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Lien vers la décision : Cour Militaire Opérationnelle du Nord-Kivu
Référence
RP n° 0228/2017
Pays
Congo (République démocratique du)
Nord-Kivu
Base de données
Crimes Internationaux et Violations Graves des Droits Humains
Date de la décision
février 1, 2019
Crimes/ violations
Conscription, enrôlement et utilisation d’enfants de moins de 18 ans, Crimes de Guerre, Participation à un mouvement insurrectionnel, Viol et violences sexuelles, Violation de consigne
Parties impliquées
Défendeur : Lieutenant-colonel des FARDC, Unité : 211e Brigade, déployé dans le Territoire de MASISI
Partie civilement responsable : République Démocratique du Congo
Résumé de la décision
Le prévenu a été traduit devant la Cour Militaire Opérationnelle du Nord-Kivu pour des accusations incluant violation de consigne, participation à un mouvement insurrectionnel, crime de guerre par viol, esclavage sexuel, ainsi que la conscription et l’enrôlement d’enfants de moins de 18 ans.
Responsabilité du prévenu
La Cour apprécie la présence de chaque élément constitutif des crimes afin d’établir la responsabilité pénale individuelle du prévenu. Elle constate la matérialité des crimes de guerre par viol, la violation de consigne, la participation à un mouvement insurrectionnel, ainsi que la conscription, l’enrôlement et utilisation d’enfants de moins de 18 ans.
En ce qui concerne le crime de guerre par esclavage sexuel, la Cour constate qu’aucune personne ne s’est présentée pour être entendu sur la matérialité des exactions subies en rapport avec ce crime. Ainsi, n’ayant pas réuni les éléments constitutifs de cette prévention, la Cour dira celle-ci non établie à charge du prévenu.
La Cour a retenu la responsabilité du prévenu en tant que supérieur hiérarchique. Elle a établi qu’il savait que ses subordonnés recrutaient et utilisaient des enfants de moins de 15 ans et commettaient des viols, mais qu’il n’a pris aucune mesure pour prévenir ou réprimer ces crimes. Son manquement a été jugé suffisant pour engager sa responsabilité.
Peines :
- violation de consigne : 3 ans de servitude pénale principale
- participation à un mouvement insurrectionnel : 15 ans de servitude pénale principale
- crime de guerre par viol : 15 ans de servitude pénale principale
- crime de guerre par conscription et utilisation d’enfants de moins de 15 ans : 15 ans de servitude pénale principale
- enrôlement et utilisation d’enfants de moins de 18 ans : 10 ans de servitude pénale principale
Responsabilité de la RDC
Elle a estimé que l’État avait failli à ses obligations en raison d’un mauvais choix de ses agents, combiné à un défaut de surveillance et d’encadrement. Le prévenu, en tant qu’officier des FARDC, a agi en tant que préposé de l’État lorsqu’il a quitté son unité pour créer une milice armée sous le regard des pouvoirs publics. La Cour a jugé que les activités subversives de ce groupe armé avaient provoqué des préjudices graves aux victimes, engageant ainsi la responsabilité conjointe de l’État.
Réparations et indemnités
La Cour condamne « le prévenu in solidum avec l’Etat congolais à payer à chacune des victimes, l’équivalent de 5.000 dollars américains à titre de dommages-intérêts pour tous préjudices confondus » (p. 49)
Bien que la majorité des victimes n’ait pas pu se présenter en raison de l’insécurité dans leur territoire, la Cour a validé leurs dépositions. Elle a reconnu les préjudices subis, notamment le retard dans la scolarité, le choc psychologique et comportemental, et a fixé les dommages-intérêts en tenant compte de l’ampleur des préjudices, déterminés ex aequo et bono en l’absence d’éléments d’évaluation objectifs.
Résumé des faits
L’affaire trouve ses origines dans le contexte de conflits armés persistants dans la région du Nord-Kivu, caractérisée par l’émergence de milices armées sur des bases ethniques et communautaires. Dans ce climat d’insécurité, le Lieutenant-colonel Habarugira Rangira Marcel, mécontent de sa réaffectation au Régiment Cadre de Rumangabo sans fonction officielle, décide de créer un groupe armé, le mouvement « Nyatura », destiné à la protection et à la défense des intérêts de la communauté Hutu, dont il est issu.
Après avoir déserté son poste sans autorisation en janvier 2012, il est arrêté pour violation de consigne mais parvient à s’évader. Replié dans sa localité d’origine, il commence à recruter des membres en se proclamant « Général ». Sous son commandement, le groupe Nyatura est structuré en unités et sous-unités, dont plusieurs enfants âgés de 11 à 17 ans.
Entre 2012 et août 2014, les Nyatura s’affrontent régulièrement avec d’autres groupes armés tels que les Maï-Maï Raïa Mutomboki et les FARDC. Ces combats donnent lieu à de nombreuses exactions : pillages, viols, meurtres, incendies de maisons, et recrutement forcé d’enfants.
Résumé de la procédure
Éléments jurisprudentiels clés
Procédure
Comparution des victimes : « la Cour relève que la jurisprudence internationale attache une importance particulière au témoignage de même qu’elle fait de la comparution personnelle des témoins-victimes une exigence procédurale. La victime est entendue comme témoin dans sa propre cause parce qu’elle est la seule personne capable d’édifier le juge sur la matérialité des faits vécus et l’évidence des exactions subies. De ce point de vue, la comparution personnelle des victimes s’avère indispensable quant à la manifestation de la vérité et pour une meilleure administration de la justice. » (p. 45).
Substance du droit
Preuves retenues par la Cour : la Cour a fait recours aux témoignages des victimes entendues comme témoins dans leur propre cause, Portées au débat contradictoire, leurs dépositions ont à suffisance éclairé la religion de la Cour de céans. Elle a également tenu compte des présomptions graves, précises et concordantes lorsque celles-ci viennent corroborer d’autres éléments de preuve déjà recueillis. À la lumière des débats contradictoires, ces différents moyens de preuve ont chacun contribué à forger la conviction de la Cour sur l’appréciation des faits soumis à son examen (p. 32).
La responsabilité de l’Etat : « Le fondement de cette responsabilité réside dans la présomption de faute qui consiste pour l’Etat d’avoir fait un mauvais choix de ses préposés et par le défaut de surveillance et d’encadrement de ses agents. » (p. 47).
Réparation
Fixation équitable de l’indemnisation : « Faute d’éléments objectifs d’appréciation, la Cour fixe ex acquo et bono le montant de l’indemnisation qu’il conviendra de leur allouer. » (p. 46). La Cour alloue un montant fixe, à payer à chaque victime, pour tous les préjudices confondus (comme dans l’affaire Balumisa( 2016)). L’évaluation forfaitaire du dommage est une approche critiquée. Le juge doit prendre en considération la situation personnelle de chaque victime dans l’évaluation de l’indemnisation, comme par exemple dans les affaires Bokila (2006), Kabala (2012), Miriki (2017), Sheka (2020).