Goma, RD Congo. Avocats Sans Frontières (ASF) salue la décision de la Cour militaire du Sud-Kivu qui condamne aujourd’hui le Colonel Bedi Mobuli Engangela – dit « 106 » – à une peine d’emprisonnement à perpétuité pour crimes contre l’humanité. L’ancien haut gradé et chef de guerre est l’un des plus hauts responsables des violences commises au Sud-Kivu en 2005-2007, qui ont fait plus de 1.000 victimes civiles. Cette décision de justice est donc un signal fort dans la lutte contre l’impunité. ASF demeure néanmoins préoccupée par les risques de représailles contre les victimes qui ont témoigné contre leur bourreau lors du procès.
Arrêté en 2007, le Colonel était sous le coup d’une instruction judiciaire depuis 2011, accusé d’avoir non seulement dirigé les membres de sa milice mais également commis personnellement des actes constitutifs de crimes contre l’humanité (meurtres, viols, atteintes graves à l’intégrité physique ou à la santé mentale, emprisonnement…).
Le surnom « 106 » réfère au numéro du chef de guerre dans la liste établie par le Conseil de sécurité des Nations unies qui réclame l’arrestation et la mise en jugement d’une série de responsables de crimes internationaux.
Son procès avait débuté le 11 aout 2014. Sur 1.181 victimes rencontrées par ASF, 753 s’étaient constituées parties civiles et 83 avaient pu témoigner aux audiences. Leurs témoignages ont révélé l’horreur des crimes, commis lors d’attaques dans plus de 20 villages.
Les victimes étaient enlevées et transportaient les biens pillés, liées par une corde « comme des esclaves », jusqu’au Quartier Général de la milice. « C’est comme si nous étions la propriété privée du Colonel », raconte une victime. « Nous témoignons car si d’autres femmes subissent les mêmes faits, elles auront le courage de témoigner », déclarait une autre victime avant l’ouverture du procès.
La décision d’aujourd’hui, sept ans après les faits, est donc un message fort de la justice congolaise envers les auteurs d’exactions. « Cela signifie que les crimes ne restent pas impunis », se réjouit Dominique Kamuandu, Coordinateur Justice internationale d’ASF en RD Congo.
La Cour militaire a également décidé d’octroyer des réparations aux victimes en fonction des préjudices subis. C’est une étape importante pour restaurer non seulement la dignité des victimes, mais aussi leur avenir. « Nous attendons maintenant que l’Etat congolais honore cette condamnation solidaire et verse les montants (de 500 à 15.000 USD en fonction des préjudices subis) aux victimes », déclare Dominique Kamuandu.
Le courage des victimes et des témoins s’accompagne d’une inquiétude face au risque de représailles de la part du prévenu. « Les coauteurs des crimes commis et les complices de l’accusé pourraient chercher à punir les victimes de leur participation au procès », prévient le Coordinateur ASF. « Nous appelons les autorités congolaises à mettre en place toutes les mesures nécessaires pour assurer leur protection. »
En collaboration avec des organisations de la société civile congolaise, ASF a mené dès 2011 des missions de collecte de récits, d’identification des victimes et de sensibilisation à participer aux procédures. Plus de 750 personnes se sont constituées parties civiles et ont donné procuration au collectif d’avocats proposé par ASF pour défendre leurs intérêts. ASF a pris en charge le déplacement et l’hébergement des victimes qui acceptent de témoigner, tout en étant extrêmement vigilante sur leur sécurité.