Sheka et autres

Référence

RP N°0191/017

Pays

Congo (République démocratique du)

Nord-Kivu

Base de données

Crimes Internationaux et Violations Graves des Droits Humains

Date de la décision

novembre 23, 2020

Crimes/ violations

Association de malfaiteurs, Crimes Contre l'Humanité, Crimes de Guerre, Direction, organisation et commandement d’un mouvement insurrectionnel, Meurtre, Participation à un mouvement insurrectionnel, Pillage et destruction de Biens, Terrorisme, Viol et violences sexuelles, Vol à l’aide de violences

Parties impliquées

Défendeurs : 4 prévenus : le leader et trois autres membres associés de la milice Nduma Défense of Congo (NDC)

Civilement responsable : République Démocratique du Congo

Parties civiles : 343 victimes regroupées en 5 catégories : a) victimes des faits de LUVUNGI, b) les victimes des crimes de guerre et c) les victimes des faits se rapportant à l’assassinat du Colonel CHUMA et Consorts, d) celles ayant survécu auxdits faits, ainsi que la République Démocratique du Congo

Résumé de la décision

Responsabilité des accusés

Crimes contre l’humanité : la Cour condamne 1 prévenu pour crime de viol et acquitte un autre prévenu, au bénéfice du doute. Elle acquitte également un autre prévenu pour torture et autres actes inhumains, estimant que les preuves apportées étaient insuffisantes et que les faits allégués par l’accusation n’avaient pas été établis au cours des débats contradictoires.

Crimes de guerre : Deux prévenus ont été déclarés coupables de crimes de guerre pour meurtre, torture, viol, esclavage sexuel, pillage, recrutement d’enfants. La Cour écarte la prévention de mutilation de cadavres, considérant que les faits n’étaient pas juridiquement qualifiés par l’accusation.

Participation à un mouvement insurrectionnel : la Cour a condamné trois prévenus pour leur rôle actif dans un mouvement insurrectionnel. Un quatrième prévenu a été acquitté, la Cour estimant que les soins occasionnellement prodigués à un membre du groupe armé ne suffisaient pas à établir son appartenance à ce mouvement.

Vol à main armée : Un prévenu a été jugé coupable et un autre a été acquitté faute de preuves suffisantes.

Enrôlement d’enfants : la Cour a acquitté un prévenu, considérant que les preuves établissaient que le recrutement d’un enfant de 17 ans avait été réalisé à son insu.

Tentative d’assassinat : Deux prévenus ont été déclarés coupables.

Responsabilité civile de la RDC

La Cour considère que l’Etat congolais n’est pas responsable car les demandeurs n’ont pas été à même de démontrer :

  • en quoi l’Etat serait le préposé des prévenus, considérés comme des éléments des FDLR.
  • de quelle manière l’Etat congolais aurait failli à son obligation de protéger la population face aux actes perpétrés par des éléments issus des groupes armés

Réparations et indemnités

La Cour a condamné les prévenus à verser des indemnités aux victimes pour les préjudices subis (moraux, physiques et matériels). En l’absence de justificatifs précis pour toutes les parties civiles, la Cour a fixé les montants des réparations sur une base équitable (ex aequo et bono) allant de 3.000$ à 16.000$

Résumé des faits

L’affaire concerne le groupe armé « NDUMA DEFENCE OF CONGO » (NDC), fondé en 2007 au Nord-Kivu. Cette région, en proie à des rébellions récurrentes depuis plus d’une décennie, abrite divers groupes armés basés sur des affiliations ethniques ou communautaires, souvent engagés dans des alliances temporaires et des affrontements avec d’autres groupes ou les forces armées régulières.

En 2010, des événements tragiques ont eu lieu à Luvungi, où une coalition composée du NDC, du Front Patriotique pour la Libération du Congo (FPLC), et des Forces Démocratiques pour la Libération du Rwanda (FDLR) a assiégé la localité pendant trois jours, du 31 juillet au 02 août 2010. Ces groupes sont accusés d’avoir perpétré des viols, des pillages et d’autres sévices contre la population civile.

En juillet 2011, l’alliance entre le NDC et les FDLR s’est effondrée, provoquant une série d’affrontements armés meurtriers entre ces deux groupes dans divers villages du territoire de Walikale et Masisi. Ces violences ont causé des déplacements massifs de populations.

Le 19 avril 2012, un convoi des FARDC est tombé dans une embuscade tendue par le NDC, entraînant la mort de plusieurs militaires, dont deux colonels, et la destruction de véhicules militaires. Ces faits sont directement imputés aux prévenus. Vers fin 2014, des dissensions internes au sein du NDC ont conduit à la scission du groupe, donnant naissance à une faction dissidente, le NDC Rénové.

Suite aux plaintes déposées par les survivants et aux enquêtes menées par les autorités militaires, les prévenus ont été arrêtés et traduits en justice.

Résumé de la procédure
Loading
Éléments jurisprudentiels clés

Procédure

Modification des qualifications juridiques : La Cour réaffirme le principe selon lequel la juridiction répressive est saisie des faits, et non de leur seule qualification juridique ou des dispositions légales invoquées dans l’acte d’accusation. Elle souligne que la qualification des faits peut être modifiée à tout moment de la procédure, y compris au niveau d’appel ou de cassation, à condition de respecter les droits de la défense. Cela inclut la possibilité de requalifier les faits (qualification plus grave), de déqualifier (même gravité) ou de disqualifier (gravité moindre). Ce principe s’appuie sur une doctrine et une jurisprudence unanimement reconnues, mettant en avant la flexibilité judiciaire face aux circonstances des faits (p. 237) 

Substance du droit

Notion de fourniture d’une substance aux insurgés : La Cour précise que l’administration de soins de santé nécessaires à des insurgés ne constitue pas, en soi, une « fourniture d’une substance » aux insurgés. Cette distinction protège les gestes à caractère humanitaire, qui ne sauraient être assimilés à une assistance logistique ou à un soutien aux activités insurrectionnelles (p. 122).

Approche pédagogique du jugement : La Cour adopte une méthode explicative rigoureuse en motivant chaque décision par un retour sur les principes fondamentaux de droit applicables. Elle s’appuie sur la doctrine et la jurisprudence antérieure pour éclairer ses choix juridiques, ce qui confère au jugement une valeur éducative importante. Cette approche vise à renforcer la compréhension des principes juridiques sous-jacents et à fournir un cadre clair pour les futures décisions similaires.

Réparations 

Double qualité de partie civilement responsable et de partie civile : Selon la Cour, si la possibilité de former une demande en dommages-intérêts est ouverte à la partie civile et au co-prévenu, rien ne doit empêcher la partie civilement responsable, également partie au procès et placée dans une position similaire à celle des prévenus, de diligenter une telle action (p. 69).