Paroles kinoises (3/3): «La liberté est mise aux enchères»

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Kinshasa, 26 avril 2016 – En RD Congo, défendre les droits des victimes d’injustice et exercer ses libertés fondamentales reste un défi. Face à un système de justice souvent défaillant et, parfois, aux intimidations, des hommes et des femmes poursuivent un idéal : vivre dans un monde plus juste. Troisième des trois rencontres : l’avocat Hervé Mafwila, à propos de la détention abusive. Maître Hervé Mafwila est membre du Barreau près la Cour d’Appel de Kinshasa/Matete. Avocat pénaliste, il est membre du pool d’avocats ASF. Deux fois par semaine, il se rend à la prison centrale de Makala pour donner de l’aide juridique aux personnes en détention. Originaire de cette partie de la capitale congolaise, ce père de cinq enfants connait bien les conditions de vie des populations : « Ici, les gens vivent dans une grande pauvreté. Ils vivent au jour le jour. Si quelqu’un est mis en détention, comment voulez-vous qu’il paye une caution ? Ils sont à la merci du système ». C’est ce qui arrive à Didier, un des cas traités par l’avocat. Fin 2014, ce jeune homme est accusé de viol sur mineur par le beau-père de la présumée victime, une jeune fille nommée Arlette. Arrêté par la police, il est écroué à la prison de Makala. Au vu de son dossier, Maître Mafwila constate non seulement que le délai de détention préventive n’a pas été respecté mais aussi que rien n’avait été fait pour instruire le dossier sur le fond. « Le juge avait ordonné la mise en détention de Didier sur base d’une simple dénonciation, sans qu’aucune enquête n’ait été menée, ni même que la victime n’ait été entendue », raconte l’avocat. « Lors des audiences, nous avons découvert que la jeune fille en question était en fait la fiancée de Didier, consentante et majeure au moment des faits ». Arlette est soulagée de la libération de son fiancé : « Didier n’avait rien fait de mal. Il n’aurait jamais du être arrêté. J’étais enceinte de lui. Le savoir en prison, ça a été très dur pour moi. » En signe de reconnaissance à l’égard de Maître Mafwila, les jeunes parents ont décidé de donner à leur nouveau-né le prénom de l’avocat : Hervé. Pour Maître Mafwila, les défaillances du système de justice sont largement liées à l’argent. « Chacun de nous aspire à la liberté. Aujourd’hui, si vous êtes mis en détention pour un petit délit, le seul moyen de vous en sortir est d’acheter votre liberté en payant une caution. Alors, les enchères montent, jusqu’à 300 dollars». Pour renverser cette tendance, il faut que les acteurs de justice soient rigoureux et sérieux, plaide l’avocat : « Or, actuellement, beaucoup de magistrats exigent d’être payés, alors qu’ils devraient donner l’exemple. Ceci dit, je vois que lorsque nous intervenons dans le cadre du Bureau de Consultation Gratuite, avec ASF, les juges sont plus attentifs. Il y a encore beaucoup de travail. Mais au moins, chaque personne que je fais sortir de prison, comme Didier, peut reprendre sa vie. »
Photo: Arlette (g.) a donné à son nouveau-né le prénom de l’avocat – Maître Mafwila(d.) qui a fait libérer son fiancé : Hervé. Matete, Kinshasa, 2015 © ASF / G. Van Moortel