Ouganda – Connaissances, attitudes et pratiques en matière de détention préventive

ASF vient de publier un rapport qui offre une étude du niveau de connaissance, des attitudes et des pratiques des principales parties prenantes concernant la détention provisoire dans le cadre du système de justice pénale en Ouganda. L’enquête a été menée dans quatre villes : Gulu, Arua, Lamwo et Kampala. Au total, 405 membres de la communauté, 96 détenus de la police, 54 prisonniers et 47 fonctionnaires des institutions du secteur de la justice et de l’ordre (JLOS) et des prestataires de services d’aide juridique ont été interrogés, en utilisant des méthodes à la fois qualitatives et quantitatives. Le rapport met en lumière les causes profondes des violations des droits procéduraux et constitutionnels. Grâce à cette base de données, le rapport fournit des recommandations d’action et de réformes positives dans le domaine de la détention provisoire.

L’Ouganda dispose d’un cadre juridique élaboré régissant la détention provisoire, qui comprend des dispositions détaillées concernant les droits procéduraux et constitutionnels. Le respect de ces dispositions continue cependant de poser problème. De nombreuses personnes qui passent par le système de justice pénale subissent des violations de leurs droits humains. Il s’agit notamment d’arrestations arbitraires ou illégales, de la prolongation de la garde à vue, de l’absence d’accès à la caution de la police ou de la violation du droit à la caution obligatoire. Les plus vulnérables et les indigents sont ceux qui souffrent le plus du non-respect des droits procéduraux et constitutionnels.

Les conclusions du rapport montrent qu’un problème majeur qui exacerbe la violation continue des droits pendant la détention est le manque de connaissances des justiciables en ce qui concerne leurs droits constitutionnels et procéduraux avant le procès. Seule la moitié (50 %) des personnes interrogées au sein de la communauté ont été en mesure de mentionner certains des droits des personnes arrêtées par la police. Des droits tels que (1) le droit d’être présenté au tribunal dans les 48 heures suivant l’arrestation, (2) le droit d’être libéré sous caution obligatoire, (3) le droit d’accès à un avocat et (4) les dispositions légales relatives à la caution ne sont pas connus de la majorité de la population (moins de 50% des personnes interrogées avaient connaissance de ces droits).

Les détenus interrogés au cours de l’enquête connaissaient un peu mieux leurs droits que la population générale, ce qui peut être attribué aux sessions de sensibilisation organisées par les directeurs de prison et les ONG.

La méconnaissance des principales garanties procédurales et constitutionnelles, tant au sein de la communauté que dans les lieux de détention, n’est pas une constatation surprenante. Cependant, elle confirme à nouveau l’importance de la diffusion de l’information et de la sensibilisation pour que les justiciables soient en mesure d’exiger le respect de leurs droits.

En ce qui concerne les attitudes et les perceptions, les résultats montrent un manque de confiance dans certaines institutions de la justice pénale, en particulier dans les forces de police ougandaises (UPF). Les personnes interrogées au sein de la communauté ont relevé des problèmes tels que les retards et l’inefficacité dans le traitement des affaires, ainsi que la corruption.

Les personnes détenues par la police et les prisonniers ont fait état d’un manque de confiance dans la police pour traiter les affaires, et ont mentionné des expériences de demande de pots-de-vin.

Un tel niveau de méfiance à l’égard de la police peut entraver l’accès à la justice et aux droits humains car les communautés qui ne font pas confiance à la police seront moins enclines à signaler des cas ou à collaborer avec la police, et les détenus se sentiront moins confiants pour plaider en faveur du respect de leurs droits dans leurs relations avec la police.

Une conséquence de la méfiance à l’égard de la police a également été la constatation que la majorité (57%) des membres de la communauté faisaient confiance aux tribunaux locaux ou culturels plutôt qu’à la police pour traiter leurs affaires, en particulier dans les zones rurales telles que Lamwo et Arua.

Enfin, l’étude a également cherché à identifier les pratiques courantes en matière de détention provisoire et d’administration de la justice, afin de comprendre comment les réalités peuvent différer des dispositions de la loi. Parmi les répondants des communautés, un résultat particulièrement remarquable concerne la prévalence de la justice populaire, avec environ 89% des répondants reconnaissant son existence dans leur communauté. Au niveau de la détention par la police, l’une des principales conclusions des enquêtes menées auprès des détenus concerne la durée de la détention, qui s’élève en moyenne à 5,3 jours, bien au-delà de la limite légale de 48 heures. Enfin, une question importante a également été soulevée en ce qui concerne l’aide juridique : seuls 16 % des détenus de la police et 30 % des détenus de la prison ont accès à un avocat.

