Défense de la défense : L’avocat‧e face au péril répressif

BelgiqueCongo (République démocratique du)KenyaMarocNiger (la)OugandaRépublique centrafricaine (la)Tanzanie, République-Unie deTunisieDéfenseur.e.s des droits humains

Cet article est basé sur une intervention de Bruno Langhendries, directeur de l’appui stratégique chez ASF, à l’occasion du congrès 2023 de la Conférence Internationale des Barreaux.

Poursuites judiciaires, harcèlement, intimidation, privation de liberté, et parfois, atteinte directe à l’intégrité physique. Partout à travers le monde, des avocat.e.s travaillant en faveur droits humains, de la société civile ou des populations en situation de vulnérabilité subissent menaces et agressions simplement parce qu’il.elle.s exercent leur profession.

C’est le triste constat que nous faisons avec nos partenaires partout où nous intervenons. Nos équipes font l’état d’attaques répétées et en augmentation contre les avocat.e.s, et plus globalement contre les défenseur.e.s des droits humains, dans un contexte global d’érosion de l’État de droit, de rétrécissement de l’espace civique et d’hypertrophie du pouvoir exécutif au détriment des appareils législatifs et judiciaires.

Les périls de l’avocat.e face au délitement de l’État de droit

Dans les contextes dans lesquels ASF travaille, l’avocat.e fait face à de multiples menaces :

  • D’une part, du harcèlement, des menaces et des intimidations, et dans de plus rares cas, des atteintes directes à l’intégrité physique émanant de représentant.e.s de l’autorité ou d’acteur.rice.s qui se disent issu.e.s de la société civile mais qui sont souvent très proches du pouvoir.
  • D’autre part, les avocat.e.s font l’objet de poursuites judiciaires et sont victimes de privation de liverté :
    • Dans le cadre de l’exercice de leur profession. Des législations liberticides sont mobilisées ou l’immunité dont est supposé bénéficier l’avocat.e est levée. La diffamation, la calomnie ou l’apologie du terrorisme sont alors les motifs privilégiés pour justifier les poursuites.
    • Dans le cadre de leur vie privée. Les avocat.e.s sont poursuivi.e.s pour des faits étrangers à leur profession.

Ces tactiques répressives sont mobilisées par les pouvoirs en place lorsqu’ils juge leurs intérêts menacés.

Les avocat.e.s se retrouvent la cible de ces attaques le plus souvent lorsqu’il.elle.s :

  • Défendent des membres de la société civile, d’opposant.e.s politiques et de personnes en situation de vulnérabilité, qui sont eux.elles-mêmes le plus souvent déjà victimes de la répression de l’État.
  • Dénoncent des pratiques répressives et arbitraires des agents de l’État.
  • Dénoncent des réformes dangereuses pour l’État de droit.

Le but des autorités est d’empêcher la défense de jouer son rôle de soutien de la société civile face au pouvoir exécutif, de décourager, d’isoler ceux et celles qui osent remettre en cause leurs pratiques.

ASF a fait triste le constat de multiples exemples qui illustrent très concrètement ces tendances.

En Tunisie, Maître Ayachi Hammani a été poursuivi pour avoir critiqué la Ministre de la Justice après la révocation arbitraire de plus d’une cinquantaine de juges.

Toujours en Tunisie, Maître Hayet Jazzar et Maître Ayoub Ghedamsi ont été poursuivis après avoir plaidé en faveur d’une victime d’actes de torture commis par des agents de police.

En République centrafricaine, en 2022, Maître Manguareka a été harcelé après avoir défendu en justice les intérêts d’un opposant du régime. Dans le pays, ce sont tou.te.s les avocat.e.s, et leur barreau, qui sont qualifiés d’ennemi de la paix par des groupuscules proches du pouvoir.

En Ouganda, Nicholas Opiyo, avocat spécialisée dans les droits humains, a été arrêté avec d’autres avocat.e.s et maintenu en détention plusieurs semaines. Dans un premier arrêté sans charge, il a ensuite été poursuivi pour blanchiment d’argent.

Au Burundi, ce sont 5 membres d’associations partenaires qui ont été arrêté.e.s et emprisonné.e.s pendant quatre mois, essentiellement parce qu’il.elle.s travaillaient avec Avocats Sans Frontières.

Il existe malheureusement tant d’autres exemples que nous pourrions citer.

Il est important de préciser que tous ces cas sont différents et s’inscrivent dans des contextes particuliers.

Cependant, dans tous ces pays, l’intensification de la répression à l’encontre des avocat‧e‧s, et plus largement, des défenseur‧e‧s des droits humains, va de pair avec le rétrécissement de l’espace civique que nous observons partout où nous travaillons.

Ce qu’il nous semble important de noter est que :

  • D’une part, ces persécutions envers les avocat.e.s vont de pair avec des répressions accrues envers les autres porteur.euse.s de voix, envers les défenseur.e.s des droits humains, qu’il.elle.s agissent dans un cadre professionnel ou en tant que citoyen.ne.
  • Ce rétrécissement de l’espace civique est le corollaire de la montée du populisme et de la remise en cause des principes de l’État de droit qui l’accompagne.

Ce rétrécissement de l’espace civique consacre le plus souvent l’hypertrophie du pouvoir exécutif au détriment des pouvoirs législatifs et judiciaires. Ce glissement vers des régimes plus autoritaires est souvent accéléré à travers le recours à l’état d’urgence, à l’état de siège ou à l’état d’exception qui sont souvent utilisées par les régimes en place pour imposer sur le long terme des mesures liberticides supposées temporaires. Celui-ci peut aussi survenir de façon plus brutale lors de coups d’État comme ce fut le cas récemment en Tunisie ou au Sahel.

Dans les pays dans lesquels ASF intervient, l’organisation met en œuvre des programmes en faveur de la défense des droits humains en partenariat avec la société civile et les Barreaux. 

ASF, en collaboration avec ses partenaires locaux.les, mobilise notamment les approches suivantes pour soutenir les avocat.e.s et les défenseur.e.s des droits humains :

  • Le développement de collectifs d’avocats et de défenseurs des droits humains pour qu’ils puissent faire valoir leurs droits collectivement et réagir rapidement en cas de menace.
  • La défense des avocat.e.s en cas de poursuites ou de privation de liberté. En cas de poursuites ou de privation de liberté, ASF appuie la défense des avocats, notamment en mobilisant les acteurs internationaux et en les poussant à agir.
  • Un monitoring des violations des droits humains et des menaces contre l’espace civique et les défenseur.e.s des droits humains, en ce compris les avocat.e.s. Á partir de ce moniroting notamment, ASF développe des stratégies de plaidoyer en faveur des libertés publiques et de la défense des défenseurs des droits humains et des avocat.e.s.