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Lien vers la décision : Cour Militaire du Sud Kivu
Référence
RP n°0138/020
Pays
Congo (République démocratique du)
Sud-Kivu
Base de données
Crimes Internationaux et Violations Graves des Droits Humains
Date de la décision
septembre 21, 2021
Crimes/ violations
Aide et concours à la commission d’un acte de génocide, Conscription, enrôlement et utilisation d’enfants de moins de 18 ans, Construction d’une maison, d’un hangar dans les aires protégées, Crimes Contre l'Humanité, Crimes de Guerre, Désertion, Exercice prohibé d’une activité de prospection ou d’exploitation forestière, minière, des hydrocarbures ou de carrière dans une aire protégée, Meurtre, Torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants, Viol et violences sexuelles, Violation des réserves naturelles intégrales, des parcs nationaux et des réserves de biosphère
Parties impliquées
Défendeurs : un Major de l’unité 3312 Ret inf, et un Capitaine de l’unité Rget Cadres/KELEHE des FARDC
Civilement responsable : République Démocratique du Congo
Parties civiles : 88 parties civiles : 87 victimes directes et personne morale : l’Institut Congolais pour la Conservation de la Nature (ICCN)
- 54 victimes (CCH Privation de liberté)
- 1 victime (CCH – Meurtre)
- 54 victimes (CCH – Autres actes inhumains)
- 13 victimes (CCH – Viol)
- 3 victimes (CdG – Enrôlement d’enfant)
- 5 victimes (Enrôlement d’enfant – crime ordinaire)
Résumé de la décision
Responsabilité des accusés
La Cour reconnait la responsabilité pénale du prévenu Chance pour tous les faits qui lui sont reprochés et le condamne à la Servitude pénale à perpétuité. Le prévenu Mazambi est acquitté.
Responsabilité civile de la RDC
La Cour a retenu la responsabilité de la RDC qui a failli à sa mission de protection de sa population.
Par négligence, l’État Congolais n’assurait plus le contrôle effectif sur la partie de son territoire qu’occupait le prévenu Chance. A titre illustratif, Chance faisait payer un impôt. Il en découle que Chance exerçait des fonctions qui sont propres à l’Etat faute d’un manque de présence et protection étatique dans le milieu.
Réparations et indemnités
Le prévenu Chance est condamné In solidum avec la RDC à l’indemnisation des 87 parties civiles :
- 50.000$ à l’ICCN
- Privation grave de liberté et autres actes inhumains : entre 3.000$ et 7.000$ (en fonction du nombre de victimes)
- Tentative de meurtre : 5.000$
- Meurtre 10.000$
- Viol : entre 2.000$ et 5.000$
- Enrôlement d’enfants : entre 2.000$ et 5.000$
Résumé des faits
En juillet 2019, le Capitaine Chance déserte son unité dans la province du Sud-Kivu sans autorisation et se réfugie à Nyabibwe, dans le territoire de Kalehe. Par la suite, il s’installe dans plusieurs localités du groupement de Katana/Irhambi, où il fonde un groupe armé nommé Groupe Chance, prétendument destiné à protéger les peuples pygmées des abus des FARDC, de la police nationale, et d’autres groupes armés.
Le groupe armé opère dans le Parc National de Kahuzi-Biega (PNKB), une zone protégée, où il introduit des armes de guerre (AK-47, PKM, RPG7), procède à des exploitations illégales (abattage d’arbres pour sciage, carbonisation, et extraction d’or), et pollue les cours d’eau locaux. Le groupe établit des bases militaires dans plusieurs localités (Batanga, Ngendje, Chatondo, Lwankuba, Lushasha), toutes situées dans les limites protégées du PNKB.
Le capitaine recrute notamment des enfants de moins de 15 ans, formés au maniement des armes et utilisés comme gardes du corps ou participants directs à des affrontements contre les FARDC, les éco-gardes et d’autres groupes armés. Ces enfants sont impliqués dans des actes de violence contre la population, comprenant arrestations arbitraires, tortures, extorsions, et viols collectifs.
Entre 2019 et 2020, le groupe armé détient 54 personnes dans des conditions inhumaines dans un cachot souterrain nommé « Andaki », utilisé après des enlèvements orchestrés dans divers villages (Cirehe, Kabushwa, Mabingo, etc.). Les victimes subissent tortures, coups, et privations, y compris des femmes violées lors d’attaques.
Résumé de la procédure
Éléments jurisprudentiels clés
Substance du droit
Caractère généralisé et systématique d’une attaque : l’attaque menée par le groupe, dont le prévenu était le Commandant, contre plusieurs villages doit être considérée comme généralisée de par la multiplicité des victimes attaquées et systématique par son caractère organisé et par la répétition délibérée et régulière de comportements criminels similaires, continue et sur une grande échelle et avec le même mode opératoire (p. 65)
Caractère massif d’une attaque : la multiplicité des victimes et violations, au total 87 victimes ont été recensées, sur une période de moins d’un an démontre une fréquence et intensité considérables. En plus, ces personnes ont été victimes de plusieurs exactions à la fois (p. 66)
Victimes de crimes contre l’environnement : la Cour mentionne 13 victimes de crimes contre l’environnement parmi les 87 victimes de crimes contre l’humanité (p. 66)
La poursuite de la politique de l’organisation : La politique de ce groupe était donc d’occuper et contrôler la forêt de BIEGA ainsi que les villages environnants ; toutes les méthodes étaient les bienvenues pour parvenir à cette fin, dont sévir et asservir la population civile (p. 71).
