N’Djamena, le 26 novembre 2018 – Durant ces mois d’automne, ASF vous propose un portrait de la justice au Tchad, à travers des entretiens avec quatre personnalités engagées dans la défense des droits humains dans le pays. Maître Guerimbaye Midaye est avocat au Barreau du Tchad. Il est actif depuis près de 30 ans au sein de la Ligue Tchadienne des Droits de l’Homme (LTDH), dont il assume maintenant la présidence. Pour lui, combiner son rôle d’avocat et de défenseur des droits humains, est une évidence. « Le lien entre les deux est très fort ».Comment est née la LTDH ?Me Midaye : Fondée en 1991 peu après le renversement du régime d’Hissène Habré, la LTDH est la plus ancienne association de défense des droits humains au Tchad. Durant ses premières années d’existence, les gens la confondaient avec une organisation politique. Nous avons dû faire comprendre aux pouvoirs publics et à la population que défendre les droits de l’Homme n’est pas lutter pour la conquête du pouvoir. Nous portons un regard critique sur la gestion de la chose publique et la gouvernance, mais cela ne fait pas de nous un parti d’opposition.En quoi consiste le travail de la LTDH ?Me Midaye : Nous militons pour la mise en œuvre de la Déclaration universelle des droits de l’Homme et des conventions ratifiées par le Tchad. Nos actions comprennent la sensibilisation des populations, la vulgarisation du droit, la dénonciation des violations et l’accompagnement juridique et judiciaire des personnes dont les droits sont bafoués. La LTDH est-elle fort investie dans la question des droits coutumiers ?Me Midaye : En effet. Sous couvert de la coutume, les chefs traditionnels adoptent parfois des comportements attentatoires à la vie ou à l’intégrité physique. Nous les sensibilisons au fait que la personne humaine est au-dessus de toute autre considération, quelles que soient les coutumes. Prenons l’exemple des enfants bouviers : des enfants, parfois très jeunes, travaillent comme bergers auprès d’éleveurs, dans des conditions souvent proches de l’esclavage. Nous militons pour le respect de leurs droits. Nous luttons aussi contre la pratique de l’excision.Vous donnez également des conseils juridiques…Me Midaye : Nous tentons d’orienter au mieux les personnes qui viennent nous voir, en fonction des cas qu’elles nous soumettent. Si nécessaire, nous les accompagnons pour faire valoir leurs droits devant un juge. La loi prévoit que toute personne poursuivie dans une affaire criminelle doit être assistée par un avocat. Or, dans de nombreuses localités, il n’y a pas d’avocat. Pour contourner cette difficulté, le juge désigne généralement à cette fonction n’importe quelle personne sachant parler français. On peut parler français mais passer pourtant à côté de l’essentiel en matière de défense des droits ! Avec la LTDH, nous reprenons régulièrement les dossiers de personnes qui sont dans cette situation et encourent des peines très lourdes. Il y a deux ans, j’ai par exemple défendu une cinquantaine de prévenus dans un procès à Moussoro. Nous aidons également les personnes libérées à rejoindre leur famille, parfois à l’autre bout du pays.Selon vous, le lien entre le travail des avocats et celui des organisations de la société civile comme la LTDH, est très fortMe Midaye : Il faut savoir qu’il y a très peu de juristes au sein des organisations de la société civile. Ma formation d’avocat et ma connaissance des procédures de droit représentent un atout important lorsqu’il s’agit de défendre les droits de l’Homme. Le lien entre les deux aspects est très fort. Etre avocat me permet de comprendre les rouages du système judiciaire, d’être en contact avec ses différents acteurs, et de bien conseiller les victimes de violations de leurs droits. Souvent, elles ne savent pas à quelle porte il faut aller frapper. Je les oriente vers la bonne porte.Certaines personnes s’orientent vers la profession d’avocat pour devenir riches. Or, être un défenseur des droits humains, c’est accepter d’être humble, de servir une cause sans s’attendre à une rémunération. Les honoraires les plus gratifiants que je perçois, c’est quand une personne que j’ai fait sortir du trou me dit « Merci beaucoup ! ». Cela représente plus que l’argent que je reçois pour avoir gagné une affaire devant un tribunal. Comment caractérisez-vous le fonctionnement de la justice au Tchad ? Me Midaye : C’est une catastrophe. Je le dis en pesant mes mots. Le problème récurrent de la corruption donne aux justiciables le sentiment que seul celui qui est riche peut gagner. Or, tout le monde n’est pas riche. Au-delà de cela, il y a le problème du bilinguisme. Certains acteurs majeurs de la justice – y compris des juges – ne maîtrisent pas du tout le droit… et pas du tout le français, qui est la langue dans laquelle nos lois sont écrites. Lorsque je plaide devant un juge qui ne comprend pas ce que je dis, je me sens, en tant qu’avocat, comme un escroc. J’ai le sentiment d’escroquer la personne qui m’a payé pour travailler en son nom. Une solution serait évidemment d’intégrer l’arabe dans le fonctionnement de la justice… mais l’Etat tchadien ne prend aucune disposition en ce sens.Quel rôle voyez-vous pour Avocats Sans Frontières dans le pays ?Me Midaye : L’essentiel est que les citoyens s’approprient leurs droits et sachent comment et auprès de qui les revendiquer. Je souhaite qu’ASF nous appuie dans cette approche.
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Une interview réalisée par Victor Odent, Directeur-pays d’ASF au Tchad.
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