Détenu sans raison depuis 10 ans

Makala, qui veut dire « charbon » en lingala, est la prison centrale de Kinshasa. C’est aussi l’un des principaux pénitenciers d’Afrique : on y compte 8.500 détenus dans un complexe de pavillons et de baraquements en brique et en tôle, conçu initialement pour héberger 1.500 personnes. C’est une petite ville, un écosystème, où tout se monnaie, s’échange, se négocie jusqu’à l’espace au sol pour se coucher. Certaines cellules de 100 m2 abritent 200 détenus dont beaucoup dorment à même le sol. Ceux-ci sont sous-alimentés et connaissent de graves problèmes de malnutrition. Les coups, les mauvais traitements peuvent parfois conduire à la mort. L’extrême promiscuité et la précarité créent inévitablement des conflits qui ne seront gérés que dans la violence. Aujourd’hui, à la prison de Makala, nous avons croisé F. En 2009, F. avait 23 ans et habitait à Ndjili, une commune à l’Ouest de Kinshasa, située à proximité de l’aéroport. Cette année-là, il a été pris à partie dans un conflit foncier qui opposait sa tante et un voisin. F. a été entendu comme témoin. Ayant refusé de donner l’adresse de sa tante, il a été poursuivi pour vandalisme et écroué à Makala. Quelques jours plus tard, il est passé devant le juge qui devait statuer sur sa remise en liberté. Depuis, plus de nouvelle. F. est resté à Makala. Comme beaucoup d’autres, il est tombé dans l’oubli, noyé dans les registres manuscrits de la prison. F. est donc détenu arbitrairement depuis 10 ans, sans jamais avoir été jugé. Pour vandalisme. Il y a quelques semaines, un avocat partenaire d’ASF est tombé sur F. En fouillant un peu, il a découvert qu’ en 2012, un magistrat avait classé le dossier sans suite. F. aurait donc du être libéré, mais sans communication entre le parquet et l’administration pénitentiaire, personne n’a jamais été informé de la décision qui permettait sa libération. F. a passé 10 ans de sa vie en prison, dans des conditions atroces. Dans quelques semaines, F. sera sans doute libéré.* Mais à Makala, on compte des centaines de personnes dans cette situation : près de 80% des détenus y sont en détention préventive. Dès lors, quelles sont les solutions ? Premièrement, il est nécessaire de s’émanciper des vieilles recettes qui font en priorité appel à la construction de prisons, aux réformes légales et aux formations de magistrats. Rien que sur ce dernier point, l’expérience démontre que les magistrats connaissent en général les principes de procédure pénale de droit interne. Ces mesures n’ont pas d’impact démontré sur l’amélioration du système pénal. Ensuite, il faut reconnaître les causes principales du recours abusif à la détention préventive. L’expérience d’ASF met en évidence les motifs non-avoués des acteurs du système pénal qui poursuivent des buts précis, lesquels sont parfois en contradiction avec la norme. Parmi ces motifs, on retrouve, de façon cumulative ou non :
  • des motifs politiques : l’ordre vient « d’en haut » et la détention préventive permet de mettre à l’écart des voix dissidentes. Cela a particulièrement été le cas dans le contexte pré-électoral congolais ;
  • des motifs répressifs : la détention préventive est excessivement activée, de façon consciente ou non, pour réprimer un comportement, plutôt que pour faciliter l’instruction d’un dossier pénal ;
  • des motifs économiques : l’action publique est détournée pour obtenir des avantages économiques. Ce détournement prend la forme d’extorsions, éventuellement dissimulées par une mesure légale (amende transactionnelle, cautionnement…).
Enfin, toute action portée vers le changement doit nécessairement prendre en compte le caractère complexe des logiques et interactions qui poussent les acteurs du système pénal à appliquer ou à s’écarter de la règle. En termes d’action, il s’agit notamment:
  • de considérer la population comme un levier de changement pour influencer positivement les pratiques pénales ;
  • d’instaurer une concertation régulière avec tous les acteurs du système pénal ;
  • d’intégrer la société civile comme acteur d’influence visant à interpeller et responsabiliser les acteurs du système pénal de façon continue sur les cas graves de violation des droits humains.
Concrètement, pour défendre les cas comme celui de F., ASF et ses partenaires portent des recours devant les juridictions nationales, mènent des campagnes de plaidoyer et appuient l’organisation d’actions citoyennes. Mais pour accroître l’impact, il faut agir de façon continue, à travers un réseau d’action porté par des avocats activistes, des académiques et des membres de la société civile. Ce réseau est en train de voir le jour à travers l’action d’ASF, tant au niveau de la RDC qu’au niveau international. Pour veiller et pour lutter. Mais surtout pour que les détenus oubliés comme F. puissent être défendus et que leurs droits soient réhabilités. *F. a finalement été libéré en janvier. Nous luttons maintenant pour l’aider à obtenir des réparations. Bruno Langhendries

