Les réparations pour les victimes de crimes internationaux en République Démocratique du Congo, un enjeu majeur dans la lutte contre l’impunité

ASF est active dans la lutte contre l’impunité et la justice internationale depuis presque 15 ans en République démocratique du Congo (RDC). Durant cette période, l’organisation a été témoin de nombreux progrès en la matière mais déplore que les dispositifs déployés ne soient toujours pas à la hauteur des enjeux.

Car, alors que les conflits persistent, que la demande de justice des citoyen.ne.s demeure pressante et que les procès et les condamnations s’enchaînent, les victimes peinent toujours à recevoir les réparations qui leur sont accordées par les cours et tribunaux. Économiques ou d’autre nature, ces réparations sont pourtant jugées fondamentales à la réalisation d’un réel processus de réconciliation en RDC. À ce jour, malgré une somme de presque 28 millions USD accordée à plus de 3.300 victimes, seule une décision de réparation a partiellement été exécutée.

En plus de ce constat, déjà accablant, la forme des réparations ordonnées posent deux problèmes majeurs. Tout d’abord, celles-ci ne peuvent être allouées que sur décision judiciaire, limitant l’accès à la justice de nombreuses victimes. Et, deuxièmement, le droit congolais ne permet que d’allouer des réparations pécuniaires et individuelles.

La nature des crimes commis, des préjudices causés et leur impact sur de larges portions de la population requièrent une réponse adaptée. ASF considère que le dispositif juridique congolais ne permet pas en l’état de satisfaire les exigences liées à ces procès pour crimes internationaux. Le droit pénal international prévoit par exemple la possibilité d’attribuer des réparations collectives et non pécuniaires, des dispositions qui n’ont toujours pas été intégrées dans la législation nationale.

Ces enjeux, ASF les défend aujourd’hui à travers le projet « Poursuivre la lutte contre l’impunité des crimes graves commis en RDC », financé par l’Union européenne, et mené en partenariat avec RCN Justice et Démocratie et Trial International.

La stratégie d’ASF et ses partenaires s’articule autour de 4 axes : l’accès à la justice des victimes, le renforcement de capacité des acteur.rice.s de terrain, un travail de sensibilisation et un travail de plaidoyer.

Grâce à la collaboration d’ASF et de ses partenaires avec les avocat.e.s des barreaux du Nord Kivu, de l’Ituri et du Maniema, plus de 500 victimes de crimes internationaux ont pu bénéficier d’un accompagnement juridique en 2020. Pour s’assurer que ces personnes bénéficient des meilleurs services possibles, ASF et ses partenaires ont organisé des formations sur la thématique des réparations et de leur exécution à l’attention d’avocat.e.s, ainsi que des formations à la collecte de données en matière de crimes internationaux à l’attention d’organisations de la société civile.

Enfin, en parallèle d’un travail de sensibilisation effectué auprès de victimes de crimes internationaux, ASF a effectué en 2020 un travail de plaidoyer pour condamner la non-exécution des jugements en faveur des victimes de la part de l’État congolais. Selon ASF, il faut de toute urgence revoir en profondeur la place accordée aux victimes et aux réparations dans les nombreux procès de justice internationale qui se tiennent en RDC. Car, si ces enjeux ne sont pas rencontrés, c’est tout le processus de justice transitionnelle entamé dans le pays qui est en péril. Sa réussite est pourtant fondamentale pour permettre à la population de retrouver la confiance en ses institutions et d’envisager une réelle réconciliation au niveau nationale.

Tueries de Djugu : Évolution significative de la jurisprudence congolaise en matière de réparations sur fond de lourdes peines pour les prévenus

Le procès Djugu 2 est arrivé à son terme le 1er avril 2021. Il s’est conclu par une décision de condamnation de 21 prévenus à la peine de servitude pénale principale à perpétuité pour crime contre l’humanité par meurtre, incendie, destruction, pillages et persécution, et par une décision d’acquittement au profit de 11 autres prévenu.e.s. Les 219 parties civiles se sont en outre vu octroyer la plupart de leurs demandes de réparations, tant individuelles que collectives, y compris des mesures de réhabilitation, rompant ainsi avec la pratique d’octroi de seuls dommages et intérêts.

Des restitutions ont également été ordonnées au titre de réparations individuelles. Parmi les mesures de réparations collectives, le Tribunal Militaire de Garnison de l’Ituri a condamné la RDC à ériger un centre de santé dans chaque village pour la prise en charge médicale et psychologique des victimes ; prendre des mesures pour la recherche des cadavres non retrouvés et offrir aux victimes des moyens pour l’organisation de deuil ; ériger un monument dans chaque village ayant fait l’objet d’une attaque ; prendre des mesures idoines pour mettre fin aux activités du groupe armé CODECO. Il s’agit d’une conciliation particulièrement pertinente des différentes mesures de réparation envisagées par le droit international, à savoir l’indemnisation, la restitution, la réhabilitation, la satisfaction et les garanties de non-répétition.

Ce verdict constitue une étape importante dans la lutte contre l’impunité en Ituri, une région qui est le théâtre d’importantes tensions intercommunautaires et ethniques. Ce procès concerne plus particulièrement les crimes commis par le groupe armé « Coopérative pour le Développement du Congo » (CODECO) contre la communauté Hema sur le territoire de Djugu, entre décembre 2017 et mars 2020. Il y a lieu de rappeler que la CODECO prétend défendre les intérêts de la communauté Lendu (agriculteur.rice.s) face notamment à la communauté Hema (éleveur.euse.s et commerçant.e.s). La milice CODECO avait intensifié ses attaques dans les territoires de Djugu, Irumu et Tchomia après le décès de son leader Matthieu Ngudjolo[1] et l’arrestation de ses principaux lieutenants.

Le procès Djugu couvrait les crimes commis dans ces territoires entre décembre 2017 et mars 2020. Les prévenu.e.s étaient accusé.e.s d’avoir lancé de façon généralisée et systématique plusieurs attaques contre la population civile, tuant plus de 800 personnes, incendiant plus de 400 habitations et causant le déplacement de 200 000 personnes.

Cette décision constitue un signal fort adressé aux groupes armés opérant dans la région qui continuent de sévir au mépris des droits des populations civiles, ainsi qu’à l’État congolais, dont la responsabilité est également reconnue par le Tribunal. La RDC se voit ainsi condamnée à la réparation in solidum pour avoir failli à sa mission de protection des populations. La quasi-totalité des victimes, témoins et renseignant.e.s ont fait état de la présence de la police nationale congolaise et des Forces Armées de la République Démocratique du Congo dans les localités où ont été commis les attaques et autres actes répréhensibles reprochés aux prévenu.e.s.

La procédure s’est déroulée dans le respect de la loi et des principes du procès équitable, notamment des délais légaux, malgré les difficultés liées à l’insécurité persistante due à la présence de la CODECO aux alentours d’Iga Barrière.

Ce verdict ne signe toutefois pas la fin du parcours judiciaire des victimes de cette affaire. Les victimes n’obtiennent que très rarement les dommages et intérêts auxquels elles ont droit. La procédure d’exécution d’autres formes de réparations est ainsi loin d’être claire. Il s’agit maintenant de s’assurer que :

  • L’indigence des victimes soit reconnue et que celles-ci soient exonérées des frais liés à la mise en état du dossier et à la procédure d’exécution ;
  • Les autorités administratives et judiciaires procèdent à la mise en état du jugement pour le rendre exécutoire ;
  • Les autorités administratives et judiciaires procèdent à l’exécution effective du jugement ;
  • Les victimes reçoivent effectivement et dans les meilleurs délais les réparations auxquelles elles ont droit.