Perspectives et défis rencontrés par les responsables institutionnels

Afin de replacer les résultats ci-dessus dans leur contexte, l’étude a également cherché à recueillir les opinions des responsables sur leur rôle dans la protection des droits procéduraux et constitutionnels, ainsi que sur leurs attitudes et pratiques au sein du système de justice pénale. Des acteurs de diverses institutions ont été interrogées, notamment les forces de police ougandaises (UPF), le pouvoir judiciaire, le bureau de la direction des poursuites publiques (ODPP), le service pénitentiaire ougandais (UPS), des responsables culturels et des dirigeants de conseils locaux, des agents de probation et le responsable d’une maison d’arrêt.

Dans l’ensemble, les parties prenantes interrogées ont démontré une solide connaissance de leur rôle dans la défense des droits constitutionnels et procéduraux et ont souligné le fait que l’exécution de leurs rôles est interdépendante au sein de la chaîne de la justice pénale (police, prison, système judiciaire, ODPP). Pourtant, ils ont identifié plusieurs défis systémiques qui ont considérablement entravé leur capacité à remplir leurs fonctions. Au-delà des problèmes de ressources humaines et de financement, les parties prenantes ont également évoqué des lacunes en matière de coordination entre les institutions du SJP, ou des dysfonctionnements dans l’équilibre des pouvoirs au sein du système de justice pénale.

Enfin, les entretiens avec les avocats et les auxiliaires juridiques ont mis en évidence des problèmes clés dans la fourniture de services d’aide juridique, notamment le manque de services dans les zones rurales telles que Lamwo, et les lacunes en matière de financement. Ces résultats soulignent la nécessité urgente pour le gouvernement de faire de l’accès à l’aide juridique une question de politique nationale.

Avocats Sans Frontières (ASF), en partenariat avec le Legal Aid Service Providers Network (LASPNET), a mis en œuvre un projet de trois ans (2020-2023) intitulé  » Protecting procedural andconstitutional rights through access to justice  » dans les districts de Kampala, Arua, Gulu, Hoima, Lamwo, Kitgum, Wakiso et Masindi.

ExPEERience Talk #12 – La détention préventive en Ouganda : Enseignements d’une étude sur les connaissances, les attitudes et les pratiques

  • Quand ? Jeudi 15 février Jeudi 15 février – 12h (Bangui, Bruxelles, Kinshasa, Niamey, Rabat, Tunis) / 14h (Dodoma, Nairobi, Kampala)
  • Langue : Anglais
  • Événement gratuit en ligne – Big Blue Button

Au cours de cet ExPEERience Talk #12, l’équipe d’ASF en Ouganda présentera les résultats d’un rapport qui sera bientôt publié sur les connaissances, les attitudes et les pratiques en matière de détention préventive en Ouganda.

L’Ouganda dispose d’un cadre juridique élaboré régissant la détention provisoire, qui comprend des dispositions détaillées concernant les droits procéduraux et constitutionnels. Le respect de ces dispositions continue cependant de poser problème : de nombreuses personnes passant par le système de justice pénale subissent des violations de leurs droits fondamentaux. Il s’agit notamment d’arrestations arbitraires ou illégales, de séjours prolongés en garde à vue, de l’absence d’accès à la caution de la police ou de violations du droit à la caution obligatoire. Les plus vulnérables et les plus indigent.e.s sont ceux.elles qui souffrent le plus du non-respect des droits procéduraux et constitutionnels.

Le rapport explore les connaissances, les attitudes et les pratiques des justiciables et des acteur.rice.s de la justice pénale face à la détention préventive, mettant ainsi en lumière les causes profondes des violations des droits procéduraux et constitutionnels. Le rapport émet des recommandations d’action et de réformes positives à l’attention des différent‧e‧s acteur‧rice‧s concerné‧e‧s pour permettre un respect accru des droits fondamentaux des personnes en détention provisoire.

Dialogue national sur la sauvegarde des droits procéduraux et constitutionnels des personnes en détention provisoire en Ouganda : Une réflexion sur les défis et les opportunités

  • Quand ? Jeudi 26 octobre 2023
  • Où ? Kampala
  • Cet évènement est organisé avec la Uganda Human Rights Commission
  • Sur invitation seulement
  • Diffusion en ligne de l’événement

Cet évènement réunira des acteur‧rice‧s des forces de police ougandaises, de l’administration pénitentiaire ougandaise, du pouvoir judiciaire, du bureau du directeur des poursuites publiques, du parlement, des membres de la société civile, du monde universitaire, des partenaires du développement et des auxiliaires juridiques.

