Lawyering for Change 2022 : Le programme avec les intervenant.e.s est disponible !

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Les inscriptions pour la conférence internationale Lawyering for Change 2022 sont ouvertes !

L’événement, organisé par Avocats Sans Frontières, se tiendra les 12 et 13 octobre à l’Auditorium international à Bruxelles

Nous sommes ravi.e.s de vous annoncer officiellement la tenue de la conférence internationale Lawyering for Change les 12 et 13 octobre 2022 à Bruxelles.

Lawyering for Change 2022 réunira plus d’une trentaine d’intervenant.e.s, de différents pays et de spécialités multiples, qui partageront leurs expertises et surtout leurs expériences de terrain afin d’apporter une pluralité d’éclairages sur les défis qui se posent aujourd’hui pour la réalisation de l’accès à la justice et de l’Etat de droit.

L’accent sera mis plus particulièrement sur l’importance, face aux défis contemporains, de penser les actions par la coopération, de développer des coalitions entre cette multiplicité d’acteur.rice.s, de créer des réseaux et des communautés de partage de savoir et de collaboration.

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Communiqué de presse – Commission parlementaire spéciale sur le passé colonial belge : Une clôture en décembre 2022 ne permettrait pas la pleine réalisation du mandat de la commission

La Commission parlementaire spéciale sur le passé colonial belge était initialement mandatée pour travailler jusqu’en juillet 2021. Le mois dernier, son mandat a été prolongé une seconde et dernière fois pour prendre fin en décembre 2022. Ces prolongations soulignent l’importance pour la commission de disposer d’un temps suffisant pour mener à bien son ambitieux mandat. Celle-ci est chargée non seulement d’examiner les actions coloniales de la Belgique en RDC, au Rwanda et au Burundi, mais aussi d’évaluer l’impact structurel à long terme de ces actions et de proposer des pistes pour y remédier. Néanmoins, les signataires de ce communiqué s’inquiètent de la clôture de la commission prévue seulement deux ans et demi après sa création. Ce délai semble insuffisant pour réaliser son mandat : aborder la question du passé colonial belge et proposer des pistes de réponse à apporter aux crimes graves commis lors de la colonisation et à ses impacts toujours très prégnants dans nos sociétés.

Pour être efficaces et légitimes, les processus de justice transitionnelle tels que les commissions de vérité et les commissions d’enquête doivent remplir certains critères. La mise en place d’un processus participatif est particulièrement important. La commission parlementaire spéciale sur le passé colonial belge a organisé des auditions publiques au cours desquelles une diversité d’universitaires, de praticien.ne.s et d’acteur.rice.s de la société civile (dont deux sessions d’écoutes consacrées spécifiquement à la diaspora) ont été invité.e.s à témoigner et à partager leur expertise sur des questions spécifiques. Néanmoins, des contraintes de temps et de ressources ont limité la visibilité et l’effectivité du processus participatif proposé par la commission.

Nous regrettons la faiblesse de la stratégie de communication et du processus de sensibilisation mise en place par la commission durant ses travaux. La commission n’a pas mis en place d’équipe de communication spécifique et seule une poignée de commissaires communiquent publiquement sur le processus. Certain.e.s commissaires ont même exprimé leurs doutes quant à la nécessité de traiter du passé colonial de la Belgique et des injustice postcoloniales qui en découlent. Bien que les informations sur les méthodes de travail et les audiences de la commission soient disponibles sur le site web du Parlement fédéral, les signataires observent que les activités de la commission restent largement sous le radar de la société belge, et même largement invisibles en RDC, au Burundi et au Rwanda.

Depuis sa création, la commission a bénéficié d’une capacité limitée pour consulter plus largement les populations en Belgique, en RDC, au Burundi et au Rwanda. Par conséquent, le travail de la commission reste déconnecté des perceptions populaires de la forme que devrait prendre un engagement significatif avec le passé colonial. Il y a eu, en particulier, jusqu’à présent, peu d’engagement direct de la commission avec la RDC, le Burundi et le Rwanda. Les signataires accueillent donc favorablement le projet de visite, pas encore confirmé, qui n’a toujours pas été confirmé, de la commission dans la région. Une telle délégation devrait s’efforcer de rencontrer à la fois des représentant.e.s de l’État et des organisations de la société civile dans les trois pays. Les parties prenantes locales devraient également avoir la possibilité de soumettre des déclarations écrites à la commission. En outre, la délégation de la commission pourrait profiter d’une telle visite pour explorer les options pour de futures initiatives transnationales entre les quatre pays afin de traiter du passé colonial.

Les signataires demandent en outre à la commission de se donner les moyens et le temps nécessaires pour traiter de manière exhaustive et crédible les deux questions encore en suspens, et aussi les plus sensibles politiquement, à savoir les réparations à accorder et le lien entre le colonialisme, le racisme et les injustices postcoloniales (des auditions publiques sur ces questions sont prévues au cours de l’été).

La reconnaissance de la nature et de l’impact du colonialisme belge serait un résultat important du travail de la commission, mais cela doit être accompagné de propositions concrètes pour des mesures de justice réparatrice. En outre, la commission devrait envisager d’élaborer des propositions de mesures ou de mécanismes supplémentaires susceptibles de combler les lacunes laissées par la commission parlementaire spéciale. L’un des principaux objectifs de la commission parlementaire spéciale ne doit pas être de clore le débat sur le passé colonial de la Belgique, mais d’ouvrir la voie à un engagement holistique et à long terme avec le passé colonial belge.

Législation européenne sur le devoir de diligence : la Commission européenne dévoile sa proposition mais des lacunes persistent

Ce mercredi 23 février, la Commission européenne a présenté une proposition de directive imposant aux entreprises un devoir de diligence en matière d’atteintes aux droits humains et à l’environnement. Ce texte, très attendu, et dont nous saluons l’ambition initiale, comporte de nombreuses lacunes qui pourraient limiter sa portée.

Le devoir de diligence prévu dans la directive a pour but de contraindre les entreprises à mettre en place des mesures de prévention des atteintes aux droits humains et à l’environnement commises par leurs filiales, leurs fournisseurs ou leurs sous-traitants directs ou indirects dans le cadre de leurs activités dans l’Union européenne ou à l’étranger. En cas de faute, la responsabilité des entreprises pourrait être engagée et celles-ci pourraient être tenues d’indemniser les personnes affectées.

