Barreket Essahel

Chambre criminelle spécialisée du Tribunal de première instance de Tunis

Tunisie

January 20, 2020

Septième Audience

L’audience a porté sur l’audition de la partie civile : Hedi Tijani, Rachid Ghribi et Salem Matoussi. Les victimes ont témoigné des contextes dans lesquels elles ont subi des actes de tortures. Elle s’est tenue dans les mêmes conditions que celles qui ont eu suivi la première, sans équipement pour accommoder le public, etc.

Hedi Tijani

La victime a commencé son témoignage par relater son parcours au sein de l’armée, après avoir précisé qu’elle ne cherchait pas à recevoir une indemnisation mais bien à révéler la vérité au sujet de l’affaire Barreket Essahel.

Mr. Tijani a déclaré avoir rejoint rejoint l’armée tunisienne en 1973. Avoir ensuite obtenuun diplôme en 1975 en ingénierie aéronautique d’hélicoptère. En 1985, avoir obtenu un autre diplôme de l’Académie de la Force aérienne des États-Unis. Et avoir été commandant de régiment à la base aérienne de Sfax ainsi qu’instructeur de vol jusqu’au 23 Mai 1991. En mai 1991, il se préparait pour deux événements importants pour sa carrière : sa Promotion et la continuation de sa formation dans une école d’état-major à l’étranger suite à sa réussite d’un concours.

Selon la victime, l’opération de Barreket Essahel visait non seulement à arrêter un groupe de commandants militaires, mais aussi à nuire et saboter l’institution militaire. C’est pourquoi, elle était étonnée que Zine El Abidine Ben Ali puisse facilement être influencé, d’autant plus qu’il avait fait partie de cette institution.

Mr. Tidjani a témoigné que le 21 Mai 1991, alors qu’il était à la base aérienne de Sfax, il a été informé qu’il devait se rendre à la capitale pour assister à une réunion avec des commandements militaires afin de les conseiller sur les besoins en matière d’entretien d’aéronefs militaires. Le jour même, il s’est rendu à la capitale par hélicoptère accompagné d’un ingénieur aéronautique.
Néanmoins à son arrivée, il a été placé durant deux jours à dar el Bahi Adgham, d’où il a été ensuite transféré au siège du ministère de l’Intérieur sans être informé des charges retenues contre lui. Dès son entrée au siège du ministère de l’intérieur, il a été giflé par un policier en uniforme civile, ce qui l’a marqué car pour lui cette gifle était une insulte à sa personne et à l’institution militaire. La victime a affirmé que c’est là où il a été soumis à diverses formes de torture : suspendu nu, la tête enfoncée dans un bol plein d’eau sale, en position du « poulet rôti », etc. Il a été interrogé de façon approximative avec des questions telles que : « Qui est avec toi ? », « Où va se tenir la réunion ?».
Toutefois, lorsque les personnes impliquées dans sa torture ont été informées de son identité et de son rang militaire ils y ont immédiatement mis un terme. Il a ajouté qu’il ne savait pas qui l’avait torturé mais qu’il se souvenait que l’un d’entre-eux était surnommé le « bokhch ». Suite à ces violences, il a été emmené avec un groupe de militaires à la prison de Mornagueya où il est resté deux semaines.
Le 23 juin 1991, il a été ramené au siège du ministère de l’Intérieur dans le bureau de Mohamad Ali Ganzouii. Il y fut informé de la fin de sa détention par ce dernier accompagné d’Ali Seriati, Ezzedine Jenayah et les généraux de brigade Moussa Kheliffi et Guezgez au nom de l’institution militaire. Il a ensuite été conduit à la caserne des sports de Bardo puis à sa maison à Sfax.
Cependant les épreuves de la victime et de ses proches n’ont pas pris fin avec la fin de sa détention. En effet, le nom de Mr. Tidjani ainsi que des photographies ont été publiés lors d’une conférence de presse donnée par Abdallah Kallel durant laquelle de graves accusations ont été publiées par les journaux quotidiens, provoquant de la détresse parmi ses proches.
Parmi les conséquences subies, la victime a cité n’avoir pas réintégré son poste, mais également ne plus avoir reçu sa rémunération complète depuis plusieurs mois. Malgré le fait qu’en avril 1992, la Sécurité militaire l’ait informé qu’il avait été mis à la retraite d’office et qu’il allait bénéficier de 90 % de sa pension de retraite. La victime a ajouté que suite à la diffamation subie, il n’y a toujours pas eu de déclaration officielle ou de prise de position publique afin de s’excuser ou de se rétracter quant aux accusations portées contre lui. Enfin, la confiscation de son passeport a fait perdre à Mr. Tidjani son certificat de compétence en aviation.