Ce sera l’occasion d’aborder les défis qui affectent l’application des droits procéduraux dans l’administration de la justice pénale en Ouganda et de proposer des réformes pour combler les lacunes identifiées.

Cet événement s’inscrit dans le cadre du projet « Protéger les droits procéduraux et constitutionnels par l’accès à la justice », mis en œuvre de 2020 à 2023 par ASF et son partenaire LASPNET (Legal Aid Service Provider Network) dans les districts de Gulu, Masindi, Hoima, Lamwo, Kampala et Wakiso.

En Ouganda, comme dans de nombreux pays, les droits des personnes en détention provisoire continuent d’être violés. Depuis le début du projet, les avocat‧e‧s et les auxiliaires juridiques ont contacté plus de 10 000 détenu‧e‧s dont les droits procéduraux ont été violés dans les districts du projet, et ont fourni des recours procéduraux à plus de 2 000 détenu‧e‧s. Parmi ces violations, on peut citer la détention des suspects au-delà de 48 heures et le dépassement de la durée de la détention provisoire pour les auteur‧rice‧s de délits mineurs et de crimes, ce qui entraîne des violations de leur droit constitutionnel à être libéré‧e‧s sous caution obligatoire et à bénéficier d’un procès équitable et rapide. Deux études menées par ASF, le rapport de base sur le profil socio-économique des détenu‧e‧s et le rapport sur les connaissances, attitudes et pratiques, ont noté que le dépassement de la durée de détention provisoire par les petit‧e‧s délinquant‧e‧s et les délinquant‧E‧s passibles de la peine de mort est le résultat d’une mauvaise attitude des acteur‧rice‧s étatiques à l’égard de la détention provisoire.

L’objectif du projet est de contribuer à une meilleure application des droits procéduraux et constitutionnels dans l’administration de la justice pénale afin de renforcer l’adhésion aux droits humains et à l’État de droit en Ouganda. Il a adopté une approche holistique, allant au-delà des questions de détention dans l’administration de la justice en Ouganda et travaillant à un plus grand engagement des institutions centrales pour la réforme politique en Ouganda.

Inscriptions pour participer en ligne

Afrique de l’Est – Protéger l’espace civique : une approche basée sur le contentieux stratégique

Cet article a été publié dans le rapport annuel 2022 d’ASF.

En 2022, le bureau régional Afrique de l’Est d’ASF a lancé un projet couvrant trois pays de la région : le Burundi, la Tanzanie et l’Ouganda. L’objectif de ce projet est de contribuer à la promotion de l’État de droit en encourageant les organisations de la société civile à recourir à des courts, des organes, des mécanismes et des instruments régionaux de traités des droits humains, notamment en renforçant leurs capacités et leurs connaissances en la matière.

En pratique, le projet se concentre sur la promotion de l’utilisation des contentieux stratégiques comme outils d’influence, afin d’apporter des réformes positives dans les domaines de l’espace civique et des libertés civiles. Dans ses pays d’intervention, ASF a identifié des contentieux existants et en développement menés par des organisations de la société civile de la région. Le projet apporte un soutien financier et technique à ces organisations, les accompagne afin d’affiner leurs réflexions stratégiques et de renforcer leurs actions en couplant la mise en place de ces contentieux à des actions de plaidoyers notamment. Le projet, au vu de sa dimension régionale, a pour ambition d’appuyer les contentieux qui sont portés devant des mécanismes régionaux tels que la Cour de justice de l’Afrique de l’Est ou la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP).

Avec le soutien de l’Union panafricaine des avocats, ASF travaille sur le dépôt d’un contentieux devant la CADHP en matière de droit d’association, qui couvre une douzaine d’États africains. ASF a fait le constat, sur la base d’observations et d’analyses juridiques que les pratiques et lois régissant les ONG dans de nombreux États africains étaient en violation de la liberté d’association. Ces soumissions visent à faire respecter les libertés civiles fondamentales et à imposer aux États une obligation positive de réformer les lois en vigueur et de mettre fin aux pratiques portant atteinte au droit d’association.

ASF apporte également un soutien financier et technique à une pétition constitutionnelle déposée par des organisations de la société civile, dont Chapter Four, devant la Cour constitutionnelle de l’Ouganda, pour contester la constitutionnalité de la loi sur l’utilisation abusive de l’informatique votée en octobre 2022. Bien que cette loi controversée ait été saluée par le gouvernement comme une protection nécessaire de la vie privée à l’ère numérique, elle est perçue par de nombreuses OSC locales comme une atteinte aux libertés d’expression et de la presse.

