Les sanctions américaines contre la Cour Pénale Internationale : une atteinte grave à la capacité des victimes de violations graves des droits humains à obtenir justice

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Le 6 février 2025, un décret a été adopté par le président américain Donald Trump imposant des sanctions à la Cour pénale internationale (CPI). Il autorise le gel des avoirs et l’interdiction d’entrée sur le territoire des fonctionnaires de la CPI et d’autres personnes non américaines qui apportent leur soutien aux travaux de la Cour Pénale Internationale. Au début du mois de janvier 2025, la Chambre des représentant·e·s américaine a adopté une loi visant à imposer des sanctions à la Cour pénale internationale, mais le projet de loi n’a pas été adopté par le Sénat. L’imposition de sanctions à la CPI constitue un recours injustifié à des mesures coercitives qui portent atteinte à l’indépendance judiciaire de la Cour Pénale Internationale et pourraient sérieusement affecter sa capacité à remplir son mandat de lutte contre l’impunité pour les violations des droits humains.

  1. Qu’est-ce que la Cour Pénale Internationale ?

La CPI est une cour internationale permanente créée par un traité international, le Statut de Rome, qui a été adopté lors d’une conférence diplomatique en juillet 1998. Il est entré en vigueur le 1er juillet 2002 ; depuis lors, 125 pays ont rejoint la Cour. La CPI est compétente pour juger des individus, y compris des fonctionnaires et des chefs d’État, pour crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide. À ce jour, la Cour a ouvert des enquêtes pour 17 cas présumés de violations graves des droits humains.

La Cour agit sur la base de la complémentarité, ce qui signifie qu’elle n’exerce sa compétence que dans les situations où les systèmes juridiques nationaux ne le font pas, lorsqu’il est démontré qu’ils n’ont pas la volonté ou la capacité de mener à bien de véritables procédures.

La CPI a été créée dans le but de lutter contre l’impunité des crimes internationaux (crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide) dans le monde entier et de faire respecter le principe fondamental de l’État de droit selon lequel nul n’est au-dessus de la loi et que tous les pouvoirs publics doivent agir dans le cadre des contraintes fixées par la loi.

  1. Pourquoi est-ce que les États-Unis imposent des sanctions à la CPI ?

Ces sanctions sont une mesure de rétorsion suite à l’ouverture par la CPI d’une enquête sur les crimes internationaux commis dans le cadre du conflit israélo-palestinien. En mars 2021, le Procureur de la CPI a ouvert une enquête sur les crimes commis depuis le 13 juin 2014 en Palestine. Suite à cela, des mandats d’arrêt ont été délivrés par la Cour en novembre 2024 à l’encontre du Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahou, et du ministre de la Défense, Yoav Gallant. La Cour a trouvé des motifs raisonnables de croire que Netanyahu et Gallant sont responsables de crimes contre l’humanité et de crimes de guerre dans la bande de Gaza. Un mandat d’arrêt a également été délivré à l’encontre du chef du Hamas, Mohammed Diab Ibrahim Al-Masri, pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité présumés.

Ces mesures s’inscrivent dans le cadre d’une politique américaine de longue date qui consiste à s’engager stratégiquement auprès de la CPI et à adopter des mesures pour contrer la Cour lorsqu’elle tente d’enquêter sur des crimes dans lesquels les États-Unis, ou leurs alliés, sont impliqués. Par exemple, l’adoption en 2002 du « American Service-Members’ Protection Act » et la signature d’accords d’immunité bilatéraux avec de nombreux États visaient à empêcher la poursuite et l’arrestation de membres des forces armées américaines par la Cour.

En 2019, suite à l’ouverture d’une enquête par la Cour sur la situation en Afghanistan, les États-Unis ont adopté un décret sur les sanctions de la CPI qui a conduit à l’application de sanctions contre la procureure de la Cour de l’époque, Fatou Bensouda, et le chef de la Division de la compétence, de la complémentarité et de la coopération de la CPI, Phakiso Mochochoko. Deux actions en justice ont été intentées par des organisations de la société civile américaine contre ce décret. L’administration Biden a annulé le décret en avril 2021 mais, en janvier 2025, l’administration Trump a, à son tour, annulé le décret de Biden.