La directive permettra notamment d’engager la responsabilité civile des entreprises fautives. Cependant, le régime de responsabilité civile a une portée limitée. Dans le cas où le partenaire commercial d’une entreprise se serait engagé contractuellement à respecter le code de conduite imposé par l’entreprise, la responsabilité civile de cette dernière ne pourrait plus être engagée. La directive ne prend pas non plus en compte les nombreux obstacles limitant l’accès des victimes à ces recours : coûts élevés des litiges, charge de la preuve disproportionnée, manque d’accès à l’information, capacité juridique restreinte et délais de prescription limités.

Nous regrettons également que la proposition ne propose de définition claire et satisfaisante de la notion de relations commerciales directes et indirectes entre les entreprises. Ce manque de transparence pourrait également être un frein au recours effectif des victimes à la justice.

Enfin, la directive ne s’appliquerait pas à toutes les entreprises. Celle-ci vise les entreprises de plus de 500 employé.e.s avec un chiffre d’affaires net supérieur à 150 millions d’euros, et les entreprises de plus de 250 employé.e.s avec un chiffre d’affaires net supérieur à 40 millions d’euros mais dont une majorité des activités toucherait à un secteur à haut risque (tel que l’industrie textile, l’exploitation minière ou l’agriculture). Elle exclut donc les petites et moyennes entreprises (PME) de l’obligation de diligence raisonnable.

Plus globalement, ASF souligne la nécessité d’impliquer tous les groupes concernés – et potentiellement affectés – particulièrement ceux en situation de vulnérabilité et structurellement désavantagés mais aussi les défenseur.euse.s de l’environnement et desdroits humains. Les obligations de consultation et les modalités de participation de ces groupes sont formulées de façon insatisfaisante à ce stade.

La directive va maintenant être débattue et éventuellement modifiée par le Parlement européen et les gouvernements des États membres de l’UE. Nous voulons les encourager à prendre en compte les différentes lacunes de cette première proposition pour effectuer les amendements nécessaires à la réalisation de l’ambition de ce texte.

Journée Internationale des Droits des Femmes : Genre et sorcellerie en République centrafricaine, lutter contre les discriminations à l’encontre des femmes et des enfants

En République centrafricaine, les poursuites des personnes suspectées de pratiques de sorcellerie et de charlatanisme (PCS), conduisant fréquemment à des violations graves des droits humains, impactent, de façon systématique, les femmes et les enfants. Cet état de fait doit être examiné sous l’angle des violences basées sur le genre.

La violence anti-sorcellaire a été spécifiquement mise en avant dans plusieurs rapports internationaux de monitoring des violations des droits humains qui pointent le fait que l’État centrafricain fait défaut à son devoir de protection des citoyen.ne.s, en particulier des filles et des femmes accusées de PCS et victimes de graves violences allant jusqu’à la mise à mort par des groupes armés ou des groupes d’individus.

À cet égard, l’expérience démontre que de telles violences trouvent leurs racines dans les inégalités structurelles et les schémas de domination patriarcale à l’encontre des femmes et de certaines catégories de personnes en situation de vulnérabilité. Ce type de violence est donc la conséquence de normes sociales et culturelles qui entravent la réalisation des droits des femmes et des personnes mineures.

Actions

Avec ses partenaires centrafricain.ne.s, et grâce aux financements conjoints de l’Union européenne et du Ministère français des affaires étrangères, ASF s’engage pour promouvoir le respect des garanties procédurales et de l’accès à la justice des femmes et des mineur.e.s (notamment des personnes accusées de PCS), en agissant durablement sur la réduction des inégalités de genre.

Trois axes d’interventions concourent pour réaliser cet objectif :

  1. Le legal empowerment, qui considère les personnes comme acteur.rice.s à part entière de la réalisation de leurs droits et intègre différents mécanismes
  2. La représentation en justice et à des solutions (« remedies ») fondées sur le droit et respectueuses des droits des femmes et des enfants
  3. L’engagement des acteur.rice.s institutionnel.le.s pour l’adoption de réformes et de pratiques conformes aux droits des femmes, notamment sur les questions de PCS. Cet axe est complémentaire aux précédents pour apporter des actions d’influence et de plaidoyer fondées sur les réalités du terrain.

Ces actions contribuent à rendre visibles les besoins spécifiques des victimes de VBG et des groupes potentiellement affectés et à amplifier la voix des personnes affectées pour encourager l’adoption et la mise en œuvre de réformes résorbant durablement les inégalités de genre et les violations des droits humains des personnes poursuivies de PCS.

Être détenu.e à la prison de Makala à l’heure de la pandémie : Entretien avec l’ONG PRODHOJ

Samuel Atweka est avocat au Barreau de Kinshasa/Gombe en République démocratique du Congo.

Il est également président de l’ONG Promotion des droits de l’homme et de la justice (PRODHOJ).

Gysy Umba est avocate au Barreau de Kinshasa/Matete et fait partie de PRODHOJ. Elle a mené les entretiens avec des détenu.e.s de la prison de Makala, principalement des mineur.e.s.

Entre mars et septembre 2021, PRODHOJ, avec le soutien d’Avocats Sans Frontières, a effectué un travail de monitoring pour évaluer les conditions de détention et d’accès à la justice des détenu.e.s dans la prison centrale de Kinshasa, dite de « Makala », dans le contexte de la pandémie de COVID19. Makala, qui signifie « charbon » en Lingala, est la plus grande prison de la RDC. Construite lors de la colonisation belge en 1957 pour accueillir 1500 détenu.e.s, elle en compte aujourd’hui près de 9000, ce qui représente un taux d’occupation de près de 600 %.