Communiqué de presse : Saisine du PCN français pour établir la transparence sur les activités du Groupe Perenco en Tunisie

ASF et I Watch sont unies dans la promotion des principes de respect et protection des droits humains dans le contexte des activités économiques. C’est dans ce cadre que nous avons saisi le 26 juillet 2018 le Point de contact national (PCN) français de l’OCDE au sujet des activités du Groupe Perenco dans le gouvernorat de Kebili en Tunisie, et de leur conformité avec les Principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales. Ces principes posent des normes de conduite que les entreprises doivent adopter en matière de respect des droits humains, de l’environnement, des droits des travailleur-se-s, et de lutte contre la corruption et de fiscalité. La France et la Tunisie ont toutes deux adhéré à ces principes. L’adhésion engage les Etats à mettre en place un Point de Contact National qui veille à la promotion et au respect des Principes directeurs par les entreprises multinationales. Les PCN remplissent aussi une fonction extra-judiciaire de résolution des différends pour traiter des plaintes ou « circonstances spécifiques » portées par toute personne intéressée et visant le comportement d’une entreprise. La saisine est avant tout motivée par un souci de transparence sur les activités extractives menées par le groupe autour des puits d’hydrocarbures situés dans les délégations d’El Faouar et de Douz, dans la région de Kebili, et qui font l’objet de contrats de concession entre l’Etat tunisien et le groupe Perenco. Ces sites sont régulièrement le théâtre de mouvements sociaux de la part des populations locales, inquiètes de l’impact que ces activités ont ou peuvent avoir sur la santé et l’environnement. Après avoir essayé en vain d’entrer en contact avec la filiale tunisienne du Groupe Perenco afin d’obtenir des informations sur ses activités et d’entamer une démarche de dialogue, ASF et I Watch se sont tournées vers le PCN français pour établir un cadre de dialogue et ainsi tenter de pallier au manque d’informations relative à la nature des activités menées sur ces sites, les risques qu’elles peuvent poser pour les droits humains et l’environnement et les mesures prises par l’entreprise pour les prévenir et atténuer. ASF et I Watch regrettent que plus d’une année se soit déjà écoulée depuis le dépôt de la saisine, du au refus initial de l’entreprise de reconnaître la compétence territoriale du PCN français. Nous accueillons toutefois positivement le revirement de l’entreprise, annoncé dans le communiqué publié le 6 décembre 2019 par le PCN français venant clôturer la phase d’évaluation initiale. Nous notons malgré tout que le PCN a accordé une importance disproportionnée aux différents montages juridiques résultant en « une filiale tunisienne, société de droit des Îles Cayman », en dépit de la réalité du lien entre la société basée en France et sa filiale tunisienne et de l’esprit des Principes directeurs. Nous espérons, sous les auspices du PCN français, pouvoir engager avec le Groupe Perenco une discussion ouverte sur son système de diligence raisonnable en Tunisie, ses obligations fiscales envers l’Etat tunisien et la nécessité d’inclure les populations riveraines de ses sites d’activités dans les décisions affectant leurs droits et leur environnement. Contact presse – International : Simon Mallet, smallet@asf.be Contact presse – Tunisie : Zeineb Mrouki (ASF Tunisie), zmrouki@asf.be ; Manel Ben Achour (I WATCH), manel@iwatch-organisation.org  

Clés pour l’accès à la justice en République centrafricaine

Engagée en République centrafricaine depuis 2015, Avocats Sans Frontières y mène divers projets et études visant à renforcer l’état de droit et promouvoir l’accès à la justice. Grâce à son travail de terrain, ASF a pu constater que face aux difficultés d’accès à l’avocat et à une justice étatique de qualité, les citoyens centrafricains ont largement délaissé la justice étatique au profit d’acteurs de proximité, tels que les chefs de quartiers, les leaders religieux, les organisations de la société civile, etc. Pour ASF, toute stratégie d’aide au développement ne tenant pas compte de cette pluralité d’acteurs et de pratiques de résolution de conflit ne correspond pas aux besoins et moyens d’action et est dès lors d’avance vouée à l’échec.

