Avocats Sans Frontières, présent en République Démocratique du Congo depuis 2002, ne saurait agir sans ses partenaires, et c’est la raison pour laquelle nous leur laissons la parole aujourd’hui. Ces femmes et ces hommes nous ont parlé de leur quotidien, de leurs réalités et de leurs convictions. À travers une série de portraits, nous vous proposons donc de rencontrer les figures qui incarnent la Commission Diocésaine Justice & Paix de Boma, la Ligue Congolaise contre la Corruption et les Réseaux d’Observateurs.
Toutes et tous travaillent dans la province du Kongo central et, plus particulièrement, dans la zone côtière de Muanda, dans le cadre du projet « Placer les intérêts des populations locales au cœur de la gestion des ressources naturelles : transparence, redevabilité et protection des droits »(plus d’informations en bas de page).
Aujourd’hui, la parole est à Marceline Nzati, une sœur à la tête de la Commission Diocésaine Justice & Paix de Boma (CDJP). C’est à la fin d’un atelier mené le 22 novembre 2019 à Boma, dans la province du Kongo central, en RDC, que nous la retrouvons pour lui poser quelques questions. Elle nous parle d’elle, de l’importance pour les populations locales de reprendre contrôle de la gestion des ressources naturelles et du rôle que les femmes peuvent jouer dans la réappropriation de ces questions.
Marceline :défendre la dignité humaine grâce à la connaissance du droit
Quel a été votre parcours personnel ? Comment êtes-vous arrivée à la CDJP ?
J’ai fait l’école primaire et secondaire au Congo. Après avoir enseigné pendant quelques années, je suis partie étudier à Kinshasa. Étant très intéressée par l’éducation religieuse, chrétienne, des jeunes et des adultes, j’ai suivi la catéchèse. On m’a ensuite proposé d’aller en France dans un centre de formation pour sœurs. Après trois années, j’ai terminé mes études à l’Université Catholique de Lille et je suis retournée au Congo en 1990.
Dès mon retour, j’ai travaillé dans un centre pastoral et j’ai formé des animateurs pastoraux dans les paroisses. Et lorsque la CDJP a été créée, on m’a proposé d’en faire partie, et cela fait maintenant plus de 20 ans que j’y travaille !
Présentez-moi la CDJP
C’est un organe de l’église qui travaille pour les droits humains, la justice sociale et la paix. Notre objectif est d’arriver à créer des relations harmonieuses dans la société, entre les humains, mais aussi entre les humains et l’environnement. Nous faisons principalement des sensibilisations et des formations sur les droits humains, les droits de la femme et des personnes marginalisées. Nous voulons que les gens soient conscients qu’ils ont des droits et que ceux-ci doivent être respectés !
Vous savez, les droits, ce sont des prérogatives inaliénables des personnes, cela fait partie de la dignité humaine. Dès qu’une personne naît, c’est un sujet de droit, elle a des droits et des devoirs, et il faut qu’elle le sache parce qu’on ne peut pas défendre sa dignité sans connaître ses droits. C’est important pour les hommes, mais plus particulièrement pour les femmes parce qu’elles sont encore plus nombreuses à ignorer ceux-ci, ici, au Kongo central.
La doctrine de l’église parle beaucoup de la dignité de la personne, des droits, de la justice sociale et de la paix. Ce sont toutes ces thématiques qui nous préoccupent et c’est pourquoi nous voyageons à travers les paroisses, avec d’autres Organisations de la Société Civile (OSC) pour sensibiliser les populations. Récemment, nous avons commencé à aborder également les questions de la lutte contre les violences faites aux femmes et les principes de bonne gouvernance.
La CDJP fait également partie de l’Observatoire des Ressources Naturelles (ORN). C’est un véritable enjeu, il en va de la survie de populations entières.
Les ressources naturelles doivent être gérées par les populations locales, pour qu’elles se développent, mais aussi pour qu’elles préservent celles-ci pour les futures générations. L’accès aux ressources naturelles est un droit et il faut que les populations soient conscientes qu’elles sont en droit de les exploiter et d’en bénéficier.
Les gouvernants doivent nous aider à avoir de bonnes politiques de gestion des ressources naturelles, mais ils ne le font pas. Nous attendons d’eux qu’ils aident les populations à connaître leurs droits, à collaborer et à participer activement aux processus de gestion des ressources naturelles.
Et puis, il y a les entreprises. Elles ont l’appareillage nécessaire à l’exploitation, nous devons rentrer contact avec elles, apprendre à les connaître et créer des partenariats pour que les autochtones puissent aussi bénéficier de cette activité. Les ressources appartiennent à tout le monde; vous, qui êtes là, vous pouvez en bénéficier ! Mais lorsque nous partageons nos ressources avec les entreprises, nous sommes en droit de participer au processus de gestion et de savoir comment elles sont exploitées.