Dès les premiers mois de la pandémie, ASF a débuté un travail de monitoring pour analyser l’impact des mesures sanitaires sur les libertés individuelles et l’État de droit dans plusieurs de ses pays d’intervention. Dans le cadre de son projet « Droits humains et Covid-19 » , financé par la Coopération belge au développement, il fut tout naturel pour ASF de s’associer à PRODHOJ pour évaluer l’impact de la pandémie sur les conditions de détention et d’accès à la justice en RDC. dddd

PRODHOJ fut créé en 2019 avec pour objectif de contribuer à l’émergence d’un État de droit en République démocratique du Congo. Ses leviers sont la promotion et la défense des droits humains, de l’accès à la justice et du respect du droit à un procès équitable. Cet objectif guide son action, notamment dans ses activités de monitoring des violations des droits humains, d’observation de procès et de services d’assistances judiciaire ou extrajudiciaire.

Nous avons proposé à Samuel Atweka et Gysy Umba de nous faire part des résultats de leur monitoring, de leur avis sur les dysfonctionnements de la chaîne pénale et de leurs recommandations pour y remédier.

Quelles mesures ont été mises en place en RDC suite à la crise sanitaire ? Quels ont été les résultats de ces mesures ?

Samuel Atweka [SA] : Le 21 mars 2020, Le procureur général près la Cour de Cassation a diffusé une circulaire pour décongestionner les prisons de la RDC. Cette circulaire visait à lutter contre la propagation du COVID-19 en milieu carcéral. Elle fixa des critères d’éligibilités pour les détenu.e.s qui peuvent être libéré.e.s, tel.le.s que les détenu.e.s en détention provisoire, jugé.e.s pour des délits mineurs et ceux.elles en mesure de payer une amende transactionnelle pour bénéficier d’une liberté provisoire. Cette circulaire est encore en vigueur aujourd’hui mais sa mise en œuvre effective a été compromise par les dysfonctionnements structurels préexistants de la chaîne pénale.

Cette circulaire fixa aussi les mesures à mettre en palce dans les centres de détention pour protéger les détenu.e.s de la pandémie qui se propageait. Mais, encore une fois, il fut difficile d’appliquer ces mesures compte tenu du dysfonctionnement de l’administration pénitentiaire dans le pays.

Nous n’avons pas eu accès au registre nous permettant de connaître avec exactitude le nombre de prisonnier.ère.s qui ont pu bénéficier des mesures de désengorgement de la Circulaire de mars 2020. Selon la Commission nationale des droits humains (CNDH), moins de 50 détenu.e.s en ont bénéficié en avril 2020. Ce qui est évidemment très peu au regard du nombre de personnes que nous avons identifié comme des bénéficiaires potentiels de cette mesure lors de notre monitoring.

Aujourd’hui, les magistrat.e.s que nous avons rencontré.e.s disent ne plus tenir compte de cette circulaire. Il semble également qu’au niveau du Ministère de la Justice il n’y ait pas de pression pour faire appliquer cette circulaire.

Quels étaient les objectifs du monitoring que vous avez effectué en partenariat avec ASF ? Comment ça s’est passé ?

Gysy UMA [GU] : Nous voulions observer les conditions de détention des détenu.e.s en ces temps de crise sanitaire, nous entretenir avec eux.elles pour mieux comprendre si leurs droits fondamentaux sont et ont été respectés durant cette période, s’il.elle.s ont été suffisamment informé.e.s des mesures de protection contre le Covid-19. Nous avons également échangé avec des membres du personnel pénitentiaire pour mettre en parallèle leur ressenti avec celui des détenu.e.s.

Pour ce faire, nous avons effectué plusieurs visites à la Prison de Makala munis de nos outils de monitoring : fiches d’observation, fiches d’entretien pour les détenu.e.s et fiches d’entretien pour les membres du personnel pénitentiaire.

Nous nous sommes entretenu.e.s avec 255 détenu.e.s parmi lesquels 230 hommes (dont 53 mineurs appelés « enfants en conflit avec la loi »[1]) et 25 femmes (dont une fille mineure).

Nous rencontrions les détenu.e.s dans les parloirs. Nous devions parfois attendre longtemps car avant d’accéder au parloir, les détenu.e.s doivent revêtir des combinaisons spéciales. Or, elles sont en nombre très limité. Les détenu.e.s doivent donc attendre qu’un détenu sorte du parloir pour récupérer sa combinaison.

Qu’est ce qui t’a le plus marqué ?

[GU] : Lors du monitoring, je me suis principalement entretenue avec les mineur.e.s. J’ai pu constater que leurs conditions d’hygiène et sanitaires sont très précaires. Un des mineurs m’a raconté qu’il se lavait avec de l’eau sale. Beaucoup souffrent de problème de peau.

Lors d’une visite, j’ai constaté qu’un enfant était très malade. Il urinait du sang. À Makala, il ne pouvait pas bénéficier de soins appropriés. J’ai dû intervenir pour qu’il soit transféré dans un autre centre afin qu’il soit pris en charge correctement.

Les mineur.e.s se plaignent également de l’alimentation fournie par l’administration. Elle est pauvre et elle n’est pas adaptée. Certain.e.s mineur.e.s revendent leur nourriture auprès de leurs pair.e.s pour s’acheter des biscuits ou de l’eau. Les mineur.e.s qui ont des familles reçoivent des compléments alimentaires lors des visites. Mais les mineur.e.s sans famille n’ont d’autres choix que de manger ce qui leur ait donné, soit tous les jours la même chose, en l’occurrence le repas de prédilection de tout.e détenu.e (tout âge confondu) appelé Vungulé (un mélange des haricots et maïs mélangés et préparés ensemble).

Quels sont les principaux constats que vous avez observés pendant ces sept mois de monitoring ?

[SA] Le principal constat est le dysfonctionnement de toute la chaine pénale. Ce dysfonctionnement engendre des situations dramatiques en termes humains et de violations graves des droits fondamentaux. À Makala, bon nombre d’hommes, de femmes et d’enfants restent emprisonné.e.s dans des conditions inhumaines alors qu’il n’y a pas de raison valable de les maintenir en détention. Le bon fonctionnement de la justice permettrait de résoudre en partie le problème de la surpopulation carcérale dans le pays.

La grande majorité de détenu.e.s de Makala sont en détention irrégulière. En avril 2020, un rapport de la Commission national des droits de l’homme confirma ce constat.