  1. Quelle est la portée des sanctions ?

Le décret autorise des sanctions à l’encontre des personnes et/ou entités étrangères qui participent directement à tout effort de la CPI pour enquêter, arrêter, détenir ou poursuivre un ressortissant américain ou un ressortissant d’un pays allié qui n’est pas un État partie à la Cour ou qui a accepté la compétence de la Cour. Elle autorise également des sanctions à l’encontre de personnes et/ou d’entités qui ont matériellement aidé, parrainé ou fourni un soutien financier, matériel ou technologique à une personne déjà sanctionnée.

Les personnes sanctionnées feront l’objet d’un gel de leurs avoirs et d’une interdiction de voyager. Le champ d’application des interdictions de visa prévues par le décret est toutefois plus large puisqu’il peut s’appliquer non seulement aux personnes sanctionnées, mais aussi aux membres de leur famille (conjoints et enfants) ainsi qu’à toute personne non américaine dont le secrétaire d’État estime qu’elle est « employée par la CPI ou agit en tant qu’agent de celle-ci ». À l’heure actuelle, seul le procureur de la CPI, Karim Khan, figure sur la liste des sanctions. Le décret charge le secrétaire américain au Trésor de soumettre un rapport dans les 60 jours afin d’identifier d’autres cibles pour les sanctions.

  1. Les sanctions sont-elles un instrument légitime ?

L’objectif premier du régime de sanctions américain est de cibler les acteur·rice·s impliqué·e·s dans la criminalité organisée internationale, la prolifération des armes, le terrorisme et les violations des droits humains, car ces actes sont considérés comme des menaces pour la sécurité nationale des États-Unis. Il est donc ironique que ce même instrument soit utilisé pour restreindre une institution dont l’objectif précis est de lutter contre l’impunité des violations des droits humains. En recourant aux sanctions, les États-Unis sapent l’État de droit mondial et signalent que la justice ne doit s’appliquer que de manière sélective, même dans les situations où de graves violations des droits humains ont été commises.

Ils renforcent ainsi la culture mondiale de l’impunité et s’ajoutent aux autres efforts déployés par les États pour affaiblir la justice internationale. À la suite des mandats d’arrêt délivrés par la Cour contre des responsables russes, dont le président Vladimir Poutine, pour des crimes commis dans le cadre du conflit en Ukraine, la Russie a engagé des poursuites pénales contre le procureur et trois juges de la CPI. La Russie a également adopté une loi pénalisant toute coopération avec la CPI. Le Parlement israélien examine actuellement un projet de loi qui imposerait une peine pénale à tout·e citoyen·ne israélien·ne, autorité ou organisme public coopérant avec la CPI. En janvier 2025, l’Italie, qui est un État partie à la Cour, n’a pas donné suite, pour des motifs douteux, à un mandat d’arrêt délivré à l’encontre d’un général libyen accusé de crimes contre l’humanité et impliqué dans les mauvais traitements infligés à des personnes en situation de migration.

Les sanctions américaines sont une mesure punitive disproportionnée qui constitue un affront aux victimes de violations des droits humains et contribue à une politisation de la justice internationale qui enhardira les criminels de guerre.

  1. La Cour a-t-elle outrepassé ses compétences en délivrant des mandats d’arrêt ?

Les États-Unis affirment que la CPI a outrepassé son autorité en enquêtant sur des crimes présumés commis en Palestine et en délivrant des mandats d’arrêt à l’encontre de citoyen·ne·s d’États qui n’ont pas adopté le statut de Rome. Toutefois, ce point a été débattu et il a été établi que la Cour agissait dans les limites de sa compétence. En vertu du statut de Rome, la CPI peut exercer sa compétence lorsque les crimes présumés sont commis sur le territoire d’un État partie (ou d’un État qui a autrement accepté la compétence de la Cour), y compris lorsque ces crimes sont commis par une personne qui est un·e citoyen·ne d’un État non partie. La Palestine est devenue un État partie à la CPI en 2015 et a demandé à la CPI d’ouvrir des enquêtes sur les crimes présumés commis dans le territoire palestinien occupé depuis le 13 juin 2014. Le 17 novembre 2023, l’Afrique du Sud, le Bangladesh, la Bolivie, les Comores et Djibouti ont saisi la CPI de la situation dans l’État de Palestine.

