ExPEERience Talk #14 – Comment défendre le droit à la terre et aux ressources naturelles des peuples autochtones ? Analyses sur le marché du carbone au Kenya

  • Quand ? 18 avril 2024 – 7h (New York) / 12h (Tunis, Kinshasa) / 13h (Brussels) / 14h (Nairobi, Kampala)
  • Langue : Anglais
  • Webinaire en ligne gratuit – Inscriptions obligatoires

Ce Justice ExPEERience Talk abordera les enjeux liés au respect des droits des communautés autochtones à disposer de leurs terres et de leurs ressources naturelles, en se concentrant spécifiquement sur l’impact du développement du marché du carbone au Kenya sur les droits des populations locales. La récente reprise des expulsions du peuple Ogiek de la forêt Mau, malgré des décisions juridiques en leur faveur, nous rappelle toute l’importance de cette question pour les populations autochtones à l’heure du développement galopant du marché des crédits carbone.

  • Xanne Bekaert, assistante de recherche et professeure assistante à la Vrije Universiteit Brussel (VUB). Elle possède un Master en droit international et européen de la VUB et a fait de la recherche au Centre for Human Rights à Pretoria et à la Moi University au Kenya.
  • Daniel Kobei, fondateur et directeur du Ogiek Peoples’ Development Program,

La session sera modérée par Jim India du bureau régional Afrique de l’Est d’ASF.

Les communautés autochtones d’Afrique, notamment les Ogoni (Nigeria), les Endorois (Kenya) et les Ogiek (Kenya), sont depuis longtemps confrontées à d’importants défis concernant le respect de leurs droits à la terre et aux ressources naturelles. L’expulsion du peuple Ogiek de la forêt de Mau est une illustration frappante des menaces permanentes que les communautés autochtones subissent. Les projets de conservation de la nature et l’émergence des marchés du carbone s’ajoutent aux menaces préexistantes à leurs droits de jouir de leurs terres et de leurs ressources naturelles. Les négociations menées par les autorités kenyanes sur des accords d’exploitation de zones protégées pour le marché du carbone mettent encore plus en évidence le danger que le développement de ce marché constitue pour les populations autochtones et le respect de leurs droits.

En 2017, les Ogieks ont remporté une victoire historique face au gouvernement kenyan qui avait commencé à les expulser de force de leurs terres ancestrales dans la forêt de Mau. La Cour africaine des droits de l’homme et des peuples a jugé qu’ils avaient le droit de vivre sur ces terres et que le gouvernement avait violé leurs droits en les expulsant. En 2022, la Cour a ordonné au gouvernement kenyan de verser des réparations à la communauté pour les souffrances causées par les expulsions forcées. Elle a également ordonné au gouvernement de consulter les Ogieks pour tout projet concernant leurs terres.

Mais malgré ces victoires devant les cours, le gouvernement kenyan a lancé une nouvelle campagne d’expulsion en novembre 2023, laissant des centaines de personnes sans domicile et sans possibilité de relogement.

Cette conférence vise à mettre en lumière la relation complexe entre le développement des marchés du carbone et les droits des populations autochtones au Kenya, et à tirer des leçons pour d’autres pays de la région et au-delà. En intégrant les perspectives des chercheurs universitaires et des représentant‧e‧s des communautés autochtones, l’événement cherche à contribuer aux discussions en cours sur la justice environnementale et les droits humains dans le contexte des efforts d’atténuation du changement climatique, ce qui est également de plus en plus central pour le travail d’ASF sur les entreprises et les droits humains.

  • Informer sur le contexte kenyan, en particulier en ce qui concerne la protection des droits des communautés autochtones et la justice environnementale, en analysant des événements récents tels que l’expulsion du peuple Ogiek de la forêt de Mau.
  • Examiner l’impact des marchés du carbone au Kenya, mais aussi potentiellement ailleurs en Afrique de l’Est, et l’interrelation entre la responsabilité de l’État et celle des entreprises.
  • Identifier les possibilités de protection et de promotion des droits des populations autochtones dans le cadre des initiatives du marché du carbone dans la région.

Impact de l’état de siège sur la justice pénale en Ituri

En mai 2021, l’État congolais a décrété un régime exceptionnel d’état de siège dans la province de l’Ituri pour tenter de mettre fin à plus de trois décennies de guerres, d’insurrections et de violents conflits armés sur fond de crise de légitimité politique, de crise identitaire et de compétition régionale autour de l’exploitation des ressources naturelles.

Cette combinaison de crises et ces différents conflits armés ont pour conséquence de graves violations des droits humains des populations et un affaiblissement croissant de l’autorité de l’État. Le pays s’est engagé depuis le début des années 2000 dans des négociations politiques, des échanges diplomatiques, des opérations militaires et l’organisation d’élections générales pour tenter de mettre fins aux différents conflits armés ; mais n’a jusqu’ici obtenu que peu de succès.