La lenteur manifeste dans le traitement des dossiers a comme conséquence que les détenu.e.s sont en détention irrégulière. La pandémie est venue accentuer cette lenteur avec la suspension des procès comme relevé ci-dessus. Les détenu.e.s passent des mois sans voir un.e magistrat.e .Une grande majorité des détentions ne sont pas régularisées. Les dossiers instruits par les magistrat.e.s restent au Secrétariat sans que les dossiers passent aux tribunaux. En droit congolais, le Parquet a un délais de 115 jours pour instruire un dossier; et pourtant les observations de terrain démontrent que certain.e.s détenu.e.s passent plusieurs mois, voire plusieurs années, dans cette phase préjuridictionnelle.

Nous avons rencontré des cas de détenu.e.s qui attendent parfois des années que leur dossier soit instruit. C’est le cas notamment d’un détenu que nous avons rencontré pendant notre monitoring qui est poursuivi pour coups et blessures simples. Cela fait 5 ans qu’il est en détention préventive alors que la peine maximale prévue par le Code pénale pour ce type de délit est de 6 mois. Si les détenu.e.s n’ont pas d’avocat.e ou de famille pour faire le suivi, le Parquet laisse le dossier de côté.

Dans d’autre cas, le.a détenu.e ne s’est tout simplement pas vu signifié la décision de justice. Cette situation crée des violations graves du droit de la défense. En droit congolais, lorsqu’un jugement est rendu en l’absence du.de la prévenu.e, les délais de droit de recours commence le jour où le.a prévenu.e est signifié.e de la décision judiciaire. C’est ainsi que nous avons pu faire appel d’une décision pour une personne détenue depuis 7 ans. Il n’avait jamais été informé de sa condamnation à 15 ans de prison.

Nous avons également rencontré le cas d’un détenu qui est en prison depuis 18 ans. Il a été jugé mais il n’y a aucune trace de cette décision. Nous avons alerté le Ministre des droits humains et la Ministre de la Justice sur ce cas.

Par ailleurs, il y a de nombreuses personnes emprisonnées pour des délits mineurs comme le vol de portable. Or, dans le contexte de la pandémie, ces personnes devraient bénéficier des mesures de désengorgement. On trouve également des détenu.e.s acquitté.e.s ou ayant bénéficié de la liberté provisoire mais ils manquent de moyens pour faire acter la procédure auprès des greffier.ère.s. Il.elle.s restent ainsi des mois en détention.

Enfin, en ce qui concerne le COVID-19, les détenu.e.s ne reçoivent aucune information sur les mesures de prévention par l’administration pénitentiaire.

Quels sont les causes de ces dysfonctionnements ?

[SA] Les causes de ces dysfonctionnements sont multiples et concernent toute la chaine pénale.

Au-delà de la lenteur de l’administration et du manque du suivi des dossiers par les magistrat.e.s, une des causes est le manque de communication entre le Greffe de la prison et le Greffe des juridictions sur les dossiers. Pour faire le suivi des dossiers, les greffier.ère.s rançonnent les détenu.e.s par exemple. Or les détenu.e.s ne sont pas en mesure de payer ces frais illégaux demandés, surtout si il.elle.s n’ont pas de famille pour les aider. Un greffier a demandé 150 US$ à un détenu que nous avons rencontré.

À Makala, il existe par ailleurs une administration parallèle à l’administration officielle. La gestion des détenu.e.s au quotidien est reléguée par l’administration officielle elle-même à cette administration non officielle. On a mis à jour un organigramme parallèle au sein de la prison. Les membres de cette administration parallèle sont des prisonniers. Ils bénéficient d’un statut et d’avantages particuliers. Cette administration officieuse est organisée par l’administration officielle. Ces prisonniers sont par exemple dotés de téléphones portables. Dans ce contexte, l’administration pénitentiaire officielle ne gère pas directement les détenu.e.s.

Quelles sont les principales recommandations que vous faites à l’issue des constats observés ?

[SA] Nos recommandations s’adressent à tou.te.s les acteur.rice.s de la justice, que ce soit le Ministère mais aussi le Conseil supérieur de la Magistrature. Il est important que tou.te.s les acteur.rice.s de la chaine pénale s’assurent que les droits des détenu.e.s et de la défense soient respectés surtout en cette période de Covid-19 pendant laquelle les détenu.e.s de la Prison de Makala sont devenu.e.s plus vulnérables qu’auparavant.

Les détenu.e.s doivent également connaitre leurs droits pour mieux les faire respecter.

Mais aussi, particulièrement à cette période de pandémie, il est impérieux que l’Administration pénitentiaire et/ou sa tutelle informent les détenu.e.s sur les mesures de protection contre le Covid-19 et mettent à leur disposition le nécessaire en leur donnant notamment accès à la vaccination.

[1] L’Article 2 de la Loi n°09/001 du 10/01/2009 dispose que l’enfant en conflit avec la loi est « l’enfant âgé de quatorze à moins de dix-huit ans, qui commet un manquement qualifié d’infraction à la loi pénale.

Communiqué de presse : Publication du rapport d’expert.e.s sur le passé colonial belge – Les signataires appellent à un processus de justice holistique et inclusif

À l’occasion de sa présentation au Parlement, les signataires saluent la publication du rapport rendu par l’équipe multidisciplinaire d’expert.e.s mandatée par la Commission parlementaire spéciale sur le passé colonial de la Belgique. Ce rapport pose un nouveau jalon vers une meilleure compréhension de l’époque coloniale belge et constitue un apport pertinent pour une discussion apaisée de la question, entre les différents segments de la société contemporaine belge.

En effet, les revendications concernant les préjudices historiques de la colonisation et leurs conséquences contemporaines en matière de racisme structurel s’expriment depuis de nombreuses années dans le débat public belge mais ont suscité un regain d’intérêt depuis le mouvement « Black Lives Matter ». C’est cette mobilisation sociale, menée principalement par les groupes afro-descendants de la société belge qui a conduit à la constitution de la Commission spéciale en juillet 2020. Le rapport des expert.e.s de la Commission doit donc être apprécié à l’aune des demandes de justice relatives au passé colonial de la Belgique.