Le bureau régional Afrique de l’Est

Cet article a été publié dans le rapport annuel 2022 d’ASF.

Ces dernières années, ASF a progressivement mis en place une approche régionale pour développer ses activités en Afrique de l’Est. Afin de soutenir ce développement de d’assurer l’implémentation d’une stratégie régionale impactante et cohérente, l’organisation a créé un bureau régional à Kampala en 2021. Il est actuellement composé de trois personnes, en plus du directeur régional et de directrice nationale pour l’Ouganda et des coordinateurs de programmes pour le Kenya et la Tanzanie.

Les pays d’Afrique de l’Est partagent des liens historiques, économiques, politiques, sociaux et culturels importants et sont de plus en plus intégrés. Dans ce contexte, des enjeux stratégiques du mandat d’ASF, telles que la gouvernance des ressources naturelles, la détention ou la sécurité et la liberté, peuvent concerner plusieurs pays. Les leçons tirées de la mise en œuvre de programmes dans un pays peuvent servir au développement d’actions dans d’autres contextes.

Depuis sa création, l’un des rôles clés du bureau régional a été de de créer du lien entre les différents programmes d’ASF, de compiler les enseignements et les connaissances acquises dans le cadre d’un programme pour les redistribuer stratégiquement afin d’optimiser l’action déployée dans le cadre des différents projets développés par ASF en Afrique de l’Est. Cela a permis de développer des synergies, tout en laissant de l’espace pour la contextualisation de chaque intervention.

En outre, la création de nouveaux rôles dédiés à des fonctions techniques spécifiques au sein de l’équipe régionale a permis à ASF d’améliorer l’appui méthodologique aux différentes équipes nationales, dans des domaines tels que la recherche, le suivi et l’évaluation, les litiges stratégiques et le plaidoyer.

L’une des priorités du Bureau régional est également d’identifier les opportunités de développement au niveau régional, y compris à travers la rédaction de projets multi-pays et régionaux. En mars 2022, ASF a lancé un projet de deux ans financé par la Coopération belge au développement (DGD) intitulé  » Protecting Civic Space : a Public Interest Litigation Approach « . Couvrant trois pays de la région, le projet vise à contribuer à l’avancement de l’État de droit en Afrique de l’Est en mobilisant la société civile autour des organes, mécanismes et instruments régionaux de traités relatifs aux droits humains.

Le Bureau régional entend continuer à renforcer la présence d’ASF au niveau régional en Afrique de l’Est. Que ce soit par le biais du plaidoyer, des litiges stratégiques ou de collaborations avec des acteur‧rice‧s locaux‧les ou régionaux‧les.

ExPEERience Talk #11 – Décriminaliser la pauvreté, le statut et l’activisme : une urgence mondiale, une campagne internationale

  • Quand ? 5 octobre – 12h (GMT+1, Tunis) ; 13h (GMT+2, Bruxelles)
  • Langue : Français
  • Évènement gratuit en ligne – Inscription obligatoire

Ce 11ème ExPEERience Talk sera consacré à la Campagne pour la décriminalisation de la pauvreté, du statut et de l’activisme. Plusieurs de ses membres viendront y présenter son histoire, son fonctionnement, ses premières victoires et aborderont les défis rencontrés et les opportunités que présentent la mise en réseau d’une multiplicité d’acteur.rice.s pour s’attaquer à un enjeu mondial et systémique d’une telle ampleur.

Partout dans le monde, en effet, des lois et des pratiques policières et pénales tendent à contrôler, arrêter et enfermer disproportionnellement les populations en situation de vulnérabilité ou de marginalisation (personnes pauvres ou sans-abri, personnes LGBTQI+, travailleur‧euse‧s du sexe, personnes migrantes, etc.). Les délits mineurs – mendicité, désordre sur la voie publique, consommation de drogues, vagabondage…- sont utilisés contre ces personnes dans le seul but de criminaliser ce qu’elles représentent dans la société plutôt que les délits qu’elles ont commis. On assiste aussi, dans de nombreux pays, à un rétrécissement de l’espace civique et à une instrumentalisation du droit pénal pour réprimer l’activisme et étouffer la dissidence. Ces phénomènes sont profondément ancrés dans les législations, institutions et pratiques des États à travers le monde.

Au cours de cet ExPEERience Talk, des intervenant.e.s, travaillant pour plusieurs organisations membres de la campagne, viendront illustrer les conséquences très concrètes de ces lois et pratiques liberticides sur la société civile et les populations. Il.elle.s évoqueront également différentes actions entreprises dans le cadre de la campagne : recherches conjointes, actions contentieuses et actions de plaidoyer devant les institutions nationales et internationales.

