Kinshasa, le 18 septembre 2015 – La Haute Cour Militaire a rendu hier son arrêt définitif dans l’affaire Chebeya. Ce verdict d’appel acquitte quatre des cinq prévenus en cause, et réduit sensiblement la peine prononcée par le premier juge contre le Commissaire principal Mukalay. Avocats Sans Frontières, qui soutient les frères et sœurs de l’activiste constitués en parties civiles, regrette que la justice congolaise n’ait pas saisi l’opportunité de ce procès en appel pour remédier aux défauts des procédures précédentes. Ceci aurait pu permettre de répondre à certaines dérives constatées depuis le début de cette affaire en 2010.
Pour rappel, le corps sans vie de Floribert Chebeya, Président de l’ONG congolaise La Voix des Sans Voix et figure emblématique de la défense des droits humains en RD Congo, a été retrouvé dans son véhicule le 2 juin 2010, en périphérie de Kinshasa. La veille, il s’était rendu à l’inspection générale de la Police Nationale Congolaise sur rendez-vous, où il devait en principe rencontrer le Général John Numbi, alors Inspecteur Général. Le corps de son chauffeur, Fidèle Bazana, n’a toujours pas été retrouvé.
Huit officiers de police ont été accusés d’association de malfaiteurs, d’assassinat et d’enlèvement, de possession illicite d’armes de guerre, de désertion et de terrorisme. Cette affaire a été jugée par la Cour Militaire de Kinshasa-Gombe, en première instance, où un arrêt fut rendu en date du 23 juin 2011 condamnant cinq accusés, dont le principal est le Commissaire principal Mukalay, reconnu comme commanditaire de l’assassinat.
Aux yeux des parties civiles, cette décision était insatisfaisante sur certains points. Elle omettait de déterminer avec précision et sur la base d’éléments de preuve les faits, ainsi que les responsabilités individuelles des accusés. Plus précisément, la décision ne contenait aucune information sur les mobiles personnels des accusés, leur rôle respectif dans l’assassinat, les circonstances et la préparation du complot, etc. En conséquence, les parties civiles ont interjeté appel devant la Haute Cour Militaire.
En appel, seuls cinq de ces huit officiers ont été jugés pour assassinat, enlèvement et détention illégale d’armes. La Haute Cour Militaire a requalifié l’infraction d’enlèvement retenu pour Fidèle Bazana en assassinat.
Le verdict en appel, prononcé hier à la prison centrale de Kinshasa, a de nouveau déçu les parties civiles car seul Mukalay a été condamné à 15 ans de servitude pénale principale ; les quatre autres prévenus étant acquittés sans motivation satisfaisante. L’instruction en appel n’a pas permis de tirer les conséquences de nouvelles révélations sur les faits entourant l’assassinat et l’éventuelle implication du Général Numbi. Ces révélations avaient été effectuées par l’ex-Major Paul Mwilambwe (condamné en RD Congo et en fuite au Sénégal) et Kalala Kalao, le chauffeur privé du Commissaire principal Mukalay.
« Les enquêtes conduites de manière superficielles en première instance n’ont pas été suffisamment développées en appel, et le verdict de ce jour témoigne des réponses judiciaires lacunaires aux violations subies par les défenseurs des droits humains en RD Congo » regrette Josselin Léon, Chef de mission d’ASF.
En marge de ce verdict, les parties civiles sont toujours en attente de la décision de la Cour Suprême de Justice suite à la requête de prise à partie contre l’Auditeur Général des Forces Armées de la RD Congo. Cette requête, introduite le 3 avril 2015, vise à dénoncer le défaut de l’enquête entourant le décès de Chebeya et de solliciter la poursuite de l’instruction à charge du Général Numbi.
Dans l’attente des suites qui seront données à cette requête, le Chef de mission d’ASF conclut : « Nous lançons un appel aux autorités judiciaires pour qu’elles profitent de cette chance au niveau national, pour faire toute la lumière sur cette affaire emblématique ».
L’appui continu d’ASF dans le cadre de cette affaire répond à la volonté de lutter contre l’impunité dans le respect des normes nationales, régionales et internationales. Cette intervention rentre dans le cadre du programme de soutien d’ASF aux défenseurs des droits humains en RD Congo.