À ce titre, le rapport montre certaines limites qu’il convient de remarquer. Tout d’abord, ce rapport est né d’un processus étroit d’établissement de la vérité, essentiellement contenu au sein des institutions publiques belges. Comme indiqué à plusieurs reprises, la Commission qui a commandé ce rapport d’expert.e.s est elle-même une commission politique, contrôlée par les différents partis politiques belges. Le travail de la Commission n’est, pour le moment, pas ouvert aux représentant.e.s de la société civile belge, ni aux sociétés civiles des pays anciennement colonisés. En ce sens, le rapport des expert.e.s n’est pas le fruit d’un processus inclusif et ouvert, à l’inverse des bonnes pratiques établies de la Justice de transition en matière d’établissement de la vérité.

Ensuite, le rapport ne remplit que partiellement les objectifs fixés par la Commission elle-même. En effet, le rapport concerne essentiellement le passé colonial de la Belgique dans l’actuelle République démocratique du Congo, et n’aborde pas les cas du Burundi et du Rwanda. De la même façon, le rapport est essentiellement concentré sur les actions de l’État belge, et ne couvre que faiblement le rôle des acteur.rice.s non-étatiques. Pourtant, la commission est chargée, selon son mandat, d’examiner le rôle et l’impact structurel que non seulement l’État belge et les autorités belges, mais également les acteur.rice.s non étatiques comme la monarchie, l’Église et le secteur privé ont eu sur le phénomène colonial.

Les signataires espèrent que ce rapport servira de base à un véritable processus de Justice transitionnelle, dont il est aujourd’hui établi que les principes (vérité, justice, réparation et garanties de non-répétition) sont particulièrement valables pour s’attaquer aux passifs et continuités coloniales. Le rapport pose de nombreuses pistes de réflexion que la Commission devra faire aboutir dans des processus concrets et dans un cadre ouvert et inclusif.

À ce titre, il est particulièrement attendu de la Commission qu’elle publie un plan de travail pour la suite de ses travaux et clarifie les voies d’engagement avec l’ensemble des parties prenantes. Ce rapport ne doit pas être une simple contribution à l’Histoire, mais bien le fondement d’une réponse articulée aux demandes de justice, pour le passé et le présent.

En conclusion, les signataires saluent l’initiative des Parlementaires belges de se saisir du débat sur la période coloniale et de tenter d’en objectiver les tenants et aboutissants. Toutefois, les signataires tiennent à rappeler que seul un processus de justice holistique et inclusif est aujourd’hui à même de guérir les blessures de la société belge en vue d’un vivre ensemble harmonieux et de restaurer la dignité des victimes de la colonisation belge en Afrique.

Les signataires

  • African Futures Action Lab
  • Avocats Sans Frontières
  • Bamko-cran asbl
  • CaCoBuRwa
  • Christophe Marchand

La prison en Tunisie : inerties du tout répressif

En Tunisie, les acteur.rice.s de la chaîne pénale tendent à perpétuer les réflexes répressifs de l’ancien régime de Ben Ali. La surpopulation carcérale y reste très élevée : environ 131% de taux d’occupation avec 23.607 détenu.e.s à la fin 2020 (prévenu.e.s et condamné.e.s confondu.e.s) pour environ 18.000 places disponibles, avec pour corollaire des conditions de détention en deçà des standards internationaux.

Les mesures prises pour contrer la pandémie avait permis d’infléchir un temps les chiffres. Entre mi-mars et fin avril, 8.551 détenu.e.s ont été libéré.e.s, soit une chute de 37% de la population carcérale. Cette décrue fut notamment le fruit de la mobilisation de plusieurs organisations de la société civile, dont Avocats Sans Frontières et ses partenaires du projet « L’Alternative ». En multipliant les appels à la décroissance de la population carcérale, la société civile a contribué à cette baisse notable du taux d’occupation des prisons.

Mais cette déflation historique ne fut que temporaire. Résultat de mesures conjoncturelles (grâces présidentielles, moindre placement en détention préventive et libérations conditionnelles accrues), cette baisse a rapidement été effacée par les dynamiques structurelles répressives dont souffre toujours la politique pénale tunisienne. 

Le conservatisme des juges, les difficultés d’accès à une défense dès le moment de la garde à vue, le recours massif à la détention préventive (62% des personnes incarcérées sont des prévenu.e.s), l’emprisonnement pour des délits mineurs (comme la consommation de cannabis ou encore les chèques impayés), le faible recours aux peines alternatives à la prison sont autant de facteurs qui expliquent la persistance de ce taux élevé d’incarcération.

Changer les mentalités et s’éloigner de ces réflexes répressifs, notamment au niveau de la magistrature, est un travail à mener sur le long terme. C’est pourquoi une attention toute particulière est accordée au développement d’un plaidoyer auprès des acteur.rice.s de la chaîne pénale et des décideur.euse.s politiques. Celui-ci est d’autant plus important que des réformes du Code pénal et du Code de procédure pénal, dont l’aboutissement serait nécessaire à tout changement structurel significatif, sont en cours.

Pour contribuer à la réforme de la politique pénale et carcérale en Tunisie, ASF poursuit son travail auprès de ses partenaires malgré le ralentissement de la transition démocratique et une période d’instabilité politique en Tunisie. Notamment à travers son projet « L’Alternative », l’organisation fournit un appui technique et financier à des organisations de la société civile qui travaillent aux différents niveaux de la chaîne pénale (avant, durant et après l’incarcération).

Les cliniques juridiques pour soutenir l’accès à la justice en temps de pandémie

Partout dans le monde, la pandémie a éloigné encore un peu plus les justiciables de la justice. Au Maroc, ASF mise depuis plusieurs années sur des cliniques juridiques, installées dans des universités, pour promouvoir l’accès à la justice, particulièrement pour les personnes en situation de vulnérabilité. Sous la supervision d’enseignant.e.s et de professionnel.le.s du droit, des étudiant.e.s y délivrent des services juridiques à la population.

Durant la pandémie, ces structures ont permis à ASF et son partenaire local, l’association Adala, de maintenir le lien avec les justiciables, et notamment avec l’un de leur principal public cible : les femmes victimes de violence. Car l’un des effets pervers du confinement imposé pour contenir la propagation du virus fut l’augmentation conséquente des signalements de faits de violences conjugales. L’impossibilité de se déplacer et la fermeture des certaines administrations privèrent les victimes de violence conjugale des systèmes de prise en charge habituels.