Par le passé, la CPI a déjà délivré des mandats d’arrêt contre des ressortissant·e·s de pays tiers, tels que le président soudanais Omar el-Béchir et le président russe Vladimir Poutine, sans opposition notable de la part des États-Unis. Au contraire, sous les administrations Bush et Trump, la nécessité de demander des comptes aux auteur·rice·s de génocides et d’atrocités de masse a été définie comme importante pour la sécurité nationale des États-Unis. L’administration Biden, quant à elle, a déclaré que le mandat d’arrêt contre Poutine était « justifié » et « envoyait un signal fort ». Les affirmations actuelles de l’administration américaine selon lesquelles la CPI agit « sans base légitime » sont donc clairement motivées par des considérations politiques.

  1. Comment les sanctions pourraient-elles affecter la CPI et les défenseur·e·s de la justice internationale ?

Au-delà des impacts personnels et financiers que les sanctions auront sur les personnes sanctionnées (et leurs familles), elles pourraient également entraver le travail de la CPI lorsqu’elle dépend de services fournis par des banques américaines et d’autres sociétés. Les sanctions peuvent également rendre plus difficile et plus dangereuse la collaboration des organisations de la société civile, des avocat·e·s et des expert·e·s avec la CPI, même au-delà des enquêtes sur l’affaire palestinienne. Les personnes étrangères qui collaborent avec la Cour d’un fonctionnaire sanctionné de la CPI courent le risque d’être sanctionnées. De leur côté, les individus ou les organisations de la société civile des États-Unis risquent de lourdes sanctions civiles ou pénales s’ils coopèrent avec la Cour dans l’affaire de la Palestine ou avec un·e fonctionnaire de la CPI sanctionné.

En affaiblissant délibérément la CPI, les sanctions américaines réduisent effectivement la capacité des victimes du monde entier à obtenir justice dans les pays où les États-Unis ont activement encouragé la lutte contre l’impunité, y compris par l’intermédiaire de la CPI, comme l’Ukraine, le Darfour, la Libye et la République démocratique du Congo.

Les sanctions représentent également une attaque directe contre l’indépendance judiciaire de la CPI et constituent une obstruction à la justice, puisque les sanctions sont utilisées comme un instrument politique pour faire pression et intimider les juges et les procureur·e·s de la CPI. L’article 70 du Statut de Rome définit « l’atteinte à l’administration de la justice » comme toute action visant à entraver, intimider ou exercer des représailles contre un fonctionnaire de la Cour en raison des fonctions qu’il exerce.

  1. Comment ont réagi les États parties à ces sanctions de la part des États-Unis ?

Ces sanctions ont été largement condamnées par les États parties. En juin 2024 et février 2025, un collectif d’États parties a publié une déclaration commune dans laquelle ils ont affirmé leur soutien indéfectible à la CPI en tant qu’institution judiciaire indépendante et impartiale. Lors de l’Assemblée des États parties qui s’est tenue en décembre 2024, ils ont réitéré leur soutien constant à la Cour et condamné toute menace, attaque, intimidation ou ingérence visant la Cour, son personnel et ceux·elles qui coopèrent avec elle. Plusieurs États, au premier rang desquels l’Afrique du Sud et la Malaisie, ont également pris l’initiative de créer un « Groupe de La Haye » pour défendre les institutions judiciaires internationales telles que la CPI et la Cour internationale de justice.

L’Union européenne a également exprimé son soutien constant à la CPI et a condamné les efforts d’intimidation et d’entrave à la Cour. De même, 14 rapporteur·euse·s spéciaux·les/expert·e·s indépendant·e·s des Nations unies sur les droits humains ont publié une déclaration condamnant les sanctions américaines contre la CPI. Par ailleurs, de nombreuses coalitions de la société civile et organisations de défense des droits humains, basées à l’intérieur et à l’extérieur des États-Unis, ont condamné les attaques des États-Unis contre la Cour et les efforts visant à criminaliser la coopération avec la Cour.