Maniraguha et Sibomana

Lien vers la décision : Tribunal Militaire de Garnison de Bukavu

Référence

RP n°275/09 et 521/10

Pays

Congo (République démocratique du)

Sud-Kivu

Base de données

Crimes Internationaux et Violations Graves des Droits Humains

Date de la décision

août 16, 2011

Crimes/ violations

Crimes Contre l'Humanité, Détention illégale d’armes ou de munitions de guerre

Parties impliquées

Défendeurs : deux soldats du FDLR

Civilement responsable : République Démocratique du Congo

Parties civiles : 400 parties civiles

Résumé de la décision

Responsabilité des accusés

Le tribunal reconnait le premier prévenu coupable des crimes mis à sa charge (crimes contre l’humanité par meurtre, par viol, par emprisonnement et autre forme de privation de liberté physique, par torture et détention illicite d’armes et munitions de guerre) et le condamne sans admission de circonstances atténuantes à la servitude pénale à perpétuité.

Le deuxième prévenu est également reconnu coupable des crimes mis à sa charge (crime contre l’humanité par meurtre et par emprisonnement ou autres formes de privation grave de liberté physique) et le condamne sans admission de circonstances atténuantes à 30 ans de servitude pénale.

Responsabilité civile de la RDC

Le Tribunal considère que l’Etat congolais est responsable pour avoir failli à sa mission de puissance publique, de sécurisation de personnes et de leurs biens, en laissant les populations de KALONGE et de BUNYAKIRI à la merci de leurs bourreaux.

Réparations et indemnités

Le Tribunal de céans condamne l’Etat congolais seul à payer au titre du dédommagement pour préjudices subis les sommes suivantes :

  • 700 $ US pour chacune des victimes de viol ;
  •  550 $ US pour chacune des victimes de tortures ;
  • 400 $ US pour chacune des victimes d’emprisonnement ou autres formes de privation grave de liberté physique ;
  • 5800 $ US pour chacune des victimes de meurtre.
Résumé des faits

Au courant de l’année 2006, le prévenu hutu rwandais Maniraguha dirige la milice FDLR RASTA. Cette milice va assiéger les villages formant la localité de KALONGE. Le 02 juillet 2006, le prévenu et dix-huit de ses hommes, en patrouille de reconnaissance dans certains villages, arrêtent sept personnes au village FENDULA dont deux hommes tués par le prévenu lui-même, après avoir fait déverser des braises ardentes sur une femme. Quelques instants après, le groupe va abattre trois hommes au village RWAMIKUNDU pour se livrer ensuite aux pillages du bétail et des volailles. Plusieurs femmes emportées dans le campement des FDLR RASTA sont réparties entre les membres du groupe par le prévenu au titre d’esclaves sexuels.

Le 09 juillet 2006, au village FENDULA, ils vont incendier cinquante-six habitations. Certains des habitants vont se réfugier dans la forêt et d’autres, estimés au nombre de cinquante-deux, seront brûlés vifs. Le bétail, les volailles et d’autres biens de valeur seront emportés par les assaillants grâce aux victimes astreintes à cet exercice déshumanisant. Certaines femmes sont violées au village, d’autres soumises à l’esclavage sexuel en forêt.

Suite à l’intervention des éléments des FARDC, la bande sera mise en déroute, car certains de ses membres seront tués. Mais le prévenu et quelques rescapés vont installer leur Quartier Général au village BUSH BWAMBOMBO, d’où ils vont, à tour de rôle, organiser des attaques, dans la période allant d’août 2006 à janvier 2007, dans plusieurs villages du secteur de BUNYAKIRI, où viols des femmes et filles, tueries des hommes, pillages des biens sont constamment perpétrés.

Résumé de la procédure
Éléments jurisprudentiels clés

Procédure

Compétence du tribunal a l’égard des prévenus étrangers : Bien que les prévenus soient militaires Rwandais, étrangers à l’armée, le tribunal va considérer qu’ils entrent dans la catégorie des justiciables des juridictions militaires. Les faits pour lesquels les prévenus sont poursuivis, c’est-à-dire le crime contre l’humanité et la détention illicite d’arme et munition de guerre sont en connexité et relèvent de la compétence des juridictions militaires » (p. 24).

Appréciation des éléments de preuve : Pour tirer son intime conviction de l’ensemble du dossier soumis à sa connaissance, le Tribunal a réservé une place privilégiée aux aveux. Il est de doctrine constante que l’aveu n’est pas une source sûre de conviction dans la mesure où il peut être le résultat de l’erreur, de la crainte, du désespoir, du désir de sauver le véritable coupable, voire de la volonté de se mettre en valeur, etc. Il doit donc être accueilli avec circonspection et être contrôlé à l’instruction préparatoire et à l’audience (p. 30).

Substance du droit

Notion de « population civile » : le Tribunal développe une définition erronée de l’expression population civile en ces termes : « Par population civile, il faut entendre selon un principe bien établi du droit international humanitaire, toutes personnes civiles par opposition aux membres des forces armées et aux autres combattants légitimes » (p. 36). Cette définition ne correspond pas à celle développée par la jurisprudence constante et la doctrine en ce qu’elle ne recouvre pas toutes autres personnes « hors combats » qui ne participent pas ou ne participent plus aux hostilités.

Responsabilité civile de l’Etat : « En l’espèce, les paysans de KALONGE et de BUNYAKIRI ont été abandonnés entre les mains de leurs assaillants, les éléments FDLR RASTA qui les ont assujettis. L’Etat congolais aurait dû et devrait constamment y veiller. L’Etat n’a rien fait pour mettre fin aux agissements combien criminels et nuisibles de ce groupe rebelle, posant des actes sans état d’âme, vis-à-vis desquels l’Etat a perdu tout moyen de contrôle, manquant ainsi à sa mission de puissance publique. » (p. 49).

Réparation 

Montant des indemnités : Bien que la Cour procède à une évaluation du dommage, les montants accordés sont en deçà de ceux accordés dans la jurisprudence antérieure et postérieure des tribunaux militaires nationaux. Par exemple, 700$ ont été alloués pour viol (5.000$ dans les arrêts Bokila et Mulesa en 2007 ; 10.000$ dans l’arrêt Basele en 2009) et 5800 $ ont été alloués pour meurtre (5.000$ dans les arrêts Bokila et Mulesa en 2007).