Une justice étatique défaillante

Les institutions judiciaires centrafricaines, déjà fragiles avant la crise de 2013, se sont effondrées lors de la crise. Dans leur parcours de justice, les Centrafricains doivent faire face à de nombreux obstacles. D’une part, le faible déploiement des tribunaux étatiques au-delà de la capitale compromet gravement l’accès matériel au prétoire de justice. D’autre part, les forces de l’ordre s’érigent bien souvent en instances de justice et traitent, en interne etsans compétences légales, les cas qui leur sont rapportés. Par ailleurs, de nombreux cas de corruption, d’extorsions, d’intimidations et de détentions arbitraires sont rapportés.

Des avocats peu accessibles

Le coût élevé des services, le manque criant d’effectif et la nature des cas traités (principalement en droit économique), rendent l’accès à un avocat peu réaliste pour une vaste majorité des Centrafricains. Les avocats jouissent malgré tout de la confiance de la population. Nombreux se disent prêts à leur confier leurs cas, à condition que la tarification soit proportionnée à leurs moyens.

Une justice alternative prépondérante

Face à la faible présence d’institutions judiciaires étatiques et à leurs dérives, de nombreux Centrafricains saisissent des forums de proximité pour résoudre leurs conflits (chefs de villages, chefs de quartiers, leaders religieux, etc.). Si elle a l’avantage d’être plus accessible, cette forme de justice – dite alternative – n’est pas exempte de toute critique. D’une part, elle crée des conflits de compétence et des confusions dans le chef de citoyens. D’autre part, des cas de discrimination, de corruption et d’intimidation y sont aussi dénoncés.

La nécessité d’envisager le système de justice centrafricain de manière holistique

Sur le terrain, ASF constate que beaucoup de stratégies mises en place pour améliorer l’accès à la justice en RCA se limitent au renforcement du système de justice étatique. Pour ASF, de telles stratégies ne tiennent pas compte de la pluralité d’acteurs et de pratiques et ne correspondent pas aux réalités de terrain, de sorte qu’elles sont vouées à l’échec. Partant, ASF exhorte l’ensemble des acteurs engagés pour l’accès à la justice en RCA à tenir compte de ces réalités et à adapter leurs stratégies d’intervention en conséquence. Pour en lire plus sur ces études, cliquez ici.
Photos © ASF / Gaïa Fisher – Cynthia Benoist

Les organisations de défense des droits humains, des acteurs devenus incontournables au Tchad

N’Djamena, le 27  juin 2019 – Au Tchad, ASF soutient les organisations de défense des droits humains (ODDH) dans le but de renforcer l’impact et la portée de leurs actions. En mars dernier, nous sommes partis à la rencontre des justiciables, des autorités locales, des acteurs judiciaires et des membres des ODDH, pour recueillir leurs opinions au sujet du travail de ces dernières. Au cours des entretiens menés à Bongor, Moundou et Sarh, l’ensemble des personnes interrogées ont témoigné de leur grande satisfaction à l’égard des activités des ODDH. Les justiciables saluent les campagnes de sensibilisation et les accompagnements individuels réalisés par les ODDH, qui leur permettent non seulement de prendre conscience de leurs droits, jusque-là méconnus, mais aussi de recevoir une aide précieuse pour rédiger leurs plaintes et requêtes. Ils appellent de leurs vœux l’intensification et l’expansion des activités des ODDH dans tout le pays, comme en témoigne ce bénéficiaire : « Par des orientations, des conseils et sensibilisations, les défenseurs des droits de l’homme aident véritablement tous ceux qui sollicitent leurs services. On va à tâtons et ce sont les ODDH qui nous aident.  »