Pour répondre à ce problème, la clinique juridique a continué à assurer des consultations et de l’orientation juridiques via des consultations téléphoniques et par l’intermédiaire de l’application What’s app. En prenant en compte les habitudes d’utilisation des bénéficiaires, ASF a pu maintenir le contact avec les femmes victimes de violence pour les accompagner durant le confinement.

La pandémie a aussi représenté un défi pour l’organisation des cliniques juridiques. Les déplacements vers les prisons et les centres de protection mais aussi l’accès aux locaux des cliniques juridiques furent limités. Pour pallier à cette situation, 4 avocates ont assuré un service via différentes plateformes digitales (Zoom et Whatsapp) pour accueillir les appels des justiciables et répondre à leurs besoins en matière d’écoute, de conseil et d’orientation juridiques.

Les séances de coaching et de renforcement des capacités en ligne à l’attention des étudiant.e.s ont connu un réel succès. Malgré quelques difficultés d’adaptation au début, les étudiant.e.s, soutenu.e.s par des avocat.e.s, ont pu assurer la réception des plaintes et l’orientation des victimes.

Les cliniques juridiques ont également organisé des procès fictifs via zoom, pour préparer les étudiant.e.s à la numérisation de la chaîne pénale du monde judiciaire (et en particulier aux procès à distance). Cette activité a permis à ASF d’anticiper les défis à venir liés à cette transformation.

Entre les murs – Mohamed Ramsis Ayari « La véritable bête noire en prison, c’est la surpopulation »

Mohamed Ramsis Ayari – Association des Juristes de Sfax  – Projet « Vers une rénovation du système pénal et pénitentiaire en Tunisie »

Au sein du projet l’Alternative, financé par l’Union européenne et mis en œuvre par ASF et ATL MST SIDA, l’Association des Juristes de Sfax cherche à moderniser le système pénal et pénitentiaire en Tunisie. À travers diverses actions de plaidoyer et de sensibilisation menées avec les magistrat.e.s ou encore le personnel pénitentiaire de Sfax, l’association œuvre dans l’objectif général de réduire la surpopulation carcérale en Tunisie via, notamment, le développement des peines alternatives à l’incarcération.

Pouvez-vous vous présenter et présenter le travail de l’Association des Juristes de Sfax ?

Je suis Mohamed Ramsis Ayari, avocat à la Cour de Cassation, enseignant universitaire en Droits de l’Homme et Libertés publiques à l’Université de Sfax, coordinateur local des élections depuis 2011 et membre de l’instance supérieure indépendante des élections de Sfax depuis 2014. Je suis également membre de l’Association des Juristes de Sfax depuis 2003, son secrétaire général depuis 2015 et coordinateur du projet « Vers une rénovation du système pénal et pénitentiaire en Tunisie ».

L’Association des Juristes de Sfax est une association née en 1988 et qui a une expérience dans tous les sujets de droits, y compris les Droits de l’Homme et les Libertés Publiques. Ses membres sont des avocat.e.s, des juges, des professeur.e.s de droit et des chercheur.euse.s. Notre action consiste essentiellement en la promotion auprès du législateur de la révision des textes juridiques, au regard du caractère défaillant du système légal et juridictionnel actuel. Nos actions de plaidoyer s’étendent donc à l’ensemble des acteurs de la chaîne pénale.

En quoi consiste le projet que vous portez ? Quel a été le diagnostic à l’origine du projet ?

Le diagnostic est le suivant : la législation pénale tunisienne est répressive et non rééducative. Elle est marquée par sa lourdeur procédurale, l’inégalité d’accès de tou.te.s les justiciables à un procès équitable dans des délais raisonnables, un système de probation embryonnaire et un très faible recours aux peines alternatives à l’incarcération. La conséquence de l’ensemble de ces dysfonctionnements est une surpopulation carcérale systémique. Cet état de faits est la raison pour laquelle le projet que nous portons dans le cadre de l’ »Alternative » est principalement pensé dans l’objectif de lutter contre cette surpopulation carcérale et de concourir à l’instauration d’un bureau de probation à Sfax, ce qui est chose faite depuis mars 2021.

Le projet, qui a débuté en avril 2019, vise à moderniser le système pénal et pénitentiaire, spécifiquement en ce qui concerne les peines alternatives. Nous voulons pousser le législateur à consacrer ces peines. Certes, certaines le sont déjà (bracelet électronique, travail d’intérêt général…), mais le panel dont l’on vise l’adoption s’étend à 18 mesures au total. L’objectif est d’ailleurs double : à la fois la consécration législative de ces peines (par une loi ou un décret) et leur mise en œuvre pratique.

Pour en savoir plus sur la probation, vous pouvez consulter la rubrique détention du site ROJ (Réseau d’Observation de la Justice tunisienne) et l’article Peines alternatives et probation en Tunisie : obstacles et perspectives

Quelles activités avez-vous mis en œuvre à ce jour ?

Le projet se décline donc en plusieurs types d’activité. D’abord, nous avons organisé des sessions de sensibilisation auprès des juges pénaux afin de les encourager à prononcer des peines alternatives déjà consacrées par le législateur – autrement dit exploiter l’existant. Nous travaillons également, aux côtés d’expert.e.s juristes, sur des recommandations relatives à la refonte du Code Pénal et du Code de procédure pénale. L’idée n’est pas de se substituer au travail déjà existant [deux commissions de révision ont déjà fait des propositions de réforme des deux Codes, ndlr] mais de proposer des recommandations spécifiques liées à l’objectif général de réduction de la population carcérale. Autrement dit, via la réduction du recours à la détention préventive [62% des détenus étaient des prévenus en Tunisie en 2020, ndlr] et le développement des peines alternatives à l’incarcération. L’ouvrage issu du travail du comité sera présenté aux député.e.s de l’Assemblée des Représentants du Peuple.

