte de proches, ces victimes sont traumatisées. D’autres notamment les enfants qui avaient perdu un ou des parents, voient leur avenir s’assombrir et leur survie en danger.
Que ces victimes sollicitent une indemnisation financière pour compenser la perte des proches parents. Que pour chaque personne décédée, les victimes sollicitent un montant symbolique de l’équivalent en franc congolais de dix mille dollars américains ; Que pour chaque victime ayant subi une blessure, les parties civiles sollicitent un montant forfaitaire symbolique de comprise entre cinq cents et mille dollars.
Qu’il en sera de même pour les biens pillés ou détruits étant donné que la restitution ne paraît pas envisageable dans le cas d’espèce puisqu’à ce jour ces biens sont inexistants. Qu’elles sollicitent selon les biens perdus, une liste de postulations sera déposée au Tribunal par les avocats des victimes où ils détailleront les prix de chaque bien pillé ou la valeur estimative de chaque préjudice subi.
- Réhabilitation /Réadaptation
Attendu que plusieurs victimes éprouvent des besoins d’une assistance médicale et psychologique permanente du fait des préjudices subis qui résultent des infractions et crimes commis par les prévenus. Celles qui avaient perdu des parents sont traumatisés jusqu’à ce jour et nécessitent une assistance psychologique et médicale permanente. Bon nombre d’entre elles ont développé des maux d’estomac et des maladies cardiovasculaires qui nécessitent une prise en charge.
D’autres victimes ayant subi des blessures présentent à ce jour soit des handicaps soit des douleurs qui nécessitent aussi une prise en charge médicale et psychique ; Partant de cela , les victimes sollicitent la condamnation des prévenus in solidum avec la RDC à la construction d’un centre de santé par localité pour permettre aux victimes d’y recevoir gratuitement des soins médicaux et psychologiques ; Que la construction de ces centres permettront aux victimes d’y avoir accès pendant une longue période ; qu’il a été jugé que « il est souhaitable d’orienter les réparations vers des programmes autonomes afin de permettre aux victimes de bénéficier de ces mesures à long terme ».
- Satisfaction
Que pour les victimes ayant perdu des membres de famille dont les cadavres n’ont jamais été retrouvés, elles sollicitent la condamnation de la RDC à prendre des mesures pour la recherche des personnes disparues et des corps et la mise à disposition des familles des moyens suffisant pour l’organisation des obsèques.
Qu’en outre toutes les victimes sollicitent la condamnation de la RDC à ériger un monument au chef-lieu de chaque chefferie et ce, en guise de reconnaissance des atrocités commises à leur endroit et de leur statut des victimes.
- La Restitution :
Mesures efficaces de protection de la population de Djugu et facilitation du retour des victimes dans leurs localités. Attendu que toutes les victimes avaient été contraintes de quitter leurs villages en abandonnant leurs champs. Qu’elles vivent actuellement en errance, hébergés par des proches et amis depuis quatre ans pour les uns et vivant dans les sites de déplacés et camp des réfugiés pour les autres. Qu’elles sollicitent du Tribunal de céans d’ordonner à l’Etat d’adopter sans délai des conditions devant faciliter le retour des victimes dans leurs milieux d’origine et la reprise de leurs droits sur les terres qu’elles possédaient avant les attaques.
Par ailleurs les victimes sollicitent la condamnation de l’Etat Congolais à prendre des mesures devant aboutir à démanteler le groupe armé Codeco des localités dans lesquelles les victimes vivaient avant les attaques.
- Garantie de non répétition
Que pour rassurer les victimes que ce qui leur est arrivé ne va plus se répéter, elles sollicitent du Tribunal de céans d’ordonner à l’Etat de renforcer les effectifs des FARDC et de la PNC dans les localités touchées par ces crimes et les doter de matériels et équipements militaires suffisants pour leur permettre de sécuriser efficacement les populations de Djugu et de Mahagi. Que les victimes sollicitent la condamnation de la RDC à prendre des mesures idoines pour désarmer les membres de la milice Codeco. Les parties civiles ont fini par, disposer ainsi, disent-ils,
Par ces motifs
Et tous autres à faire valoir par déduction ou par suppléance dans les formes et délais de la loi ; sans préjudice à tous autres droits, actions et moyens auxquels la présente concluante n’aura pas renoncée expressément.