Le présent rapport opère un état des lieux de la mise en œuvre des mesures relatives à l’état de de siège et ses impacts délétères sur les droits des populations et sur la justice, avec une focalisation particulière sur la province de l’Ituri. L’état de siège a consacré le transfert de tous les dossiers traités par les juridictions civiles vers les juridictions militaires, ce qui a considérablement ralenti l’activité judicaire dans la région. Les juridictions militaires, dont les effectifs sont très réduits, se sont vite retrouvées débordées suite à cet afflux de dossiers. Les magistrat.e.s et le personnel judiciaire des cours et tribunaux ne disposent de surcroit pas des compétences nécessaires pour traiter d’affaires civiles.

Les cours et tribunaux sont également concentrés autour des grandes agglomérations, ce qui rend leur accès difficile pour les populations issues des zones rurales, particulièrement dans une région dans laquelle tous les déplacements entrainent de graves risques d’insécurité.

Les réflexions présentées dans le rapport sont le fruit des constats du fonctionnement de l’appareil de l’état et de la justice, ainsi que des pratiques dans l’accompagnement des victimes de crimes de masse et des justiciables privés de liberté, et des échanges organisés avec l’ensemble des acteur‧rice‧s institutionnel‧le‧s et de la société civile impliqué‧e‧s dans les parcours d’accès à la justice des populations. Y sont analysés les contours de l’exécution des mesures d’état de siège et le fonctionnement du système judiciaire et de sécurité, en vue de proposer un ensemble de recommandations réalistes aux autorités et autres parties prenantes en perspective de la levée de l’état de siège, à la suite de son allègement progressif annoncé en octobre 2023.

ExPEERience Talk #13 : Rendre justice sans tribunal ? Expériences de justice communautaire en Ituri

  • Quand ? Jeudi 29 février – 12h (Bangui, Bruxelles, Kinshasa, Niamey, Rabat, Tunis) / 14h (Dodoma, Nairobi, Kampala)
  • Langue : Français
  • Événement gratuit en ligne – Big Blue Button

Á l’occasion de cet ExPEErience Talk, Julien Moriceau et Janvier Digital Koko Kirusha d’INANGA, ainsi que Johnny Lobho Lamula d’ASF en RDC, présenteront une étude sur la justice communautaire en Ituri qui sera très prochainement rendue publique.

Elle s’inscrit dans le cadre de la Politique Nationale de Réforme de la Justice (PNJR) 2017-2026 et du Programme d’Appui à la Réforme de la Justice Phase II (PARJ II) géré par le consortium formé par Avocats Sans Frontières, RCN Justice & Démocratie et TRIAL.

Cette étude a pour but d’apporter des éclairages sur le fonctionnement de la justice communautaire en Ituri ainsi que sur les liens entre tou‧te‧s les acteur‧rice‧s et les parties prenantes impliqué‧e‧s dans les processus de résolution de litiges tant au niveau communautaire qu’étatique.

En parallèle à l’existence du système judiciaire étatique, la justice communautaire continue d’être très sollicitée par la population en RDC malgré un statut juridique ambigu. C’est le cas particulièrement en Ituri, région marquée par une instabilité et une insécurité qui impactent fortement le bon fonctionnement et l’activité des tribunaux et des différents mécanismes de justice étatique.

Une grande diversité d’acteur‧rice‧s tant communautaires qu’étatiques interviennent dans la résolution de litiges en Ituri. Chacun‧e d’eux‧elles a des mécanismes distincts avec des procécdures propres. Les cours et tribunaux ainsi que les forces de l’ordre vont justifier leur action en invoquant les procédures juridiques et le droit écrit tandis que les acteur‧rice‧s au niveau communautaire (chef‧fe‧s coutumier‧ère‧s, acteur‧rice‧s religieux‧ses et associations culturelles) vont avoir recours à des sources telles que la coutume, le droit congolais ou les valeurs religieuses pour traiter les litiges.

Les justiciables invoquent de nombreuses raisons pour expliquer pourquoi il‧elle‧s tendent à privilégier le recours aux mécanismes communautaires plutôt qu’à la justice civile. Tout d’abord : la proximité. Dans la province de l’Ituri, et comme c’est souvent le cas en République démocratique du Congo, les cours et tribunaux sont concentrés dans les principales agglomérations. Les justiciables issu‧e‧s des régions rurales doivent donc souvent parcourir de longues distances pour y accéder. Cette entrave à l’accès aux juridictions civiles est d’autant plus important en Ituri que la persistance des conflits armés rend les longs déplacements particulièrement dangereux.