À ce jour, la campagne est portée par une cinquantaine d’organisations de la société civile issues de nombreux pays. Son ambition est de créer les conditions d’un changement global des lois, politiques et pratiques pénales et sociales en adoptant une stratégie transnationale et multisectorielle.

Intervenant‧e‧s

  • Khayem Chemli – Head of advocacy chez ASF – région Euromed (modérateur)
  • Soheila Comninos – Senior program manager chez Open Society Foundations
  • Arnaud Dandoy – Research & Learning Manager chez ASF – région Euromed
  • Asmaa Fakhoury – Country director ASF Maroc
  • Maria José Aldanas – Policy Officer chez FEANTSA

Lutter contre la surpopulation carcérale et les détentions illégales en République démocratique du Congo

Cet article est extrait du rapport annuel 2022 d’ASF.

En décembre 2022, selon les chiffres officiels partagés par l’administration pénitentiaire, la population carcérale dans les 142 prisons recensées en République démocratique du Congo (RDC) s’élevait à 44.536 personnes. Les personnes incarcérées en RDC sont victimes de violations graves de leurs droits fondamentaux, notamment ceux relatifs au respect des garanties procédurales et au droit à des conditions de détention dignes et respectueuses des standards internationaux. Parmi elles, environ 70% est en attente de jugement. Dans 4 des principales prisons centrales du pays (Kinshasa, Goma, Matadi et Mbuji-Mayi), le taux de surpopulation moyen est de 720%.

Le recours abusif à la détention préventive, la lenteur et les entraves administratives, le dysfonctionnement structurel des appareils judiciaire, pénitentiaire et sécuritaire du pays, l’absence d’un système d’aide légal garantissant l’accès à un avocat.e, le manque de personnel qualifié, un budget insuffisant et un accès trop limité à la libération sous caution sont autant de facteurs qui expliquent ce niveau alarmant de surpopulation des centres de détention.

Ces dysfonctionnements structurels touchent de façon disproportionnée les populations en situation de vulnérabilité, notamment celles en situation de vulnérabilité socio-économique.

Face à ces constats, ASF, en partenariat avec des acteur.rice.s locaux.les, renforce l’accès à la justice des populations les plus vulnérables en situation de détention en RDC. En 2022, ASF a travaillé en collaboration étroite avec les Barreaux et les organisations de la société civile actives dans le milieu carcéral, et est intervenue dans 8 prisons centrales de 6 provinces (Kinshasa, Ituri, Kongo Central, Kasaï, Kasaï Oriental, et Nord Kivu).

  • 1.820 personnes en détention ont été identifiées, rencontrées et orientées vers les services appropriés lors des descentes de monitoring dans les prisons.
  • ASF et ses partenaires ont garanti l’accès à l’aide légale de première ligne (via des consultations juridiques gratuites proposées par les Bureaux de Consultation Gratuites des Barreaux) à 3.511 personnes en situation de détention.
  • 2.162 adultes détenu.e.s et enfants en situation de placement dans des centres pénitentiaires ont bénéficié d’une assistance judiciaire gratuite par un.e avocat.e et 19 personnes en grave situation de vulnérabilité et/ou de vulnérabilité psycho-médico-sociale ont reçu un appui psychosocial après leur remise en liberté.
  • Les interventions d’ASF ont permis le renforcement de capacités et l’accompagnement technique de 92 avocat.e.s et d’observateur.rice.s des prisons congolaises.

La portée de l’intervention d’ASF et de ses partenaires reste pourtant limitée au vu du caractère structurel et de la magnitude du problème de la surpopulation carcérale en RDC. Des réformes institutionnelles coordonnées sont nécessaires. Parmi elles, on peut citer la nécessité de mettre en place des mécanismes de contrôle et de redevabilité efficaces et crédibles, mais aussi d’offrir des services multisectoriels complémentaires aux personnes détenues. ASF et ses partenaires mènent un travail de sensibilisation afin de promouvoir des mécanismes extra-judiciaires de résolution de conflits et le recours à des mécanismes de justices locales pour le traitement des délits mineurs ou bénins afin de lutter contre la surpopulation carcérale endémique en RDC.

Enfin, ASF déploie des efforts de plaidoyer au niveau provincial et national pour promouvoir un changement structurel et durable en faveur du respect des droits humains des personnes détenues en RDC.

La mise en liberté sous caution en Ouganda : Un droit ou un privilège ?

Session de sensibilisation sur la détention préventive menée par ASF et le Legal Aid Service Providers Network (LASPNET).

