Transitional Justice & Historical Redress : Une série spéciale sur les injustices historiques découlant de l’esclavage et du colonialisme

Tout au long des prochaines semaines, ASF publiera une série d’articles qui examineront les défis et les questions que soulèvent l’essor récent de processus visant à offrir une réponse aux injustices historiques découlant de l’esclavage et du colonialisme, en particulier dans le sillage du mouvement Black Lives Matter. Cette série spéciale le fruit d’une collaboration entre Avocats Sans Frontières et le Leuven Institute of Criminology.

Des premières initiatives, pour la plupart encore balbutiantes, voient le jour dans les anciens pays colonisateurs. C’est surtout le cas dans les contextes de colonialisme de peuplement, probablement parce que les séquelles durables du colonialisme et les injustices historiques sont encore plus visibles et perceptibles aujourd’hui dans ces pays. Le Canada, l’Australie et les pays nordiques ont tous mis en place, ou sont en train mettre en place, des commissions de vérité et de réconciliation pour réparer les préjudices causés aux populations autochtones. Aux États-Unis, des appels ont également été lancés pour engager un processus de vérité et de réparation pour adresser l’esclavage et la violence raciale.

Plus récemment, nous avons également assisté à une intensification des débats politiques au sujet des mesures de réparation et de justice à implémenter pour faire face aux préjudices et injustices coloniales dans les pays qui ont été impliqués dans l’exploitation esclavagiste et le colonialisme commercial. Le Royaume-Uni, par exemple, s’est engagé dans des actions en justice et des négociations de réparation pour la répression de l’insurrection des Maï-Maï au Kenya, tandis que l’Allemagne a négocié avec la Namibie un accord de réparation, très critiqué, pour le génocide des Herero et des Nama. Diverses commissions d’enquête ont été mises en place en Belgique, en France et aux Pays-Bas afin d’étudier les séquelles du colonialisme et de proposer des mesures pour y remédier – ce qui a souvent donné lieu à de vives controverses sur la question des réparations et des excuses.

Ces développements ont suscité des réflexions, tant dans les milieux universitaires que politiques, sur le potentiel rôle que la justice transitionnelle peut jouer pour rendre justice et réparer les injustices historiques et durables qui découlent du passé colonial. Traditionnellement, la justice transitionnelle fait référence à une série de mesures et initiatives mises en place dans des pays ayant connu des conflits armés ou des régimes répressifs pour offrir une réponse aux violations des droits humains et aux injustices du passé. Mobiliser la justice transitionnelle en tant que mesure de réponse aux préjudices coloniaux implique donc d’élargir les limites traditionnelles de la justice transitionnelle, notamment en envisageant son application dans les pays occidentaux et en élargissant les conceptions d' »injustices » et de « responsabilités » qu’elle mobilise. Cela nécessite également une réflexion critique sur l’ancrage de la justice transitionnelle dans des cadres normatifs et politiques postcoloniaux. Sans engager cette réflexion, la justice transitionnelle peut se rendre coupable de perpétuer les injustices structurelles et les déséquilibres de pouvoir qu’elle entend pourtant combattre.

Les contributions à cette série spéciale examinent certains des défis et des questions que toutes ces initiatives et réflexions soulèvent. Elles s’interrogent notamment sur l’adéquation de la justice transitionnelle en tant que cadre de traitement du passé colonial et sur le type de modèle de réparation historique que la justice transitionnelle peut offrir. S’appuyant sur les expériences de divers pays, les articles s’interrogent sur l’efficacité des mécanismes de justice transitionnelle bien établis – commissions de vérité, réparations, procès, commémoration, garanties de non-répétition – pour rendre justice et réparer les injustices historiques et durables, ainsi que pour traiter les traumatismes intergénérationnels hérités du colonialisme. Ce qui ressort de ces réflexions, c’est que si la justice transitionnelle peut être utile pour la réparation historique, elle se heurte à des contraintes politiques (comme c’est aussi souvent le cas pour la justice transitionnelle appliquée dans des contextes plus paradigmatiques) et nécessite un remodelage de ses cadres normatifs et idéologiques.

Solidarité Internationale – Commune d’Etterbeek

Ce projet bénéficie du soutien du service Solidarité Internationale de la commune d’Etterbeek.

Leuven Transitional Justice Blog

Tous les articles de cette série spéciale sont également disponibles sur le Leuven Transitional Justice Blog.




Commission Vérité et Réconciliation : la Belgique face à l’opportunité d’adresser les préjudices nés de son passé colonial

Longtemps reléguée à l’arrière-plan du débat public, la question des préjudices nés de la colonisation trouve aujourd’hui un nouveau souffle en Europe, et en Belgique tout particulièrement.

Une proposition de Commission Vérité Réconciliation est à l’heure actuelle débattue par les Parlementaires belges. La Belgique dispose donc d’une opportunité historique de faire face à son passé colonial, d’adresser les racines profondes des injustices contemporaines auxquelles fait face sa population afro-descendante et d’établir de nouveaux rapports avec les sociétés anciennement colonisées.

Toutefois, le processus en cours présente le risque d’une approche partielle et partiale de la question coloniale, ainsi qu’une tentation d’ignorer ses conséquences contemporaines en classant la période coloniale comme faisant partie de l’Histoire. Ceci se reflète tant au niveau de la composition de la Commission, qui est peu représentative des enjeux qu’elle devra appréhender, que de son mandat, qui semble se limiter à des enjeux symboliques. On peut également noter un manque de transparence dans les discussions autour du dispositif de vérité et réconciliation, lesquelles se déroulent sans concertation avec la société civile, les activistes et les experts académiques.

Face à ces constats, Avocats Sans Frontières publie aujourd’hui une note de politique, ancrée dans son expérience pratique de la justice de transition à travers le monde. ASF invite particulièrement les membres de la Commission Relations Extérieures du Parlement belge à se saisir de l’opportunité pour la Belgique d’établir des bases saines dans ses relations avec toute une partie de sa population, et les sociétés du Burundi, du Rwanda et de la RDC, mais également de faire figure d’exemple à l’échelle mondiale.