Ensuite, le recours aux mécanismes communautaires est le plus souvent gratuit pour les populations, contrairement à la justice étatique qui, en plus d’être lente, est souvent très coûteuse. Enfin, les acteur‧rice‧s communautaires connaissent les coutumes locales, sont proches des populations, parlent leur langue et tendent à trouver des solutions durables en mettant l’accent sur le retour de la paix sociale.

ExPEERience Talk #13

Rejoignez-nous ce jeudi 29 février pour discuter davantage des enjeux soulevés par la coexistence de cette multiplicité d’acteur‧rice‧s actif‧ve‧s dans la résolution des litiges en Ituri.

Lutter contre la surpopulation carcérale et les détentions illégales en République démocratique du Congo

Cet article est extrait du rapport annuel 2022 d’ASF.

En décembre 2022, selon les chiffres officiels partagés par l’administration pénitentiaire, la population carcérale dans les 142 prisons recensées en République démocratique du Congo (RDC) s’élevait à 44.536 personnes. Les personnes incarcérées en RDC sont victimes de violations graves de leurs droits fondamentaux, notamment ceux relatifs au respect des garanties procédurales et au droit à des conditions de détention dignes et respectueuses des standards internationaux. Parmi elles, environ 70% est en attente de jugement. Dans 4 des principales prisons centrales du pays (Kinshasa, Goma, Matadi et Mbuji-Mayi), le taux de surpopulation moyen est de 720%.

Le recours abusif à la détention préventive, la lenteur et les entraves administratives, le dysfonctionnement structurel des appareils judiciaire, pénitentiaire et sécuritaire du pays, l’absence d’un système d’aide légal garantissant l’accès à un avocat.e, le manque de personnel qualifié, un budget insuffisant et un accès trop limité à la libération sous caution sont autant de facteurs qui expliquent ce niveau alarmant de surpopulation des centres de détention.

Ces dysfonctionnements structurels touchent de façon disproportionnée les populations en situation de vulnérabilité, notamment celles en situation de vulnérabilité socio-économique.

Face à ces constats, ASF, en partenariat avec des acteur.rice.s locaux.les, renforce l’accès à la justice des populations les plus vulnérables en situation de détention en RDC. En 2022, ASF a travaillé en collaboration étroite avec les Barreaux et les organisations de la société civile actives dans le milieu carcéral, et est intervenue dans 8 prisons centrales de 6 provinces (Kinshasa, Ituri, Kongo Central, Kasaï, Kasaï Oriental, et Nord Kivu).

  • 1.820 personnes en détention ont été identifiées, rencontrées et orientées vers les services appropriés lors des descentes de monitoring dans les prisons.
  • ASF et ses partenaires ont garanti l’accès à l’aide légale de première ligne (via des consultations juridiques gratuites proposées par les Bureaux de Consultation Gratuites des Barreaux) à 3.511 personnes en situation de détention.
  • 2.162 adultes détenu.e.s et enfants en situation de placement dans des centres pénitentiaires ont bénéficié d’une assistance judiciaire gratuite par un.e avocat.e et 19 personnes en grave situation de vulnérabilité et/ou de vulnérabilité psycho-médico-sociale ont reçu un appui psychosocial après leur remise en liberté.
  • Les interventions d’ASF ont permis le renforcement de capacités et l’accompagnement technique de 92 avocat.e.s et d’observateur.rice.s des prisons congolaises.

La portée de l’intervention d’ASF et de ses partenaires reste pourtant limitée au vu du caractère structurel et de la magnitude du problème de la surpopulation carcérale en RDC. Des réformes institutionnelles coordonnées sont nécessaires. Parmi elles, on peut citer la nécessité de mettre en place des mécanismes de contrôle et de redevabilité efficaces et crédibles, mais aussi d’offrir des services multisectoriels complémentaires aux personnes détenues. ASF et ses partenaires mènent un travail de sensibilisation afin de promouvoir des mécanismes extra-judiciaires de résolution de conflits et le recours à des mécanismes de justices locales pour le traitement des délits mineurs ou bénins afin de lutter contre la surpopulation carcérale endémique en RDC.

Enfin, ASF déploie des efforts de plaidoyer au niveau provincial et national pour promouvoir un changement structurel et durable en faveur du respect des droits humains des personnes détenues en RDC.

Le bureau régional Euro-méditerranée

Cet article est extrait du rapport annuel 2022 d’ASF.

En 2018, ASF a pris la décision de créer un hub régional dans la région Euro-Méditerranée, basé à Tunis, dans le but de mutualiser les moyens et de renforcer et harmoniser son action dans la région. L’aspect novateur du bureau régional est d’assumer pleinement les liens historiques, économiques, politiques et culturels qui existent entre les deux rives de la Méditerranée, et de les prendre en compte pour mettre en place une action au niveau régional qui soit cohérente et efficiente.

