Dans une lettre rendue publique aujourd’hui, Sherpa, les Amis de la Terre France et Avocats sans Frontières interpellent l’entreprise pétrolière Perenco S.A. Nos associations dénoncent l’opacité de l’organisation et du fonctionnement du groupe Perenco, ainsi que l’absence de toute information sur la manière dont l’entreprise française prend en compte les conséquences sociales et environnementales de ses activités à l’étranger. Alors que ses activités sont régulièrement pointées du doigt pour leurs impacts négatifs sur l’environnement et les droits humains, la multinationale semble favoriser cette opacité, ce qui lui permettrait de continuer à opérer en toute impunité.
Le groupe Perenco est une entreprise familiale spécialisée dans l’extraction de puits de pétrole en fin de vie. Très peu connu du grand public, de nombreux rapports dénoncent pourtant des atteintes graves à l’environnement et aux droits humains récurrentes dans les différents pays où les sociétés du groupe opèrent [1]. La répétition des atteintes recensées dans de nombreux pays tels que la République démocratique du Congo, la Tunisie, le Guatemala ou l’Equateur semble illustrer un mode opératoire systémique et organisé, ainsi qu’une absence totale de politique sociale et environnementale efficace [2].
Le groupe est organisé en une myriade de sociétés écrans, dont la plupart sont enregistrées dans des paradis fiscaux comme les Îles Vierges, Bermudes et Bahamas, où l’accès à l’information est totalement verrouillé [3]. En raison de cette opacité, il est extrêmement difficile de trouver des informations sur l’organisation et le fonctionnement du groupe, en particulier quant aux liens entre la société française Perenco S.A. et les sociétés opérant à l’étranger.
Tandis que Perenco S.A., dont le siège social est situé en France, nie tout lien de contrôle sur les autres sociétés du groupe lorsqu’elle est interrogée sur les dommages résultant de son activité à l’étranger, le groupe n’hésite pas à revendiquer la nationalité française à son bénéfice [4].
L’absence de transparence rend quasiment impossible l’accès aux informations permettant de poursuivre en justice les entreprises responsables de dommages environnementaux ou de violations de droits humains qui peuvent résulter de leurs activités économiques à l’étranger. Selon nos informations, c’est bien Perenco S.A., via sa politique d’entreprise, qui pilote les activités à l’étranger : à ce titre, cette politique constituerait donc le fait générateur des potentiels dommages causés. Face à cette difficulté, nos organisations ont en vain tenté de solliciter des informations : Sherpa et les Amis de la Terre France par la voie judiciaire sur le cas de la République Démocratique du Congo, Avocats Sans Frontières par la voie extra-judiciaire (médiation) sur le cas de la Tunisie [5].
Le premier rapport extra-financier publié par Perenco France confirme ce choix de l’opacité. Même si la législation actuelle peut être critiquée pour son manque d’ambition, un tel rapport constitue l’une des rares opportunités [6] d’en savoir plus sur le fonctionnement de la multinationale, sur ses activités et surtout sur sa gestion des risques sociaux et environnementaux [7]. Pourtant, le rapport de Perenco France est si peu fourni qu’il ne respecte même pas les dispositions légales. A titre d’exemple :
- alors que l’exploitation d’hydrocarbures se trouve au cœur de ses activités et que la majeure partie de ses salarié·es sont déployé·es à l’étranger, le rapport ne fait absolument pas état des risques associés aux opérations pétrolières (toutes situées à l’étranger) ;
- la seule mention du mot pétrole se trouve ironiquement dans la section “Favoriser le bien-être des salariés” dans la catégorie “Voile : stages de préparation et participation à la Coupe du pétrole” ;
- les seuls risques environnementaux évoqués concernent la gestion des déchets des locaux parisiens du siège social de la société : papiers, cartons, gobelets, etc. !
Dans ce contexte, nous interpellons Perenco S.A. afin qu’elle respecte ses obligations déclaratives en matière de performance extra-financière. Nous lui demandons également de mettre un terme à l’opacité sur ses opérations, notamment en communiquant certaines informations clés sur la structure et l’organisation du groupe, ainsi que sur les liens de Perenco France avec les sociétés du groupe à l’étranger.
Mise à Jour, le 31 août 2021 : Dans un courrier en date du 4 août 2021, la société Perenco a répondu à notre interpellation par l’intermédiaire de ses avocats, en affirmant être en conformité avec la législation.
Au terme de sa réponse, l’entreprise refuse de communiquer les documents que nous sollicitions relatifs à l’organisation et au fonctionnement du groupe. Elle prétend une nouvelle fois n’entretenir aucun lien avec les autres sociétés opérant à l’étranger et n’avoir aucune activité d’exploitation de gisements d’hydrocarbures. S’agissant des nombreux dommages recensés dans notre courrier, Perenco n’apporte aucune réponse non plus. Nous déplorons que l’entreprise maintienne l’opacité sur ses activités et sa structuration.