Le rôle d’ASF dans cette affaire

Cas prioritaire inscrit dans la stratégie de priorisation pour l’Ituri, l’aboutissement de ce procès a nécessité l’engagement des partenaires d’appui à la justice, dont Avocats Sans Frontières qui a été impliquée dans le procès depuis ses débuts. ASF a assuré la documentation et l’encadrement des victimes à travers une organisation de la société civile locale et l’assistance judiciaire des parties civiles par l’intermédiaire de trois avocats membres de son pool Justice Pénale Internationale. ASF a également assuré l’assistance matérielle et/ou financière nécessaire pour que les victimes puissent participer au procès en toute sécurité. Afin de s’assurer que la procédure se déroule dans le respect de la loi et des principes du procès équitable, ASF a enfin mandaté un observateur indépendant, dont les rapports sont disponibles sur la plateforme d’observation de procès d’ASF.

[1] Mathieu Ngudjolo a été jugé et acquitté par la Cour Pénale Internationale pour les faits commis en Ituri à partir de 2002 et 2003.

Patrick Henry : « Nous devons être conscient.e.s que, dans un nombre grandissant de pays, la notion même de droits humains est contestée. »

Cet entretien fut initialement publié dans le Journal des Tribunaux (Mars 2021)

Avocats Sans Frontières s’apprête à fêter ses 30 ans. Dans le Journal des Tribunaux, Patrick Henry, le nouveau président du Conseil d’Administration d’ASF, revient sur l’histoire de l’organisation et le lien tout particulier qu’elle entretient avec les avocat.e.s et les barreaux de Belgique.

Tout d’abord, félicitations pour votre récente nomination à la tête du conseil d’administration d’ASF. L’association a beaucoup évolué depuis sa création. Quelle était la place de l’avocat.e dans l’action de l’organisation à ses débuts ?

L’avocat.e a toujours joué un rôle central dans le travail d’ASF. L’association est d’ailleurs née dans l’esprit d’un groupe de bâtonnier.ère.s et d’avocat.e.s belges, sous la houlette du bâtonnier Pierre Legros[1], en 1992. Dans le cadre de son premier projet, ASF avait pour but de permettre à des avocat.e.s belges et européen.ne.s de se rendre à l’étranger pour défendre des justiciables dans des affaires à caractère « sensible », dans des conditions où le recours à un.e avocat.e indépendant.e était souvent compromis. Des avocat.e.s sont ainsi intervenu.e.s dans de nombreux pays comme Cuba, la Palestine, le Brésil, la Turquie, la Russie, le Maroc, la Sierra Leone, la Bolivie, etc. D’où le nom de l’organisation bien sûr.

Le mandat de l’organisation a rapidement évolué, pourquoi ?

Un premier tournant est intervenu avec le génocide du Rwanda. Ce fut un grand choc pour tous. Dès 1994, ASF a mis sur pied un programme pour tenter de pallier le manque cruel d’avocat.e.s formé.e.s disponibles. Tant pour défendre les victimes que les accusé.e.s, cela paraissait fondamental. Il fallait, dans un contexte humain tout aussi crucial que dramatique, pouvoir garantir les principes du procès équitable et le respect des standards internationaux.

C’est à ce moment qu’ASF a commencé à s’intéresser à la justice pénale internationale mais aussi au rôle de la justice dans les zones de post-conflit. Des sujets qui sont depuis au cœur du mandat de l’organisation.

Pour ASF, ce fut aussi un changement d’approche assez rapide, puisque seulement deux ans après sa création, elle élargissait déjà son champ d’action en ajoutant le renforcement technique et juridique des avocats à l’assistance immédiate.

Et ce champ d’action n’a fait que grandir. Aujourd’hui, ASF souhaite contribuer à la réalisation d’une société plus juste, plus équitable et solidaire, dans laquelle le droit et la justice sont au service des groupes et des individus en situation de vulnérabilité et où l’état de droit se fonde sur les droits humains.

Au fur et à mesure des années, la justice est devenue un moyen d’atteindre ces objectifs. Aujourd’hui, ASF travaille en partenariat avec une multiplicité d’acteur.rice.s nationaux.les et internationaux.les :  des organisations de la société civile, des acteur.rice.s de la justice, les autorités locales et nationales mais aussi des académicien.ne.s, des représentant.e.s des communautés et, bien sûr, la population elle-même.

Quelle est la complémentarité de ces acteur.rice.s avec les avocat.e.s ?

L’avocat.e reste un.e acteur.rice de changement central.e dans la vision d’ASF, mais beaucoup d’autres acteur.rice.s se sont révélé.e.s essentiel.le.s à la réalisation de nos objectifs dans les pays où nous intervenons.

Prenons l’exemple de la République Centrafricaine. Le barreau n’y compte qu’une bonne centaine d’avocat.e.s pour 4.500.000 habitants. Et l’immense majorité de ces avocat.e.s professe à Bangui, la capitale. Les institutions judiciaires formelles sont donc globalement absentes dans les zones reculées. Pourtant, comme partout, il y existe des conflits et ceux-ci doivent être réglés. Comment le sont-ils ? Par le recours à des structures informelles : le citoyen se rend auprès de chefs de village ou de quartier, de chefs religieux, de policiers, de sages, etc. Ces mécanismes sont indispensables pour éviter les escalades de violence dans ces régions. Mais le recours exclusif à ce type de mode de résolution de conflits est loin de garantir un traitement impartial des justiciables. Il faut donc éviter qu’ils se substituent purement et simplement aux tribunaux étatiques. Sinon, c’est l’injustice qui s’installe. C’est pourquoi il est nécessaire de compter sur ces différent.e.s acteur.rice.s et d’assurer la bonne cohésion de leurs interactions.

Les avocat.e.s ont un grand rôle à jouer sur ce terrain. Et c’est ce qu’ils font dans beaucoup de pays, en proposant, en plus de leur travail d’assistance judiciaire et de représentation devant les tribunaux, des services de médiation, d’informations et de conseil aux acteur.rice.s locaux.les. La formation de parajuristes capables d’aider la population à prendre conscience de ses droits et à apprendre à les faire valoir est, à cet égard, très riche en perspective. Là où le droit ne se rend pas seulement devant les tribunaux, il faut que la défense soit présente partout. C’est vrai là-bas comme ici.

ASF a donc pour ambition de proposer une approche plus holistique ?

Exactement, en multipliant les interlocuteurs, nous pouvons nous attaquer aux problèmes structurellement et nous augmentons nos chances d’apporter des changements durables qui ont un impact réel sur la vie des justiciables, mais aussi sur l’État de droit, l’accès à la justice et la réduction des inégalités.

Notre approche est également devenue plus globale. Elle ne se concentre plus uniquement sur les pays du Sud. Les sujets sur lesquels nous travaillons dans nos pays d’intervention – comme la détention, la réduction de l’espace civique, les menaces sur les libertés individuelles, etc. – sont des thématiques qui nous concernent tous. Il est important de les penser de cette manière. C’est pour cette raison que nous avons récemment développé des projets transversaux. Ainsi, en 2020, nous avons coordonné un travail de monitoring sur l’impact des mesures de prévention liées à la pandémie sur les libertés individuelles aussi bien en Belgique que dans nos pays d’intervention. Et les constats sont souvent plus proches qu’on ne pourrait le penser.

Nous suivons également de près les travaux de la Commission parlementaire chargée d’aborder le passé colonial de la Belgique. Quel est son impact sur nos sociétés aujourd’hui ? Comment faire en sorte d’assurer la réconciliation nécessaire à des relations entre ces pays, leur population et leur diaspora, qui soient saines et qui ne reproduisent pas des dynamiques de domination ?