Le hub Euromed est composé de cinq membres et des directeur.rice.s pays du Maroc et de la Tunisie. Il collecte et analyse des données de terrain afin d’orienter les processus décisionnels aux niveaux national et européen. Le hub encadre stratégiquement les bureaux de la région et identifie les opportunités de développement et de consolidation de réseaux partenariaux tant au niveau national que régional.  Le hub apporte également un soutien technique aux bureaux pays en matière de gestion financière et de ressources humaines.

Trois sujets éminemment transnationaux et globaux, qui façonnent, à leur manière, les relations entre les deux rives de la Méditerranée ont été identifiés et constituent les priorités thématiques pour la région :

a)            La migration : tous les pays du sud de la méditerranée sont des pays d’origine (Tunisie, Maroc) et de transit (Algérie, Libye) de migrant.e.s. Du côté européen, la migration prend une place démesurée dans le débat public et les politiques mises en place par l’Union européenne et ses membres bafouent les droits fondamentaux des personnes migrantes.  

b)            Libertés et Sécurités : la lutte contre le terrorisme et l’extrémisme violent peuvent donner lieu à des politiques publiques restrictives des libertés et de l’espace civique et entraver les transitions démocratiques et les libertés fondamentales des populations. C’est vrai au sud et au nord de la mer méditerranée, où une multiplication d’exceptions faites au principe de l’État de droit pour des raisons sanitaires et sécuritaires menace les « démocraties consolidées » du continent européen. 

c)            Lutte contre l’impunité des acteur.rice.s économiques : les intérêts économiques entretiennent un système de dépendance du Sud vers le Nord de la Méditerranés. La conduite des acteur.rice.s économiques européen.ne.s en Afrique a un impact important sur l’accroissement des inégalités sociales et sur l’environnement et peut, parfois, être un facteur déterminant de conflit (tant au niveau local, national qu’international).

Le rapport annuel d’ASF est disponible !

L’équipe d’Avocats Sans Frontières est ravie de pouvoir vous présenter son dernier rapport annuel.

Que de chemin parcouru depuis la création d’ASF en 1992 par des avocat.e.s belges. Durant ces 30 années, ce sont des centaines de personnes qui ont contribué à faire évoluer l’organisation pour qu’elle devienne ce qu’elle est aujourd’hui : une organisation militante active dans une dizaine de pays qui œuvre pour la promotion de l’accès à la justice et d’un État de droit fondé sur les droits humains en étroite collaboration avec des acteur.rice.s locaux.les.

Ces trente années d’action, les ancrages locaux que nous avons développés et les liens que nous avons tissés avec des défenseur.e.s des droits humains des quatre coins du monde nous donnent beaucoup de force et de confiance pour envisager l’avenir et poursuivre le déploiement d’une action impactante au service des populations en situation de vulnérabilité (femmes, enfants, communauté LGBTQI+, minorités ethniques, personnes en situation de détention, personnes en situation de migration, etc.).

Mais les défis sont nombreux. Partout à travers le monde, les organisations de la société civile et les défenseur.e.s des droits humains font face à des évolutions et des tendances inquiétantes : montée des autoritarismes, rétrécissement de l’espace civique, défiance croissante des populations envers les institutions, tensions sociales exacerbées, etc.

Les défenseur.e.s des droits humains et de l’accès à la justice doivent travailler dans des contextes qui leur sont de plus en plus hostiles. Les notions mêmes de droits humains et d’État de droit sont remises en question. Les activistes, les avocat.e.s et les journalistes qui œuvrent pour la défense des droits fondamentaux des populations en situation de vulnérabilité sont de plus en plus systématiquement visés par des politiques répressives illibérales.

Chaque page de ce rapport témoigne de la vigueur de la flamme qui anime celles et ceux qui s’engagent pour maintenir les droits humains au cœur même de nos sociétés, au risque et au péril de leur propre liberté. Ce rapport est un hommage à chacune et chacun d’eux.elles.

Représentations sorcellaires et traitement judiciaire de l’infraction des Pratiques de Charlatanisme et de Sorcellerie en République centrafricaine

Pénalisation des Pratiques de charlatanisme et sorcellerie en République centrafricaine

L’étude « Représentations sorcellaires et traitement judiciaire de l’infraction des Pratiques de Charlatanisme et de Sorcellerie en République centrafricaine » sera présentée lors d’un ExPEERience Talks ce jeudi 12 janvier par Julien MORICEAU, consultant chez Inanga, qui a réalisé l’étude.

Vous pouvez vous inscrire pour suivre la présentation de l’étude en ligne.

