Crimes internationaux en Colombie : comment mettre fin à l’impunité ?

Bogota, 12 mai 2016 – Avocats Sans Frontières Canada (ASFC) a récemment présenté  un rapport sur les mécanismes d’impunité au sein de la justice colombienne. Ce rapport est le résultat de deux ans d’observation, de suivi et d’analyse de 15 cas de crimes internationaux en Colombie. Il fait notamment des recommandations concrètes pour renforcer la conformité des enquêtes et des procès pénaux en Colombie avec les standards internationaux et les droits des victimes. Le rapport a pour but de promouvoir le statut de Rome, notamment au regard des politiques actuelles de la Cour Pénale Internationale (CPI) et du Bureau du Procureur. Les critères d’évaluation établis sont analysés au regard du principe de complémentarité, afin de déterminer si les autorités nationales ont agi contre les individus responsables de crimes graves. La coopération d’ASFC avec des avocats colombiens et des défenseurs des droits de l’homme agissant dans les zones affectées par les conflits armés a permis d’assurer un suivi des victimes dans des cas emblématiques d’application du statut de Rome en Colombie. L’équipe ASFC a suivi des enquêtes dont les faits pouvaient être constitutifs de crimes relevant de la compétence de la CPI : massacres, exécutions, disparitions forcées, violences sexuelles et tortures, entre 2005 et 2013. Les faits impliquent des membres d’organismes de sécurité nationale ainsi que des membres de groupes paramilitaires. Ce rapport permet ainsi d’appréhender, au travers de 15 cas, la manière avec laquelle le Colombie a réagit dans le déroulement des enquêtes. L‘étude souligne que, dans de nombreux cas, des circonstances (délais de procédure injustifiés, insuffisance des recherches par les autorités, paralysie des audiences, ou encore manque de transparence de certains acteurs) ont eu pour effet de soustraire des individus de leur responsabilité pénale. De plus, des conflits de juridiction ne cessent de ralentir les procédures, la juridiction pénale militaire s’interposant continuellement dans les procédures menées par les autorités judiciaires ordinaires. Les victimes ne peuvent donc pas avoir accès à des mécanismes judiciaires indépendants et impartiaux. Cependant, des améliorations ont été observées grâce au rôle de certains fonctionnaires de justice, et à la persistance des victimes et de leurs représentants légaux. ASFC a présenté son rapport en avril dernier à Bogota devant les autorités locales, le corps diplomatique, la société civile, et les  familles des victimes de graves violations des droits de l’homme. Dans le contexte actuel de  pacification du pays,  l’objectif du rapport d’ASFC  est de fournir des éléments de réflexion aux victimes et à leurs représentants, ainsi qu’aux fonctionnaires de justice, afin de garantir les droits des victimes et la lutte contre l’impunité en Colombie. ASFC recommande ainsi aux autorités colombiennes de faciliter la participation active des victimes et de prendre en compte leurs demandes spécifiques. Les autorités de poursuites sont notamment encouragées à prendre des décisions qui mettent l’accent sur  la redevabilité des plus hauts responsables. L’identification des obstacles à la mise en œuvre des  obligations internationales de l’état Colombien constitue un outil essentiel pour renforcer la procédure pénale colombienne ainsi que la justice de cet Etat. Le rapport « Etude de cas à la lumière du principe de complémentarité : Les mécanismes d’impunité dans la justice colombienne » (version espagnole) s’inscrit dans le projet « Intersections » débuté en 2013 par ASFC en partenariat avec ASF, et financé par l’Union Européenne. Pour plus d’informations sur la justice pénale internationale et les crimes internationaux en Colombie, consultez le site du projet Intersections.
Photo © Tropica Media

La lutte contre l’impunité dans les Amériques en marche

ASF appuie la création d’un Réseau panaméricain sur la justice pénale internationale en collaboration avec Avocats Sans Frontières Canada (ASFC).

Les 28 et 29 juillet 2011, la première rencontre d’un réseau d’experts en droit international pénal a eu lieu à Bogota en Colombie dans le cadre du projet ASF de promotion du système du Statut de Rome et d’amélioration de l’effectivité de la Cour pénale internationale (CPI). Pendant ces deux jours, des juristes, dont certains représentaient des ONG de droits humains de sept pays de la région*, ont partagé leurs connaissances et expériences en matière d’application, tant par les différents systèmes juridiques nationaux que par les juridictions internationales compétentes, des normes de droit international des droits de l’homme et de droit international pénal. Le coordinateur de projet, Luc Meissner, était présent et a exposé aux participants les tenants et aboutissants du projet dans sa globalité.

