Beker Dhenyo

Lien vers les décisions : Haute Cour Militaire et Cour Militaire du Sud-Kivu

Référence

RPA n°140/2018

Pays

Congo (République démocratique du)

Kinshasa

Base de données

Crimes Internationaux et Violations Graves des Droits Humains

Date de la décision

juillet 26, 2018

Crimes/ violations

Crimes Contre l'Humanité, Violences sexuelles et Violences Basées sur le Genre

Parties impliquées

Défendeur : Un Colonel des FARDC commandant du 33071 Bataillon déployé à MUSENYI

Civilement responsable : République Démocratique du Congo

Parties civiles : 103 parties civiles

Résumé de la décision

Responsabilité de l’accusé

En première instance, la Cour Militaire du Sud-Kivu a reconnu le prévenu coupable de crime de guerre par viol et de crime de guerre par pillage, l’a condamné à 10 ans de servitude pénale principale pour responsabilité pénale du Chef hiérarchique.

Après requalification des faits en crime contre l’humanité, la Haute Cour militaire reconnait le prévenu coupable, en tant que chef militaire, des crimes mis à sa charge. Suivant les sollicitations du Ministère publique, la Haute Cour militaire accordera au prévenu de très larges circonstances atténuantes et le condamnera à une peine de 2 ans de servitude pénale.

Responsabilité civile de la RDC

La Haute Cour confirme la décision de première instance selon laquelle l’Etat congolais est responsable de son préposé, militaire engagé dans l’opération de la traque des éléments de Raïa Mutomboki. Il s’agit d’une présomption de faute dans le chef de l’Etat Congolais du fait pour le prévenu de n’avoir pas fait ce qu’il aurait dû faire en toute responsabilité.

Réparations et indemnités

En première instance, la Cour militaire avait condamné le prévenu in solidum avec l’Etat congolais au paiement des réparations suivantes pour chacune des victimes de crime de guerre:

  • Par viol : 10.000 USD
  • Par pillage : 6.000 USD

En appel, les parties civiles ont demandé la majoration du montant des dommages et intérêt en ce que l’Etat Congolais a engagé sa responsabilité de par sa négligence. Après avoir requalifié les faits, la Haute Cour revoit à la baisse les montants alloués par le premier juge pour les victimes de viol et ramène le montant des dommages et intérêts à 6000 USD.

Résumé des faits

Dans la nuit du 21 au 22 septembre 2015, une unité des FARDC sous le commandement du Colonel Jules Dhenyo Becker a attaqué le village de Musenyi, au cours de laquelle des viols, des actes de torture, des arrestations arbitraires et des pillages auraient été commis.

Résumé de la procédure
Éléments jurisprudentiels clés

Procédure

Preuves retenues : Les rapports des différentes ONG des droits de l’homme opérant dans le secteur ont été également pris en compte dans les éléments cohérents et concordants qui ont corroboré les témoignages et d’autres éléments de preuve (p. 28).

Requalification des faits : La Haute Cour militaire décide de requalifier les faits de crime de guerre, retenus par la Cour militaire, en crime contre l’humanité. Selon la Haute Cour, les crimes commis par le prévenu n’étaient pas commis dans un contexte de guerre. Elle explique que la mission confiée au prévenu ne consistait qu’en une opération de restauration de la paix face à une trentaine d’insurgés sans armes et conclu qu’il n’y a pas eu de conflit armé dans cette localité où aucun affrontement armé n’y était survenu (p. 25-26). Le droit international humanitaire ne s’applique effectivement pas aux opérations de maintien de la paix.

Substance du droit

Eléments du crime contre l’humanité :

  • Attaque généralisée : « la Haute Cour Militaire considère que le fait pour les militaires de s’éparpiller à travers toute la contrée et de passer de porte à porte dans les habitations des villageois, confère à ce comportement toute la dimension d’une attaque généralisée étant donné qu’elle était menée collectivement et dirigée contre un grand nombre des civils. » (p. 31).
  • Attaque systématique : « Dans le cas de Musenyi, les assaillants opéraient par petits groupes en s’introduisant dans des habitations d’autrui sous prétexte de rechercher les miliciens RAYAHA MOTOMBOKI ou du bois de chauffage. A cette occasion, ils agressaient les pensionnaires sous diverses formes, ou encore, emportaient les femmes pour les violer. » (p. 31).
  • Poursuite de la politique d’un Etat : « Le fait pour le prévenu, coordonnateur des opérations, de s’endormir alors que ses éléments, affamés, s’éparpillaient dans une contrée où le général autoproclamé MWEKE était suspecté d’avoir abattu un de ses gardes du corps, permet de conclure à de l’existence d’un plan préconçu. Au regard des pièces du dossier, le sommeil que s’était octroyé le prévenu n’était autre que l’expression d’une abstention délibérée. » (p. 32).

Responsabilité en tant que supérieur hiérarchique : « La responsabilité pénale du prévenu est basée sur l’omission d’agir supérieur, qui avait pourtant, à cause de la relation hiérarchique qu’il entretenait avec ses subordonnés, l’obligation d’agir. Le prévenu s’est plongé dans un sommeil profond, après avoir éparpillé ses hommes dans divers cantonnements de fortune. (…) Il a favorisé le vagabondage nocturne de ses hommes qui ont commis des crimes graves à l’encontre de la population hôte de MUSENYI, mais encore, il s’est abstenu de se renseigner sur leur comportement illégal. » (p. 37).

Reconnaissance de très larges circonstances atténuantes : Sur demande du Ministère public, la Haute Cour militaire accordera de très larges circonstances atténuantes relatives à sa délinquance primaire ; sa qualité de père de famille ; aux loyaux services rendus à la nation ; à sa promptitude à exécuter la mission ; sa jeunesse ; sa réputation ; ainsi que le caractère exagéré des faits mis à sa charge et du gonflement du nombre de victimes (p. 38).