Urgence Tunisie: les «régions-victimes»

TunisieNews

28 janvier 2016, Tunis – Face à la détérioration rapide de la situation à Kasserine et dans d’autres régions marginalisées de Tunisie, Avocats Sans Frontières (ASF) et le Forum Tunisien pour les droits économiques et sociaux appellent l’Instance Vérité et Dignité (IVD) à jouer pleinement son rôle : adresser les causes de l’injustice sociale. Pour les deux partenaires, l’IVD doit traiter publiquement et dans les plus brefs délais la question des « régions-victimes » en Tunisie.

Depuis le 17 janvier dernier, la population de Kasserine, l’une des régions plus pauvres de Tunisie, réagit au décès d’un chômeur de 28 ans qui protestait contre son retrait d’une liste d’embauches dans la fonction publique. Elle réclame des solutions à la situation économique catastrophique et au chômage croissant, en particulier chez les jeunes.

Ces événements dramatiques ne sont en fait que révélateurs de violations graves de droits en Tunisie qui n’ont toujours pas été traitées. La corruption, le népotisme, les disparités régionales ne sont pas des nouveaux fléaux. Ces phénomènes ont caractérisé le régime en place avant 2011 et ont été à l’origine de la Révolution. Si les autorités n’y donnent pas rapidement une réponse adéquate, les événements de Kasserine risquent d’augmenter les tensions et d’alimenter rapidement des mouvements similaires dans d’autres régions également marginalisées.

« Depuis trop longtemps, la Tunisie est assise sur une poudrière sociale », explique Abderrahman Hedhili, président du Forum Tunisien pour les droits économiques et sociaux (FTDES). « Depuis la chute du Président Ben Ali, la Tunisie s’est engagée dans le chemin de la transition démocratique. Pour cela, il faut qu’elle s’attaque aux causes et aux conséquences des violences du passé et notamment à la marginalisation et l’exclusion organisées de certaines régions. Aujourd’hui, 5 ans après la chute de Ben Ali, le sentiment général des couches les plus défavorisés est celui de n’avoir toujours pas été entendus par les autorités ».

A Kasserine, le gouvernement a malheureusement opté pour une approche orientée uniquement sur la sécurité et la protection contre le terrorisme. Cette approche risque d’agrandir davantage le fossé qui sépare le citoyen de l’Etat.

« La Tunisie dispose pourtant d’un mécanisme, celui de l’Instance Vérité et Dignité (IVD) qui permettrait de traiter des plaies du passé et d’aborder l’avenir avec un véritable projet socio-économique », explique Antonio Manganella, chef de Mission ASF en Tunisie. « Il faut que ce mécanisme joue pleinement son rôle en informant le public de ses actions »

En juin 2015, avec l’appui d’ASF, le Forum Tunisien pour les droits économiques et sociaux avait déposé un dossier « Région victime » devant l’IVD. Ce dépôt visait à l’établissement du statut de « région victime » pour le gouvernorat de Kasserine, victime de marginalisation ou d’exclusion organisée sous l’ancien régime. L’IVD était également invitée à recommander des mesures, notamment auprès des instances étatiques, pour traiter les causes et les conséquences de la marginalisation subie par Kasserine et d’autres régions en Tunisie.

Lors du dépôt du dossier, l’IVD a confirmé sa compétence pour examiner la situation des « régions-victimes » ayant subi une marginalisation ou exclusion organisée en Tunisie. Au-delà du dossier de Kasserine, d’autres régions ont soumis ou vont soumettre une demande à l’IVD.

« C’est une avancée importante », ajoute A. Manganella, « mais si l’IVD ne joue pas pleinement son rôle en révélant les mécanismes qui ont permis l’émergence de telles disparités régionales et qui sont à l’origine d’injustices sociales et économiques, on laissera la porte ouverte à de nouveaux conflits».

Vous pourrez lire ici une interview d’Antonio Manganella, Chef de mission en Tunisie, s’exprimant sur le sujet.

Cliquez ici pour avoir accès au dossier de presse « Région Victime » de Kasserine, ou téléchargez le dossier complet déposé auprès de l’IVD (en français ou en arabe).

Photo de couverture: Si les autorités n’y donnent pas rapidement une réponse adéquate, les événements de Kasserine risquent d’augmenter les tensions et d’alimenter rapidement des mouvements similaires dans d’autres régions également marginalisées © Thomas Cantaloube/Mediapart