Un univers et des représentations sorcellaires omniprésents

En République centrafricaine (RCA), la sorcellerie est omniprésente : elle domine et façonne la vie quotidienne des populations, principalement rurales. Les représentations sorcellaires, partie intégrante des us et coutumes centrafricains, permettent de fournir un cadre explicatif à tous les événements de la vie : la mort, la maladie, les accidents, les échecs professionnels ou scolaires… Les crises successives qui ont secoué le pays depuis 2013 ont par ailleurs renforcé le recours à l’explication sorcellaire, tout comme l’implication toujours plus prononcée des instances religieuses dans la « lutte » contre la sorcellerie (une « lutte » qui s’appuie notamment sur de violentes pratiques d’exorcisme).

Dans le code pénal centrafricain, les articles 149 et 150 condamnent les « pratiques de charlatanisme ou de sorcellerie susceptibles de troubler l’ordre public ou de porter atteinte aux personnes ou à la propriété », notamment les pratiques qui occasionnent des « blessures graves ou des infirmités permanente » ou encore « la mort ». Les accusations de sorcellerie, portées sur base de ces deux articles aux contours vagues et imprécis, sont légions et conduisent fréquemment à un déchainement de violence par la vindicte populaire, à l’égard de la personne accusée : exclusion, lynchage, voire même, dans le pire des cas, exécution brutale. Ces allégations sont instrumentalisées pour écarter les personnes devenues indésirables au sein de la communauté et touchent de manière disproportionnée les personnes vulnérables et isolées, particulièrement les femmes âgées.

Le traitement judiciaire de l’infraction des pratiques de charlatanisme et sorcellerie (PCS)

Le flou juridique entourant les infractions de PCS est reconnu par la plupart des acteurs du monde judiciaire centrafricain et constitue un terreau fertile de prises de décision empreintes d’arbitraire. Pour traiter judiciairement les affaires de sorcellerie, les juges ont tendance à s’en remettre à leur intime conviction et à leurs croyances individuelles. De plus, confrontés à la difficulté d’apporter la preuve matérielle d’un acte de sorcellerie, la plupart des acteurs judiciaires considèrent les aveux de la personne accusée comme la « reine des preuves », indépendamment des motivations qui ont poussé l’accusée à formuler ces aveux bien souvent employés à des fins d’apaisement social et/ou de protection personnelle. En outre, la pression sociale exercée par la communauté ainsi que la prétendue protection de l’ordre public, invoquée comme principe supérieur, pèsent de tout leur poids sur la prise de décisions des juges, voire détournent la justice dans un but de satisfaction de la majorité de la population.

Par ailleurs, l’intervention judiciaire n’est pas à même d’assurer la protection et la réintégration des accusées de sorcellerie. En judiciarisant une personne pour PCS, la justice atteste de la réalité de sa sorcellerie et la personne condamnée restera exposée à de nouvelles condamnations, voire à de nouveaux actes violents (même après sa sortie de prison). La justice a également pour effet d’officialiser l’omniprésence du risque sorcellaire, participant à l’effervescence de tels types de discours. En cas d’acquittement, la population, majoritairement méfiante envers le pouvoir judiciaire, pourrait chercher à se faire justice soi-même, indirectement encouragée par l’apparente passivité dont les institutions judiciaires font preuve pour traiter les violences infligées aux personnes accusées.

L’action d’ASF et ses partenaires

Depuis 2021, grâce au soutien de l’Union européenne, ASF et ses partenaires (Centre pour la promotion des droits de l’enfant (CPDE), Organisation des Jeunes leaders du développement (OJLD), Maison de l’enfant et de la femme pygmée (MEFP) et Défis et Objectifs Centrafrique (DOC)) interviennent au cœur des systèmes de justice étatique et communautaire en favorisant l’accès à la justice et la défense des femmes accusées de PCS. Les observations présentées ci-dessus sont tirées de l’étude « Les représentations sorcellaires et traitement judiciaire de l’infraction des Pratiques de Charlatanisme et de Sorcellerie en RCA ». Cette étude a été commanditée par Avocats Sans Frontières dans le cadre du projet « Contribuer au respect durable du droit au procès équitable et des droits inhérents à la personne humaine pour les femmes accusées de sorcellerie en RCA », afin d’informer davantage l’action et les futures interventions de l’organisation en la matière.


Perenco : L’impact social et environnemental des activités de l’entreprise pétrolière française à l’étranger

Perenco est au centre de l’actualité depuis plusieurs semaines. The Environmental Investigative Forum (EIF), avec le soutien des médias Investigate Europe et Disclose, a mené un travail d’enquête environnementale qui a permis la publication de dossiers accablants sur les activités de l’entreprise française en République démocratique du Congo[1]. Du côte de la société civile, les ONG Sherpa et les Amis de la Terre ont engagé une action en justice à l’encontre de la société pour non-respect de son devoir de diligence raisonnable dans le cadre de ses activités d’exploration et d’extraction pétrolières à l’étranger[2].