C’est intéressant car ce projet rejoint tout à fait les thématiques de la Justice pénale internationale et de la justice transitionnelle, sur lesquelles nous travaillons depuis très longtemps.

Que souhaitez-vous pour ASF pour la suite ?

Continuer à être dynamique en tenant compte des contextes évolutifs dans lesquels nous vivons, chercher les leviers qui permettent réellement de lutter contre les injustices dans le monde. La crise sanitaire a accéléré certains changements. Il faut les voir comme autant d’opportunités. La digitalisation, la création de communautés de pratique, le partage d’expertise, l’approche globale sur certains sujets, le positionnement au Nord, etc., sont des sujets sur lesquels ASF travaille depuis des années mais nous avons, par la force des choses, beaucoup avancé sur ces questions en 2020. C’est à travers de nouvelles collaborations, de nouvelles approches, que nous pouvons rester pertinent.e.s en gardant en ligne de mire le mandat de notre organisation.

Nous devons aussi être conscient.e.s que, dans un nombre grandissant de pays, la notion même de droits humains est contestée, dénoncée comme un produit capitalo-colonialiste. Ce pourrait être un tournant. De nombreux pays ont cessé de tenter de justifier, vaille que vaille, qu’ils respectaient les standards de la Déclaration universelle des droits de l’homme (qu’ils taxent aujourd’hui de « traduction de l’égoïsme content des nantis occidentaux »[2]). À présent, ils les contestent en les rejetant en bloc. Pour eux, les droits individuels ne correspondraient qu’à une croissance non maîtrisée des désirs, qui précipite nos démocraties dans une logique de revendications infinies qu’ils appellent l’ingouvernabilité ou l’impolitique[3].

D’aucuns nous annoncent d’ailleurs la mort des droits humains[4]. Il n’y a pas que du faux dans ce discours. Et, par certains de nos excès, nous y donnons corps. Mais il faut être conscient qu’il dissimule mal une volonté d’hégémonie, d’oppression et d’asservissement.

C’est un fameux défi pour nos sociétés. Montrer que l’égalité, la solidarité, la dignité, la liberté, l’état de droit, la justice pour tous, … sont des valeurs universelles. Qu’elles valent pour tou.te.s et non seulement pour les européens blancs, mâles et chrétiens.

C’est le défi auquel ASF entend s’attacher. Avec le plus grand nombre d’entre vous, j’espère.

Luttons.

[1] Outre Pierre Legros, la présidence d’ASF a été assumée par Bavo Cool, Luc Walleyn, Marc Nève, Liven Denys, Hafida Talhaoui et Eddy Boydens.

[2] A. BADIOU, L’éthique. Essai sur la conscience du mal, Caen, Nous, 2003.

[3] J. FREUND, Politique et impolitique, Sirey, 1987.

[4] J. Lacroix et J.-Y. Pranchère, Le procès des droits de l’homme, Seuil, 2016. Voyez aussi  https://www.huffingtonpost.fr/entry/la-politique-des-droits-de-lhomme-est-elle-definitivement-morte-dans-le-monde_fr_5dde812fe4b0d50f329a7869

Entre les murs – Omar Ben Amor (Art Acquis) : « L’accès à la culture pour tous les détenus à tout moment »

Entre les murs – Walid Bouchmila (Horizon d’Enfance) : « Quand on fait un projet en prison, il faut vraiment penser à tout le monde. »

Découvrez le travail accompli par l’association Art Acquis avec les détenus en Tunisie. Avec son projet Perspectives, soutenu par ASF, l’organisation utilise l’art comme thérapie. À travers les activités proposées, elle cherche à aider les détenus à mieux s’exprimer sur leur expérience, à s’occuper de manière constructive pendant leur incarcération et à favoriser leur réinsertion dans la société.

Pouvez-vous vous présenter et présenter le travail d’Art Acquis ?

Je suis Omar Ben Amor, artiste et membre fondateur de l’association Art Acquis. J’ai une expérience de 6 ans auprès de la société civile, en tant que chorégraphe, metteur en scène, producteur de la radio régionale Diwan FM, réalisateur de documentaires, …

Art Acquis est une association culturelle et artistique qui fut fondée en 2016 par un collectif d’artistes. Son objectif principal est le développement social des populations vulnérables par le biais de l’art et de la culture. On a été les organisateurs régionaux du Forum Jeunesse de l’Institut Français à Sfax, on a accueilli les Journées Cinématographiques de Carthage en 2017, … On a aussi été partenaires de Sfax « capitale de la culture arabe » en 2016.

Art Acquis travaille beaucoup avec les populations vulnérables, sur les sujets tabous ; avec toujours cette idée latente de travailler avec les détenus dans les prisons. On voyait ça au début comme un peu insurmontable, jusqu’à ce qu’on appuie les Journées Cinématographiques de Carthage à Sfax avec l’organisation d’une projection en prison.

Ce qui m’a frappé, c’est le niveau de débat : il dépassait largement le contenu, on a parlé de réalisation, de son… À la suite de cette projection, on s’est dit qu’il fallait que l’on fasse quelque chose de plus grand que ça. Puis il y a l’opportunité du projet.

Quel est le travail d’Art Acquis en détention ?

Nous avons organisé quatre types d’atelier : théâtre, cinéma, peinture et arts plastiques, et musique. On les a découpés en trois phases, avec toujours cette idée transversale de travailler sur l’art comme thérapie. Par exemple, pour le théâtre, on a travaillé sur les techniques de communication qu’offre le théâtre (prise de parole en public, etc.); en phase 2, les bases du théâtre et, en phase 3, on a travaillé sur le scénario d’une pièce de théâtre. On a même pu quitter la prison avec les participants pour travailler sur une scène dans une salle de Sfax. C’était la première fois qu’on sortait avec les détenus.

Dans l’atelier musique, on a travaillé sur l’écriture musicale, les bases de la musique et la production musicale. On a collecté les titres et on les a présentés au Comité Général des Prisons et de la Rééducation (CGPR) qui nous a proposé de nous produire aux Journées Musicales de Carthage. On attend une suite là-dessus.

Pour l’atelier cinéma, l’idée, c’était de permettre l’accès à l’information juridique des détenus. On a organisé plusieurs séances selon le même schéma : une thématique, un film, un modérateur spécialiste du cinéma et un expert juridique. On a par exemple abordé la migration illégale, la loi 52 [loi relative à la consommation et au trafic de stupéfiants].

Avec les femmes, on a fait l’atelier de peinture et d’arts plastiques. On a travaillé sur l’art conceptuel : comment passer en 3D, comment faire une sculpture… Puis chaque femme a créé son projet, en lien avec le parcours qui l’a menée en prison. On espère pouvoir exposer à Sousse et Tunis ; mais déjà on a fait une exposition à Sfax. C’était impressionnant l’émotion qu’elle a suscitée, les gens pleuraient…

On a aussi organisé le tournage d’un documentaire. L’idée de départ, c’était donner de l’espoir en filmant trois ex-détenus qui sont sortis de prison et ont réussi. Mais quand on a commencé à filmer, je me suis rendu compte que ça serait un grand mensonge que de parler de success-stories. Finalement, on est partis sur l’idée d’un film d’enquête: aborder le phénomène de la réinsertion mais de le traiter par tous les angles. On a filmé avec des experts, des gens qui n’ont pas « réussi » et qui ont récidivé, des gens qui ont réussi leur réintégration, des gens qui ont tenté de partir en Italie… On a énormément de matière, et là on prépare le montage. On aborde beaucoup de tabous dans ce film. Mais à la fin, on termine avec des solutions, des perspectives.