S’ils admettent que certaines réticences envers les ODDH ont pu exister par le passé, les chefs de quartiers, les préfets et autres autorités provinciales reconnaissent aujourd’hui qu’il existe une convergence entre leur mission et celle des ODDH, à savoir assurer la sécurité des personnes et de leurs biens. Là où certains qualifient les ODDH de « boussoles qui nous guident dans notre mission » d’autres soulignent leur « travail remarquable. » Ils aspirent à une intensification des activités des ODDH et au renforcement et l’amélioration de leur collaboration. Les juges et les greffiers voient leur travail simplifié par le travail des ODDH. Ils constatent que les justiciables s’étant rendus devant les ODDH avant d’ester en justice sont mieux préparés aux audiences. Ils comprennent mieux leurs droits, maîtrisent mieux les procédures, sont munis de plaintes et requêtes de meilleure qualité et ont plus de facilités à répondre aux questions posées. Une greffière interrogée met tout de même en garde contre les pratiques de certains membres des ODDH, qui parfois poussent les justiciables à entamer des démarches qu’ils ne souhaitent pas entreprendre ou se montrent partiaux. Les procureurs attestent de la complémentarité de leur travail et de celui des ODDH : « A mon avis, la présence des ODDH sur le terrain est un atout pour le magistrat. Celui-ci est confiné dans son bureau, c’est le défenseur des droits de l’homme qui lui fournit plus d’informations sur les bavures. Le magistrat en tire les conséquences avant de mettre en mouvement l’action publique. C’est grâce aux défenseurs des droits de l’homme que nous apprenons des pratiques horribles qui se passent dans les zones reculées du Tchad. » Certains procureurs invitent tout de même les ODDH à être prudentes et à vérifier leurs informations, sans quoi les dénonciations sont parfois erronées. Les membres des ODDH interrogés rapportent quant à eux que si les relations avec les autorités dans certaines régions demeurent conflictuelles, une amélioration et une volonté de dialogue sont néanmoins observables. Ils regrettent qu’une forme de mécompréhension de leur rôle demeure et génère des relations conflictuelles avec certaines autorités et des confusions pour les citoyens. Ils entendent intensifier leurs activités pour y remédier et pour augmenter le nombre de personnes aidées, mais ne manquent pas de rappeler que de telles démarches seront limitées par leurs difficultés budgétaires. Ces entretiens ont été réalisés par le Collectif des Associations de Défense des Droits de l’Homme au Tchad, avec le soutien technique d’FAS et le soutien financier de l’Union européenne et de l’Ambassade de France au Tchad.   >> Téléchargez le photoreportage complet  
Photos © CADH & Saturnin Asnan Non-Doum pour le CADH et ASF

Entre méfiance et espoir: le regard des jeunes sur la gouvernance locale en Tunisie

Tunis, le 22 mai 2018 – Depuis près de trois ans, ASF et IWatch soutiennent l’implication et la participation constructive des citoyens tunisiens dans la gouvernance locale en matière de gestion des ressources naturelles. Une enquête sur la perception des jeunes a été menée dans les régions extractives de Tataouine et Médenine. L’analyse des résultats dévoile leur méfiance envers les institutions politiques, à l’aube des élections municipales du 6 mai dernier. Le vent de contestation qui a balayé la Tunisie en 2011 n’a pas fini de souffler, en particulier sur les régions Sud du pays, encore en proie à des nombreux défis sociaux, économiques et environnementaux. Malgré leur fort potentiel en ressources naturelles, elles affichent des taux élevés de chômage et de pollution, ainsi qu’une désertification inquiétante. Premières victimes de cet état de fait, les jeunes sont à l’initiative de nombreux mouvements sociaux revendiquant plus de transparence et de redevabilité des entreprises publiques et privées ainsi qu’un meilleur partage des richesses issues de l’exploitation des ressources naturelles. A travers une enquête de terrain, ils confient leur vision, leurs espoirs et leurs attentes. L’enquête répond à deux objectifs : donner la parole aux jeunes citoyens de Tataouine et Médenine en matière de démocratie locale et de gestion durable des ressources, et permettre aux élus municipaux, d’apprécier le degré de confiance que ces jeunes accordent aux institutions locales et nationales. Entre novembre et décembre 2017, 650 personnes âgées entre 18 et 35 ans ont été interrogées dans les deux gouvernorats. Un fil conducteur relie la plupart des réponses : la forte méfiance des sondés vis-à-vis des institutions étatiques et des partis politiques – seul l’échelon local fait exception, avec un taux de confiance relativement positif. Si les jeunes cultivent un fort sentiment d’appartenance régionale et nationale, ils sont peu optimistes quant à l’avenir de leur pays. Ils sont d’ailleurs majoritaires à ne nourrir aucun espoir de voir leurs conditions de vie s’améliorer au cours des trois prochaines années. Malgré un faible taux d’inscription aux élections municipales (45%), ils ont conscience de l’importance de la démocratie participative. Mais la transparence douteuse des élections et le manque d’informations dû au faible débat public et médiatique, freinent leur engagement dans la vie sociale et politique. Tout en étant le secteur principal en matière de développement économique, les ressources naturelles demeurent fortement méconnues. 69% des jeunes jugent négativement la gestion actuelle des ressources et pensent que le gouvernement manque à son devoir de contrôle et de surveillance des activités extractives. En dépit de cette méfiance généralisée, une grande majorité des jeunes sondés accordent encore un espoir à l’action collective et la citoyenneté. 58% d’entre eux ont indiqué être prêts à s’impliquer personnellement dans la lutte pour la transparence dans le secteur énergétique. ASF et IWatch appellent à la mise en place de mécanismes de démocratie participative et de gouvernance ouverte, afin de renforcer la connaissance et l’engagement de tous. Il revient à l’Etat tunisien de renforcer son contrôle sur la gestion des activités extractives et aux organisations de la société civile, aux syndicats et aux partis politiques, d’être d’avantage présents et accessibles dans les régions du Sud, afin d’offrir aux jeunes des cadres structurés de participation à la vie politique et citoyenne.
L’enquête a été officiellement présentée le 27 avril à Tunis © ASF
>> Télécharger l’enquête Les élections municipales dans les régions extractives : le regard de la jeunesse sur la gouvernance locale
Photo de couverture: le sondage s’est fait sous forme de questionnaire papier, présenté en face à face © ASF

