Kakado

Lien vers la décision : Tribunal Militaire de Garnison de Bunia

Référence

RP N°071/09, 009/010 et 074/010

Pays

Congo (République démocratique du)

Ituri

Base de données

Crimes Internationaux et Violations Graves des Droits Humains

Date de la décision

juillet 9, 2010

Crimes/ violations

Crimes de Guerre, Participation à un mouvement insurrectionnel

Parties impliquées

Défendeur : un prévenu, fondateur et chef spirituel du groupe armé FRPI (Front de résistance patriotique de l’Ituri)

Civilement responsable : République Démocratique du Congo

Parties civiles : 12 parties civiles : survivants et ayants droits des victimes décédées

Résumé de la décision

Responsabilité de l’accusé

Le prévenu est poursuivi pour les crimes imputés aux miliciens sous son commandement. Le Tribunal reconnait le prévenu coupable des crimes mis à sa charge, en tant que supérieur hiérarchique, et le condamne sans admission de circonstances atténuantes à la servitude pénale à perpétuité.

Responsabilité civile de la RDC

Le tribunal rejette l’hypothèse de la responsabilité civile du commettant soutenue par les parties civiles.

Réparations et indemnités

Le Tribunal condamne, ex æquo et bono le prévenu à payer aux parties civiles au titre du dédommagement pour tout préjudice subi les sommes suivantes :  

  •  50.000$
  • 750.000$ (pour viol et esclavage sexuel avec enlèvement)
Résumé des faits

Dans le contexte des conflits ethniques et politiques en Ituri, le prévenu principal est accusé d’avoir transformé des jeunes ouvriers de la CODECO en miliciens de la tribu Ngiti. Sous sa direction, ces recrues ont subi une initiation idéologique et une formation militaire. Ces activités se déroulaient ouvertement dans les cités de CODECO à Kpesa et Baiti, transformées en centres d’entraînement militaire.

Les agissements du prévenu ont été largement soutenus par la population Lendu, qui le considérait comme le « Messie du peuple Lendu », lui conférant une autorité morale et spirituelle suprême au sein des combattants Ngiti. Il a ainsi fondé le FRPI (Front de Résistance Patriotique en Ituri), dont il est devenu le commandant suprême.

Sous les ordres du prévenu, le FRPI a mené des attaques dévastatrices, notamment contre les localités de Nyankunde et Musedzo en septembre 2002. Ces assauts ont entraîné des massacres, viols, pillages et destructions massives d’infrastructures. Les pertes humaines et matérielles ont été catastrophiques, avec des centaines de victimes et des milliers de bâtiments détruits.

Résumé de la procédure
Éléments jurisprudentiels clés

Procédure

Preuves considérées par le Tribunal : « il n’y a pas de preuve qui s’impose de façon obligatoire au juge pénal qui doit se déterminer d’après son intime conviction (…) celle-ci ne peut se fonder que sur des éléments produits à l’audience (…). Lorsqu’il s’agit d’un des modes de preuve réglementés par la loi, la conviction du juge ne peut s’asseoir que sur ceux qui ont été recueillis conformément aux formalités exigées (…) ». En l’espèce, le tribunal s’est fondé sur les aveux du prévenu et sur les témoignages concordants (§49).

Constitution des parties civiles : « seules les actions en réparation mues par les victimes ayant régulièrement consigné les frais seront examinées et non celles des autres prétendues indigentes dont l’enquête préalable de leur indigence n’a jamais été fait soit par l’officier de l’Etat civil soit par le greffier du siège » (§50).

Eléments de preuves de la Cour Pénale Internationale : « le Tribunal de céans, n’accordera pas foi aux dépositions produites devant la Cour Pénale Internationale par des témoins qui n’ont pas comparu devant nous concernant des faits complètement différents de ceux en examen devant cette instance » (§144).

Substance du droit

Existence d’un conflit armé non-international : Le Tribunal considère que tout au long de la période au cours de laquelle les attaques ont été lancées, il existait un conflit armé ne présentant pas un caractère international en Ituri. Tous ces responsables civiles et militaires du FRPI qui ont planifié et ordonné ces attaques, tout comme les combattants Ngiti de ce mouvement politico-militaire qui les ont matériellement commises, avaient tous connaissance de l’existence d’un conflit armé de ce genre en Ituri (§75).

