
Face aux attaques mondiales croissantes contre la Cour pénale internationale (CPI), 58 ONG appellent l’Union européenne à prendre des mesures urgentes pour défendre la Cour et maintenir l’ordre international fondé sur des règles.
La CPI, créée pour veiller à ce que les auteurs des crimes les plus graves soient tenus responsables de leurs actes, est de plus en plus menacée par les sanctions économiques, les pressions politiques, les cyberattaques et la non-coopération des États. Au cœur de la récente controverse se trouve un décret du président américain Donald Trump datant de février 2025, autorisant des sanctions contre les fonctionnaires de la CPI, notamment le procureur Karim Khan, et d’autres personnes soutenant les enquêtes de la Cour. Les organisations internationales ont dénoncé cette décision comme un affront aux victimes de crimes internationaux et une attaque dangereuse contre l’indépendance de la justice internationale.
Bien qu’elle ait toujours soutenu la CPI, l’UE est restée silencieuse sur les dernières sanctions américaines. Nous demandons instamment aux États membres de l’UE de condamner publiquement ces mesures, d’activer le statut de blocage de l’UE pour protéger les entités européennes de leur impact, et d’adopter d’autres mesures pour préserver la capacité de la Cour à fonctionner efficacement.
La Cour pénale internationale sous pression
Ces développements interviennent à un moment où la CPI prouve sa pertinence – notamment grâce à l’arrestation et au transfert récents de l’ancien président philippin Rodrigo Duterte, accusé de crimes contre l’humanité. Cependant, la Cour est confrontée à d’importants obstacles ailleurs. La Russie a émis des mandats d’arrêt en représailles contre des fonctionnaires de la CPI suite au mandat d’arrêt de la Cour contre Vladimir Poutine, tandis qu’Israël et la Russie ont promulgué ou proposé des lois criminalisant la coopération avec la CPI. La Cour doit également faire face aux retombées d’une cyberattaque prévue pour 2023 et à des allégations crédibles d’une campagne d’espionnage israélienne de longue durée.
En Europe, la Hongrie a annoncé son intention de se retirer de la CPI après avoir accueilli le premier ministre israélien Benjamin Netanyahu, que la CPI a également inculpé. La Hongrie n’a pas exécuté le mandat d’arrêt de la CPI pendant sa visite, en violation des obligations qui lui incombent en vertu du statut de Rome. Plusieurs autres États membres de l’UE, dont la France, l’Allemagne, l’Italie, la Pologne et la Roumanie, ont refusé de donner suite aux mandats d’arrêt de la CPI ou n’ont pas confirmé qu’ils le feraient. L’Italie a récemment renvoyé un fugitif de la CPI en Libye, en violation apparente de ses responsabilités.
Les signataires avertissent que cette tendance croissante à l’exécution sélective et à l’hésitation politique envoie un message préjudiciable : l’État de droit s’applique à certains, mais pas à tous. Selon eux, sans une coopération et une application cohérentes des décisions de la CPI, il ne peut y avoir de véritable justice pour les victimes.
L’UE se positionne depuis longtemps en tant que championne de la justice internationale. Il est temps de passer de la parole aux actes, avant que la crédibilité et l’efficacité de la CPI ne soient irrémédiablement mises à mal.
Les signataires appellent les acteurs de l’UE à prendre des mesures décisives pour réaffirmer leur engagement en faveur de l’État de droit international et sa protection, comme suit :
- Les dirigeants de l’UE, notamment la présidente de la Commission, Mme von der Leyen, le haut représentant, M. Kallas, et le président du Conseil, M. Costa, devraient exhorter les gouvernements de l’UE à respecter la position de l’UE sur la CPI, notamment en ce qui concerne la coopération, l’universalité du Statut de Rome et la sauvegarde de l’indépendance de la Cour, et à respecter leur obligation de protéger, de faire respecter et d’appliquer les décisions de la Cour.
- L’UE, en particulier par l’intermédiaire du Haut Représentant Kallas et du Conseil de l’UE
, devrait condamner publiquement les sanctions américaines contre la CPI, réaffirmer son soutien indéfectible à la Cour et à son indépendance et exhorter les États-Unis à annuler le décret autorisant les sanctions. - La Commission européenne devrait également faire rapidement usage de la loi de blocage de l’UE en y ajoutant le décret américain autorisant les sanctions liées à la CPI et élaborer toute mesure supplémentaire visant à protéger la Cour et à contrer l’effet dissuasif des sanctions sur les personnes qui coopèrent avec la Cour.
- Les États membres de l’UE devraient affirmer sans équivoque qu’ils s’acquitteront de toutes leurs obligations légales en vertu du Statut de Rome, y compris l’exécution de tous les mandats d’arrêt de la CPI, dans toutes les situations portées devant la Cour. Les dirigeants de l’UE ne doivent pas ménager leurs efforts pour rappeler aux États membres leurs obligations légales de coopérer avec la CPI, et agir pour prévenir et répondre à tout cas de non-coopération avec la CPI.
« ASF appelle le gouvernement belge à rester ferme dans son soutien à la CPI. Dans une interview télévisée du 3 avril, le Premier Ministre Bart De Wever a suggéré que, comme la Hongrie, la Belgique pourrait ne pas exécuter le mandat d’arrêt de la CPI contre le Premier Ministre Benyamin Netanyahu. Cela constituerait une violation des obligations internationales de la Belgique en vertu du Statut de Rome et de la politique étrangère déclarée de la Belgique. Tant dans l’accord gouvernemental que dans la déclaration de politique générale du ministre belge des affaires étrangères, la Belgique s’engage à protéger l’ordre juridique international et à lutter contre l’impunité des crimes de guerre, des crimes contre l’humanité et des génocides, notamment en soutenant la CPI.
La Belgique fut un des premiers pays à ratifier le Statut de Rome et a soutenu activement la CPI tout au long de son histoire et a collaboré positivement avec la Cour, notamment pour l’exécution de mandats d’arrêt sur son territoire. A l’heure où la CPI et l’ordre juridique international font l’objet de menaces politiques croissantes, le soutien continu de la Belgique devient encore plus important et devrait être réaffirmé clairement par le gouvernement. La lutte contre l’impunité des crimes internationaux et la réaffirmation que personne n’est au-dessus de la loi, y compris les chefs d’Etat, servent l’intérêt de tous. La mise à l’écart des mandats d’arrêt de la CPI n’est pas un acte de « realpolitik », mais un acte qui menace la sécurité internationale et celle de la Belgique en supprimant les barrières à l’usage de la force par les Etats contre les civils et contre d’autres Etats »,
Valérie Arnould, Legal and Policy Advisor for Transitional Justice chez ASF.