Plaise au tribunal de céans
Statuant contradictoirement
Et
Ecartant comme non fondées toutes conclusions contraires aux présentes ;
- Condamner les prévenus aux peines qui seront requises par le Ministère public ;
- Dire recevable et amplement fondées les actions civiles sous le RP1285 ;
- De condamner les prévenus in solidum avec les prévenus à :
- Payer à titre des dommages et intérêts à chaque partie civile conformément à l’évaluation financière des biens perdus
- Condamner la RDC à ériger un centre de santé dans chaque village pour la prise en charge médicale et psychologique des victimes ;
- Condamner la RDC à prendre des mesures pour la recherche des cadavres non retrouvés et à offrir aux victimes des moyens pour l’organisation de deuil ;
- Condamner la RDC à ériger un monument dans chaque village ayant fait l’objet d’une attaque
- Condamner la RDC à prendre des mesures idoines pour anéantir le groupe armé CODECO ;
- Condamner la RDC à prendre soins des mesures des mesures visant le retour des victimes dans leurs localités respectives ;
- Condamner la RDC à doter les FARDC et la PNC des moyens suffisant pour assurer la sécurité dans les territoires de Djugu et de Mahagi ;
- Condamner la RDC à déclencher une opération de désarmement des groupes armés ;
Après avoir pris acte des conclusions des parties civiles, le Tribunal a donné la parole au Ministère Public pour son réquisitoire, celui-ci a son tour est revenu à la genèse entourant le mouvement Insurrectionnel de la Codeco similaire à celle racontée par la partie civile.
Pour le MP, dès l’audition des victimes se constituant parties civiles, il s’avère que la plupart ont vu leurs membres de famille être tués ou elles-mêmes être blessés, des biens et des bétails emportés et pillés, des maisons incendiées. Les victimes ont été déplacées de force de leurs milieux d’origine. C’est par exemple les localités de KOBU et ses environs dans le secteur de WALENDU TASI, KPAKPATA, ZIBITI, LODJE, SAKOMBI, KOBU, LIKIDA, LEKPAN et CHER.
De l’instruction pré juridictionnelle menée, il s’avère que les violences commises par les membres de Codeco ont été exécutées dans le cadre d’attaques généralisées et systématiques contre les populations civiles et constituent pour ce faire des infractions de Participation à Mouvement Insurrectionnel et des crimes contre l’humanité par Meurtre, persécution, déportation forcée, faits prévus et punis par les statuts de Rome et le code pénal Militaire dont l’examen s’impose. Après avoir largement démontré toutes ces infractions, le ministère public a demandé au tribunal de condamner pour ces préventions et pour tous autres actes inhumains les prévenus ci-après : LOMBUNI NZALI, NDUNDJOLO TSERA, MALOBI Dieudonné, LONU Moise, VOTE NJAMU Josué, TIMOTHEE NDJABU, LOPA GOBI Richard, WANIKANE NYOLONGA Antonio, LONDJIRINGA NDJABU, LODJA LOMBO Maximien, DIRO MALOBI, LOPA LIMBE Samuel, ISMAEL DJAMBI KOMBOZI MANU, MBUKANA NDRUNDRU KPANDJANGA, LONEMA GONZA, ERIC LIRPA, NGANDRU TCHEPO, SAFARI KUFA Innocent, DJAKONGA MUME Claver. Et de déclarer l’action publique éteinte à l’égard des prévenus décédés LOMBUNI NZALI et NGUNDJOLO TSERA décédés
Le MP demande également de déclarer les actions publiques introduites par les 76 parties civiles recevables et fondées et y faire droit, et en conséquence condamner les prévenus In solidum avec l’Etat congolais en paiement des Dommages et Intérêt pour les préjudices tant matériels que moraux subis par les victimes ; et de mettre les frais d’instances à clarifier par le greffier à charge de des prévenus déclarés coupable.
Enfin, la défense a pris la parole pour critiquer l’œuvre de l’organe de la loi, accusé d’avoir versé au dossier les procès-verbaux d’audition des prévenus et ceux des victimes au niveau de l’instruction pré juridictionnelle. Il a également versé au dossier les différentes pièces à conviction dont l’analyse s’avère essentielle à ce stade. De l’analyse des PV et pièces en conviction au regard de la dynamique de l’audience.
En analysant les PV et aussi au regard de la dynamique de l’instruction à l’audience, la défense relève que certains prévenus ont été forcés aux aveux les plus complets devant l’OPJ et/ou l’OMP mais parmi eux, il y a de ceux-là qui ont nié, après la lecture par le tribunal de ces PV, toutes les déclarations y contenues, tandis que les autres les ont reconnus tout en apportant certaines précisions.