Et pourquoi cela vous a paru pertinent de travailler avec ASF ?
Nous sommes la société civile, nous sommes avec les populations, c’est important que nous puissions nous réunir, nous mettre ensemble pour défendre nos droits, ceux des populations congolaises, des communautés, c’est pourquoi nous travaillons avec ASF.
Ce qui nous plait avec ASF, c’est aussi que ce sont des gens qui vivent ici, ils comprennent nos réalités, ils sont conscients des inégalités dans le partage. Nous savons qu’ils sont là pour nous aider à faire respecter nos droits.
Après avoir remercié Marceline, nous lui avons demandé si un autre sujet était important pour elle, si elle voulait nous parler de quelque chose d’autre, et elle a tout de suite répondu :
C’est important de parler des femmes ! Nous essayons d’en parler mais ce n’est pas toujours facile de trouver les bons arguments pour convaincre, c’est pourquoi des juristes, des avocats peuvent vraiment nous aider. Ils parlent de la gouvernance des ressources naturelles et de la question des femmes sur des bases juridiques, ce qui est d’une grande aide. Moi, par exemple, je ne suis pas juriste, il y a beaucoup de paramètres qui m’échappent, c’est d’autant plus important de pouvoir en parler avec des spécialistes. Vous savez, nous disons souvent ici que la réflexion est la mère de la science, alors il faut en parler, pour retenir et pour apprendre et, après, pour transmettre.
Un autre membre de la CDJP, Elie, acquiesce et prend la parole :
Nous devons avoir une attention particulière pour les femmes lors de nos sensibilisations. Même si elles viennent, il faut qu’elles soient encore plus nombreuses et, surtout, qu’elles participent ! Un jour, nous sommes venus pour une sensibilisation et nous nous sommes rendus compte que l’heure approchait mais qu’il n’y avait pas beaucoup de monde. Nous avons demandé aux leaders d’aller chercher les gens dans leurs foyers, de les inciter à venir. Quand ils sont arrivés, il y avait beaucoup de chaises et les hommes se mettaient sur les chaises. Les femmes, elles, se mettaient à côté, par terre, et ça, c’est la culture… Ici, la femme laisse la place à l’homme, sa place est loin, par terre, à distance. Elles viennent, mais elles ne disent rien et ne s’approchent pas, même quand il reste des chaises !
Marceline enchaîne :
Il faut sensibiliser les hommes et les femmes sur les questions de genre. Il est évidemment important de faire des sensibilisations ciblées pour les femmes et les jeunes mais l’objectif, à long terme, c’est que les femmes et les hommes soient sensibilisés ensemble.
La dialogue continue et Elie complète :
Oui ! Alors il nous faut des femmes comme Maître Annie (Cf.portrait 2/3), qui véhiculent un exemple, qui prennent la parole, leur montrent que c’est possible. C’est « une dose de tonus » pour encourager d’autres femmes à faire de même.
C’est Marceline qui conclura cet entretien en reliant tous ces enjeux :
Le fait même d’exister donne accès à ces droits, et surtout au droit à la participation. Tout est lié vous savez… Le développement durable ne peut être envisagé sans les communautés, et les communautés sans les femmes, sans qu’elles participent, que leurs droits se réalisent.
Il est aussi très important de parler du développement durable, car aujourd’hui, la population congolaise souffre tellement que la seule chose qui importe pour elle est le présent : « j’ai faim, il faut que je mange maintenant », et quand on a trouvé quelque chose à manger, on attend demain et on recommence. Mais le développement durable, ce n’est pas ça ! Le développement durable, c’est maintenant, demain, après-demain, pour nous, pour les hommes, pour les femmes, pour les enfants, pour les générations à venir, et ça, il faut le dire, alors nous, au quotidien, nous essayons de faire passer ce message.
Dans le prochain article, Ghislain
prendra la parole pour nous parler de son travail
au sein de la Ligue Congolaise contre la Corruption.
L’objectif général du projet est de contribuer à la gestion transparente des ressources naturelles dans le respect des droits humains. Plus spécifiquement, il vise à soutenir l’implication et la participation des populations concernées en vue (i) d’assurer la transparence des processus de gestion des ressources naturelles et la lutte contre les pratiques corruptives et (ii) la protection et la réalisation de leurs droits dans ce cadre.
En consolidant le pouvoir d’agir des populations locales afin que celles-ci soient en mesure de jouer pleinement leur rôle dans les processus de gestion des ressources naturelles et en accompagnant ces populations en vue de garantir la protection de leurs droits, le projet participe à l’émergence des conditions essentielles en vue d’un développement inclusif, durable et respectueux des droits humains.
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