Makala, qui veut dire « charbon » en lingala, est la prison centrale de Kinshasa. C’est aussi l’un des principaux pénitenciers d’Afrique : on y compte 8.500 détenus dans un complexe de pavillons et de baraquements en brique et en tôle, conçu initialement pour héberger 1.500 personnes. C’est une petite ville, un écosystème, où tout se monnaie, s’échange, se négocie jusqu’à l’espace au sol pour se coucher. Certaines cellules de 100 m2 abritent 200 détenus dont beaucoup dorment à même le sol. Ceux-ci sont sous-alimentés et connaissent de graves problèmes de malnutrition. Les coups, les mauvais traitements peuvent parfois conduire à la mort. L’extrême promiscuité et la précarité créent inévitablement des conflits qui ne seront gérés que dans la violence.
Aujourd’hui, à la prison de Makala, nous avons croisé F.
En 2009, F. avait 23 ans et habitait à Ndjili, une commune à l’Ouest de Kinshasa, située à proximité de l’aéroport. Cette année-là, il a été pris à partie dans un conflit foncier qui opposait sa tante et un voisin. F. a été entendu comme témoin. Ayant refusé de donner l’adresse de sa tante, il a été poursuivi pour vandalisme et écroué à Makala. Quelques jours plus tard, il est passé devant le juge qui devait statuer sur sa remise en liberté. Depuis, plus de nouvelle. F. est resté à Makala. Comme beaucoup d’autres, il est tombé dans l’oubli, noyé dans les registres manuscrits de la prison. F. est donc détenu arbitrairement depuis 10 ans, sans jamais avoir été jugé. Pour vandalisme.
Il y a quelques semaines, un avocat partenaire d’ASF est tombé sur F. En fouillant un peu, il a découvert qu’ en 2012, un magistrat avait classé le dossier sans suite. F. aurait donc du être libéré, mais sans communication entre le parquet et l’administration pénitentiaire, personne n’a jamais été informé de la décision qui permettait sa libération. F. a passé 10 ans de sa vie en prison, dans des conditions atroces. Dans quelques semaines, F. sera sans doute libéré.* Mais à Makala, on compte des centaines de personnes dans cette situation : près de 80% des détenus y sont en détention préventive.
Dès lors, quelles sont les solutions ?
Premièrement, il est nécessaire de s’émanciper des vieilles recettes qui font en priorité appel à la construction de prisons, aux réformes légales et aux formations de magistrats. Rien que sur ce dernier point, l’expérience démontre que les magistrats connaissent en général les principes de procédure pénale de droit interne. Ces mesures n’ont pas d’impact démontré sur l’amélioration du système pénal.
Ensuite, il faut reconnaître les causes principales du recours abusif à la détention préventive. L’expérience d’ASF met en évidence les motifs non-avoués des acteurs du système pénal qui poursuivent des buts précis, lesquels sont parfois en contradiction avec la norme. Parmi ces motifs, on retrouve, de façon cumulative ou non :
des motifs politiques : l’ordre vient « d’en haut » et la détention préventive permet de mettre à l’écart des voix dissidentes. Cela a particulièrement été le cas dans le contexte pré-électoral congolais ;
des motifs répressifs : la détention préventive est excessivement activée, de façon consciente ou non, pour réprimer un comportement, plutôt que pour faciliter l’instruction d’un dossier pénal ;
des motifs économiques : l’action publique est détournée pour obtenir des avantages économiques. Ce détournement prend la forme d’extorsions, éventuellement dissimulées par une mesure légale (amende transactionnelle, cautionnement…).
Enfin, toute action portée vers le changement doit nécessairement prendre en compte le caractère complexe des logiques et interactions qui poussent les acteurs du système pénal à appliquer ou à s’écarter de la règle. En termes d’action, il s’agit notamment:
de considérer la population comme un levier de changement pour influencer positivement les pratiques pénales ;
d’instaurer une concertation régulière avec tous les acteurs du système pénal ;
d’intégrer la société civile comme acteur d’influence visant à interpeller et responsabiliser les acteurs du système pénal de façon continue sur les cas graves de violation des droits humains.
Concrètement, pour défendre les cas comme celui de F., ASF et ses partenaires portent des recours devant les juridictions nationales, mènent des campagnes de plaidoyer et appuient l’organisation d’actions citoyennes. Mais pour accroître l’impact, il faut agir de façon continue, à travers un réseau d’action porté par des avocats activistes, des académiques et des membres de la société civile. Ce réseau est en train de voir le jour à travers l’action d’ASF, tant au niveau de la RDC qu’au niveau international. Pour veiller et pour lutter. Mais surtout pour que les détenus oubliés comme F. puissent être défendus et que leurs droits soient réhabilités.
*F. a finalement été libéré en janvier. Nous luttons maintenant pour l’aider à obtenir des réparations.
Bruno Langhendries
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