Cet article est extrait du rapport annuel 2022 d’ASF.

La mise en liberté sous caution est devenue une question de plus en plus controversée. Des débats juridiques et sociaux sur l’équilibre entre la sécurité publique et le droit à la liberté font rage dans beaucoup de pays, et c’est particulièrement le cas en Ouganda. Beaucoup appellent à une réforme du cadre législatif régissant l’accès à la liberté sous caution et de nombreuses initiatives vont dans ce sens. ASF travaille avec ses partenaires locaux pour promouvoir une réforme en profondeur de la législation et des pratiques en la matière en Ouganda.

Les législateur‧rice‧s, les membres de la société civile, les membres du système judiciaire et d’autres acteur‧rice‧s ont exprimé de nombreuses préoccupations parfois contradictoires sur les conditions qui encadrent l’octroi des demandes de mise en liberté sous caution en Ouganda.

D’un côté, le président ougandais dénonce ouvertement certaines décisions de justice accordant la liberté sous caution à des personnes soupçonnées de meurtre, estimant qu’il s’agit d’une provocation à l’égard de la population. Celui-ci plaide pour des conditions plus strictes concernant l’octroi de la mise en liberté sous caution. Ce qui est le cas d’une partie de la population des acteur‧rice‧s judiciaires également, qui s’inquiètent de l’augmentation des crimes capitaux dans le pays.

Face à eux‧elles, d’autres considèrent que les amendes exorbitantes et les cautions en espèces inabordables imposées par les tribunaux aux demandeur‧euse‧s de liberté sous caution sont discriminatoires, car cela limite dans les faits l’accès à ce droit aux personnes les plus aisées.

Globalement, chacun‧e semble s’accorder sur le fait qu’il est nécessaire de mettre fin au système actuel et aux nombreuses incohérences dans les décisions prises par les tribunaux lors de l’examen des conditions de mise en liberté sous caution.

Le coût de la politique de l’État en termes de détention préventive et de mise en liberté sous caution est aussi l’object d’intenses débats en Ouganda. Le maintien en détention a un prix et les personnes détenues ne peuvent pas subvenir aux besoins de leur famille et contribuer à l’économie. Le coût global du maintien d’un‧e détenu‧e en Ouganda pour le trésor public est de 22.966 UGX (+- 5,64€) par prisonnier et par jour. En décembre 2022, les prisons ougandaises comptaient 74.414 prisonnier‧ère‧s, dont 35743 étaient des détenu‧e‧s préventif‧ve‧s, ce qui porte le coût annuel de l’entretien des prisonnier‧ère‧s à +- 150.000.000€ , dont plus de la moitié, sont consacrés aux détenu‧e‧s en attente de jugement.

En décembre 2021, le président de la Cour suprême a publié des propositions de lignes directrices sur la mise en liberté sous caution. Celles-ci étaient destinées à compléter les dispositions légales existantes et à promouvoir l’uniformité et la cohérence dans les décisions prises par les tribunaux lors de l’examen des demandes de mise en liberté sous caution. L’un des objectifs des lignes directrices proposées était de remédier aux abus dans l’utilisation de la détention provisoire et à la surpopulation carcérale qui en résulte.

En février 2022, ASF et ses partenaires ont soumis un mémorandum au comité des règles judiciaires soulignant certains des problèmes clés qui entravent et ont un impact négatif sur le traitement des détenu‧e‧s provisoires. Certaines recommandations clés n’ont pas été prises en compte. Par exemple, la recommandation sur la libération sous caution obligatoire des délinquant‧e‧s qui ont été en détention pendant 60 ou 180 jours pour les petits délinquant‧e‧s et les délinquant‧e‧s capitaux‧les sans passer devant un juge.

Les Constitutional Directions ont été adoptées et lancées par le Chief Justice le 27 juillet 2022. Certaines clauses des directives ont depuis lors modifié de manière conséquente la disposition constitutionnelle relative à la mise en liberté sous caution, en particulier les clauses prévoyant la mise en liberté sous caution obligatoire pour les infractions passibles de la peine de mort. Auparavant, les magistrat‧e‧s étaient compétent‧e‧s pour accorder une mise en liberté sous caution aux auteur‧rice‧s d’infractions passibles de la peine de mort avant que leur affaire ne soit renvoyée devant la Haute Cour. Avec l’entrée en vigueur des lignes directrices relatives à la mise en liberté sous caution, la compétence pour accorder une mise en liberté sous caution aux auteur‧rice‧s d’infractions passibles de la peine de mort est désormais limitée à la seule High Court[8]. Cela limite donc l’accès à ce droit pour les détenu‧e‧s provisoires, en particulier ceux‧elles qui sont accusé‧e‧s d’avoir commis des crimes pouvant entraîner la peine capitale.