Pour finir, on a aussi eu l’occasion de travailler avec la chaîne de télévision ARTE [chaîne franco-allemande]. Ils m’ont demandé de parler du projet, puisqu’ils préparaient un sujet sur l’extrémisme violent et qu’ils voulaient l’aborder en lien avec la détention en Tunisie et la réinsertion. ARTE a demandé à nous accompagner dans un tournage avec les détenus ; ils sont aussi venus  filmer l’exposition dont j’ai parlé avant. ARTE m’a rappelé depuis, ils veulent filmer davantage encore sur le projet que l’on porte avec Art Acquis, ça les a beaucoup intéressés.

Pourquoi vous semble-t-il nécessaire de mener ce projet ?

Ce projet est nécessaire parce qu’on est arrivés à un niveau catastrophique dans les prisons en Tunisie. Les gens ne veulent pas entendre parler des prisons. Mais ils ne savent pas que le taux de criminalité, l’émigration illégale, l’extrémisme violent… c’est le résultat des gens qui sortent de prison sans aucune chance de se réintégrer. Ils sont littéralement jetés dans une société qui ne pardonne pas. Et on les laisse comme ça. Nous, on s’est dit qu’il fallait qu’à notre niveau, on fasse quelque chose.

Et puis, ce qui se passe entre les murs… La Tunisie a signé toutes les conventions des droits humains possibles mais n’applique rien. Le système juridique est catastrophique, je pense aux jeunes du Kef qui ont pris trente ans pour un joint [décision en première instance, depuis les peines ont été largement réduites à 2 ans]. La prison, c’est la violence, la surpopulation, le mélange des détenus, … La prison est une école de la criminalité.

On a essayé beaucoup de méthodes : formation des agents, plaidoyer pour changer les lois… Selon moi, la réinsertion, ça commence dans les prisons. Il faut préparer les détenus avant qu’ils sortent. Je pense que la meilleure méthode que l’on a trouvée, c’est l’art et la culture, les détenus qui ont été impliqués dans le projet Perspectives, ça a été une véritable renaissance pour eux. Apprendre à s’exprimer, à se positionner dans une société… Un détenu, qui participait à un atelier de théâtre, m’a confié un jour : « Avant, je ne pensais qu’à mon avocat, au juge, à ce qui allait m’arriver… Maintenant, je pense à mon personnage, à mon texte, à l’interpréter ». Cela leur permet de penser à autre chose, et des agents nous ont confirmé que ça avait eu un fort impact sur beaucoup de détenus.

Quelle est la situation dans la prison de Sfax aujourd’hui (population carcérale, conditions de détention etc…) ? Quel est le profil des détenus (profil socio-économique/parcours pénal) que vous avez pu côtoyer dans le cadre du projet ?

La prison de Sfax est plutôt en bon état mais elle est mal exploitée. Parmi les agents pénitentiaires, il y a du bon et du mauvais, certains abusent de leur pouvoir, etc. Et la surpopulation carcérale est extrême. Dans un dortoir de 40 ou 50 places, tu as 120 détenus. Certains dorment dans les rangées, sous les lits…

Pour les ateliers, on a réussi à avoir une variété de profils, en se basant toujours sur la volonté des détenus de participer ou non. On a aussi réfléchi en fonction des activités de l’expérience des uns et des autres, en mezoued [musique populaire traditionnelle tunisienne], théâtre, peinture…

Parmi les gens qui ont participé au projet, il y en avait avec des peines de 20 ou 30 ans de prison, des gens connus pour leurs liens avec la famille Ben Ali, des gens qui sont là pour consommation ou trafic de stupéfiants, pour chèques impayés…  Mais après, notre stratégie ça n’a jamais été de demander aux gens leurs parcours mais de les laisser nous en parler s’ils le souhaitaient. Nous, on ne pose jamais de questions.

Quels ont été les retours des détenus et des agents pénitentiaires qui y ont participé/y participent ?

Cela se passe bien avec le Comité Général des Prisons et de la Rééducation (CGPR), et aussi avec la direction de la prison de Sfax. Le directeur nous a même fait des propositions pour valoriser le travail des ateliers. Il a parfois fait le médiateur quand les agents de la prison ne voulaient pas que l’on fasse ceci ou cela.

À quel(s) changement(s) souhaitez-vous contribuer via votre action ?

Je veux que tout le monde ait accès à la culture, tous sont des artistes mais ne le savent pas. Ils ont une énergie énorme. Plutôt que de les enfermer dans une chambre, donne-leur un tableau, un micro, une scène et tu seras étonné. Si je veux changer quelque chose, ça sera ça, l’accès à la culture pour tous les détenus à tout moment. Même en termes d’emploi, ça peut donner des opportunités aux détenus quand ils sortent…

Il faut aussi changer la manière dont la société voit les ex-détenus : le mec qui a fait une erreur ne doit pas être puni deux fois. Il faut accepter les gens et changer cette mentalité de préjugés.

Quelles sont pour vous les réformes nécessaires en matière pénale et carcérale ?

D’abord, la loi 52 [relative à la consommation et au trafic de stupéfiants]. Puis aussi faire en sorte que le système des CEDIS [Centre de Défense et d’Intégration Sociale] soit plus efficient pour faire le lien avec les entreprises, les associations qui ont besoin d’un intermédiaire. Il faut créer un véritable système de réinsertion, sinon la seule option, c’est le harraga [littéralement « ceux qui brûlent », nom donné aux migrants qui tentent illégalement la traversée vers l’Europe]. J’ai moi-même connu des détenus qui préparent ce départ avant même leur sortie.

Quel est le rôle des organisations de la société civile dans les prisons ? Comment pourrait-on à votre avis inscrire cette dynamique société civile/milieu carcéral dans le cadre d’une action durable ?

Les associations doivent tenir leurs promesses quand elles viennent en prison, sinon, on aura du mal à avoir la confiance des détenus. Au final, quand tu viens en prison, c’est comme si tu donnais de la lumière à un aveugle. Et d’ailleurs, les seuls comptes qu’on doit rendre, c’est auprès des détenus. Donc de manière générale, il faut être très exigeant quand on sélectionne les associations qui travaillent en prison, c’est une très grande responsabilité.

De mon côté, en termes de durabilité, j’aimerais que le projet Perspectives soit un projet pilote et qu’il soit étendu au reste des prisons.

Le projet L’Alternative est financé par l’Union européenne

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Entretien avec Walid Bouchmila, président de l’association Horizon d’Enfance.

Au sein du projet l’Alternative, mis œuvre par Avocats Sans Frontières et ATL MST SIDA, Horizon d’Enfance met en place des activités culturelles à la prison de Gabès, des formations à destination du personnel pénitentiaire et des formations qualifiantes (plomberie, plâtrerie, arts culinaires et pâtisserie) à destination des détenus. Ces derniers bénéficient également de formations en entreprenariat, d’un accompagnement au montage de micro-projets et d’un suivi psychologique de préparation à la sortie. L’objectif global du projet est de contribuer à la réhabilitation et à la réinsertion des détenus de la prison de Gabès.

Pouvez-vous vous présenter et présenter le travail d’Horizon d’Enfance ?

Je suis Walid Bouchmila, travailleur social de formation et président d’Horizon d’Enfance. Notre association s’occupe des enfants en situation de rue, et offre une prise en charge sociale, psychologique et éducative de ces jeunes et de leurs familles. L’idée est de parvenir à l’émancipation économique et la prise en charge sociale de la famille.

Quel est le travail d’Horizon d’Enfance en détention ? Pourquoi vous semble-t-il nécessaire de mener ce projet ?