Droits humains: la Tunisie sous examen

Tunis, le 2 mai 2017 – La Tunisie présente aujourd’hui son bilan en matière de droits humains, à l’occasion de l’Examen Périodique Universel initié par le Conseil des Droits de l’Homme des Nations Unies. Avocats Sans Frontières, avec d’autres organisations de la société civile, y a contribué par le biais d’un rapport alternatif. Elle appelle en particulier au retrait du projet de loi de réconciliation économique et financière, qui permettrait de clore les procédures judiciaires pour corruption lancées depuis le départ de l’ex-président Zine el-Abidine Ben Ali il y a six ans. L’Examen Périodique Universel (EPU) a comme objectif d’examiner, tous les quatre ans, la situation des droits humains dans les pays membres de l’Organisation des Nations Unies. C’est la troisième fois que la Tunisie y est soumise. Le processus consiste en une revue par les pairs (les autres Etats) du respect des engagements pris en matière de respect et de promotion des droits humains. La société civile nationale et internationale y contribue par le biais de rapports alternatifs qui sont pris en compte lors de l’examen. Avocats Sans Frontières (ASF) fait partie des ONG ayant contribué à ce bilan. Conjointement avec cinq de ses partenaires,* elle a partagé avec le Conseil des droits de l’Homme des Nations unies plusieurs préoccupations concernant la transition démocratique et la construction d’un état de droit en Tunisie. « Nous appelons notamment l’Etat tunisien à renforcer la lutte contre l’impunité, qui devrait constituer l’une des priorités de l’après-révolution », explique Antonio Manganella, Directeur pays d’ASF en Tunisie. « Le projet de loi dit de réconciliation économique, introduit en 2015 et à nouveau débattu aujourd’hui au Parlement, ne constitue pas un signe encourageant en ce sens. S’il venait à être adopté, il accorderait une large amnistie aux dirigeants, fonctionnaires et hommes d’affaires accusés de corruption ou de détournement de fonds. » Les milliers de procédures judiciaires lancées depuis 2011 seraient abandonnées, vidant de leur substance la justice transitionnelle et ses mécanismes de révélation de la vérité, d’arbitrage, de conciliation, de réparation, de réforme institutionnelle et de garantie de non-répétition. En plus d’appeler fermement au retrait du projet de loi, ASF et les autres organisations à l’initiative du rapport insistent sur la nécessité de garantir les libertés d’opinion, d’expression, d’association, de rassemblement et de manifestation, d’abolir la peine de mort et la pratique de la torture, et de garantir et protéger l’égalité et la non-discrimination à l’égard des femmes et des personnes LGBTI. Le résultat de l’EPU est un document listant les recommandations dont l’Etat concerné devra justifier de la mise en œuvre lors du prochain examen. Tous les documents concernant les examens en cours et passés pour la Tunisie sont disponibles sur le site du Haut-Commissariat des Nation Unies aux Droits de l’Homme. * La Fédération internationale des ligues des droits de l’Homme, l’Organisation Mondiale contre la Torture et les organisations tunisiennes Doustourna, Association de Défense des Libertés individuelles et Association tunisienne pour la justice et l’égalité.
Photo: « Il reste encore beaucoup à faire… ». Les organisations de la société civile sont plus que jamais mobilisées pour garantir le respect des droits humains en Tunisie.

