Cet article est extrait du rapport annuel 2022 d’ASF.
La mise en liberté sous caution est devenue une question de plus en plus controversée. Des débats juridiques et sociaux sur l’équilibre entre la sécurité publique et le droit à la liberté font rage dans beaucoup de pays, et c’est particulièrement le cas en Ouganda. Beaucoup appellent à une réforme du cadre législatif régissant l’accès à la liberté sous caution et de nombreuses initiatives vont dans ce sens. ASF travaille avec ses partenaires locaux pour promouvoir une réforme en profondeur de la législation et des pratiques en la matière en Ouganda.
Les législateur‧rice‧s, les membres de la société civile, les membres du système judiciaire et d’autres acteur‧rice‧s ont exprimé de nombreuses préoccupations parfois contradictoires sur les conditions qui encadrent l’octroi des demandes de mise en liberté sous caution en Ouganda.
D’un côté, le président ougandais dénonce ouvertement certaines décisions de justice accordant la liberté sous caution à des personnes soupçonnées de meurtre, estimant qu’il s’agit d’une provocation à l’égard de la population. Celui-ci plaide pour des conditions plus strictes concernant l’octroi de la mise en liberté sous caution. Ce qui est le cas d’une partie de la population des acteur‧rice‧s judiciaires également, qui s’inquiètent de l’augmentation des crimes capitaux dans le pays.
Face à eux‧elles, d’autres considèrent que les amendes exorbitantes et les cautions en espèces inabordables imposées par les tribunaux aux demandeur‧euse‧s de liberté sous caution sont discriminatoires, car cela limite dans les faits l’accès à ce droit aux personnes les plus aisées.
Globalement, chacun‧e semble s’accorder sur le fait qu’il est nécessaire de mettre fin au système actuel et aux nombreuses incohérences dans les décisions prises par les tribunaux lors de l’examen des conditions de mise en liberté sous caution.
Le coût de la politique de l’État en termes de détention préventive et de mise en liberté sous caution est aussi l’object d’intenses débats en Ouganda. Le maintien en détention a un prix et les personnes détenues ne peuvent pas subvenir aux besoins de leur famille et contribuer à l’économie. Le coût global du maintien d’un‧e détenu‧e en Ouganda pour le trésor public est de 22.966 UGX (+- 5,64€) par prisonnier et par jour. En décembre 2022, les prisons ougandaises comptaient 74.414 prisonnier‧ère‧s, dont 35743 étaient des détenu‧e‧s préventif‧ve‧s, ce qui porte le coût annuel de l’entretien des prisonnier‧ère‧s à +- 150.000.000€ , dont plus de la moitié, sont consacrés aux détenu‧e‧s en attente de jugement.
En décembre 2021, le président de la Cour suprême a publié des propositions de lignes directrices sur la mise en liberté sous caution. Celles-ci étaient destinées à compléter les dispositions légales existantes et à promouvoir l’uniformité et la cohérence dans les décisions prises par les tribunaux lors de l’examen des demandes de mise en liberté sous caution. L’un des objectifs des lignes directrices proposées était de remédier aux abus dans l’utilisation de la détention provisoire et à la surpopulation carcérale qui en résulte.
En février 2022, ASF et ses partenaires ont soumis un mémorandum au comité des règles judiciaires soulignant certains des problèmes clés qui entravent et ont un impact négatif sur le traitement des détenu‧e‧s provisoires. Certaines recommandations clés n’ont pas été prises en compte. Par exemple, la recommandation sur la libération sous caution obligatoire des délinquant‧e‧s qui ont été en détention pendant 60 ou 180 jours pour les petits délinquant‧e‧s et les délinquant‧e‧s capitaux‧les sans passer devant un juge.
Les Constitutional Directions ont été adoptées et lancées par le Chief Justice le 27 juillet 2022. Certaines clauses des directives ont depuis lors modifié de manière conséquente la disposition constitutionnelle relative à la mise en liberté sous caution, en particulier les clauses prévoyant la mise en liberté sous caution obligatoire pour les infractions passibles de la peine de mort. Auparavant, les magistrat‧e‧s étaient compétent‧e‧s pour accorder une mise en liberté sous caution aux auteur‧rice‧s d’infractions passibles de la peine de mort avant que leur affaire ne soit renvoyée devant la Haute Cour. Avec l’entrée en vigueur des lignes directrices relatives à la mise en liberté sous caution, la compétence pour accorder une mise en liberté sous caution aux auteur‧rice‧s d’infractions passibles de la peine de mort est désormais limitée à la seule High Court[8]. Cela limite donc l’accès à ce droit pour les détenu‧e‧s provisoires, en particulier ceux‧elles qui sont accusé‧e‧s d’avoir commis des crimes pouvant entraîner la peine capitale.
Dernièrement, la libération sous caution des condamné‧e‧s à la peine capitale est devenue difficile, car ceux‧elles qui parviennent à demander à la Haute Cour de les libérer sous caution sont traduits en justice avant que leur dossier ne soit examiné par la Haute Cour. Dans les régions où il n’y a pas de Haute Cour, les détenu‧e‧s ont perdu espoir et plaident souvent coupable pour obtenir une peine alternative. L’engorgement de certaines prisons s’est aggravé en raison de l’augmentation du nombre de prévenu‧e‧s.
En Ouganda, ASF, en partenariat avec le Legal Aid Service Providers Network (LASPNET), met en œuvre un projet de trois ans intitulé « Protecting procedural and constitutional rights through access to justice », financé par l’Austrian Development Cooperation (ADC).
Dans le cadre de ce projet, ASF a recruté des assistant‧e‧s juridiques et des avocat‧e‧s pour surveiller les violations des droits procéduraux et constitutionnels et fournir une assistance juridique dans huit districts de l’Ouganda. Depuis le début du projet, plus de 4.000 cas de violation des droits de la détention provisoire ont été enregistrés, dont 2.047 dans les prisons. Plus des deux tiers des détenu‧e‧s trouvé‧e‧s dans les prisons ont dépassé la période obligatoire de mise en liberté sous caution, ce qui constitue une violation de leur droit à la mise en liberté sous caution et une violation de leurs droits procéduraux. ASF a également entrepris une étude de base sur le profil socio-économique des détenu‧e‧s et les raisons de leur incarcération. L’une des principales conclusions de cette étude est que 30 % des détenu‧e‧s ignoraient qu’il‧elle‧s avaient le droit de demander une libération sous caution et avaient donc dépassé la durée de leur détention provisoire.
Afin de poursuivre ses actions de plaidoyer en faveur des droits des détenu‧e‧s provisoires, ASF, en partenariat avec Ssekaana Associated Advocates and Consultants et un requérant individuel, Stephen Kalali, a saisi la Cour constitutionnelle pour contester certaines dispositions des directives sur la mise en liberté sous caution. Nous espérons que cela permettra de mettre en lumière les dysfonctionnements de la loi et de la pratique en matière de libération sous caution.