En travaillant avec ces jeunes-là, on les questionnait : « comment en êtes-vous arrivés là ? ». Dans les faits, beaucoup de jeunes disent que l’un de leur parent (le père essentiellement) est ou a été emprisonné. L’absence du parent a facilité la précarisation de ces jeunes. Du coup, si on veut travailler là-dessus, il faut travailler avec les pères en prison dans une démarche de réinsertion et pour prévenir la récidive et la délinquance.

Si nous menons ce projet, c’est pour aider les familles, surtout d’un point de vue économique, via l’insertion par le travail des pères de famille. L’objectif final est de sortir de la vulnérabilité.

Quel est la situation dans la prison de Gabes aujourd’hui (population carcérale, conditions de détention etc…) ?

Le nombre de détenus est très variable : quand on a commencé à travailler à la prison de Gabès (en janvier 2020, ndlr), ils étaient 300 prisonniers. On a vu ce chiffre monter jusqu’à 600, notamment parce que la prison de Gabès faisait partie des prisons qui accueillaient les nouveaux détenus pour placement en quarantaine lors de la première vague de la COVID-19. En ce moment, on est autour de 400 détenus, sachant que ce ne sont que des hommes. Il est prévu que la prison de Gabès construise à terme un pavillon pour accueillir les femmes.

Quant aux conditions de détentions, la prison a été amenée à réaménager beaucoup d’espaces initialement dédiés par exemple aux ateliers de théâtre et de cinéma. Ces espaces sont devenus des espaces d’accueil en quarantaine des nouveaux détenus.

Globalement, la surpopulation est toujours la norme à la prison de Gabès ; bien qu’à ma connaissance il y ait eu très peu de cas de COVID dans la prison – seulement deux personnes diagnostiqués au moment de leur quarantaine. Aujourd’hui, la situation est sensiblement la même – en termes de mesures sanitaires appliquées -, avec un renforcement ces derniers jours après un certain relâchement lors de la deuxième vague.

Quel est le profil des détenus (profil socio-économique/ parcours pénal) que vous avez pu côtoyer dans le cadre du projet ?

On trouve tous types de profil à la prison de Gabès, depuis des personnes qui ne savent ni lire ni écrire, jusqu’au chef d’une agence de banque. En termes de peine, cela va de quelques mois de prison jusqu’à la perpétuité ; et les détenus ont de 18 ans jusqu’à plus de soixante ans. Globalement, on y retrouve toutes les catégories sociales, avec une majorité de détenus jeunes (moins de 40 ans), arrivés souvent là pour des peines de 3 à 5 ans maximum et pour des délits liés aux stupéfiants, vols, bagarres… Le taux de récidive est très important, il est d’environ 40% de ce que l’on a pu constater.

Quelles activités avez-vous mis en œuvre à ce jour ?

Nous avons mis en œuvre des formations à destination du personnel pénitentiaire, achevé les activités culturelles (ateliers de cinéma, de théâtre et musique). Aujourd’hui, des formations qualifiantes sont en cours en plomberie, plâtrerie, pâtisserie et arts culinaires. A la fin, ils auront un examen pour certifier leurs compétences – nous devons discuter encore avec la direction générale de la formation professionnelle et la prison de la manière dont nous ferons passer ces tests (dans ou hors la prison).

Ensuite, en fonction de qui va sortir prochainement, nous allons aider à préparer la sortie avec le détenu et la famille et l’appuyer à créer un micro-projet. Les détenus auront aussi une formation en entreprenariat et un coaching par la psychologue pour les préparer à la sortie.

Ce qui a été difficile, ça a été la sélection des détenus qui allaient participer aux formations qualifiantes parce qu’il n’y a que les détenus déjà jugés qui y ont droit, pas les autres [détenus préventifs]. Or, les détenus préventifs constituent la majorité de la population carcérale. Parmi les détenus jugés, beaucoup ont des peines très longues et il n’y a donc pas d’intérêt à les former maintenant. On a donc fait notre maximum pour travailler avec des détenus qui sortent plus ou moins dans les délais du projet, bien que ça ne soit pas la majorité de nos bénéficiaires à ce jour.

Quels ont été les retours de détenus et agents pénitentiaires qui y ont participé/y participent ?

Les réactions sont très positives du côté des détenus : les formations comme les activités culturelles sont très appréciées, notamment parce qu’elles permettent d’avoir un certain temps de liberté et de s’occuper, dans une prison où il y a globalement très peu d’activités à faire. Du côté du personnel pénitentiaire, il était réfractaire au début parce que nous étions la première association qui entrait dans la prison. Mais petit à petit, nous avons réussi à gagner leur confiance. Ils ont pris conscience que le projet était bénéfique pour eux, au même titre que pour les prisonniers. Ils ont fini par apprécier notre travail et nous sommes aujourd’hui toujours bien accueillis.

La question qui se pose c’est la durabilité du projet. Il y a des agents pénitentiaires qui assistent aux formations qualifiantes pour pouvoir reprendre la suite après. Mais la direction de la prison nous a expliqué que les effectifs étaient trop faibles pour vraiment permettre de détacher quelqu’un du personnel pour faire ça. Aussi, ce que l’on a remarqué, c’est le manque d’activités sportives au sein de la prison, c’est un manque qu’il faudrait essayer de couvrir via un autre projet par exemple. On pourrait aussi faire d’autres formations. Et à la prison de Gabès, il y a un grand terrain de deux ou trois hectares qui pourrait être exploité pour faire un projet d’agriculture.

Quel est le retour d’expérience d’Horizon d’Enfance ?

Je vais répondre en deux temps. Si on m’avait posé la question il y a huit mois, j’aurais eu une réponse assez mitigée. En effet, le début du projet a été très chaotique, on a rencontré beaucoup d’obstacles et nous n’étions pas non plus habitués à travailler dans un cadre aussi « restrictif ». Tout doit être planifié, validé au niveau central… La signature de la convention a aussi mis beaucoup de temps. Mais maintenant tout se passe bien : l’accès à la prison est facile, même sans rendez-vous on peut se présenter à la prison ; on est très impliqués dans le travail de la prison. Un des chefs de service m’a même dit « je vous considère comme un collègue ». De notre côté, nous avons bien compris les problèmes du personnel pénitentiaire, leurs réticences envers nous ; les agents se sentent souvent lésés, ils ont la sensation que les juges sont plutôt du côté des détenus s’il y a un problème et ont l’impression que les projets qui sont montés sont toujours pour les détenus.

Lorsqu’ils ont vu notre projet et pris conscience qu’ils n’avaient pas été « oubliés », ils ont bien compris que ça serait bénéfique pour tout le monde. Quand on fait un projet en prison, il faut vraiment penser à tout le monde.

A quel(s) changement(s) souhaitez-vous contribuer via votre action ?

Il faut qu’il y ait une prise de conscience de l’importance des activités culturelles, sportives etc dans la prison pour baisser les tensions entre les détenus et le personnel pénitentiaire. On a d’ailleurs réussi à monter un partenariat avec le Centre des arts dramatiques de Gabès : un professeur de théâtre fait des cours dans la prison, et on est parvenus à faire en sorte que cette activité soit maintenue après notre passage.

Le personnel dit lui-même que les activités ont un impact très positif sur l’ambiance de la prison. Aussi, les formations en arts culinaires ont permis d’améliorer la qualité des repas : les détenus en formation cuisinent pour tout le monde une journée par semaine. C’est très apprécié, tout comme les gâteaux qui sortent chaque jour des ateliers en pâtisserie.

Quel a été l’impact de la crise sanitaire liée à la COVID-19 en prison lors de la première et de la deuxième vague ?