[1] RDC : rapport du Sénat congolais réalisé par la Commission d’enquête sur la pollution causée par l’exploitation pétrolière à Muanda dans la province du Bas-Congo, publié en octobre 2013 ; Le Monde, Perenco, boîte noire pétrolière et toxique en RDC, 9 octobre 2019 ; Observatoire des Multinationales, Perenco en RDC : quand le pétrole rend les pauvres encore plus pauvres, 23 janvier 2014 ; Muanda : la société civile veut voir clair sur le nouveau contrat d’exploitation du pétrole par Perenco, 22 février 2018 ; Radio Okapi, Le Sénat accuse Perenco de polluer l’eau, l’air et le sol de Moanda au Bas-Congo, 26 novembre 2011; Radio Okapi, Kongo-Central: PERENCO et SOCIR accusés de sous-traiter leurs employés permanents, 2 mars 2017. Gabon : Medias 241, POLLUTION : LANCEMENT D’UN AUDIT OPÉRATIONNEL DES INSTALLATIONS DE PERENCO, 22 janvier 2021 ; RFI, Pollution pétrolière au Gabon: des actions en justice contre la société française Perenco, 23 janvier 2021 ; Pérou/Amazonie : Observatoire des Multinationales, Perenco, Mauret et Prom : des firmes pétrolières francaises à l’assaut de l’Amazonie, 20 décembre 2013 ; CCFD-Terre solidaire, Le Baril ou la vie ? Impacts des activités des entreprises pétrolières françaises Perenco et Maurel & Prom en Amazonie péruvienne : quelles responsabilités des entreprises et des états?, 7 septembre 2015 Guatemala : Observatoire des Multinationales, Perenco au Guatemala : exploiter le pétrole coûte que coûte ?, 13 décembre 2010 ; Le Monde, L’entreprise pétrolière franco-britannique Perenco en conflit avec des populations du Guatemala, 14 octobre 2012; Equateur : Business and Human Rights Resource Center, Ecuador: Protesters call for oil company Perenco to “leave & pay for environmental damages”, 4 juillet 2006l Colombie : Centro de medios independientes, Derrame de Petróleo en Petén, 2 juillet 2015l Vénézuela: Reuters, Exclusive: France’s Perenco, Russia’s Gazprombank named in Venezuela graft case – source, 1 novembre 2018; US Department of Justice, Former Executive Director at Venezuelan State-Owned Oil Company, Petroleos de Venezuela, S.A., Pleads Guilty to Role in Billion-Dollar Money Laundering Conspiracy, 31 octobre 2018; Trinidad et Tobago :Trinidad & Tobago Guardian, Perenco workers beg authorities to step in, 22 décembre 2020; Cameroun : Médiapart, À PERENCO CAMEROUN: NATIONAUX ABONNÉS AUX DÉCLASSEMENTS, HARCÈLEMENTS, LICENCIEMENTS, 27 juillet 2016; Tunisie: en 2018, une procédure a été lancée devant le Point de Contact National Français en relation avec les opérations du groupe en Tunisie.
[2] Principes directeurs des Nations unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme (A/HRC/17/31, 2011) ; Principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales (rev. 2011).
[3] 39 sociétés du groupe Perenco apparaissent dans la base de données du Consortium international des journalistes d’investigation des Bahamas Leaks, dont les fichiers ont mis en lumière l’existence de sociétés écrans et fiducies créées aux Bahamas, ICIJ Offshore Leaks Database, Résultats pour Perenco. Pour plus de détails sur les Bahamas Papers, voir ICIJ, Former EU Official Among Politicians Named in New Leak of Offshore Files from The Bahamas, 20 septembre 2016.
[4] Reuters, Ecuador to pay $374 million to French oil company Perenco to settle dispute, 2 juin 2021.
[5] Voir Le Monde, Perenco, boîte noire pétrolière et toxique en RDC, 9 octobre 2019; Communiqué de Sherpa et des Amis de la Terre France, L’opacité continue: la justice refuse de donner accès aux informations détenues par la pétrolière française Perenco, 17 septembre 2020; Communiqué d’Avocats Sans Frontières: Saisine du PCN français pour établir la transparence sur les activités du Groupe Perenco en Tunisie, 10 septembre 2019. Avocats Sans Frontières et son partenaire tunisien, I Watch, se sont depuis retirés de la procédure devant le Point de Contact National français de l’OCDE.
[6] Perenco France n’est en effet pas soumise à la loi sur le devoir de vigilance (du fait d’un nombre de salarié·es déclaré inférieur aux seuils prévus par la loi), et ne fournit donc pas plus d’information sur ce fondement.
[7] Article L. 225-102-1 du Code de commerce. Cette obligation est inscrite dans le droit français depuis la loi NRE de 2001 et a été progressivement renforcée en 2010 (Loi Grenelle II) et 2017 (Ordonnance et décret d’application relatifs à la publication d’informations non financières par certaines grandes entreprises et certains groupes d’entreprises).
[8] Perenco France is not subject to the law on the duty of vigilance (because the number of employees declared is lower than the thresholds provided for by the law), and therefore does not provide further information on this basis.
[9] Article L. 225-102-1 of the French Code of Commerce. This obligation has been enshrined in French law since the law on New Economic Regulations of 2001 and was progressively reinforced in 2010 (Grenelle II law) and 2017 (Order and implementing decree on the publication of non-financial information by certain large companies and certain groups of companies).
Contact presse
Sherpa, Laura Bourgeois, [email protected]
Amis de la Terre France, Léa Kulinowski, [email protected]
Avocats Sans Frontières, Simon Mallet, [email protected]; Elisa Novic, [email protected]