En plus de ces actions de plaidoyer, nous avons organisé des sessions de sensibilisation/formation à destination d’une soixantaine de cadres et d’agent.e.s pénitentiaires de la Prison de Sfax. A posteriori, tou.te.s se sont montrés ravi.e.s du contenu de ces sessions, mais au départ, il a été difficile d’initier le processus. En effet, le personnel pénitentiaire a vraiment cherché à nous faire comprendre, dès le départ, que la situation n’était pas manichéenne. La surpopulation carcérale est un problème pour tou.te.s, et influe tant sur les conditions de travail du personnel que leurs droits et ceux des détenu.e.s. Ce recadrage nous a aussi permis de notre côté de voir les choses différemment, d’adapter les sessions au regard de cette nécessité de prendre en compte les difficultés de l’ensemble des parties (détenu.e.s comme personnel pénitentiaire). Beaucoup d’idées sont venues de ces échanges avec eux.elles, et notre capacité d’écoute, face à leurs problématiques et à la réalité de leur travail (un stress très important) ont permis in fine une grande assiduité des agent.e.s et des cadres à toutes nos formations.

Enfin, nous avons appuyé juridiquement plusieurs détenu.e.s en détention préventive afin de leur accorder une aide légale qu’ils n’auraient pas les moyens d’obtenir par ailleurs. Cette action a également été un grand succès puisque 70% des prévenu.e.s que nous avons assistés ont été libéré.e.s. L’on a noté que le profil de ces prévenu.e.s est par ailleurs particulièrement homogène : une majorité écrasante sont des jeunes entre 20 et 30 ans et sont dans des situations socio-économiques très fragiles.

Quelles sont les actions à venir, pour la dernière année du projet ?

Nous envisageons de réaliser des formations spécifiquement dédiées aux agent.e.s de probation de Sfax, 7 personnes au total. Nous allons également développer un guide pratique sur le travail d’intérêt général (TIG) à l’attention des structures d’accueil, afin de sensibiliser les entreprises publiques et autres collectivités publiques locales à la culture de la probation. Il faut savoir en effet que la plupart des structures qui seraient susceptibles d’accueillir des TIGistes (Personnes devant effectuer des travaux d’intérêt généraux, ndlr) refusent par méfiance. Il faut donc à la fois faire un travail de sensibilisation, mais aussi, à mon avis, imposer par la voie réglementaire une obligation d’accueil pour ces entités publiques.

De manière générale, le défi principal est de diffuser la culture de la probation. Les mentalités restent répressives, et la politique pénale l’est de fait. Les acteur.rice.s pénaux.les comme l’opinion publique sont réfractaires, on va donc aussi développer des spots de sensibilisation autour du TIG et de la probation qui seront diffusés par les médias et sur les réseaux sociaux. C’est un bon moyen pour influer sur les mentalités.

Enfin, nous allons assurer des sessions d’informations juridiques auprès des détenu.e.s de Sfax afin de leur apporter une connaissance de leurs droits et qu’ils puissent aussi prendre les décisions en conséquence. Pour être plus pertinent.e.s, on va subdiviser ces sessions entre prisonnier.ère.s déjà jugé.e.s et prévenu.e.s, dont les besoins d’information juridique sont sensiblement différents.

Quels ont été les retours des acteur.rice.s qui y ont participé ?

Un des très bons signaux a été le fait que le Ministère de la Justice lui-même a soutenu nos activités de sensibilisation auprès des juges pénau.les. Il a ainsi exigé la présence de l’ensemble des procureur.e.s, Président.e.s des tribunaux et juges pénaux.les de Sfax. Cette bonne relation a aussi facilité l’ouverture du bureau de probation puisque le Ministère de la Justice s’est engagé dès 2020 auprès de nous quant à son ouverture prochaine. Par ailleurs, grâce à nos actions de sensibilisation, la première peine de placement sous bracelet électronique prononcée en Tunisie l’a été à Sfax en juin 2021.

Quant au Comité Général des Prisons et de la Rééducation (CGPR), la convention de partenariat que nous sommes parvenu.e.s à conclure avec eux.elles nous a donné des ailes et nos relations avec l’administration pénitentiaire, y compris à Sfax, sont désormais de très bonne facture. Le succès des sessions de sensibilisation/formations a également contribué à la qualité de cette relation. Notre capacité à prendre en compte les besoins des agent.e.s et cadres de la prison les a convaincu.e.s de la sincérité de notre engagement pour l’amélioration des conditions en prison – que ce soit pour ceux.elles qui y sont emprisonné.e.s ou pour ceux.elles qui y travaillent.

Quel est votre retour d’expérience au sein de l’Association des Juristes de Sfax ? 

La principale plus-value a été le renforcement de notre expertise, je pense notamment au travail avec les agent.e.s et cadres pénitentiaires. Le projet a aussi permis d’élargir les partenariats de l’association, et d’établir une relation de grande confiance avec les juges pénaux?les et l’administration pénitentiaire.

Bien que votre travail ne soit pas directement mis en œuvre en détention, quelle est votre appréciation de la situation dans la prison de Sfax aujourd’hui (population carcérale, conditions de détention, conditions de travail du personnel pénitentiaire etc…) ?

Tout est lié à la surpopulation carcérale. C’est la véritable bête noire. Elle influe sur tout : les conditions de travail, de détention… Comment peut-on parler de droits, et de droits humains alors que les détenu.e.s dorment à trois, tête bêche, dans le même lit ? Comment peut-on exiger un quelconque respect de quelque standard de droits humains ? Il y a un véritable lien de causalité entre surpopulation et dégradation des conditions de travail et de détention. Les agent.e.s se retrouvent parfois à superviser trente détenu.e.s, c’est absolument énorme. En moyenne, la prison accueille autour de mille détenu.e.s, mais selon les moments, cela peut atteindre 1500, 1600 détenu.e.s. Et plus de la moitié d’entre eux.elles sont des prévenu.e.s, et sont donc privé.e.s de liberté sans procès. D’ailleurs, cela a été très intéressant d’apprendre lors de nos échanges avec les cadre et les agent.e.s de la prison la différence entre travailler avec des prévenu.e.s et des condamné.e.s. Ces dernier.ère.s ont une idée claire de leur avenir, une date de sortie, au pire sont dans une démarche d’appel de leur condamnation. Mais quelque part il.elle.s sont plus serein.e.s que les prévenu.e.s, que le flou de la situation rend très agité.e.s.