Dernièrement, la libération sous caution des condamné‧e‧s à la peine capitale est devenue difficile, car ceux‧elles qui parviennent à demander à la Haute Cour de les libérer sous caution sont traduits en justice avant que leur dossier ne soit examiné par la Haute Cour. Dans les régions où il n’y a pas de Haute Cour, les détenu‧e‧s ont perdu espoir et plaident souvent coupable pour obtenir une peine alternative. L’engorgement de certaines prisons s’est aggravé en raison de l’augmentation du nombre de prévenu‧e‧s.

En Ouganda, ASF, en partenariat avec le Legal Aid Service Providers Network (LASPNET), met en œuvre un projet de trois ans intitulé « Protecting procedural and constitutional rights through access to justice », financé par l’Austrian Development Cooperation (ADC).

Dans le cadre de ce projet, ASF a recruté des assistant‧e‧s juridiques et des avocat‧e‧s pour surveiller les violations des droits procéduraux et constitutionnels et fournir une assistance juridique dans huit districts de l’Ouganda. Depuis le début du projet, plus de 4.000 cas de violation des droits de la détention provisoire ont été enregistrés, dont 2.047 dans les prisons. Plus des deux tiers des détenu‧e‧s trouvé‧e‧s dans les prisons ont dépassé la période obligatoire de mise en liberté sous caution, ce qui constitue une violation de leur droit à la mise en liberté sous caution et une violation de leurs droits procéduraux. ASF a également entrepris une étude de base sur le profil socio-économique des détenu‧e‧s et les raisons de leur incarcération. L’une des principales conclusions de cette étude est que 30 % des détenu‧e‧s ignoraient qu’il‧elle‧s avaient le droit de demander une libération sous caution et avaient donc dépassé la durée de leur détention provisoire.

Afin de poursuivre ses actions de plaidoyer en faveur des droits des détenu‧e‧s provisoires, ASF, en partenariat avec Ssekaana Associated Advocates and Consultants et un requérant individuel, Stephen Kalali, a saisi la Cour constitutionnelle pour contester certaines dispositions des directives sur la mise en liberté sous caution. Nous espérons que cela permettra de mettre en lumière les dysfonctionnements de la loi et de la pratique en matière de libération sous caution.

Les défis de la détention en République centrafricaine

Cet article est extrait du rapport annuel 2022 d’ASF.

Depuis 2015, ASF porte une attention particulière à la problématique de l’enfermement en République centrafricaine (RCA). En partenariat avec le Barreau, des avocat.e.s et la société civile, ASF mène des actions de sensibilisation des détenu.e.s, de monitoring des conditions de détention, offre des services juridiques aux détenu.e.s et effectue un travail de plaidoyer afin que la réforme de la justice (politique sectorielle de justice) entamée dans le pays soit pleinement mise en œuvre. ASF est en dialogue avec le Ministère de la justice, l’administration pénitentiaire, les forces de police, les magistrat.e.s et les avocat.e.s pour mettre en évidence les réalités du terrain sur les questions de détention. 

En mars 2022, ASF a réalisé une étude qui aborde de façon approfondie les enjeux liés à la détention en RCA. Le rapport « Les pratiques de privation de liberté en République centrafricaine, reflets d’une justice de crise et d’une justice en crise« , réalisé avec le bureau Inanga et avec le soutien financier de l’Union européenne, pointe du doigt des pratiques de criminalisation de la pauvreté et un recours abusif à la détention préventive.

En effet, et même si comparativement, la RCA présente un taux d’enfermement plutôt bas, on constate ces dernières années une explosion du nombre de personnes détenues, notamment en raison d’un recours accru à la détention avant jugement. Plus de 80 % des détenus à Ngaragba, la principale maison d’arrêt du pays, sont en attente de leur procès. La prison, initialement conçue pour accueillir au maximum 400 personnes, compte actuellement plus de 1400 prisonniers. Parmi eux, beaucoup sont incarcérés au mépris des normes centrafricaines et des standards internationaux. 

La République centrafricaine traverse des crises politiques et sécuritaires récurrentes qui secouent le pays depuis plusieurs années. Dans ce contexte, l’État tente de réaffirmer sa présence et son autorité, l’appareil judiciaire semble être utilisé exclusivement à des fins répressives, sous la pression des autorités nationales et des partenaires internationaux.