La défense a aussi souligné que, partant des PV des dépositions des parties civiles, elle relève que celles-ci ont été victimes des actes de barbarie comme le MP l’a argué mais la plupart ne connaissent pas individuellement les auteurs. Toutefois, ceux qui ont vu leurs bourreaux, ont cité les noms des personnes autres que les prévenus qui sont présent devant vous. C’est pourquoi demande-t-elle aux juges de considérer plus l’instruction faite à l’audience car toutes les parties l’ont considérée unanimement de meilleure, d’analyser avec beaucoup de circonspection les dossiers de ces prévenus et de ne condamner que ceux dont la culpabilité sera établie au-delà de tout doute raisonnable car dit-on « mieux vaut acquitter mille coupables que de condamner un seul innocent »
En répliquant sur les lois applicables, notamment les statuts de Rome, la défense a déclaré devant le tribunal que le 31 décembre 2015, le parlement congolais a adopté trois lois de mise en œuvre du Statut de Rome pour harmoniser la législation nationale :
La première loi est la Loi n° 15/022 du 31décembre 2015 modifiant et complétant le Décret du 30 janvier 1940 portant Code pénal ordinaire. Le préambule de cette loi souligne qu’en ratifiant le traité portant statut de Rome, la RDC qui est l’un des Etats parties a souscrit à la double obligation ci-après :
- Coopérer pleinement avec la cour dans les enquêtes et les poursuites à mener pour les crimes relevant de sa compétence ;
- Procéder à l’harmonisation de son droit pénal avec les dispositions dudit statut.
C’est pourquoi le parlement a, par l’article 2 de cette loi, inséré notamment dans le Code pénal ordinaire un article 21bis qui reprend en fait les dispositions de l’article 25 du Statut de Rome relatives aux formes de responsabilité pénale individuelle. Il a inséré également un article 22bis reprenant l’article 28(b) du Statut de Rome qui prévoit la responsabilité pénale des supérieurs hiérarchiques non militaires. La Loi n° 15/022 prévoit par ailleurs un article 4 par lequel elle insère au Livre II du Code pénal ordinaire notamment un Titre IX intitulé « Des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité » ainsi que les articles 221 à 224 dans lesquels il est défini, selon le Statut de Rome, le génocide à l’article 221, les crimes contre l’humanité à l’article 222 et, enfin les crimes de guerre à l’article 223. Dans ces mêmes articles, il est prévu par ailleurs des peines contre les individus qui seraient reconnus coupables de ces trois crimes : la peine de mort. Il importe de relever que pour ce qui est des crimes contre la paix et la sécurité de l’humanité, la loi n’a fait aucune distinction entre les auteurs ou coauteurs et les complices : tous sont passibles de la même peine.
La deuxième loi est la Loi n°15/023 du 31 décembre 2015 modifiant la loi n°024-2002 du 18 novembre 2002 portant Code pénal militaire. L’article 1er de cette loi rend applicables devant les juridictions militaires les dispositions du livre Ier et le titre IX du Livre II du Code pénal ordinaire avec les modifications dont on vient de parler. La loi précitée insère également dans l’article 1er du Code pénal militaire le principe de la responsabilité pénale des chefs militaires tel qu’il est formulé à l’article 28(a) du Statut de Rome. À l’article 2 la loi n°15/023 abroge le Titre V et l’article 207 du Code pénal militaire qui confiait aux juridictions militaires une compétence exclusive sur les crimes internationaux.
Les exigences tant de la répression nationale que de la coopération internationale pour les enquêtes et les poursuites relatives à ces crimes particuliers ont commandé elles aussi une modification des règles de la procédure pénale congolaise. C’est ainsi qu’a été votée la Loi n°15/024 du 31 décembre 2015 modifiant et complétant le Décret du 06 août 1959 portant Code de procédure pénale.
Pour la défense, elle pense donc qu’avec les lois du 31 décembre 2015 en effet, les débats doctrinaux et jurisprudentiels sur l’applicabilité directe du Statut de Rome peuvent être, à présent, considérés comme dépassés et qu’il est certain que le parlement congolais s’est prévalu de la marge d’appréciation lui reconnue par l’article 80 du Statut de Rome dans le choix des peines appropriées pour les crimes prévus dans le Statut de Rome.
L’audience des plaidoiries des parties de ce Samedi 20 Novembre a commencé à 11h00’ et s’était clôturée à 17h20’, le prononcé quant à elle a été fixé au mercredi 24 Novembre 2021 à 10h.