ASF reçoit le Prix international Henri La Fontaine

Bruxelles, le 12 décembre 2016 – Lors d’une cérémonie officielle au Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles le 9 décembre, ASF a reçu le Prix international Henri La Fontaine 2016 pour son travail de défense de valeurs telles que l’humanisme et la justice sociale. Le Prix international Henri La Fontaine pour l’Humanisme porte le nom d’un avocat belge spécialisé en droit international, qui avait choisit la voie du pacifisme pour agir sur la société. Henri La Fontaine obtint le Prix Nobel de la Paix 1913. Institué par la Fondation Henri La Fontaine, ce prix est destiné à honorer des personnes,  institutions ou organismes publics ou privés, qui contribuent de manière significative à la défense, la transmission et l’actualisation des valeurs qui furent celles défendues par H. La Fontaine. Le président d’Honneur du Prix 2016 est l’écrivain Amin Maalouf, membre de l’Académie française. La remise du Prix s’est déroulée au Parlement de la Fédération Wallonie-Bruxelles, à Bruxelles, en présence de la Secrétaire du Parlement, Mme Christiane Vienne, et de la Secrétaire d’État à la Région de Bruxelles-Capitale, Mme Fadila Laanan. Lors de la cérémonie, le Conseil d’Administration de la Fondation Henri La Fontaine a salué le travail d’ASF, représenté par Me Pierre Legros, membre fondateur d’Avocats Sans Frontières. “Nous sommes très honorés de recevoir ce Prix”, a déclaré Chantal van Cutsem, Coordinatrice stratégique d’ASF au Parlement. “Cest un encouragement à poursuivre notre travail de défense et de promotion des droits humains, de l’accès à la justice et de l’état de droit”. ASF a reçu le Prix Henri la Fontaine 2016 ex aequo avec la Maison de Laïcité de Kinshasa, qui s’est vue remettre un chèque de 10.000 euros. En 2007, ASF recevait le premier Prix des droits de l’Homme du Conseil des barreaux européens (CCBE). ASF fêtera ses 25 années d’activité en 2017. — A l’occasion de la remise du prix, ASF est intervenue lors de deux émissions radio sur les antennes de la RTBF. Cliquez sur les liens ci-dessous pour les (ré)écouter:

Lawyering for Change: Le changement par le droit, un chantier international

Bruxelles, 12 décembre 2016 –  Il y a un peu plus d’une semaine, plus de 250 participants, dont une cinquantaine d’intervenants d’une quinzaine de pays à travers le monde, se réunissaient à Bruxelles pour la conférence d’ASF Lawyering for Change. Objectif : faire avancer ensemble la question du changement par le droit. L’évènement a mis en avant la nécessité d’élargir le rôle de l’avocat, et de renforcer le pouvoir d’agir des justiciables, face au manque d’accès à la justice dont souffrent des millions de personnes tant dans l’hémisphère sud que dans l’hémisphère nord. Le manque d’accès à la justice est un frein au développement socio-économique et à l’état de droit dans la mesure où ces justiciables n’ont pas moyen de faire valoir leurs droits. « Face à ce constat inquiétant, nous souhaitions mettre sur la table le rôle de l’avocat et de la société civile. Et cela a été le point de départ de notre conférence Lawyering for Change, c’est-à-dire le changement par le droit » explique Bruno Langhendries, expert Accès à la justice chez ASF. Les 31 novembre et 1 décembre 2016, ce ne sont pas moins de 250 professionnels qui se sont réunis à Bruxelles : des avocats, des représentants de barreaux (RD Congo, Burundi, République Centrafrique, Tunisie, Népal, Belgique…) et de la société civile, des chercheurs et des spécialistes du développement. Lors des sessions plénières et des huit ateliers thématiques, tous ont échangé sur leurs expériences et débattu autour d’enjeux tels que le rapprochement entre justice et justiciable, le contentieux stratégique, la nécessité d’influer sur les politiques d’accès à la justice, ou encore le lien entre accès à la justice et développement durable. Au terme de ces débats, deux tendances semblent s’être dégagées. Tout d’abord, selon M. Langhendries, « pour répondre aux besoins des justiciables les plus défavorisés, l’avocat de demain devra être davantage en interaction avec d’autres acteurs, comme les para-juristes, des médecins ou des services d’assistance sociale ». Ensuite, le legal empowerment est un facteur de changement important pour un meilleur accès à la justice. « Il faut renforcer le pouvoir d’action des justiciables et des communautés, afin de faire de leurs droits une réalité », estime l’expert ASF. Un rapport complet des sessions et ateliers sera publié sur le site d’ASF avant la fin du mois de décembre. ASF remercie tous les participants, intervenants, sponsors et soutiens pour leur contribution à la conférence. Les photos de la conférence sont disponibles sur notre compte Flickr.