Nous avons assez peu de connaissance sur le travail de la CPI dans les Amériques. Quelle peut en être la raison?

Luc Meissner: les activités de la CPI ont été « occultées » par la médiatisation des affaires en cours en Afrique. La CPI et les ONG exercent beaucoup d’activités dans les Amériques : promotion de la ratification et de la mise en œuvre du Statut de Rome, ainsi que deux analyses préliminaires ouvertes sur la Colombie et le Honduras. C’est vrai que le Statut de Rome a été ratifié par la plupart des pays de la région mais il manque le pays clé, les Etats-Unis, mais aussi l’El Salvador, le Guatemala, Haïti et le Nicaragua. Il n’y a pas si longtemps que des atrocités ont eu lieu sur le continent. On pense par exemple aux crimes contre l’humanité perpétrés sous la présidence Fujimori au Pérou dans les années ’90 (disparitions, massacres, stérilisations forcées de femmes indigènes…) ou encore des attaques et crimes contre l’humanité contre les populations mayas du Guatemala commis pendant les années ’80 et, bien évidemment, la situation actuelle en Colombie où des crimes contre l’humanité sont encore commis dans des zones rurales reculées.

ASFC donne une formation sur le droit de l’environnement à Cherwa Sise dans le nord de la Colombie – © ASFC

Qu’est ce qu’un Réseau panaméricain peut signifier dans la lutte contre l’impunité ?

L.M. : Ce réseau est une chance pour l’échange d’expertise, d’informations sur la complémentarité et l’expérience de chacun des pays représentés qui permettrait d’enquêter, poursuivre et sanctionner les personnes responsables d’avoir orchestré et commis les crimes internationaux les plus graves auxquels la CPI s’intéresse. Le réseau vise à un renforcement mutuel de capacités des ses membres et à identifier les défis communs dans le but d’améliorer les actions de plaidoyer dans chaque pays. Citons les exemples du Guatemala et de l’Argentine. Les cadres législatifs et les situations sont différents dans ces deux pays. L’objectif au Guatemala étant la ratification du Statut de Rome, la CPI et des ONG mènent des actions de plaidoyer en ce sens, alors qu’en Argentine, la ratification et l’intégration à la législation nationale ont déjà eu lieu. L’objectif d’intégration dans la législation nationale et l’expérience que peuvent en retirer les juridictions nationales pourraient alors servir de modèle aux autres pays.

Comment ASF a participé au lancement du réseau?

L.M. : Cette activité régionale fait partie d’un projet global de promotion du Statut de Rome et d’amélioration de l’effectivité de la CPI mené par ASF en partenariat avec ASFC et financé par l’Union européenne. Il est notamment prévu de constituer des réseaux aux objectifs comparables en Afrique anglophone et francophone. ASF dispose également d’une solide expérience dans la représentation des victimes de crimes internationaux en RD Congo et nous comptons mettre à profit cette expérience pour renforcer les capacités dans les autres pays. Ce projet symbolise également la première collaboration concrète et étroite entre ASF et ASFC. En Colombie, la présence d’un bureau local d’ASF Canada facilite la réalisation des activités.

Et le futur ?

L.M. : La constitution du Réseau régional panaméricain est une étape dans la lutte contre l’impunité au niveau régional. Une nouvelle rencontre du réseau est prévue en 2012. En attendant, des échanges seront stimulés entre les différents membres des réseaux et des actions de plaidoyer seront menées  aussi bien par les membres du réseau que par ASF et ASFC. D’autres activités seront également menées en Colombie dans le cadre de ce projet en vue d’améliorer la compréhension du travail de la CPI, mais aussi sur les autres continents.

Pour plus d’information sur le programme Justice Internationale d’ASF

Pour plus d’information sur la mission en Colombie d’ASFC

* La réunion rassemblait des représentants de Colombie, du Honduras, du Guatemala, du Mexique, du Pérou, d’Argentine et du Chili.

La recontre le 28 et 29 juillet à Bogota, Colombie © ASF – Luc Meissner