Entre les murs – Walid Bouchmila (Horizon d’Enfance) : « Quand on fait un projet en prison, il faut vraiment penser à tout le monde. »

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Entre les murs – Omar Ben Amor (Art Acquis) : « L’accès à la culture pour tous les détenus à tout moment »

Entretien avec Walid Bouchmila, président de l’association Horizon d’Enfance.

Au sein du projet l’Alternative, mis œuvre par Avocats Sans Frontières et ATL MST SIDA, Horizon d’Enfance met en place des activités culturelles à la prison de Gabès, des formations à destination du personnel pénitentiaire et des formations qualifiantes (plomberie, plâtrerie, arts culinaires et pâtisserie) à destination des détenus. Ces derniers bénéficient également de formations en entreprenariat, d’un accompagnement au montage de micro-projets et d’un suivi psychologique de préparation à la sortie. L’objectif global du projet est de contribuer à la réhabilitation et à la réinsertion des détenus de la prison de Gabès.

Pouvez-vous vous présenter et présenter le travail d’Horizon d’Enfance ?

Je suis Walid Bouchmila, travailleur social de formation et président d’Horizon d’Enfance. Notre association s’occupe des enfants en situation de rue, et offre une prise en charge sociale, psychologique et éducative de ces jeunes et de leurs familles. L’idée est de parvenir à l’émancipation économique et la prise en charge sociale de la famille.

Quel est le travail d’Horizon d’Enfance en détention ? Pourquoi vous semble-t-il nécessaire de mener ce projet ?

En travaillant avec ces jeunes-là, on les questionnait : « comment en êtes-vous arrivés là ? ». Dans les faits, beaucoup de jeunes disent que l’un de leur parent (le père essentiellement) est ou a été emprisonné. L’absence du parent a facilité la précarisation de ces jeunes. Du coup, si on veut travailler là-dessus, il faut travailler avec les pères en prison dans une démarche de réinsertion et pour prévenir la récidive et la délinquance.

Si nous menons ce projet, c’est pour aider les familles, surtout d’un point de vue économique, via l’insertion par le travail des pères de famille. L’objectif final est de sortir de la vulnérabilité.

Quel est la situation dans la prison de Gabes aujourd’hui (population carcérale, conditions de détention etc…) ?

Le nombre de détenus est très variable : quand on a commencé à travailler à la prison de Gabès (en janvier 2020, ndlr), ils étaient 300 prisonniers. On a vu ce chiffre monter jusqu’à 600, notamment parce que la prison de Gabès faisait partie des prisons qui accueillaient les nouveaux détenus pour placement en quarantaine lors de la première vague de la COVID-19. En ce moment, on est autour de 400 détenus, sachant que ce ne sont que des hommes. Il est prévu que la prison de Gabès construise à terme un pavillon pour accueillir les femmes.

Quant aux conditions de détentions, la prison a été amenée à réaménager beaucoup d’espaces initialement dédiés par exemple aux ateliers de théâtre et de cinéma. Ces espaces sont devenus des espaces d’accueil en quarantaine des nouveaux détenus.

Globalement, la surpopulation est toujours la norme à la prison de Gabès ; bien qu’à ma connaissance il y ait eu très peu de cas de COVID dans la prison – seulement deux personnes diagnostiqués au moment de leur quarantaine. Aujourd’hui, la situation est sensiblement la même – en termes de mesures sanitaires appliquées -, avec un renforcement ces derniers jours après un certain relâchement lors de la deuxième vague.

Quel est le profil des détenus (profil socio-économique/ parcours pénal) que vous avez pu côtoyer dans le cadre du projet ?

On trouve tous types de profil à la prison de Gabès, depuis des personnes qui ne savent ni lire ni écrire, jusqu’au chef d’une agence de banque. En termes de peine, cela va de quelques mois de prison jusqu’à la perpétuité ; et les détenus ont de 18 ans jusqu’à plus de soixante ans. Globalement, on y retrouve toutes les catégories sociales, avec une majorité de détenus jeunes (moins de 40 ans), arrivés souvent là pour des peines de 3 à 5 ans maximum et pour des délits liés aux stupéfiants, vols, bagarres… Le taux de récidive est très important, il est d’environ 40% de ce que l’on a pu constater.

Quelles activités avez-vous mis en œuvre à ce jour ?

Nous avons mis en œuvre des formations à destination du personnel pénitentiaire, achevé les activités culturelles (ateliers de cinéma, de théâtre et musique). Aujourd’hui, des formations qualifiantes sont en cours en plomberie, plâtrerie, pâtisserie et arts culinaires. A la fin, ils auront un examen pour certifier leurs compétences – nous devons discuter encore avec la direction générale de la formation professionnelle et la prison de la manière dont nous ferons passer ces tests (dans ou hors la prison).

Ensuite, en fonction de qui va sortir prochainement, nous allons aider à préparer la sortie avec le détenu et la famille et l’appuyer à créer un micro-projet. Les détenus auront aussi une formation en entreprenariat et un coaching par la psychologue pour les préparer à la sortie.

Ce qui a été difficile, ça a été la sélection des détenus qui allaient participer aux formations qualifiantes parce qu’il n’y a que les détenus déjà jugés qui y ont droit, pas les autres [détenus préventifs]. Or, les détenus préventifs constituent la majorité de la population carcérale. Parmi les détenus jugés, beaucoup ont des peines très longues et il n’y a donc pas d’intérêt à les former maintenant. On a donc fait notre maximum pour travailler avec des détenus qui sortent plus ou moins dans les délais du projet, bien que ça ne soit pas la majorité de nos bénéficiaires à ce jour.