Selon de nombreux acteurs.rices, cette situation de crise justifie une justice de crise. Parmi les personnes détenues avant jugement, beaucoup sont poursuivies pour des infractions directement liées à cette situation de crise : association de malfaiteur.euse.s, atteinte à la sûreté de l’État, rébellion, détention d’armes, etc. Leur culpabilité est souvent présumée par les juges en charge de leur placement et de leur maintien en détention.

Dans un pays qui aspire à la justice et où les dirigeant.e.s considèrent la lutte contre l’impunité comme une priorité, le recours à la détention avant jugement semble être une pratique peu remise en question. Comme l’exprime amèrement un Haut Magistrat du Siège dans l’étude précitée, « il vaut mieux enfermer un.e innocent.e que mettre un.e criminel.le en liberté« . Ainsi, les principes fondamentaux du droit, tels que la présomption d’innocence et le droit à une défense équitable, sont souvent relégués au second plan au profit de considérations politiques et de la nécessité de rétablir la paix et la cohésion sociale.

En juin 2022, lors d’un atelier organisé sous l’égide du Ministère de la Justice, l’étude a été présentée à l’ensemble des acteur.rice.s de la justice. Cet événement réunit des haut.e.s magistrat.e.s, des président.e.s de cour, des magistrat.e.s du siège et du parquet, des juges d’instruction, des avocat.e.s, ainsi que des représentant.e.s d’organismes internationaux tels que les agences des Nations-Unies, les représentations de l’Union européenne et des Etats-Unis, mais aussi des ONG internationales. Les discussions ont abouti à l’obtention d’un consensus sur la gravité de la situation et les constats rapportés par ASF et ses partenaires. Les participant.e.s se sont accordé.e.s sur une série de recommandations à mettre en place urgemment. Parmi ces recommandations, on peut par exemple évoquer la nécessité de rendre des décisions de justice dans des délais plus courts et de former davantage les magistrat.e.s du parquet et les juges d’instruction en charge du suivi des dossiers des personnes détenues.

Grâce à la mise en lumière des conditions de détention et le rapportage des expériences de terrain des acteur.rice.s locaux.les, la question de la détention est devenue une priorité pour le Ministère de la justice centrafricain. En octobre 2022, l’inspection générale des services judiciaires a été renforcée. Celle-ci est désormais compétente et outillée pour agir directement sur les questions de détention.

En 2023, ASF poursuit son travail en partenariat avec les acteur.rice.s locaux.les, notamment judiciaires et pénitentiaires, ainsi que son plaidoyer auprès des autorités pour que les engagements pris donnent lieu à des réformes structurelles offrant des solutions durables au problème de la détention en RCA.

Le rapport annuel d’ASF est disponible !

L’équipe d’Avocats Sans Frontières est ravie de pouvoir vous présenter son dernier rapport annuel.

Que de chemin parcouru depuis la création d’ASF en 1992 par des avocat.e.s belges. Durant ces 30 années, ce sont des centaines de personnes qui ont contribué à faire évoluer l’organisation pour qu’elle devienne ce qu’elle est aujourd’hui : une organisation militante active dans une dizaine de pays qui œuvre pour la promotion de l’accès à la justice et d’un État de droit fondé sur les droits humains en étroite collaboration avec des acteur.rice.s locaux.les.

Ces trente années d’action, les ancrages locaux que nous avons développés et les liens que nous avons tissés avec des défenseur.e.s des droits humains des quatre coins du monde nous donnent beaucoup de force et de confiance pour envisager l’avenir et poursuivre le déploiement d’une action impactante au service des populations en situation de vulnérabilité (femmes, enfants, communauté LGBTQI+, minorités ethniques, personnes en situation de détention, personnes en situation de migration, etc.).

Mais les défis sont nombreux. Partout à travers le monde, les organisations de la société civile et les défenseur.e.s des droits humains font face à des évolutions et des tendances inquiétantes : montée des autoritarismes, rétrécissement de l’espace civique, défiance croissante des populations envers les institutions, tensions sociales exacerbées, etc.

Les défenseur.e.s des droits humains et de l’accès à la justice doivent travailler dans des contextes qui leur sont de plus en plus hostiles. Les notions mêmes de droits humains et d’État de droit sont remises en question. Les activistes, les avocat.e.s et les journalistes qui œuvrent pour la défense des droits fondamentaux des populations en situation de vulnérabilité sont de plus en plus systématiquement visés par des politiques répressives illibérales.

Chaque page de ce rapport témoigne de la vigueur de la flamme qui anime celles et ceux qui s’engagent pour maintenir les droits humains au cœur même de nos sociétés, au risque et au péril de leur propre liberté. Ce rapport est un hommage à chacune et chacun d’eux.elles.