Maroc – Pour une réforme pénale plus juste, inclusive et respectueuse des droits humains

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Au mois de juin, ASF a clôturé le projet « Renforcer le rôle de la société civile dans les réformes de la chaîne pénale au Maroc » à l’occasion d’un atelier réunissant avocat·es, acteur·ices de la société civile, magistrat·es et représentant·es institutionnel·les. Un moment de bilan collectif à l’heure où la réforme du système pénal marocain est toujours en chantier et que les enjeux pour la population sont considérables.

Un système pénal en mutation, des droits encore fragiles

Portée par les réformes constitutionnelles de 2011 et la ratification d’engagements internationaux en matière de droits humains, la refonte de la justice pénale marocaine est un projet ambitieux, mais à ce jour inachevé. Révision du Code pénal, refonte du Code de procédure pénale, réforme de la loi pénitentiaire ou encore mise en place des peines alternatives : les chantiers sont nombreux et prometteurs. Mais dans la pratique, les droits fondamentaux restent souvent fragiles, en particulier pour les personnes les plus marginalisées.

C’est dans cette perspective qu’ASF a mené ce projet, aux côtés de ses partenaires, pour renforcer la contribution de la société civile aux réformes en cours. À travers des activités d’assistance juridique, d’observation des procès, de documentation et de plaidoyer, le projet a permis de mettre en lumière les écarts entre les textes et les pratiques, et d’ouvrir des pistes concrètes pour une réforme pénale plus équitable.

Criminalisation de la pauvreté : un constat structurel

Les résultats du projet sont sans appel : le système pénal marocain continue de sanctionner des situations de pauvreté plutôt que de les traiter comme des enjeux sociaux. La majorité des personnes poursuivies pour des infractions dites « mineures » – vagabondage, vente informelle, usage de stupéfiants, migration non autorisée – vivent dans une grande précarité. La réponse judiciaire reste majoritairement punitive, sans alternatives sociales, sanitaires ou administratives.

Certaines catégories de la population, notamment les femmes en situation de précarité ou les personnes migrantes, subissent une double voire triple pénalisation, du fait de normes floues appliquées de manière discriminatoire. ASF appelle ainsi à une réforme du Code pénal fondée sur une approche intersectionnelle, reconnaissant l’impact différencié des lois sur les groupes les plus vulnérables. Dépénalisation de certains comportements, développement de réponses non-judiciaires, et analyse d’impact systématique doivent guider cette transformation.

Procès équitable : faire du droit à la défense une réalité

L’observation des audiences pénales, menée par des avocat·es formé·es, a révélé des atteintes récurrentes aux garanties d’un procès équitable : défense tardive ou purement formelle, absence de contact préalable avec un·e avocat·e, comparution immédiate sans préparation, etc. L’assistance judiciaire, censée compenser les inégalités d’accès à la défense, reste inégalement appliquée et dépendante de ressources locales aléatoires.

Pour ASF, l’observation des procès doit être reconnue comme un outil légitime de redevabilité. Le projet recommande son institutionnalisation dans un cadre éthique et collaboratif, en lien avec les barreaux et les autorités judiciaires. Par ailleurs, la réforme attendue du Code de procédure pénale doit garantir l’accès effectif à un·e avocat·e dès les premières heures de garde à vue et tout au long de la procédure.

Conditions de détention : co-construire des réponses durables

Dans un contexte de surpopulation carcérale persistante, la réforme de la loi sur l’organisation pénitentiaire représente une opportunité majeure pour renforcer les droits en détention. Le projet a mis en lumière l’importance du traitement des doléances, de l’accès au droit, et du suivi individuel en prison – des aspects encore trop peu assurés.

Les organisations de la société civile et les avocat·es peuvent jouer un rôle de relais essentiel, en accompagnant les détenu·es dans leurs démarches et en contribuant à une meilleure prise en charge juridique, sociale et administrative. ASF appelle à inscrire ces contributions dans un cadre légal clair, garantissant la complémentarité des rôles entre administration, professionnel·le·s du droit et acteur·rice·s associatif·ve·s.

Peines alternatives : une réforme à concrétiser

L’adoption récente de la loi sur les peines alternatives – travail d’intérêt général, amende journalière, surveillance électronique – est une avancée prometteuse. Sa mise en œuvre, prévue en août 2025, doit cependant s’accompagner de moyens concrets : formation des magistrat·e·s, dispositifs territoriaux d’exécution, coordination intersectorielle, suivi individualisé et évaluation rigoureuse.

ASF appelle à une mobilisation concertée des pouvoirs publics, de la société civile, des collectivités et des professionnel·les du droit pour garantir le succès de cette réforme. En particulier, les associations peuvent jouer un rôle clé dans l’information des publics concernés, la mise en œuvre des peines, et l’analyse des premières jurisprudences.

Vers une justice pénale fondée sur les droits humains

En clôturant ce projet, ASF rappelle l’importance de co-construire une réforme pénale qui tienne compte des réalités sociales et des besoins des plus vulnérables. Une réforme fondée sur la prévention, la réinsertion, la participation citoyenne et la garantie des droits à chaque étape de la procédure.

Le système pénal ne peut se transformer sans la mobilisation collective des institutions, des acteur·ice·s de terrain et des justiciables. ASF restera engagée aux côtés de ses partenaires marocain·e·s pour faire avancer une justice plus humaine, plus équitable et plus accessible à toutes et tous.


Le projet « Renforcer le rôle de la société civile dans les réformes de la chaîne pénale au Maroc »

Afin de contribuer à la mise en œuvre des engagements constitutionnels et internationaux du Maroc en matière de droits humains, en s’appuyant notamment sur la « Charte pour la réforme du système judiciaire » et sur les conventions internationales adoptées par le Maroc, Avocats Sans Frontières et l’Observatoire Marocain des Prisons ont mis en œuvre le projet « Renforcer le rôle de la société civile dans les réformes de la chaîne pénale au Maroc », co-financé par l’Union européenne.

Le projet avait pour objectifs principaux de :

Les activités du projet ont permis de renforcer les services d’aide légale aux personnes privées de liberté, notamment à travers des interventions directes au sein des établissements pénitentiaires et des actions d’information à destination des citoyens les plus exposés aux arrestations, sur les garanties judiciaires et le droit à un procès équitable. Elles ont également contribué à instaurer un dialogue structuré entre les autorités et la société civile, à travers la production d’analyses et la mise en œuvre d’actions de plaidoyer, notamment dans le contexte des réformes en cours du Code pénal et du Code de procédure pénale.