Quels ont été les retours de détenus et agents pénitentiaires qui y ont participé/y participent ?

Les réactions sont très positives du côté des détenus : les formations comme les activités culturelles sont très appréciées, notamment parce qu’elles permettent d’avoir un certain temps de liberté et de s’occuper, dans une prison où il y a globalement très peu d’activités à faire. Du côté du personnel pénitentiaire, il était réfractaire au début parce que nous étions la première association qui entrait dans la prison. Mais petit à petit, nous avons réussi à gagner leur confiance. Ils ont pris conscience que le projet était bénéfique pour eux, au même titre que pour les prisonniers. Ils ont fini par apprécier notre travail et nous sommes aujourd’hui toujours bien accueillis.

La question qui se pose c’est la durabilité du projet. Il y a des agents pénitentiaires qui assistent aux formations qualifiantes pour pouvoir reprendre la suite après. Mais la direction de la prison nous a expliqué que les effectifs étaient trop faibles pour vraiment permettre de détacher quelqu’un du personnel pour faire ça. Aussi, ce que l’on a remarqué, c’est le manque d’activités sportives au sein de la prison, c’est un manque qu’il faudrait essayer de couvrir via un autre projet par exemple. On pourrait aussi faire d’autres formations. Et à la prison de Gabès, il y a un grand terrain de deux ou trois hectares qui pourrait être exploité pour faire un projet d’agriculture.

Quel est le retour d’expérience d’Horizon d’Enfance ?

Je vais répondre en deux temps. Si on m’avait posé la question il y a huit mois, j’aurais eu une réponse assez mitigée. En effet, le début du projet a été très chaotique, on a rencontré beaucoup d’obstacles et nous n’étions pas non plus habitués à travailler dans un cadre aussi « restrictif ». Tout doit être planifié, validé au niveau central… La signature de la convention a aussi mis beaucoup de temps. Mais maintenant tout se passe bien : l’accès à la prison est facile, même sans rendez-vous on peut se présenter à la prison ; on est très impliqués dans le travail de la prison. Un des chefs de service m’a même dit « je vous considère comme un collègue ». De notre côté, nous avons bien compris les problèmes du personnel pénitentiaire, leurs réticences envers nous ; les agents se sentent souvent lésés, ils ont la sensation que les juges sont plutôt du côté des détenus s’il y a un problème et ont l’impression que les projets qui sont montés sont toujours pour les détenus.

Lorsqu’ils ont vu notre projet et pris conscience qu’ils n’avaient pas été « oubliés », ils ont bien compris que ça serait bénéfique pour tout le monde. Quand on fait un projet en prison, il faut vraiment penser à tout le monde.

A quel(s) changement(s) souhaitez-vous contribuer via votre action ?

Il faut qu’il y ait une prise de conscience de l’importance des activités culturelles, sportives etc dans la prison pour baisser les tensions entre les détenus et le personnel pénitentiaire. On a d’ailleurs réussi à monter un partenariat avec le Centre des arts dramatiques de Gabès : un professeur de théâtre fait des cours dans la prison, et on est parvenus à faire en sorte que cette activité soit maintenue après notre passage.

Le personnel dit lui-même que les activités ont un impact très positif sur l’ambiance de la prison. Aussi, les formations en arts culinaires ont permis d’améliorer la qualité des repas : les détenus en formation cuisinent pour tout le monde une journée par semaine. C’est très apprécié, tout comme les gâteaux qui sortent chaque jour des ateliers en pâtisserie.

Quel a été l’impact de la crise sanitaire liée à la COVID-19 en prison lors de la première et de la deuxième vague ?

Pendant la première vague, on a eu l’interdiction d’accéder ce qui a causé l’arrêt total des activités. Mais on a été les premiers à reprendre nos activités. Pendant la deuxième vague, on a pu continuer nos activités normalement.

Quelles sont pour vous les réformes nécessaires en matière pénale et carcérale ?

Ce qu’il faut, c’est diminuer la population carcérale, en fixant par exemple un nombre de détenus maximal en prison. Il faut aussi éviter au maximum de mettre les gens en prison en détention préventive et encourager les juges à prononcer des peines alternatives. Le bureau de probation à Gabès n’est pas encore très opérationnel, seulement quelques personnes y bénéficient d’un suivi. Je n’ai pas constaté de progression majeure dans ce bureau, mais c’est sans doute dû aux moyens dont ils disposent. Et les dynamiques mettent du temps à changer…

Quel est rôle des organisations de la société civile dans les prisons ? Comment pourrait-on à votre avis inscrire cette dynamique société civile/milieux carcéral dans le cadre d’une action durable ?

La société civile a un rôle très important. Notre projet a su apporter une dynamique très positive au sein de la prison de Gabès, on a même eu des propositions du personnel pour d’autres idées de projet. Le rôle de la société civile, c’est aussi d’aider le personnel pénitentiaire à améliorer leur travail pour offrir une meilleure prise en charge des détenus. Ce qu’il faut, c’est vraiment un équilibre entre les activités à destination des détenus et celles à destination du personnel.

Maintenant, il faut inscrire cette dynamique dans le temps. On sait qu’à Gabès, d’autres organisations de la société civile seraient intéressées de travailler avec la prison, dans la prison. De notre côté, on ne sait pas à ce jour si l’on pourra continuer à accéder après le projet (les conventions d’accès en prison sont limitées dans le temps, ndlr). Peut-être qu’il faudrait que ce soit les directeurs de prison qui puissent établir des conventions ? Décentraliser à l’échelle régionale cette prérogative.

Le projet L’Alternative est financé par l’Union européenne