République centrafricaine: appel à soutenir la Cour pénale spéciale

Bruxelles, le 16 novembre 2016 – Les pays donateurs devraient apporter leur soutien à la Cour pénale spéciale (CPS) qui doit être mise en place en République centrafricaine, ont indiqué 17 organisations de défense des droits humains centrafricaines et internationales dans une déclaration publiée aujourd’hui. Les bailleurs de fonds devraient apporter un soutien technique, financier et politique à la CPS et à son mandat qui est de mettre fin à l’impunité pour les crimes relevant du droit international, ont déclaré ces organisations. Le 17 novembre 2016, l’Union européenne accueille une conférence à Bruxelles afin de discuter des priorités de financement pour la République centrafricaine. En juin 2015, le gouvernement de la République centrafricaine a adopté une loi pour créer la CPS afin d’ouvrir la voie à la justice pour les victimes, mais ce tribunal n’est pas encore devenu opérationnel. « La République centrafricaine a été le théâtre de cycles répétés d’exactions terribles pendant plus d’une décennie, sans aucunes conséquences pour les auteurs de ces crimes », ont déclaré les organisations de défense des droits humains. « Les bailleurs de fonds devraient soutenir les efforts visant à rendre la Cour pénale spéciale opérationnelle afin de briser ce cercle vicieux d’impunité, et les autorités centrafricaines devraient faire preuve de leadership dans sa réalisation. » Au bout de près d’une décennie de conflit intermittent, la République centrafricaine est entrée fin 2012 dans une spirale de violence, avec des groupes armés connus sous le nom de Seleka et d’anti-Balaka, qui ont commis de graves exactions contre des civils, dont des meurtres, des violences sexuelles et des destructions de biens, ce qui a entraîné des déplacements massifs.  En octobre, des tensions ont éclaté de nouveau, avec des attaques contre des camps de personnes déplacées dans le centre du pays et des dizaines de civils abattus, poignardés ou brûlés vifs. En 2014, le gouvernement de transition alors en fonction a renvoyé la situation en République centrafricaine depuis le 1er août 2012 à la Cour pénale internationale (CPI). La Procureure de la CPI, Fatou Bensouda, a ouvert une enquête en septembre 2014. La coopération du gouvernement avec la CPI est cruciale, mais l’enquête de la CPI, toujours en cours, ne ciblera probablement qu’un petit nombre de suspects. La Cour pénale spéciale, avec son personnel international et national proposé, est essentielle pour le système judiciaire centrafricain dans son ensemble. Les organisations soutenant la déclaration sont les suivantes :
  • Action des chrétiens contre la torture (ACAT – RCA)
  • Amnesty International
  • Association des femmes juristes de Centrafrique (AFJC)
  • Association des victimes de la LRA en Centrafrique (AVLRAC)
  • Avocats Sans Frontières (ASF)
  • Civis et démocratie (CIDEM)
  • Commission episcopale Justice et Paix
  • Enough Project
  • Fédération Internationale des Droits de l’Homme (FIDH)
  • Human Rights Watch
  • Lead-Centrafrique
  • Ligue centrafricaine des droits de l’Homme (LCDH)
  • Mouvement pour la défense des droits de l’Homme et de l’action humanitaire (MDDH)
  • Observatoire centrafricain des droits de l’Homme (OCDH)
  • Observatoire pour la promotion de l’Etat de Droit – OPED
  • Parliamentarians for Global Action
  • REDRESS
Photo: © P. Holtz