Mauvaise gouvernance dans la gestion des ressources naturelles, conflits d’intérêt, pollution et dégâts environnementaux, défaut d’implication des communautés affectées dans les processus de décisions liés à la gestion de leurs terres, absence de redevabilité vis-à-vis du cadre normatif en vigueur etc. Les accusations s’enchaînent.

Sur le terrain, Avocats Sans Frontières fait le constat de nombreuses violations des droits fondamentaux liées aux activités de l’entreprise, notamment dans le territoire de Muanda en République démocratique du Congo.

De nombreuses études et rapports (RENAD, CEPECO, CCFD-Terre Solidaire, et même un rapport du Sénat congolais) révèlent des pratiques dévastatrices, tant pour l’environnement que pour la santé et les moyens de subsistance des communautés locales[3]. Parmi les violations constatées, nous notons des atteintes au droit à un environnement sain, au droit à la santé, au droit au travail et au droit à la dignité.

Dans le territoire de Muanda, l’entreprise a mis en place un rapport de force qui s’avère être systématiquement en défaveur des communautés locales. Perenco ne remplit pas ses obligations, telles que définies en droit congolais, et ne respecte pas les principes internationaux en la matière.

Des graves manquements en matière de consultation et de mise en place d’un dialogue avec les populations affectées sont observés. L’entreprise a notamment refusé de répondre à des courriers et des demandes de rencontre adressées par différentes organisations de la société civile et membres des communautés.

À plusieurs reprises, et en particulier à l’occasion d’une table ronde organisée à Kinshasa en juillet 2022 sur le thème de la gouvernance des ressources naturelles, l’entreprise a refusé de participer à un dialogue avec les acteur.rice.s locaux.les, institutionnel.le.s et de la société civile.

Le droit congolais impose pourtant à Perenco de consulter les différentes parties prenantes, dont les communautés affectées.

ASF salue à cet égard l’action entamée par Sherpa et Les Amis de la Terre devant les juridictions françaises pour préjudice écologique.

ASF tient à souligner une nouvelle fois l’importance de placer au centre de toute initiative les concernant les populations affectées afin que celles-ci soient en position de revendiquer et réaliser leurs droits, y compris le droit à participer activement au développement socio-économique durable, responsable et informé de leurs communautés, ainsi que le droit aux réparations et dédommagements en cas de préjudices subis.

Toutes les parties prenantes, ce compris les acteur.rice.s économiques, l’État congolais et les représentant.e.s locaux.les, sont soumis à des obligations et un devoir de redevabilité. Il.elle.s sont notamment tenu.e.s de promouvoir et assurer un système de gouvernance fondé sur les droits fondamentaux des populations.

À cet égard, ASF formule les recommandations suivantes :

  • Rendre effectif l’arrêté ministériel qui organise le fonctionnement du mécanisme de gestion de fonds dédié au développement communautaire (Cecetem)[4] ;
  • Rendre effectif l’arrêté ministériel pour la mise en place d’un suivi de recommandations de la table ronde tripartite (communautés, entreprise et gouvernement)[5] ;
  • Renforcer les mécanismes de collecte et de traitement des plaintes des communautés, notamment en les rendant transparents et accessibles à tou.te.s ;
  • Renforcer les services techniques de l’État pour assurer la transparence dans toute la chaîne de valeur de l’industrie pétrolière et gazière et réprimer toutes formes d’impunité des acteur.rice.s économiques.  

Contexte de l’intervention d’ASF dans ce dossier

La multinationale pétrolière est mise en cause depuis de nombreuses années pour la gestion opaque et controversée de ses activités dans plusieurs pays.

ASF, en partenariat avec Sherpa et les Amis de la Terre, avait tenté en vain de réclamer que l’entreprise fasse la transparence sur ses activités à l’étranger[6].  

En 2018, ASF avait saisi le Point de Contact National (PCN) français de l’OCDE pour que l’entreprise s’acquitte de son devoir de transparence concernant ses opérations d’exploration et d’exploitation d’hydrocarbures à l’étranger. Après de longs mois de procédure, ASF et IWatch avaient finalement décidé de se retirer de la saisine en mettant en évidence les dysfonctionnements structurels de cet outil[7].

En janvier 2022, le PCN français a publié son communiqué final dans lequel il spécifie que Perenco ne respecte pas plusieurs recommandations des Principes directeurs de l’OCDE vis-à-vis de ses activités en Tunisie, dans la région de Kébili.

Le PCN a à cette occasion formulé une série de recommandations à l’attention de l’entreprise :

  • Perenco doit respecter son devoir de diligence raisonnable dans le cadre de ses activités d’exploration et d’exploitation ;
  • Perenco doit prévenir et atténuer davantage les risques sociaux et environnementaux induits par les activités de ses filiales opérationnelles ;
  • Perenco doit assurer un suivi des mesures correctives ou de remédiation adéquates en cas de survenance d’incidences négatives envers l’environnement, les travailleur.euse.s et les droits humains, notamment à travers le partage transparent d’informations sur ses activités[8].