Pendant la première vague, on a eu l’interdiction d’accéder ce qui a causé l’arrêt total des activités. Mais on a été les premiers à reprendre nos activités. Pendant la deuxième vague, on a pu continuer nos activités normalement.

Quelles sont pour vous les réformes nécessaires en matière pénale et carcérale ?

Ce qu’il faut, c’est diminuer la population carcérale, en fixant par exemple un nombre de détenus maximal en prison. Il faut aussi éviter au maximum de mettre les gens en prison en détention préventive et encourager les juges à prononcer des peines alternatives. Le bureau de probation à Gabès n’est pas encore très opérationnel, seulement quelques personnes y bénéficient d’un suivi. Je n’ai pas constaté de progression majeure dans ce bureau, mais c’est sans doute dû aux moyens dont ils disposent. Et les dynamiques mettent du temps à changer…

Quel est rôle des organisations de la société civile dans les prisons ? Comment pourrait-on à votre avis inscrire cette dynamique société civile/milieux carcéral dans le cadre d’une action durable ?

La société civile a un rôle très important. Notre projet a su apporter une dynamique très positive au sein de la prison de Gabès, on a même eu des propositions du personnel pour d’autres idées de projet. Le rôle de la société civile, c’est aussi d’aider le personnel pénitentiaire à améliorer leur travail pour offrir une meilleure prise en charge des détenus. Ce qu’il faut, c’est vraiment un équilibre entre les activités à destination des détenus et celles à destination du personnel.

Maintenant, il faut inscrire cette dynamique dans le temps. On sait qu’à Gabès, d’autres organisations de la société civile seraient intéressées de travailler avec la prison, dans la prison. De notre côté, on ne sait pas à ce jour si l’on pourra continuer à accéder après le projet (les conventions d’accès en prison sont limitées dans le temps, ndlr). Peut-être qu’il faudrait que ce soit les directeurs de prison qui puissent établir des conventions ? Décentraliser à l’échelle régionale cette prérogative.

Le projet L’Alternative est financé par l’Union européenne

ASF rejoint la campagne « Poverty is not a crime »

ASF se joint à Open Society Foundation, APCOF, PALU, et ACJR dans une campagne pour promouvoir la dépénalisation et la déclassification des délits mineurs. Le « vagabondage », les « comportements désordonnés » ou encore l’ « oisiveté » demeurent des motifs valables pour arrêter et incarcérer des individus, contribuant notamment à la surpopulation endémique des prisons à travers le monde. Affectant particulièrement les personnes en situation de vulnérabilité, ces lois et leur application sont  arbitraires et discriminatoires. 

Dans de nombreux pays du continent africain, de telles infractions ont été instaurées à l’époque coloniale. Abrogées dans les anciennes puissances coloniales, elles restent en vigueur dans de nombreux États d’Afrique. 

En subissant une réponse pénale face à des problèmes socio-économiques, les populations vulnérables sont encore davantage marginalisées. Le maintien de ces délits mineurs dans le code pénal alimente donc un cercle vicieux. Dans de nombreux pays, la pénalisation des infractions mineures est l’une des principales causes de la surpopulation carcérale. Dépénaliser ces infractions et mettre un terme à la détention de personnes qui ne sont pas un danger à l’ordre public est la seule issue envisageable à long terme.

Dans le cadre de la campagne Poverty is not a crime, plusieurs organisations se sont mobilisées dans le but de dépénaliser ces infractions mineures. Des actions de plaidoyer s’organisent à l’échelle nationale et régionale, en mobilisant les équipes et les partenaires d’ASF.

Dans le cadre d’actions internationales, et à la suite d’une interpellation lancée à l’initiative de la Pan-African Lawyers Union (PALU), la Cour Africaine des Droits des Hommes et des Peuples a statué le 4 décembre 2020 à l’unanimité en faveur de la dépénalisation des délits mineurs. Elle a déclaré ces lois et règlements incompatibles avec la Charte africaine, la Charte des enfants et le Protocole de Maputo. C’est suivant cet avis qu’elle a ordonné aux États concernés de revoir, d’abroger et, le cas échéant, de modifier ces lois et règlements.

La pénalisation des délits mineurs est incompatible avec le principe constitutionnel de l’égalité devant la loi et de la non-discrimination. Ses effets touchent disproportionnellement les couches de la population les plus pauvres, les personnes en situation de vulnérabilité ainsi que les femmes. Ces pratiques portent gravement atteinte à leurs libertés, dont la libre circulation et la liberté d’expression.

ASF salue la décision de la cour africaine et se joint aux organisations de la société civile qui réclament l’abrogation de telles infractions et de toute forme de répression injustifiée. 

Rejoignez la campagne

Les droits humains, grands absents de la gestion de crise Covid-19

Après le déni opposé à la crise sanitaire, c’est un sentiment de sidération qui a prévalu de par le monde face à la nature sans précédent des mesures prises, et leur ampleur. Plus de la moitié de la population mondiale s’est en effet retrouvée confinée, avec des conséquences sur la vie économique, sociale, physique et mentale différentes selon les situations individuelles et des variantes d’ordre plus structurel.

Comme tout un chacun, ASF a dû adapter son mode de fonctionnement, et ce dans des contextes très différents et parfois très volatiles. Très vite, un dénominateur commun est apparu dans tous ces contextes, qu’il s’agisse d’États soumis à des régimes autoritaires, en situation post-conflit, en transition démocratique, ou encore des démocraties dites consolidées : les droits humains ont été quasi-systématiquement absents des discours politiques et des réflexions menant à la prise de décision des autorités. Et pourtant, chaque mesure adoptée dans le cadre de la crise sanitaire a engendré la limitation de droits et de libertés, parfois en ricochet. L’interdiction de circulation a ainsi non seulement porté atteinte à la liberté de mouvement, mais également au droit à l’éducation, au droit au travail, voire dans certains cas au droit à la santé ou au droit à l’alimentation.

Or, un droit humain ne peut être limité qu’en vertu d’une loi et de manière strictement proportionnée par rapport à l’objectif poursuivi. Ceci va de pair avec le principe de nécessité en vertu duquel, face à une palette d’options, l’État doit nécessairement opter pour la moins attentatoire aux droits et libertés. Ces principes, alors qu’ils auraient dû guider la réflexion, n’ont reçu que peu d’écho dans la prise de décision politique.

Avec la volonté de défendre et promouvoir l’approche centrée sur les droits humains, ASF et ses partenaires ont développé un cadre de monitoring de l’impact des mesures Covid-19 sur les droits humains et les principes de l’État de droit, dès mars 2020 en Tunisie, en Ouganda, en Indonésie, en République démocratique du Congo et en Belgique. Ce monitoring a été complété par de nombreuses actions sur les questions d’accès à la justice, en particulier s’agissant du thème de la surpopulation carcérale. L’intégration systématique d’une « approche Covid-19 » a permis de mettre en évidence de multiples entorses, tous systèmes politiques confondus, aux principes essentiels de protection et promotion des droits humains. Les données récoltées dans ces quelques pays permettent, en tant qu’illustrations de tendances beaucoup plus générales, de dresser un inquiétant tableau à l’échelle globale.

L’absence de cadre de gouvernance international ou régional sur ces questions, a tout d’abord entraîné des réactions en chaîne de nature ad hoc, autour d’un renforcement quasi-systématique des pouvoirs exécutifs, même lorsque des solutions moins attentatoires aux libertés s’offraient aux décideurs politiques. Ceci a engendré une importante personnification de la réponse sanitaire, dans la mesure où ces renforcements sans précédent des pouvoirs exécutifs, comme en Tunisie ou en Ouganda, ont fait dépendre – et potentiellement soumis à l’arbitraire – le respect des droits humains d’un nombre limité de personnes.