Autres actes inhumains : La Cour a qualifié les actes de pillage et destruction de propriété comme autres actes inhumains vu les souffrances causées aux victimes et la gravité et nature des violations.
Selon la Cour, les actes incriminés qui ont causé ces grandes souffrances sont le pillage des biens des populations civiles des villages susmentionnés. Ces crimes de pillage ont causé des souffrances telles que demandées par la loi pour qualifier d’autres actes inhumains. Les circonstances spécifiques dans lesquelles le prévenu et ses hommes, en pillant les biens des victimes, leur ont imposé des grandes souffrances ont été suffisamment démontrés à l’audience. En effet, les victimes ont perdu une partie importante de leurs biens pour pouvoir regagner leur liberté, sous la menace d’être gardée en détention indéfiniment et torturées si elles ne payent pas de rançon (…) (p. 88).
Crime de guerre par enrôlement d’enfants : il est de jurisprudence constante que l’âge des enfants peut être établi par des témoignages. La Cour se fonde sur les déclarations des parents des enfants et sur la réquisition faite par l’avocat général au Directeur de l’Ecole Primaire que fréquentaient les enfants pour établir qu’ils étaient âgés de moins de 15 ans au moment des faits (p. 102 et 103).
Cette affaire met en lumière la difficulté de déterminer l’âge des enfants afin de savoir s’ils peuvent être qualifiés d’enfants soldats. Les dates de naissance utilisées par la Cour pour caractériser le crime sont incorrectes et ne concordent pas avec les actes de naissance versés au dossier. De plus, la Cour mentionne parfois l’âge de 15 ans et parfois celui de 18 ans. Elle déclare que cinq enfants avaient plus de 15 ans et moins de 18 ans, ce qui n’est pas exact : parmi les huit enfants, un seul avait entre 15 et 18 ans (p. 57 et 119)
L’obligation générale de protection de l’Etat vis-à-vis de la population : il est un devoir constitutionnel de l’Etat d’assurer la paix et la sécurité sur l’ensemble du territoire national, à son peuple et à ses biens et d’éradiquer tout acte de nature insurrectionnel (p. 129).
Négligence de l’Etat : l’Etat congolais a fait l’objet de négligence dans la mesure où il est intervenu plus de neuf après l’installation du groupe armé dans le milieu, alors qu’il savait que ce groupe était en train de sévir contre la population civile de ces villages. Il n’a pas affecté des éléments FARDC et ceux de la PNC dans ces villages et, là où ces éléments étaient affectés, leur effectif ne leur permettait pas d’affronter le groupe RAS. Enfin, il est responsable pour avoir failli d’implémenter les initiatives de dialogue (p. 131).
Réparation
Dommages causés aux victimes : La Cour mentionne les préjudices économiques, physiques et moraux y inclus pour le crime de torture. Elle mentionne aussi l’impact des crimes commis par le groupe armé à l’encontre la collectivité, et surtout en vertu de l’exploitation systématique d’une zone du parc :
- Pour les victimes du village de CIREHE la déforestation du parc a eu un impact sur le changement climatique, ceci a eu impact négatif sur la croissance des produits agricole ;
- En ce qui concerne la pollution d’eau des rivières, ceci est l’événement des exploitants des minerais ; ils se révèle qu’à chaque fois que l’on exploitait les minerais, les populations du village environnant subissait la pollution de l’eau ; la population était obligée d’aller chercher de l’eau dans des villages plus lointain, ce qui l’exposait à plusieurs risques
Dommages causés par atteinte à l’environnement : la partie civile ICCN s’est vue privée de sa faune et flore ; et, toujours, et suite à la présence du groupe armé du prévenu CHANCE, plusieurs touristes au courant des années 2019 et 2020 avaient annulé leurs visites au PNKB craignant pour leur sécurité, ce qui a constitué un manque à gagner pour ce dernier. Le lien de causalité se dégage du fait d’abattre les arbres appartenant à la partie civile ainsi que de tuer les animaux dans cette aire protégée du PNKB a fait subir et continue à faire subir d’énormes préjudices à la partie civile ICCN (p. 138).
Montant des réparations : les indemnités allouées aux parties civiles sont similaires à ceux alloués dans les jurisprudences antérieures, qui sont en moyenne : 10.000$ pour meurtre et 5.000$ pour viol. Le montant alloué à l’ICCN pour atteinte à l’environnement est assez conséquent : 50.000$.