Avocats Sans Frontières réaffirme son engagement dans la lutte contre l’impunité des opérateur.rice.s économiques dans le cadre de l’exploitation des ressources naturelles. Sur le terrain en République démocratique du Congo, en Tunisie et en Ouganda, nos équipes soutiennent et accompagnent les communautés affectées par les violations des droits humains et environnementaux subis dans le cadre des activités extractives industrielles de ces acteur.rice.s.


[1] Perenco : révélations sur les ravages du groupe pétrolier en RDC, https://disclose.ngo/fr/article/perenco-revelations-sur-les-ravages-du-groupe-petrolier-en-rdc, 9.11.2022 ; Perenco files: Les secrets toxiques d’un géant du pétrole, https://www.investigate-europe.eu/fr/2022/perenco-files-petrole/, Novembre 2022.

[2] https://www.asso-sherpa.org/prejudice-ecologique-rdc-perenco-assignee-en-justice.

[3] Renad, Cris d’alarme des Communautes Locales : Impacts de Perenco Rep sur le cadre de vie des communautés de Muanda en r.D.Congo, https://congominespdfstorage.blob.core.windows.net/congominespdfstorage/CRIS%20D%E2%80%99ALARME%20DES%20COMMUNAUTES%20LOCALES%20(2).pdf;

CEPECO, Rapport sur l’exploitation pétrolière à Moanda Bas Congo, https://vdocuments.mx/rapport-sur-lexploitation-petroliere-a-moanda-bas-congo.html?page=1;

CCFD, Pétrole à Muanda: la justice au rabais, https://ccfd-terresolidaire.org/wp-content/uploads/2014/07/petrole_muanda_201113.pdf ;

Commission d’enquête sur la pollution causée par l’exploitation pétrolière à Muanda dans la province du Bas-Congo : https://www.amisdelaterre.org/wp-content/uploads/2022/08/201310-rapport-senat-rdc-commission-enquete-senatoriale-pollution-perenco.pdf.

[4] https://congomines.org/system/attachments/assets/000/000/792/original/Gouvernement-Sud-Kivu-D%C3%A9c-2013-Arr%C3%AAt%C3%A9-Fonds-d%C3%A9veloppement-communautaire.pdf?1440409786.

[5] https://pro.leganews.cd/ressources-naturelles/gaz-hydrocarbures/arrete-ministeriel-n008-dbn-cab-min-hyd-2022-du-02-juin-2022-modifiant-larrete-ministeriel-n-007-dbn-cab-min-hyd-2022-du-11-mai-2022-portant-creation-organisation-et-fonctionnement-du/

[6] https://asf.be/publication/press-release-ngos-call-out-to-perenco-end-the-opacity-to-put-a-stop-to-the-impunity-of-the-multinational/

[7] https://asf.be/publication/press-release-withdrawal-from-the-proceedings-before-the-french-ncp/

[8] https://www.tresor.economie.gouv.fr/Institutionnel/Niveau3/Pages/3c98c1c4-0d82-4fd2-9f7e-94b924152f2c/files/abb8db3e-2ff1-4986-b84c-ed4afeb2666c .


Indonésie : 5 ans à soutenir l’accès à la justice

En 2017, ASF lançait ses activités en Indonésie avec deux partenaires locaux.les. Dans le cadre de cette collaboration, nous avons œuvré pour accroître l’accès aux mécanismes de justice formelle et informelle pour les groupes marginalisés et en situation de vulnérabilité, grâce à des services adaptés implémentés au niveau communautaire. Un accent particulier a été mis sur la formation et le soutien des parajuristes afin qu’il.elle.s puissent répondre aux besoin des populations locales en matière de justice.

Dans les pays où il y a très peu d’avocat.e.s par habitant, les parajuristes sont des praticien.ne.s qui ne possèdent pas de diplôme en droit mais qui ont une connaissance et une compréhension de base de la loi et donnent des conseils juridiques à la population. ASF a travaillé avec des parajuristes dans plusieurs de ses pays d’intervention car il.elle.s peuvent être des acteur.rice.s fondamentaux.les pour aider les populations locales à accéder à la justice.

Une étude de perception de base sur les parajuristes et le rôle qu’ils peuvent jouer dans le renforcement de l’accès à la justice a été réalisée au début du projet. Ses conclusions ont été utilisées pour créer des modules de formation. Ces modules ont ensuite été utilisés par plusieurs organisations locales pour renforcer les capacités des parajuristes. Ils abordent un large éventail de sujets, et on été adapté thématiquement et en fonction des zones géographiques afin de les rendre plus flexibles et utiles pour un maximum d’organisations. D’après nos partenaires, celui-ci fut particulièrement précieux pour promouvoir la réforme de la législation encadrant l’aide juridique adoptée à Bali en 2019.

