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Lien vers la décision : Tribunal Militaire de Garnison de Bukavu
Référence
RP n°1913/2022
Pays
Congo (République démocratique du)
Sud-Kivu
Base de données
Crimes Internationaux et Violations Graves des Droits Humains
Date de la décision
mars 1, 2024
Crimes/ violations
Crimes Contre l'Humanité
Parties impliquées
Défendeurs : 3 prévenus membres du groupe armé Force Populaire pour la Paix
Civilement responsable : République Démocratique du Congo
Parties civiles : 19 parties civiles
Résumé de la décision
Responsabilité des accusés
Le Tribunal confirme toutes les charges mises à charge des prévenus. Ils sont condamnés à des peines de 10 et 20 ans de servitude pénale, sans admission de circonstances atténuantes.
Le juge n’a pas donné de motivation pour justifier une différence dans l’allocation des peines entre les prévenus. Les prévenus Mushagalusha et Birindwa sont condamnés chacun sans admission de circonstances attenantes à 10 ans de servitude pénale alors que le prévenu Cubaka est condamné à 20 ans (p34).
Responsabilité civile de la RDC
L’état est condamné par défaut pour manquement à son obligation de protéger la population civile en raison de son omission de prendre les mesures nécessaires destinées à éviter que se produise une situation préjudiciable qu’elle était chargée d’empêcher.
« L’Etat Congolais, par le biais du gouverneur de la province du Sud Kivu, a reconnu l’ampleur et les conséquences engendrées par les attaques de ce mouvement que pourtant aucune mesure n’a été prise non seulement pour stopper ces attaques mais aussi prendre des mesures pour protéger cette population » (p. 31)
Réparations et indemnités
Les parties civiles sollicitaient chacune des montant de 20.000$ ou 30.000$, ainsi que leur prise en charge pour un accompagnement psychologique.
Le Tribunal condamne les prévenus in solidum avec l’Etat Congolais à payer aux parties civiles un montant de 50.910$ reparti entre victimes entre des montants de 1.700$ à 3.500$. Le juge ne fournit pas d’explications justifiant une telle réduction du montant des réparations par rapport à celui demandé par les parties civiles.
Résumé des faits
Les faits de cette affaire se déroulent dans la chefferie de Nindja, située dans le territoire de Kabare, avec des répercussions dans le territoire de Walungu, province du Sud-Kivu. Ces événements trouvent leur origine dans un conflit de succession survenu après le décès, le 30 août 2013, du chef de la chefferie de Nindja.
Après le décès du chef, des tensions éclatent entre deux factions de la famille régnante, l’une soutenant l’actuel chef désigné par le testament du défunt et reconnu par un arrêté provincial, l’autre revendiquant l’autorité pour un membre différent de la famille, qualifié d’usurpateur. Cette division entraîne un déplacement massif de familles vers d’autres localités et alimente un conflit armé.
Au cœur de cette crise, un groupe armé nommé Force Populaire pour la Paix a émergé, bénéficiant initialement du soutien de la famille régnante. Cependant, l’arrivée au pouvoir de l’actuel chef a créé une division au sein du groupe.
Entre 2017 et 2018, le groupe armé est impliqué dans des violences graves : pillages, tortures, viols et meurtres. Bien que les prévenus aient reconnu leur appartenance au groupe armé lors de l’instruction préparatoire, ils ont nié toute participation active aux crimes durant les débats, avançant avoir été contraints de rejoindre le mouvement. Certaines victimes ont néanmoins identifié les prévenus.
Résumé de la procédure
Éléments jurisprudentiels clés
Procédure
Valeur probante des procès-verbaux : « dans les régimes des preuves légales, les procès-verbaux est un mode de preuve privilégié soumis à des règles de forme très strictes et ayant une force de preuve déterminante (…) II est de jurisprudence que le juge peut rechercher la preuve des faits dans tous les éléments de la cause, y compris les renseignements fournis par les procès-verbaux de l’instruction préliminaire » (p. 15).
Valeur probante du témoignage : « Outre les procès-verbaux, le témoignage est apparu aussi comme moyen de preuve par excellence sur lequel s’est fondé le juge pour asseoir sa conviction et conclure à la culpabilité ou non de tel ou tel autre prévenu au regard des faits mis à leur charge. » (p. 15)
Substance du droit
L’obligation de l’Etat de protéger : « le Tribunal de céans est d’avis qu’en dehors de sa qualité d’employeur, l’Etat Congolais, en tant que puissance publique, a des obligations auxquelles il est soumis. C’est en outre l’obligation de protéger sa population » (p. 30)
La faute de l’Etat : Il est de jurisprudence que l’Administration est en faute pour avoir omis de prendre les mesures nécessaires destinées à éviter que se produise une situation préjudiciable qu’elle était chargée d’empêcher.
Négligence du civilement responsable : « Le tribunal note qu’à travers la correspondance du Gouverneur, l’Etat congolais avait reconnu l’ampleur grave des attaques. Le tribunal constate qu’aucune mesure n’a été prise, non seulement pour stopper ces attaques, mais aussi pour protéger cette population. » L’Etat était bien informé, par ses services, de l’existence de ces attaques mais « il a manifesté une négligence. » (p.31)
Réparation
Évaluation du préjudice :
- Viol : « Le Tribunal a noté que toutes les victimes ont évoqué les préjudices moraux, physiques consécutifs aux douleurs ressenties par elles, au sentiment de rejet pour les autres, y compris la perte de la virginité, le tout suite aux actes d’imposition sexuelle subis du fait des prévenus. Et que cette démonstration des préjudices subis par les intéressées a été prise en compte dans la mesure où certaines, continuent de souffrir de sentiment de honte et d’humiliation entant que femmes’ au-delà de la souffrance physique, que dire des maladies sexuellement transmissibles car les prévenus n’étaient pas protégés lors de ces rapports sexuels » (p. 28)
- Meurtre et Torture : « Il revient ainsi au Tribunal de révéler l’absence des actes de décès dans la plupart des cas des meurtres allégués mais aussi pour les victimes de tortures, en absence des preuves légales ou stigmates (…) Le tribunal observe que les victimes des tortures s’étaient limitées à évoquer les sévices subis sans démontrer en quoi elles continuent à souffrir pour les victimes de tortures, en absence des preuves légales ou stigmates ; il ne peut subsister à leur profit que les dommages moraux résultant à la fois de la perte des êtres très chers et intimes ainsi que des souffrances ressenties » (p. 29)