A quel(s) changement(s) souhaitez-vous contribuer via votre action ? Quelles sont pour vous les réformes nécessaires en matière pénale et carcérale ? En matière de probation spécifiquement ?

L’année passée, pendant la première phase du Covid-19, on est parvenu.e.s un temps, notamment via les actions de plaidoyer menées avec les autres membres de l’Alternative, à faire réduire la population carcérale de la prison de Sfax à un niveau d’occupation normale, soit 1000 détenu.e.s. Mais cette baisse n’a été que temporaire, puisque dès la deuxième moitié de l’année 2020, on était revenus à la « normale », c’est-à-dire une occupation de 130 à 160%. Donc pour nous, un des changements souhaitables, ça serait que cette surpopulation disparaisse pour de bon. Et l’expérience de 2020 nous a montré que c’était possible.

Focus : l’évolution de la population carcérale en 2020

Ce que l’on veut aussi, c’est réussir à insuffler une culture de la probation et à la faire accepter, du grand public comme de l’ensemble des acteur.rice.s de la chaîne pénale.

Quant aux réformes nécessaires, la priorité à ce jour à mes yeux est de créer une loi qui réglemente la probation et clarifie son fonctionnement. Et ce tant d’un point de vue organisationnel –le bureau de probation doit relever du Ministère de la Justice et être présidé par un.e juge d’exécution des peines- ; que d’un point de vue budgétaire, logistique, et fonctionnel.

Il faut aussi absolument amender le Code Pénal et le Code de procédure pénale, dans leur globalité, et particulièrement les dispositions qui sont responsables de la surpopulation carcérale – notamment l’épineuse question de la détention préventive.

Quel est rôle des organisations de la société civile dans les prisons et en matière de réforme pénale ? Comment pourrait-on à votre avis inscrire cette dynamique société civile/milieu carcéral dans le cadre d’une action durable ?

Leur rôle est pour moi multiple. Dans les prisons, les OSCs peuvent apporter une aide psychologique ou juridique aux détenue.e.s, organiser des activités culturelles, etc. Hors des murs de la prison, notre rôle est de porter un plaidoyer constant pour pousser les acteur.rice.s de la chaîne pénale et les décideur.euse.s politiques à s’engager pour simplifier, clarifier et humaniser la politique pénale tunisienne vers davantage de rééducation et moins de répression.

La principale action pour rendre durable cette présence de la société civile dans le débat pénal et carcéral, et aussi concrètement sur le terrain, c’est de chercher à conclure des conventions de partenariat, notamment avec les directions de prison et le CGPR. À partir de là, tout devient plus facile. On a d’ailleurs en tête, chez l’AJS, de laisser à la prison de Sfax tout le contenu des sessions de formation afin qu’ils puissent poursuivre avec les nouveaux staffs qui arrivent et que notre action, y compris sans nous, se poursuive.

Si vous souhaitez en savoir plus sur le système judiciaire tunisien et la question de la détention, n’hésitez pas à consulter le site ROJ (Réseau d’Observation de la Justice tunisienne) ainsi que les autres interviews « Entre les murs » des partenaires du projet : Walid Bouchmila (Horizon d’Enfance) et Omar Ben Amor (Art Acquis).

Le projet L’Alternative est financé par l’Union européenne

La médiation communautaire pour promouvoir l’accès à la justice

En Ouganda, l’accès à la justice est limité par les ressources financières des populations locales mais aussi par leur éloignement géographique des cours et tribunaux. La plupart des services judiciaires se concentrent dans les zones urbaines et dans la région centrale du pays. Seul 18.2% de la population habitant dans les zones rurales peut accéder à un tribunal dans une distance de 5 km ou moins (contre 56% dans les zones urbaines.) Ces difficultés d’accès poussent souvent les victimes violations et plus globalement les justiciables à renoncer à leurs droits.

Les femmes sont confrontées à des obstacles supplémentaires pour accéder à la justice formelle. Elles renoncent souvent à recourir aux cours et tribunaux à cause des normes patriarcales et des discriminations de genre toujours bien présentes dans la société ougandaise. Il est par exemple considéré comme inapproprié pour une femme de parler d’affaires familiales dans l’espace public.

Pour toutes ces raisons, beaucoup de personnes ont recours à la justice informelle pour régler leurs conflits. Et les médiateur.rice.s communautaires ont un rôle important à jouer pour soutenir les populations locales dans leur demande de justice, particulièrement les femmes qui font face à des obstacles structurels et peinent à trouver des espaces pour exprimer leurs griefs.

ASF, à travers les projets de médiation LEWUTI et de la DGD, a offert des services de médiation à 633 personnes dans les sous-régions de Karamoja, Albertine et Acholi. Les médiations menées par des praticien.ne.s formé.e.s par ASF ont été bien accueillies par la population. Dans le cadre du projet LEWUTI par exemple, 94% desbénéficiaires se sont déclaré.e.s satisfait.e.s des services prodigués.

La structuration du projet a été un facteur clé de sa réussite. Le programme de médiation communautaire, financé par ENABEL et la DGD, a permis de fournir les fondations pour mettre en place des services de médiation fondés sur le respect des droits humains. Des personnes de confiance à l’intérieur de ces communautés ont vu leur capacité renforcées dans la résolution de conflit. Les médiateur.rice.s travaillent au sein de leur communauté et y fournissent des services gratuits de médiations.

Chaque médiateur.rice bénéficie d’un.e coach et d’un.e mentor pour leur permettre de guider au mieux les communautés locales sur les questions légales, et dans le choix des recours à entreprendre pour résoudre leurs conflits. La formation continue a considérablement amélioré la qualité des services rendus par les praticien.ne.s. Cela leur a également permis de gagner la confiance de leur communauté. Les chefs locaux et les anciens renvoient maintenant régulièrement vers les médiateur.rice.s entrainé.e.s par ASF dans le cadre de règlement de conflits entre membres de la communauté.

Les services fournis par les médiateur.rice.s communautaires ont été particulièrement utiles lors de la crise pandémique, notamment à cause des restrictions imposées. Il.elle.s ont joué un rôle crucial en offrant une assistance judiciaire de première ligne durant la crise, qui fut source d’encore plus d’inégalités dans l’accès à la justice, particulièrement dans les zones rurales.