Dans le cadre du projet, trois plateformes numériques ont été lancées pour soutenir les organisations de la société civile.

Un système de gestion des cas a été créé et est maintenant utilisé par plusieurs organisations pour gérer les cas sur lesquels elles travaillent dans une base de données. Il a été développé en open source afin que toute organisation d’aide juridique puisse l’utiliser librement.

Le système d’information parajuridique a été créé pour aider les parajuristes à demander et à recevoir un soutien juridique de la part des avocat.e.s afin de les aider dans les affaires sur lesquelles il.elle.s travaillent.

Enfin, une application appelée E-resource a été créée pour permettre aux prestataires de services d’aide juridique d’accéder à des livres et autres ressources.

Pour soutenir les efforts de plaidoyer, une communauté de pratique a été créée avec de multiples parties prenantes travaillant sur les questions d’aide juridique. Elle a permis aux membres de débattre des futures réformes législatives à promouvoir.

Ces 5 années en Indonésie nous ont permis, ainsi qu’à nos partenaires, de tirer des conclusions importantes concernant l’accès à la justice dans la région. Tout d’abord, il est indéniable que les parajuristes jouent un rôle essentiel pour subvenir aux besoins des populations locales en matière de justice. Leur statut doit être davantage reconnu par les autorités locales et nationales. Deuxièmement, la production de modules de formation flexibles avec la possibilité de choisir les matériaux est plus facile à reproduire et devrait être privilégiée par rapport à un module de formation unique. Enfin, même si l’utilisation de plateformes numériques pour renforcer les capacités des organisations de la société civile est prometteuse, elle s’est avérée très coûteuse et longue à mettre en œuvre. Elle doit être adaptée à chaque organisation, ce qui peut prendre des mois de discussions. La disponibilité d’un agent informatique et la maintenance par le biais d’une source de financement doivent être trouvées pour assurer la durabilité du service.

La prison en Tunisie : inerties du tout répressif

En Tunisie, les acteur.rice.s de la chaîne pénale tendent à perpétuer les réflexes répressifs de l’ancien régime de Ben Ali. La surpopulation carcérale y reste très élevée : environ 131% de taux d’occupation avec 23.607 détenu.e.s à la fin 2020 (prévenu.e.s et condamné.e.s confondu.e.s) pour environ 18.000 places disponibles, avec pour corollaire des conditions de détention en deçà des standards internationaux.

Les mesures prises pour contrer la pandémie avait permis d’infléchir un temps les chiffres. Entre mi-mars et fin avril, 8.551 détenu.e.s ont été libéré.e.s, soit une chute de 37% de la population carcérale. Cette décrue fut notamment le fruit de la mobilisation de plusieurs organisations de la société civile, dont Avocats Sans Frontières et ses partenaires du projet « L’Alternative ». En multipliant les appels à la décroissance de la population carcérale, la société civile a contribué à cette baisse notable du taux d’occupation des prisons.

Mais cette déflation historique ne fut que temporaire. Résultat de mesures conjoncturelles (grâces présidentielles, moindre placement en détention préventive et libérations conditionnelles accrues), cette baisse a rapidement été effacée par les dynamiques structurelles répressives dont souffre toujours la politique pénale tunisienne. 

Le conservatisme des juges, les difficultés d’accès à une défense dès le moment de la garde à vue, le recours massif à la détention préventive (62% des personnes incarcérées sont des prévenu.e.s), l’emprisonnement pour des délits mineurs (comme la consommation de cannabis ou encore les chèques impayés), le faible recours aux peines alternatives à la prison sont autant de facteurs qui expliquent la persistance de ce taux élevé d’incarcération.

Changer les mentalités et s’éloigner de ces réflexes répressifs, notamment au niveau de la magistrature, est un travail à mener sur le long terme. C’est pourquoi une attention toute particulière est accordée au développement d’un plaidoyer auprès des acteur.rice.s de la chaîne pénale et des décideur.euse.s politiques. Celui-ci est d’autant plus important que des réformes du Code pénal et du Code de procédure pénal, dont l’aboutissement serait nécessaire à tout changement structurel significatif, sont en cours.

Pour contribuer à la réforme de la politique pénale et carcérale en Tunisie, ASF poursuit son travail auprès de ses partenaires malgré le ralentissement de la transition démocratique et une période d’instabilité politique en Tunisie. Notamment à travers son projet « L’Alternative », l’organisation fournit un appui technique et financier à des organisations de la société civile qui travaillent aux différents niveaux de la chaîne pénale (avant, durant et après l’incarcération).