Le Caire/Bruxelles, le 31 août 2015 – Dans un verdict prononcé samedi par la Cour Pénale du Caire, les journalistes d’Al Jazeera English, Mohamed Fahmy, le correspondant Peter Greste (in absentia) et le producteur Baher Mohamed, ainsi que leurs co-prévenus, ont été reconnus coupables de ne pas s’être enregistrés comme journalistes, et d’avoir travaillé depuis un hôtel du Caire sans autorisation. Ils ont été condamnés à 3 ans de prison, et Baher Mohamed à 3 ans et 6 mois. Ayant conjointement observé tout le procès, la Commission égyptienne pour les Droits et la Liberté (ECRF) et Avocats Sans Frontières (ASF) déplorent cette décision qui est une nouvelle défaite pour la liberté d’expression en Egypte. De plus, les deux associations s’inquiètent des conditions dans lesquelles cette affaire a été menée et utilisée pour intensifier le contrôle sur la presse en Égypte.
Cette décision est liée à l’arrestation, le 29 décembre 2013 de plusieurs journalistes et techniciens qui travaillaient pour une branche de la chaîne qatari Al-Jazeera Media Network, la chaîne Al-Jazeera en anglais (AJE). Les journalistes ont été poursuivis conjointement avec un groupe de personnes soupçonnées d’appartenir à une organisation terroriste du nom des Frères Musulmans.
Avec une équipe de quatre personnes, ASF et l’ECRF ont observé toute la réouverture du procès (12 audiences depuis février 2015). Le procès présentait des garanties significatives en matière de conduite des audiences ce qui démontre, jusqu’à un certain point, une volonté de garantir l’équité des procédures.
Les deux associations expriment toutefois leurs inquiétudes sur la manière dont l’affaire a été motivée par le Procureur et traitée par les magistrats, et ce depuis le début.
Il a été observé que certaines accusations sur base desquelles les poursuites judiciaires ont été lancées – en particulier celles relatives à l’appartenance à une organisation terroriste – n’ont été ni débattues durant les audiences, ni soutenues par des preuves factuelles. Ceci constitue une violation des règles fondamentales en matière de procédure pénale.
Une des conséquences directes des accusations pour terrorisme à l’encontre des journalistes a été que l’affaire a été portée devant une cour spécialisée. De plus, l’affaire a été entendue dans une salle d’audience située dans un complexe pénitentiaire, sous le contrôle exclusif du Ministère de l’Intérieur, et non dans un lieu judiciaire public, ce qui a limité l’accès du public. Enfin, la disposition de la salle d’audience constituait une violation des droits fondamentaux des prévenus: ces derniers avaient été placés dans une cage en verre, ce qui a eu un impact sur leur défense.
L’affaire a été perçue par la communauté internationale comme emblématique du traitement des journalistes soupçonnés de terrorisme par l’application de procédures judiciaires abusives. “Cette affaire est exemplative de la manière dont une question de liberté de la presse peut être considérée et traitée comme une affaire de terrorisme, avec des conséquences graves et irréversibles pour les journalistes concernés”, estime Chantal van Cutsem, Coordinatrice stratégique pour les pays du Moyen-Orient et d’Afrique du Nord chez ASF.
En connaissance de cause, l’ECRF et ASF appellent les autorités égyptiennes à respecter de manière inconditionnelle la Constitution égyptienne, qui garantit le respect de la liberté de la presse et des journalistes.
Elles invitent les autorités égyptiennes à réformer la législation relative aux médias de manière à ce qu’elle soit conforme aux standards internationaux en matière de presse et autres médias et, en particulier, décriminaliser la pratique du journalisme exercé sans appartenir au Syndicat des Journalistes.
Les autorités égyptiennes sont également invitées à réviser les conditions et les procédures concernant les correspondants internationaux travaillant en Égypte, de manière à s’assurer à ce que les journalistes puissent travailler en toute liberté, indépendance et sans intimidation.
Téléchargez ici le dossier de presse complet de l’ECRF et d’ASF (pdf)