Droits humains et exploitation des ressources naturelles : un rendez-vous manqué

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Kinshasa – Hier soir, 14 décembre 2015, la Cour Militaire de Mbandaka a condamné le Commissaire supérieur Jean-Jacques Koyo ainsi qu’un autre policier et 3 militaires pour crime contre l’humanité pour les exactions commises en 2011 sur la population de Bosanga dans le groupement de Yalisika (Province de l’Equateur). Avocats Sans Frontières (ASF) regrette que la justice congolaise n’ait pas saisi cette occasion pour affirmer fermement l’obligation de protéger les populations touchées par des violations graves liées à l’exploitation de ressources naturelles.

Le matin du 2 mai 2011, les forces policières du Commissaire supérieur Jean-Jacques Koyo ainsi que des militaires de la force navale lancent une attaque massive contre la population de Bosanga, dans le groupement de Yalisika. Dès l’origine de cette attaque, la population dénonce l’implication de la Société Industrielle et Forestière du Congo (SIFORCO). Depuis 2005, la SIFORCO a acquis le droit d’exploitation des ressources forestières locales. Elle était cependant entrée en conflit avec la population en ne respectant pas ses engagements sociaux pourtant consacrés dans un accord écrit.

Au cours du procès, 42 victimes n’ont pas hésité à défendre leurs droits. Au côté des autres témoins de l’accusation, elles ont décrit les exactions subies, dont les arrestations, les tortures, les destructions de biens, les viols. Elles ont fait preuve de courage et de détermination en expliquant comment cette attaque avait bénéficié de l’appui logistique de la SIFORCO. Les juges de la Cour militaire ont cependant décidé de retenir contre J-J. Koyo et les 4 autres prévenus que les faits de torture, en tant que crimes contre l’humanité. Ils retiennent une peine légère de 2 à 3 ans d’emprisonnement, contrairement à la demande du ministère public.

En ce qui concerne la SIFORCO, les juges notent que, suite à l’attaque du 2 mai 2011, elle avait restitué des biens à la population de Bosanga, suggérant ainsi qu’elle aurait déjà réparé leur dommage. Les avocats des victimes s’étonnent de voir au final les juges écarter toute autre implication de la SIFORCO, notamment dans les faits de torture.

« Ce procès n’était en tout cas pas dirigé contre les industries qui investissent dans le pays. Au contraire, l’exploitation des ressources naturelles est l’un des éléments-clés du développement économique dans le pays », précise Dominique Kamuandu, Coordinateur de programme Justice internationale. « Mais ce développement doit se faire dans le plein respect des droits des populations. Malheureusement, le jugement d’aujourd’hui ne parvient pas à l’affirmer. C’est un rendez-manqué ».

ASF encourage le Ministère public à poursuivre ses efforts afin que toute la lumière soit faite sur les violations graves commises dans cette affaire.

« Si la justice n’établit pas les responsabilités de différents acteurs, elle aggrave les traumatismes et les frustrations des victimes. Or, le rôle de la justice est de  favoriser la paix sociale et de garantir la sécurité juridique des populations », plaide Dominique Kamuandu coordinateur du programme Justice internationale.

Dans le cadre de son mandat d’accès à la justice des personnes en situation de vulnérabilité, ASF continuera à suivre étroitement cette affaire.

Photo de couverture: une audience du procès en juillet 2015 © ASF/J. Léon