Tunisie: congrès national sur la justice transitionnelle

Ces 2 et 3 novembre 2016 à Tunis, ASF, le Forum Tunisien pour les Droits Economiques et Sociaux et la Coordination Nationale Indépendante de la Justice Transitionnelle organisent, en présence de l’Instance Vérité et Dignité (IVD), un Congrès national pour relancer le processus de justice transitionnelle en Tunisie. Ce congrès rassemblera l’IVD, la société civile, les instances et autorités publiques, les députés et décideurs politiques ainsi que les associations de victimes afin de débattre de l’état du processus de transition et de formuler des recommandations* pour permettre son avancement effectif. Le Directeur Pays d’ASF, Antonio Manganella, et son équipe justice transitionnelle, Brahim Ben Taleb et Magda El Haitem (photo), nous expliquent les raisons qui ont poussé à l’organisation de ce congrès.  Qu’est-ce que le processus de justice transitionnelle en Tunisie ? Au lendemain de la Révolution (2011), les autorités de transition et la société civile ont d’emblée estimé indispensable de mettre sur pied un processus qui permettrait de révéler la vérité sur les violations graves des droits humains (commises notamment sous le régime de Ben Ali), mais aussi de rendre la justice, de garantir des réparations aux victimes et, enfin et surtout, de garantir la non-répétition de ces atrocités. La nouvelle Constitution tunisienne a consacré l’obligation pour l’Etat d’appliquer le système de justice transitionnelle dans tous les domaines. En 2013, l’Assemblée Constituante a adopté une loi créant à la fois des chambres spécialisées pour juger les auteurs de violations graves des droits humains et une Instance Vérité et Dignité (IVD). L’IVD a entamé ses travaux en mai 2014. Les chambres spécialisées n’ont pas encore commencé à effectivement fonctionner. Quelles sont les particularités du contexte tunisien ? L’histoire de la Tunisie ne se résume pas à un régime autoritaire et à des violations graves de droits civils et politiques. Le contexte tunisien est fortement marqué par des violations de droits économiques et sociaux et par une marginalisation de certaines régions, et notamment la région de Kasserine pour laquelle ASF et le FTDES ont déposé un dossier devant l’IVD le 16 juin 2015. Les récents mouvements de protestation en Tunisie ne sont que la résurgence de ces stigmates du  passé qui tardent à être traités. La lutte contre la corruption et le népotisme, la promotion de droits économiques et sociaux, l’accès au développement sont donc des questions essentielles qui doivent être traitées pour restaurer la confiance de la population dans les institutions et, au final, permettre le rétablissement d’un Etat de droit. Pourquoi ce congrès et pourquoi maintenant ? Depuis 2013, le processus de justice transitionnelle a connu un certain nombre d’entraves. La société civile, qui a pourtant été à l’origine de sa mise en place, a progressivement manifesté un certain désintérêt voire, dans certain cas, une opposition à l’égard du processus, particulièrement à l’encontre de l’IVD – qui doit clôturer son mandat d’ici au printemps 2017. Au cours du temps, il y a eu une véritable rupture entre la société civile et les mécanismes de justice transitionnelle dont l’IVD. Ce phénomène est renforcé par le fait que les chambres spécialisées tardent à être mises effectivement en place. Par ailleurs, depuis plus d’un an, le monde politique tunisien semble se désengager de plus en plus du processus de justice transitionnelle, voire présenter des propositions qui pourront lourdement entraver la révélation de la vérité. Les discussions autour de la loi sur la réconciliation économique et financière ont à cet égard été particulièrement préoccupantes. Ce congrès intervient donc à un moment charnière du processus de justice transitionnelle en Tunisie, pour le relancer et s’assurer qu’il puisse aboutir à des résultats satisfaisants. Qui participe au congrès et comment le congrès va-t-il fonctionner ? Les organisateurs ont voulu permettre un dialogue libre et constructif entre les participants. Le congrès fonctionnera principalement autour de 9 ateliers sur des thèmes-clés autour de la justice transitionnelle, notamment la révélation de la vérité, la lutte contre l’impunité, les réparations, la prise en compte de la situation des femmes. Chaque atelier rassemblera des membres de l’IVD, des représentants de la société civile, des experts, des membres d’instances et organes publics, des juges, des avocats, des députés et décideurs politiques, des journalistes. Qu’espère-t-on obtenir de ce congrès ? Ce congrès vise, avant tout, à renouer un dialogue, même s’il est critique, pour relancer le processus de justice transitionnelle dans son ensemble. Il s’agit de remettre les acteurs autour de la table, de créer des échanges constructifs entre l’IVD et la société civile, mais aussi avec les autorités officielles, dont différents ministères, les juges, les avocats et les médias qui à divers niveaux, jouent un rôle dans le processus de justice transitionnelle en Tunisie. L’espoir est d’aboutir à l’issue du congrès à des recommandations concrètes* pour relancer le processus de façon plus inclusive et efficace. Le programme complet du congrès est disponible ici en français et en arabe. Seule la séance d’ouverture est ouverte au public, sur inscription préalable. Pour tout renseignement, veuillez contacter Haifa Gebs: tun-com@asf.be. * Les recommandations formulées à l’issue du colloque sont entre-temps disponibles en français et en arabe Cet article est également disponible en arabe.
Photo (de gauche à droite): Brahim Ben Taleb, Antonio Manganella, et Magda El Haitem, nous expliquent les raisons qui ont poussé à l’organisation de ce congrès © ASF/H. Gebs