
Cet article est issu du rapport annuel 2024 d’ASF.
Au Maroc, comme dans de nombreux pays, les lois pénales continuent de sanctionner des comportements souvent liés à la pauvreté, à la marginalité ou à l’activisme. En collaboration avec l’Observatoire Marocain des Prisons (OMP), Avocats Sans Frontières a mené en 2024 une enquête nationale inédite sur la perception des délits mineurs et des peines alternatives, dans le cadre de la Campagne pour Décriminaliser la Pauvreté, le Statut et l’Activisme. Ce travail s’inscrit dans une dynamique de réforme structurelle du système pénal, visant à mettre fin à l’usage arbitraire de la prison pour des infractions dites « mineures », et à ouvrir la voie à des réponses plus justes, humaines et efficaces.
La Campagne pour Décriminaliser la Pauvreté, le Statut et l’Activisme est une coalition d’organisations du monde entier qui plaident pour l’abrogation des lois visant les personnes en raison de leur pauvreté, de leur statut et/ou de leur activisme.
Anciennement connue sous le nom de Campagne pour la décriminalisation des infractions mineures en Afrique, la Campagne a récemment pris une envergure mondiale et élargi son champ d’action pour prendre en compte les lois ciblant les personnes en fonction de leur statut, qu’il soit social, politique ou économique, et/ou de leur activisme.
Elle rassemble des avocat·e·s, des juristes, des membres du pouvoir judiciaire, des activistes et des expert·e·s de plus de 50 organisations, dont des organisations non gouvernementales nationales, régionales et internationales, des institutions nationales de défense des droits humains, des organisations d’aide juridique, des instituts de recherche, des universités et des groupes d’activistes.
Une criminalisation qui touche les groupes marginalisés
Historiquement héritées de l’époque coloniale, de nombreuses dispositions du Code pénal marocain ciblent les personnes non pas pour ce qu’elles ont fait, mais pour ce qu’elles sont : en situation de pauvreté, sans abri, migrantes, LGBTQI+, ou engagées dans l’activisme. Ces délits dits « mineurs » — comme la mendicité, le vagabondage, ou encore certaines infractions religieuses ou sociétales — sont régulièrement utilisés pour contrôler ou sanctionner des populations vulnérables.
En subissant une réponse pénale face à des problèmes socio-économiques, les populations vulnérables sont encore davantage marginalisées. Le maintien de ces délits mineurs dans les codes pénaux alimente donc un cercle vicieux, si les peines sont souvent courtes, les conséquences pour l’incarcéré.e (casier judiciaire, perte d’emploi, stigmate social…) et sa famille sont souvent majeures et de long terme. Ce cercle vicieux tend aussi à aggraver des problèmes déjà graves et chroniques de surpopulation carcérale dans le pays.
La décriminalisation de ces délits au profit d’une réponse socio- économique en dehors du champ pénal est donc l’objectif porté par la campagne « La pauvreté n’est pas un crime ».
Un large soutien pour une justice plus équitable
L’enquête, réalisée auprès de 1 009 personnes représentatives de la population marocaine, révèle un décalage profond entre les pratiques pénales actuelles et les attentes de la société. Si certaines infractions restent perçues comme graves — notamment celles liées à la morale ou à la religion — une majorité des répondant·es rejettent l’idée d’une réponse pénale à des actes liés à la précarité.
Les peines alternatives : une réponse crédible et attendue
L’enquête met également en lumière un fort niveau d’adhésion aux peines alternatives à l’emprisonnement, malgré une connaissance encore limitée du grand public. Autour de 4 répondant·e·s sur 5 jugent qu’elles sont une option viable et que le travail de travail d’intérêt général est la meilleure alternative à la prison et qu’il permet de prévenir la récidive et de favoriser la réinsertion.
Ces résultats confirment la pertinence des actions de sensibilisation menées par ASF dans le cadre de la campagne « La pauvreté n’est pas un crime », qui défend une approche non pénale et socio-économique pour les infractions mineures.
Un plaidoyer appuyé sur les données de terrain
L’enquête constitue la première étape d’un travail de plaidoyer et de mobilisation citoyenne, en nourrissant une campagne de sensibilisation grand public au Maroc. Elle permet d’identifier les groupes les plus concernés, de tester les niveaux d’acceptation sociale des réformes et de construire des messages adaptés à la réalité des perceptions.
En parallèle, ces données renforcent notre plaidoyer auprès des institutions judiciaires et législatives pour (1) l’abrogation des dispositions pénales discriminatoires, (2) le développement des peines alternatives dans les textes et les pratiques, et (3) une réforme du système pénal fondée sur les droits humains et la justice sociale.
Un combat global pour une justice équitable
La Campagne pour Décriminaliser la Pauvreté, le Statut et l’Activisme, portée par une coalition internationale de plus de 50 organisations, dont ASF, s’étend désormais bien au-delà du continent africain. Ensemble, nous oeuvrons à un changement de paradigme : sortir du réflexe pénal pour répondre à des problématiques sociales, économiques ou politiques, et faire de la justice un levier d’égalité et de dignité.
Parce que personne ne devrait être emprisonné·e parce qu’il·elle est pauvre, marginalisé·e ou engagé·e, ASF s’engage avec force pour un système judiciaire plus juste, humain et inclusif.