De manière récurrente, il a également été observé que les mesures adoptées étaient souvent floues, tant quant à leur portée dans le temps que sur leur contenu. Le non-respect des mesures de distanciation sociale ou de confinement s’est souvent accompagné de mesures de criminalisation qui ont, à de multiples reprises, porté atteinte au principe de légalité des délits et des peines. En Indonésie, ces sanctions ont ainsi été édictées par des autorités administratives – et non la représentation nationale – et parfois sans aucun fondement juridique. Une grande place a été laissée à l’interprétation des forces de sécurité, autant de marge laissée à l’arbitraire et au potentiel d’abus, en particulier dans des États déjà fortement policiers. Dans certains cas, les autorités n’ont pas hésité à instrumentaliser les mesures de Covid-19 pour restreindre encore un peu plus l’espace civique et contraindre les défenseur.se.s des droits humains au silence.

Cette forte tendance à la criminalisation, qui a pu aller jusqu’à la détention des personnes en infraction, s’est ainsi inscrite en porte-à-faux avec la logique-même de distanciation sociale prônée par les autorités dans des contextes de forte surpopulation carcérale. La suspension des activités judiciaires a également conduit à la détention prolongée et potentiellement illégale de personnes en situation de détention préventive ou provisoire. Les appels à la déflation carcérale déjà préexistant à cette crise sanitaire se sont multipliés face à la vulnérabilité accrue des détenu.e.s, et les atteintes disproportionnées à leurs droits causées par la suspension du droit de visite. Si certains États, comme l’Ouganda ou la Tunisie, ont finalement procédé à la libération – parfois provisoire seulement – des détenu.e.s en fin de peine ou condamné.e.s pour délits mineurs, l’effet d’annonce s’est vite estompé alors que les  prisons ont vite retrouvé un taux d’occupation similaire, sinon supérieur, à celui qui prévalait avant le début de la crise

La situation des détenu.e.s n’est qu’une illustration de l’impact différencié et potentiellement discriminatoire des mesures sanitaires subies par les catégories de personnes déjà en situation de vulnérabilité. La recrudescence des cas de violences basées sur le genre, notamment en contexte domestique, a été systématique ; les fragilités préexistantes ont encore davantage exposé les personnes, non seulement à la crise sanitaire, mais également à ses conséquences socioéconomiques ravageuses. Une étude menée en Belgique l’a très clairement mis en évidence, alors que les mesures, a priori neutres dans leur formulation, ont produit des effets particulièrement néfastes sur les personnes migrantes, les personnes racisées et les détenu.e.s, s’apparentant ainsi à des mesures de discrimination indirecte.

Ces diverses tendances observées ne constituent finalement que l’exacerbation de fragilités structurelles et individuelles qui préexistaient à la crise. Alors que les perspectives de sortie de crise sont elles-mêmes incertaines, il est plus important que jamais de poursuivre et ancrer ce travail de monitoring et, surtout, d’intégrer l’approche centrée sur les droits humains dans les mécanismes de gouvernance et d’évaluation mis en place tout au long de cette année. Les sociétés civiles ont été bien trop reléguées à leur rôle de chienne de garde, sans qu’un espace ne leur soit mis à disposition pour qu’elles puissent participer constructivement – sur la base notamment des données de terrain telles que celles récoltées par ASF et ses partenaires – à ces cadres de dialogue.

La RDC doit solder sa dette envers les victimes de crime de masse

Alors que les condamnations pour crimes internationaux se multiplient en RDC, très peu de victimes reçoivent effectivement les réparations qui leur sont attribuées. Un policy brief produit, par Avocats Sans Frontières, TRIAL International et RCN Justice et Démocratie, détaille des procédures démesurément longues et complexes. Endossé par une trentaine d’acteurs de la société civile et partenaires internationaux, le document dénonce une « apparence de justice » qui ne répond pas aux exigences du droit international.

La RDC s’est, depuis le début des années 2000, engagée dans un processus de lutte contre l’impunité. Près de vingt ans après, le bilan est mitigé. Les juridictions congolaises, essentiellement militaires, se sont saisies de plus de cinquante dossiers de crimes de guerre et crimes contre l’humanité, prononçant un grand nombre de condamnations, et le versement de dommages et intérêts pour les victimes.

Cette apparence de justice est pourtant mise à mal par la réalité des statistiques d’exécution de ces réparations. D’après les données collectées, la justice congolaise a au total ordonné le versement de près de 28 millions de dollars de dommages et intérêts à plus de 3’300 victimes. Ces réparations sont non seulement prononcées dans le chef des accusés, mais également de l’État congolais, à titre solidaire. Or, à ce jour, seule une décision de réparation semble avoir été exécutée.

Un document qui propose des pistes concrètes

C’est pour comprendre l’inexécution systématique des mesures de réparation qu’Avocats Sans Frontières, TRIAL International et RCN Justice & Démocratie ont produit un policy brief à destination des autorités congolaises.

Au-delà des questions de volonté politique, le policy brief s’intéresse aux ressorts juridiques des blocages constatés, qui s’expliquent en grande partie par la lourdeur de la procédure d’exécution des jugements de réparation. Le parcours prévu à cet effet implique un nombre considérable d’étapes et d’interlocuteurs dans des juridictions et administrations fortement entravées par la lenteur administrative et les pratiques corruptives.

Un questionnement profond sur la justice transitionnelle

Si une réforme de cette procédure est indéniablement nécessaire, tant le montant que la structure de la dette de l’État viennent reposer la question des modalités de réparation. En vertu des standards internationaux, celles-ci doivent aussi pouvoir passer par des mesures autres que pécuniaires.

Ceci rappelle en outre la nécessité pour la RDC de s’engager dans une véritable politique de justice transitionnelle, alors que son système pénal ne peut pas seul porter le fardeau de la justice pour les victimes de crimes de masse.

« Ce policy brief va nous permettre de dialoguer avec les autorités congolaises sur la base de données chiffrées et factuelles »  explique Joël Phalip, chef de mission RDC de RCN J&D. « Nous avons formulé un certain nombre de recommandations concrètes et réalistes pour permettre aux victimes d’obtenir réparation. Alors que le Président de la République vient de renouveler son intention de lutter contre l’impunité des crimes de masse et a manifesté le souhait de lancer une démarche de justice transitionnelle, nous disposons d’une fenêtre d’opportunité pour mieux faire entendre nos propositions et prendre les autorités au mot pour les inciter à agir ».

La crise sanitaire en Belgique : Un terrain fertile pour les discriminations indirectes ?

Avocats Sans Frontières publie une étude sur l’impact indirectement discriminatoire des politiques d’urgence belges sur certaines catégories de la population, en particulier celles en situation de vulnérabilité. L’analyse, réalisée dans le cadre du projet ‘Monitoring Covid-19 et État de Droit’, s’appuie sur les activités d’observation et une série d’entretiens conduites par ASF en juin et juillet 2020.

Pour limiter la propagation du Coronavirus, le gouvernement belge a pris, au début de la crise sanitaire, une série de mesures contenues dans l’arrêté ministériel du 23 mars 2020[1] visant à réduire les contacts entre personnes et imposant un confinement généralisé.

Ces mesures, neutres à première vue, parce qu’applicables à l’ensemble de la population, ont cependant eu des effets indirectement discriminatoires dans leur mise en œuvre sur certains groupes de personnes en situation de vulnérabilité[2].

