Bruxelles, 30 novembre 2011 – Avocats Sans Frontières emploie environ 135 personnes au sein de son siège et de ses bureaux de terrain, dont une très grande majorité de staff local. Si certains postes, comme celui de Chef de mission, sont attribués à des personnes qui ne sont pas issues du pays d'intervention – ceci pour garantir leur indépendance par rapport au contexte politique local et aux bailleurs de fonds –, la majorité sont réservés à des employés du pays, dont la connaissance du contexte est précieuse.
Sabrina Lambé, Responsable des ressources humaines au siège: « C'est une évidence pour nous. La notion de développement ne s'applique pas seulement aux actions menées sur le terrain, mais également en interne, au sein de nos équipes : nous accordons beaucoup d'importance à la formation et au renforcement continu des capacités de notre personnel local, ce dont ils pourront profiter tout au long de leur carrière. ».
En ce début d'automne 2011, deux de nos collègues ont décidé de quitter l'association: Ingrid Kanyamuneza (Coordo Aide juridique, Burundi) et Ben Kabagambe (Juriste Projet Accès à la Justice, Rwanda), l'une pour rejoindre l'équipe de la Commission européenne à Kinshasa et l'autre pour retrouver sa famille au Burundi. Mauvaise nouvelle? En un sens, oui, puisqu'ASF perd 2 collaborateurs compétents et motivés. Mais ils ressortent fortifiés de cette expérience chez ASF, et plus convaincus que jamais par la pertinence des actions de l'association. L'occasion de leur rendre hommage à travers une interview croisée…
Qu'avez-vous appris chez ASF ?
Ingrid : quand je suis arrivée en 2005, j'avais très peu de connaissances en gestion de projets et sur les relations entre ONG et bailleurs de fonds. Les 6 années passées chez ASF m'ont permis de bien comprendre le rôle de chaque acteur du secteur de la justice (Ministère, Barreau, ONG de défense des droits de l'Homme) et les actions prioritaires qu'il faut mener pour améliorer l'accès à la justice de la population burundaise.
Ben : même si je dois quitter la mission au Rwanda aujourd'hui, je serai à jamais reconnaissant de ce que j'y ai gagné en tant qu'employé et en temps que défenseurs des droits humains. Travailler chez ASF m’a appris que, avec de la volonté, la justice peut devenir une réalité pour tout le monde, et pas seulement pour certains privilégié. J’ai découvert que le bonheur c'est aussi d'aider les autres.
Certains disent que le droit et l'accès à la justice sont un luxe, que les populations ont d'abord besoin d'écoles, d'hôpitaux…
Ingrid : pour moi, le droit à l'accès à la justice est un droit fondamental par excellence, dans ce sens qu'il garantit tous les autres droits. Le droit à une bonne éducation ou aux soins de santé ne seraient que des slogans s’ils pouvaient être violés en toute impunité. La justice est un besoin de première nécessité dans la mesure où c'est la seule garantie, pour chaque individu, de disposer d’un remède pour tout préjudice ou injustice subis. La paix, la sécurité des personnes et des biens – et partant le développement – sont impossibles sans la justice.
Ben : comment accéder à l'eau, à l'école et aux hôpitaux si l'on ne sait pas qu'on y a droit ? La justice est un besoin permanent car elle fait partie de notre vie de tous les jours et que notre vie et notre liberté en dépendent. La mettre au second plan, c'est mettre en danger notre vie et notre sécurité – et quoi de pire que d’être privé de liberté ?
Quel souvenir le plus marquant gardez-vous de votre passage chez ASF ?
Ingrid : j'ai été particulièrement touchée par des cas des violations des droits de l'Homme commises sur des populations vulnérables par des autorités qui étaient censées les protéger. Mais je me réjouis que, grâce à l’intervention d'ASF via les avocats burundais collaborant, certains de ces cas ont été bien et rapidement traités par la justice, et les victimes rétablies dans leurs droits.
Ben : le premier est lié à un jeune garçon de 17 ans condamné à 25 ans de prison en l’absence de toute preuve. Après 10 années de détention il a interjeté appel et ASF lui a octroyé un avocat, ce qui a permis son acquittement. Par manque d'assistance, un jeune garçon a perdu 10 ans de son existence injustement ! L'autre souvenir est celui de cet homme croisé avec ma collègue Clotilde à la prison de Rilima : il avait été acquitté pour assassinat par la Haute Cour mais la directrice de la prison refusait de le libérer suite à une erreur sur son identité. Ce monsieur à dû passer 4 mois supplémentaires en prison. Sans notre intervention, il n'aurait jamais été libéré.
Comment voyez-vous l'évolution du secteur de la justice dans vos pays respectifs ? Quelle y est la place d’ASF ?
Ingrid : malgré les améliorations constatées, de nombreux problèmes continuent à handicaper le fonctionnement de la justice burundaise: manque d'indépendance de la magistrature, mauvaise gestion des carrières des magistrats, incompétence de certains, corruption, etc. Pour des raisons politiques, de nombreuses violations commises par les autorités restent impunies. On assiste à une limitation des libertés individuelles et à des attaques visant les défenseurs des droits de l'homme. Cette situation n'est pas du tout rassurante pour un pays qui se dit démocratique. ASF doit donc suivre l'évolution du contexte et adapter ses interventions, en intensifiant encore le renforcement de capacités des acteurs nationaux pour assurer la durabilité des actions initiées.
Ben : le système judiciaire rwandais comporte d'importantes lacunes – en particulier ses lois ambiguës – mais a aussi des côtés positifs: formation régulière des juges, création de bureaux de protection des victimes, maisons d'accès à la justice. ASF a clairement fait la différence durant ces dernières années, entre autres en formant les acteurs judiciaires sur le droit des mineurs, la justice juvénile et le droit de la défense. Mais il y a encore énormément de travail, et les ONG locales manquent de fonds: selon moi, il faut continuer notre action, sous peine de laisser derrière nous de nombreux « orphelins judiciaires ».