Rachid Ghribi

La victime a déclaré avoir été convoquée par son supérieur, le lieutenant Mabrouk Ghazoueni, en avril 1991, afin qu’elle élabore un plan administratif militaire. Ce travail nécessitant généralement la collaboration de trois militaires, a été effectué à neuf heure du soir par Mr. Rached qui a été surpris par son arrestation par son supérieur. Le lendemain de son arrestation, il a été transféré à DAR BEHI LADGHAM, dans la matinée, où il a rempli une fiche de renseignement ; puis à la caserne de l’Aouina où il a passé plus de deux mois sans information claires quant aux charges retenues contre lui. Le 1er juillet 1991, la victime a été transférée au ministère de l’intérieur où elle eut à subir des actes de torture. Suite à cela, le lendemain, elle a signé contre sa volonté un procès-verbal préparé par la Sureté de l’Etat. Le 4 Juillet 1991, Mr. Rached a de nouveau été transféré à la caserne de l’Aouina jusqu’au jour de la réunion (le 11 Juillet 1991), présidée par un militaire de la sureté qui a présenté ses excuses à la victime et à d’autres personnes arrêtées. Sa libération eut lieu le 12 Juillet 1991. Depuis, il a été licencié sous prétexte de mauvais comportement.

Salem Matoussi

La victime a déclaré qu’elle avait effectué un stage en France pendant 3 mois (de mars à juin 1991).Cependant après avoir lu un un article publié par le journal Le Monde sur l’arrestation de plusieurs militaires tunisiens (le 11 Juin 1991), il est retourné en Tunisie dès le 23 Juin 1991.Il s’est alors rendu au ministère de la défense afin d’y présenter son rapport de stage. Toutefois, il y a été surpris par son arrestation ainsi que son transfert à la Direction de la Sûreté militaire à Bab Saadoun dans un premier temps, puis à l’Aouina et finalement au Ministère de l’Intérieur, où il eut à subir des actes de torture. Parmi les agents impliqués, la victime a cité le nom de Adel Sakouhi et Houcine Jalleli.

Il a ajouté qu’il est resté en détention au ministère de l’intérieur du 26 juin 1991 jusqu’au 1 Août 1991. Et suite à son interrogation par le juge d’instruction, au tribunal militaire, qui avait délivré à son égard un mandat de dépôt le 9 avril 1991 ; il a été jugé le 2 juillet 1991 par le tribunal militaire en raison de son appartenance au mouvement islamique (association non autorisée) et condamné à 4 ans d’emprisonnement puis à un contrôle policier permanent qui a duré 5 ans. Depuis, il a été licencié et touche une prime mensuelle de 120 dinars.

Me. Bouali, avocate de la partie civile, a insisté sur la nécessité de délivrer des mandats judiciaires envers les accusés qui refusent de se présenter. Elle a insisté sur la nécessité d’interroger les accusés et non de seulement recevoir les témoignages des victimes. Ce à quoi la Cour a répondu que la prochaine audience serait consacrée à l’audition des accusés. L’avocate de la partie civile a également demandé aux juges de se déplacer afin d’auditionner les victimes incapables de se présenter au tribunal.