Bruxelles/Tunis, 14 janvier 2014 – Trois ans après le déclenchement de la révolution, la Tunisie peine à démontrer sa volonté de mettre en œuvre de véritables mécanismes de justice transitionnelle. Malgré des avancées récentes, ces mécanismes nécessaires pour traiter efficacement les cas des violations graves des droits humains commis pendant le soulèvement tardent à voir le jour. Avocats Sans Frontières (ASF) est préoccupée par cette situation qui risque de créer un climat d’impunité pour les auteurs et de non reconnaissance pour les victimes.
Le nombre de victimes de violations des droits humains commises pendant la révolution est estimé à plus d’un millier de personnes, essentiellement blessées ou tuées lors de manifestations. Si des initiatives ont rapidement été lancées pour faire la vérité sur ces violations, poursuivre les auteurs, assurer la reconnaissance aux victimes ainsi que leurs indemnisation, le bilan actuel est malheureusement décevant.
Ainsi, la plupart des mesures prises par les autorités pour indemniser les victimes sont restées dissociées et ponctuelles. « Du coup, des victimes attendent toujours la réhabilitation ou l’indemnisation promise », constate Federica Riccardi, Chef de mission ASF à Tunis.
Des efforts ont été entrepris en vue de permettre la poursuite des principaux responsables des violations graves des droits humains. A ce jour, seule une centaine de dossiers de violations graves des droits humains ont été constitués devant les juridictions nationales et un grand nombre de personnes qui auraient pris part à de graves violations pendant le soulèvement n’ont toujours pas été poursuivies, ni jugées ; d’autres ont même été récemment acquittées. « Le risque d’une situation d’impunité est donc bien réel », estime Federica Riccardi.
Le projet de loi sur la Justice Transitionnelle adopté par l’Assemblée Nationale Constituante le 15 décembre dernier pourrait permettre des avancées. Cette loi prévoit notamment la création d’une « Commission Vérité et Dignité », qui devra faire la lumière sur les violations commises depuis l’indépendance du pays en 1956 et mettre en place un fonds pour la réparation des préjudices. Toutefois, pour la Chef de mission ASF, « des incertitudes fondamentales persistent, comme la définition du statut de victime et la capacité à cette commission à remplir son rôle ».
Dans ces conditions, ASF appelle les autorités tunisiennes à assurer la mise en place rapide de mécanismes de justice transitionnelle centrées sur les victimes et le respect de leurs droits. Il est indispensable que la loi de justice transitionnelle ne soit pas instrumentalisée par des intérêts partisans et politiques au détriment de la justice.
Depuis 2011, ASF accompagne les initiatives de la société civile pour restaurer la confiance entre la justice et la population tunisienne. « Nous soutenons six associations de droits humains et de victimes[1] de manière à ce que les cas de violations des droits humains soient bien documentés et intégrés dans une stratégie de plaidoyer en faveur de la justice transitionnelle. C’est un processus long mais incontournable si la Tunisie veut poursuivre sereinement son évolution démocratique », conclut Federica Riccardi.
Photo de couverture: Les familles des victimes de la révolution en 2010-2011 attendent justice et réparation , Tunis, janvier 2013 @ Forum Tunisien des Droits économiques et sociaux
[1] La Ligue Tunisienne des Droits de l’Homme, l’Association des Femmes Tunisiennes, le Conseil National pour les Libertés en Tunisie, Liberté et Equité, l’Association des Familles des Martyrs et Blessés de la Révolution Tunisienne – Awfia, Insaf, Justice pour les anciens militaires de Barraket Essahel, Om Chahid (à Rdayef-Gafsa) et Militantes qui ont Défié les Barrières (à Sfax).