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Lien vers la décision : Tribunal Militaire de Garnison de Bukavu
Référence
RP n°708/12
Pays
Congo (République démocratique du)
Sud-Kivu
Base de données
Crimes Internationaux et Violations Graves des Droits Humains
Date de la décision
octobre 15, 2012
Crimes/ violations
Crimes de Guerre, Le Droit à la Vie, Pillage et destruction de Biens, Viol et violences sexuelles
Parties impliquées
Défendeurs : trois militaires FARDC du 5122e bataillon déployés à MUPOKE
Civilement responsable : République Démocratique du Congo
Parties civiles : 107 parties civiles
Résumé de la décision
Requalification des faits
Le Tribunal rappelle qu’il a été saisi de faits connus sous la prévention de crimes contre l’humanité et pillages. Après analyse et conformément à la requête du Ministère Public et des parties civiles (sans opposition de la Défense), le Tribunal décide de requalifier les faits en crimes de guerre, ces actes prenant place dans le cadre d’un conflit armé non-international.
Responsabilité des accusés
Le Tribunal condamne le prévenu pour tous les crimes mis à sa charge à 20 ans de peine de prison, avec admission de circonstances atténuantes. Les deux autres prévenus en fuite sont condamnés à la réclusion pénale à perpétuité.
Responsabilité civile de la RDC
Le Tribunal considère que l’Etat congolais, en laissant les populations de MUPOKE et villages environnants à la merci de leurs bourreaux, a failli à sa mission d’autorité publique : de sécurisation de personnes et de leurs biens
Réparations et indemnités
Le Tribunal condamne les prévenus in solidum avec l’État congolais à payer au titre de dédommagement pour tous les préjudices subis, les sommes suivantes :
- Viol : entre 2.500 et 30.000$
- Torture: entre 1.750 et 15.000$
- Meurtre: 30.000$
- Attaque contre les biens protégés : 5.000$
- Pillage : entre 55 et 2750$
Résumé des faits
Le 17 janvier 2010, des militaires des FARDC, sous le commandement du lieutenant KASEREKA, mènent une offensive contre les rebelles FDLR dans le village de MUPOKE, au Sud-Kivu. L’opération, organisée après une dénonciation de la population sur les exactions des FDLR, vise à restaurer l’autorité de l’État dans cette zone sous emprise rebelle. Sans confirmation préalable de la présence des combattants ennemis, les troupes ouvrent le feu sur le marché local, en pleine activité dominicale. Pris de panique, les civils tentent de fuir, certains se noyant dans la rivière, d’autres se cachant en forêt. Plusieurs femmes sont violées, battues ou mutilées. Des habitants sont blessés par balles ou par arme blanche, tandis que d’importantes pertes financières sont enregistrées. L’église locale est pillée, et ses objets sacrés emportés. L’attaque se poursuit jusque dans le village voisin de KATUKU, où de nouvelles violences sexuelles sont commises. Une adolescente de 13 ans succombe à ses blessures après un viol collectif, et une autre femme est tuée par balle sur place. La majorité des victimes, ruinées et traumatisées, sont contraintes de quitter MUPOKE pour se réfugier à NZIBIRA.
Résumé de la procédure
Éléments jurisprudentiels clés
Procédure
Modes de preuves : « le droit à la preuve est reconnu à toutes les parties au procès. Tout justiciable a le droit de produire les preuves qui fondent ses allégations, de démontrer la vanité des prétentions de l’adversaire. Car aucun mode de preuve n’est privilégié ni ne prévaut sur d’autres ni ne s’impose au juge pénal qui doit se déterminer uniquement d’après son intime conviction en se fondant évidemment sur les pièces du dossier soumis à sa connaissance et sur les faits débattus à l’audience » (p. 25).
Preuves retenues par le tribunal : « l’infraction mise à charge des prévenus sera dite établie sur la base de l’analyse des différents éléments recueillis au cours de l’instruction, notamment les aveux devant l’officier de police judiciaire ainsi que leurs dénégations ultérieures, ces dénégations ne constituent qu’un système réfléchi de défense élaborée et conçue ultérieurement dans l’unique but de se disculper » (p. 28).
Substance du droit
L’existence d’un conflit armé non-international : Pour le Tribunal, il « se dégage des faits relatés à l’audience publique et des pièces jointes dans le dossier de la cause l’évidence d’une existence d’un conflit armé entre le bataillon FARDC basé à NYALUBEMBA dans le territoire de SHABUNDA et les FDLR ; c’est-à-dire un conflit armé non international par le fait que les FDLR ne constituent pas un groupe armé dépendant d’un État quelconque, par contre un groupe armé étranger mais sans répondre aux ordres d’un État ni ne se bat pour le compte d’un quelconque État ou pour leur État, en l’occurrence le Rwanda qui, d’ailleurs, n’apporte pas un soutien même mineur à ce groupe voire encore le soutien d’un autre pays étranger » (p. 32).
Co-auteur : « le Tribunal considère que le prévenu KABALA doit, sans l’ombre d’aucun doute, être considéré comme coauteur des actes répréhensibles qui ont été perpétrés le 17 Janvier 2010 à MUPOKE et à KATUKU dans la mesure où chaque acte par lui posé constituait une contribution importante à la réalisation de crime de guerre et de surcroît, il a agi de concert avec le groupe. » (p. 31).
Viol comme torture : « le viol peut être aussi considéré comme un acte de torture lorsqu’il est, notamment, établi qu’il a été commis avec une certaine gravité et de manière inhumaine ou dégradante. » (p. 52).
Réparation
Montant des réparations : l’indemnité allouée pour meurtre au père de la fille tuée par balle (50.000$) est plus élevée que celle généralement octroyée (en moyenne entre 10.000 et 20.000$) (p. 73). Le tribunal justifie ce montant en considérant que la mort de la fille « a causé un préjudice certain et énorme à la fois moral à la partie civile (le père), désormais obligé à veiller seul à ses deux petits enfants car privé du soutien matériel et de l’affection de sa fille (décédée) mais aussi et surtout affecté par une douleur de séparation indéfectible. ». (p. 56).