Preuve des attaques dirigées contre la population civile : « les preuves de ces attaques et de leur planification découlent très simplement du nombre des personnes civiles qui ont été tuées par les combattants Ngiti du FRPI lors de ces deux attaques, le nombre et la gravité des blessures causées aux victimes survivantes, ainsi que l’ampleur des destructions et pillages des biens à caractère civil, suivies de l’occupation prolongée de ces deux entités des années durant, après leurs attaques respectives. En plus des déclarations des témoins faites à l’audience publique, ainsi que les dépositions des témoins. » (§84).

Supérieur hiérarchique civil : « bien que n’étant pas un chef militaire au sein de la milice FRPI, le prévenu en était de fait le commandant suprême, du fait qu’il en était non seulement fondateur, mais aussi il était considéré comme la plus haute autorité morale et chef spirituel suprême. En tant que tel il est un supérieur hiérarchique, ayant de fait sous son autorité et son contrôle les combattants Ngiti de la milice FRPI ». (§136).

Responsabilité du supérieur hiérarchique : « pendant toute la période allant de la création du FRPI jusqu’au moment de son arrestation, l’accusé a omis ou négligé d’exercer le contrôle qui convenait sur les combattant Ngiti de la milice FRPI, alors qu’il savait que ces derniers allaient commettre les crimes de guerre » (§137) ;

« il a omis ou négligé d’exercer le contrôle qui convenait sur les combattant Ngiti de la milice FRPI à travers la chaîne de commandement, alors qu’il savait que ces derniers allaient commettre les crimes de guerre » (§138) ;

« il a omis ou négligé d’exercer le contrôle qui convenait sur les combattant Ngiti de la milice FRPI en donnant des ordres visant à empêcher la commission des crimes de guerre à travers la chaîne de commandement, mais aussi il n’en a pas réprimé la commission, ni en référer à l’autorité de la branche chargée de la justice militaires au sein du FRPI aux fins d’enquêtes et poursuites, alors qu’il savait que ces derniers allaient commettre ou ont commis les crimes de guerre » (§139).

Absence de responsabilité civile de la RDC en tant que commettant : Le Tribunal rejette la responsabilité de la RDC en tant que commettant, en soulignant une contradiction dans les allégations des parties civiles. Ces dernières affirment que l’État congolais serait civilement responsable des actions du FRPI, tout en reconnaissant que le prévenu, lors de son arrestation, était en possession d’une feuille de route du FRPI, ce qui prouve son appartenance à ce groupe armé. Selon le Tribunal, si une relation existait entre la RDC et le FRPI, les FARDC n’auraient pas mené d’opérations de ratissage contre les positions du FRPI. Le fait que les FARDC combattent encore le FRPI démontre l’absence de lien ou de contrôle entre l’État et ce groupe armé. Ainsi, la cour conclut que la RDC ne peut être tenue responsable des actions du FRPI (§155).

Réparation 

Allocation d’une réparation individuelle et collective : Le Tribunal prononcera une réparation individuelle pour les victimes qui ont subi des dommages corporels, matériels et/ou moraux personnellement ou individuellement. Il accordera une réparation collective pour réparer un dommage matériel et/ou moral, résultant de la perte ou de la destruction, soit d’un bien d’intérêt ou d’utilité commun ou collectif, soit la perte d’un être cher à un groupe donné de personnes, ou à toute une communauté (§161) »

Montant des dommages-intérêts : Le Tribunal alloue 750.000$ à chacune des 2 victimes de viol, esclavage sexuel et traitement inhumain en raison du fait que les victimes ont été enlevées et gardées en captivité pendant la période allant de Septembre 2002 à Novembre 2003, les transformant en épouses, leur imposant ainsi des relations sexuelles contre leur consentement et des traitements inhumains à plusieurs reprises tout au long de cette période de la captivité. Le reste des parties civiles se voient reconnaitre un montant fixe de 50.000$ (p. 104).