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Lien vers la décision : Tribunal Militaire de Garnison de Bukavu
Référence
RP n°1448/019
Pays
Congo (République démocratique du)
Sud-Kivu
Base de données
Crimes Internationaux et Violations Graves des Droits Humains
Date de la décision
novembre 12, 2019
Crimes/ violations
Crimes Contre l'Humanité, Disparition Forcée, Le Droit à la Vie, Participation à un mouvement insurrectionnel, Torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants
Parties impliquées
Défendeurs : 5 prévenus membres du groupe armé Raya Mutomboki
Civilement responsable : République Démocratique du Congo
Parties civiles : 298 parties civiles :
- 74 victimes (Emprisonnement ou autre forme de privation grave de liberté physique)
- 315 victimes (Torture)
- 319 victimes (viol)
- 1 victime (disparition forcée)
- 69 victimes (réduction en esclavage)
- 24 victimes (Meurtre)
- 101 victimes (autres actes inhumains – destruction d’objets)
- 371 victimes (autres actes inhumains – pillage)
- 38 victimes (autres actes inhumains – incendie de maisons)
Résumé de la décision
Jugement avant dire droit
La défense a déposé une requête demandant la libération provisoire des prévenus. Le Tribunal rejette la demande des prévenus au motif qu’ils sont aussi poursuivis du chef des crimes contre l’humanité dont le maximum de taux de la peine est la peine de mort. Le Tribunal estime que la présence des prévenus s’avèrerait opportune tout au long de la poursuite de l’instruction. En ce qui concerne le prévenu malade, le Tribunal ordonne son transfert vers un hôpital.
Responsabilité des accusés
Le Tribunal condamne 3 prévenus pour les crimes contre l’humanité par meurtre, par Viol, par esclavage sexuel, par emprisonnement, par disparition forcée, par réduction en esclavage, en infligeant intentionnellement une douleur ou des souffrances aigues et par autres actes inhumains, et les condamne à des peines de 15, 20 ans et Servitude Pénale à Perpétuité.
Le Tribunal considère les faits non établis à l’égard de 2 prévenus pour manque de preuve et les acquitte
Responsabilité civile de la RDC
le Tribunal estime que l’Etat Congolais a failli à ses obligations issues du devoir général de prudence, entre autre celle d’assurer avec promptitude la protection et d’assurer la paix à ses administrés.
Réparations et indemnités
Le Tribunal déclare les actions introduites par les parties civiles recevables. Il condamne les prévenus in solidum avec l’Etat Congolais au paiement des indemnités par victime suivantes :
- Meurtre : 15.000 $US
- Viol : 5.000 $US
- Esclavage sexuel : 5.000 $US
- Torture : 1.500 $US
- Disparition forcée : 3.000 $US
- Emprisonnement : 2.000 $US
- Réduction en esclavage : 800 $US
- Destruction des biens : 800 $US
- Pillage : 2.500 $US
- Incendie des maisons : 1.000 $US
Résumé des faits
Les faits de la présente affaire trouvent leur origine dans les agissements du groupe armé Raïya Mutomboki, actif dans les territoires de Shabunda, Mwenga et Kalehe entre 2011 et 2018. Ce groupe, initialement formé pour combattre les exactions des FDLR, s’est progressivement transformé en organisation oppressive, instaurant un régime de terreur sur les populations locales.
Le prévenu principal, Koko-di-Koko, commandait la 6ᵉ Brigade de ce mouvement, avec son quartier général basé à Mazi. Avec ses co-prévenus, ils menaient des incursions punitives dans les villages, marquées par des pillages, incendies, viols, et tortures.
Un événement central de l’affaire est l’attaque menée par la 6ᵉ Brigade le 8 février 2018 au village de Kabikokole. Sous les ordres de Koko-di-Koko, les combattants ont :
- Rassemblé les femmes et les filles dans une maison où elles ont été victimes de viols collectifs.
- Pillé les habitations, emportant des objets de valeur tels que de l’argent, des biens électroménagers et des panneaux solaires.
- Fouetté et frappé les victimes pour les contraindre à obéir.
- Pris 16 otages, dont 8 femmes et 8 hommes, utilisés pour transporter les biens pillés. Ces otages, escortés par les Maï-Maï, ont été soumis à des violences physiques et sexuelles au cours d’une marche forcée de plusieurs jours.
Parmi les faits incriminés, plusieurs autres villages ont subi des attaques similaires, plongeant les populations dans une misère et une insécurité extrêmes. Les violences sexuelles, fréquentes lors des incursions, visaient à briser la résistance des victimes.
Résumé de la procédure
Éléments jurisprudentiels clés
Procédure
Moyens de preuves : Le Tribunal reconnait que les moyens de preuve sont soumis à l’appréciation du juge. Importance particulière est donnée aux PV et témoignages (p. 46).
« Le Tribunal de céans rappelle que le juge pénal étant un juge actif, il fait recours à tous moyens de preuve, notamment dans le cas d’espèce aux différents procès-verbaux qui n’ont pas fait l’objet d’une quelconque contestation ainsi qu’aux témoignages. » (p. 54).
Preuve en matière de viol : « le Tribunal note qu’en matière de viol ou de violence sexuelle, la victime reste le premier témoin de l’acte qu’elle a subi en ce que ses déclarations constituent une preuve probante lorsqu’elles sont corroborées par d’autres moyens » (p. 59).
Substance du droit
Attaque généralisée ou systématique : Pour prouver l’attaque généralisée et systématique le Tribunal a utilisé comme preuve l’existence d’un conflit armé généralisé /situation de troubles et tensions qui a amené à des violations graves et multiples de droits de l’homme dans les territoires du Sud Kivu. Il a également utilisé le mode opératoire du groupe (type d’armes utilisés, et types de violations) (p. 49-50).
La connaissance de l’auteur de l’attaque : Pour démontrer la connaissance le Tribunal a utilisé comme preuve le mode opératoire similaire dans les différentes attaques ce qui démontre une connaissance préalable des circonstances et comportements à adopter par les auteurs (p. 51).
La politique de l’État/organisation : le Tribunal a utilisé comme preuve la structure du groupe et sa répartition géographique (p. 52).
Réparation
Evaluation du préjudice : le Tribunal a noté que toutes les victimes ont évoqué les préjudices moraux, physiques consécutifs aux douleurs ressenties par elles, au sentiment de rejet pour les autres, y compris la perte de la virginité, le tout suite aux actes d’imposition sexuelle subis, du fait des prévenus. Et que cette démonstration des préjudices subis par les intéressés a été prise en compte dans la mesure où effectivement les unes s’étaient séparées des personnes qui leurs étaient chères, tandis que les autres continuent à souffrir de sentiment de honte et d’humiliation entant que femmes, au-delà de la souffrance physique, que dire des maladies sexuellement transmissibles car les prévenus n’étaient pas protégés lors de ces rapports sexuels (p. 68).
Montant des réparations : le montant des indemnités alloué s’inscrit dans la même lignée jurisprudentielle que les autres arrêts rendus en la matière.