Des entretiens conduits avec des travailleurs sociaux, des organes de médiation et surveillance actifs en Belgique pendant le confinement, ainsi qu’une analyse documentaire, ont révélé que les personnes migrantes, les détenu.e.s en prison et en centre fermé, les personnes sans domicile fixe, les femmes victimes de violences, les personnes âgées et handicapées, celles économiquement fragilisées et celles qui habitent les quartiers défavorisés, ont effectivement payé plus lourdement que d’autres le prix des mesures d’urgence.

Cela a été causé, d’une part, par une politique uniformisée de gestion de la crise qui n’a fait qu’amplifier les inégalités socio-économiques existantes, et de l’autre, par une application différenciée des mesures, plus sévère pour certains groupes de personnes.

Dans le premier cas, la suspension ou la limitation d’accès aux aides sociales, aux visas et à l’asile, causée par la fermeture généralisée ou la numérisation des services essentiels, a eu comme effet de fragiliser davantage les couches de population déjà vulnérables auxquelles ces services s’adressent. Ce gel des services a de surcroît déclenché un ‘effet domino’ qui trouve sa meilleure illustration dans l’émergence d’une nouvelle population de personnes sans-abris n’ayant pas pu faire valoir leurs droits économiques et sociaux pendant le confinement. Au-delà de l’arrêt des services essentiels, le confinement généralisé décidé par le gouvernement a encore précarisé certains groupes de personnes et n’a pas touché toute la population de la même manière. Les personnes qui ne pouvaient pas rester « chez elles », les personnes détenues en prison ou en centre fermé, celles hébergées en centre d’accueil, les personnes sans domicile fixe et les femmes victimes de violences domestiques, faute d’un logement décent et sûr, ont payé un plus lourd tribut. Pour elles, le respect des interdictions de sortie a parfois été constitutif de violation des droits humains, comme le droit à la dignité ou l’interdiction de traitements inhumains et dégradants. Dans d’autres cas, le confinement n’était matériellement pas possible.

Dans le deuxième cas, des discriminations indirectes ont aussi été induites lors du contrôle du respect des mesures par les forces de police. De tels abus ont été observés à plusieurs reprises et semblent découler à la fois du caractère flou des mesures prises par le gouvernement et d’une marge d’interprétation importante laissée à la force publique. L’analyse croisée des incidents collectés lors des entretiens, complétée par la veille documentaire, ont en effet fait émerger une pratique de profilage dans l’application et le contrôle des mesures, ou à tout le moins une tendance à cibler de manière plus prononcée certains groupes de personnes selon leur appartenance à des couches sociales et ethniques, ou à des quartiers et des zones spécifiques.

Comme l’enseigne la Cour européenne des Droits de l’Homme, de telles discriminations, si elles peuvent être démontrées, entraînent la responsabilité de l’État belge. Celui-ci n’a en effet pas pris en compte les inégalités existantes au sein de la société lors de la gestion de la crise et n’a pas adapté les mesures afin de protéger ces catégories de personnes vulnérables, en amplifiant les différences économiques et sociales.

Rédaction : Flavia Clementi

[1] Texte disponible au https://bit.ly/3mzaGFw .

[2] Il se peut que des mesures neutres dans leur formulation entrainent néanmoins des effets discriminatoires sur certains groupes de personnes lors de leur mise en œuvre. Ces discriminations sont classifiées de ‘discriminations indirectes’ par le droit européen et du Conseil de l’Europe.

Détention arbitraire en RDC : Le réseau Detention ExPEERience introduit une action en responsabilité de l’État devant 4 juridictions

Le 15 septembre 2020, 6 requêtes ont été déposées devant les tribunaux de grande instance de Kinshasa, de Mbuji-Mayi (Kasaï oriental), de Lubumbashi (Haut Katanga) et de Kindu (Maniema). Formulées au nom de personnes physiques et d’organisations de la société civile, elles demandent, selon les cas, aux juges compétents de constater les situations de détention arbitraire ou l’état catastrophique des prisons, notamment à cause de la surpopulation carcérale. Cette action souhaite aussi que la responsabilité de l’Etat soit reconnue dans les préjudices subis par les requérant.e.s.

Depuis 8 ans, ASF mène des actions pour défendre les droits des personnes détenues arbitrairement ou dans des conditions contraires aux principes de l’état de droit. Et dans 66% des cas, des résultats notables ont été constatés, soit avec l’obtention de la remise en liberté de la personne, soit par le renvoi devant la juridiction de jugement.

Dans la logique de cette intervention, et dans la poursuite du dialogue avec les autorités du pays, ASF et ses partenaires veulent questionner la responsabilité de l’État face à la surpopulation extrême des prisons, les conditions de détention catastrophiques qui en découlent, mais également l’usage abusif du recours à la détention préventive arbitraire de très longue durée. A titre d’exemple, X, jeune homme de 24 ans a été arrêté et placé en détention en 2010 pour un conflit foncier pour lequel il aurait refusé de témoigner. Poursuivi pour destruction méchante, il a été écroué pendant dix années sans jugement avant d’avoir été récemment libéré suite aux actions des avocat.e.s membres du projet.

Depuis plus d’une décennie, ASF et de très nombreux acteurs congolais et internationaux font état de la situation alarmante dans les prisons de RDC. Les enceintes sont vétustes et n’ont souvent plus été rénovées depuis un demi-siècle. L’apport en alimentation et en hygiène élémentaire font défaut, transformant certaines prisons en de véritables mouroirs.

La surpopulation est généralisée dans la plupart des prisons. A la prison de Makala, à Kinshasa, ce sont 9.000 prisonniers qui sont incarcérés, alors que la prison ne peut en principe accueillir que 1.500 personnes. Cette surpopulation extrême trouve sa source dans le recours abusif et quasi-systématique à la détention préventive. Pratique souvent détournée de son objectif initial – la détention exceptionnelle d’une personne dans le cadre strictement défini par la loi en vue de l’instruction d’un procès-, la détention préventive est instrumentalisée au profit d’intérêts privés, essentiellement d’ordres politiques et économiques. Il a fréquemment été rapporté des cas où des prisonniers sont oubliés dans leur prison parce qu’ils ne peuvent « payer pour sortir »[1].

Ce sont tous ces constats qui ont poussé ASF à développer, depuis janvier 2020, Detention ExPEERience, un réseau d’avocat.e.s et d’expert.e.s à même de défendre les droits des détenu.e.s pour influencer positivement les systèmes pénaux, en RDC, mais également dans d’autres pays. Le Réseau porte notamment des contentieux stratégiques. En défendant des cas emblématiques, ASF espère avoir un impact durable sur le renforcement de l’état de droit dans les champs judiciaire et pénitentiaire.

De telles actions, si elles sont inédites en RDC, ont déjà été entreprises dans d’autres pays. La Cour européenne des droits de l’homme a d’ailleurs récemment condamné la France pour les mauvaises conditions de détention dans ses prisons et a fait le lien avec la surpopulation carcérale.

Par les actions contentieuses introduites, ASF et ses partenaires, convaincus que l’amélioration de l’état de droit et des principes démocratiques passe par le plein respect des droits humains pour toutes les personnes sans distinction y compris les personnes détenues, espèrent que le pouvoir judiciaire, en principe indépendant et impartial, puisse prendre les décisions visant à placer les autorités compétentes devant leurs responsabilités et à remédier durablement à la congestion des prisons et aux graves violations des droits humains en détention.

[1]https://afrique.lalibre.be/44292/rdc-des-prisonniers-sont-oublies-dans-leur-prison-parce-quils-ne-peuvent-payer-pour-sortir/?fbclid=IwAR1VT7tTHFY-7_HxRmZFOfxHf9Tem5Jy5P561oHL4nTGGNvuTLbuOKFn6pQ