Le bureau régional Afrique de l’Est

Cet article a été publié dans le rapport annuel 2022 d’ASF.

Ces dernières années, ASF a progressivement mis en place une approche régionale pour développer ses activités en Afrique de l’Est. Afin de soutenir ce développement de d’assurer l’implémentation d’une stratégie régionale impactante et cohérente, l’organisation a créé un bureau régional à Kampala en 2021. Il est actuellement composé de trois personnes, en plus du directeur régional et de directrice nationale pour l’Ouganda et des coordinateurs de programmes pour le Kenya et la Tanzanie.

Les pays d’Afrique de l’Est partagent des liens historiques, économiques, politiques, sociaux et culturels importants et sont de plus en plus intégrés. Dans ce contexte, des enjeux stratégiques du mandat d’ASF, telles que la gouvernance des ressources naturelles, la détention ou la sécurité et la liberté, peuvent concerner plusieurs pays. Les leçons tirées de la mise en œuvre de programmes dans un pays peuvent servir au développement d’actions dans d’autres contextes.

Depuis sa création, l’un des rôles clés du bureau régional a été de de créer du lien entre les différents programmes d’ASF, de compiler les enseignements et les connaissances acquises dans le cadre d’un programme pour les redistribuer stratégiquement afin d’optimiser l’action déployée dans le cadre des différents projets développés par ASF en Afrique de l’Est. Cela a permis de développer des synergies, tout en laissant de l’espace pour la contextualisation de chaque intervention.

En outre, la création de nouveaux rôles dédiés à des fonctions techniques spécifiques au sein de l’équipe régionale a permis à ASF d’améliorer l’appui méthodologique aux différentes équipes nationales, dans des domaines tels que la recherche, le suivi et l’évaluation, les litiges stratégiques et le plaidoyer.

L’une des priorités du Bureau régional est également d’identifier les opportunités de développement au niveau régional, y compris à travers la rédaction de projets multi-pays et régionaux. En mars 2022, ASF a lancé un projet de deux ans financé par la Coopération belge au développement (DGD) intitulé  » Protecting Civic Space : a Public Interest Litigation Approach « . Couvrant trois pays de la région, le projet vise à contribuer à l’avancement de l’État de droit en Afrique de l’Est en mobilisant la société civile autour des organes, mécanismes et instruments régionaux de traités relatifs aux droits humains.

Le Bureau régional entend continuer à renforcer la présence d’ASF au niveau régional en Afrique de l’Est. Que ce soit par le biais du plaidoyer, des litiges stratégiques ou de collaborations avec des acteur‧rice‧s locaux‧les ou régionaux‧les.

ExPEERience Talk #11 – Décriminaliser la pauvreté, le statut et l’activisme : une urgence mondiale, une campagne internationale

  • Quand ? 5 octobre – 12h (GMT+1, Tunis) ; 13h (GMT+2, Bruxelles)
  • Langue : Français
  • Évènement gratuit en ligne – Inscription obligatoire

Ce 11ème ExPEERience Talk sera consacré à la Campagne pour la décriminalisation de la pauvreté, du statut et de l’activisme. Plusieurs de ses membres viendront y présenter son histoire, son fonctionnement, ses premières victoires et aborderont les défis rencontrés et les opportunités que présentent la mise en réseau d’une multiplicité d’acteur.rice.s pour s’attaquer à un enjeu mondial et systémique d’une telle ampleur.

Partout dans le monde, en effet, des lois et des pratiques policières et pénales tendent à contrôler, arrêter et enfermer disproportionnellement les populations en situation de vulnérabilité ou de marginalisation (personnes pauvres ou sans-abri, personnes LGBTQI+, travailleur‧euse‧s du sexe, personnes migrantes, etc.). Les délits mineurs – mendicité, désordre sur la voie publique, consommation de drogues, vagabondage…- sont utilisés contre ces personnes dans le seul but de criminaliser ce qu’elles représentent dans la société plutôt que les délits qu’elles ont commis. On assiste aussi, dans de nombreux pays, à un rétrécissement de l’espace civique et à une instrumentalisation du droit pénal pour réprimer l’activisme et étouffer la dissidence. Ces phénomènes sont profondément ancrés dans les législations, institutions et pratiques des États à travers le monde.

Au cours de cet ExPEERience Talk, des intervenant.e.s, travaillant pour plusieurs organisations membres de la campagne, viendront illustrer les conséquences très concrètes de ces lois et pratiques liberticides sur la société civile et les populations. Il.elle.s évoqueront également différentes actions entreprises dans le cadre de la campagne : recherches conjointes, actions contentieuses et actions de plaidoyer devant les institutions nationales et internationales.

À ce jour, la campagne est portée par une cinquantaine d’organisations de la société civile issues de nombreux pays. Son ambition est de créer les conditions d’un changement global des lois, politiques et pratiques pénales et sociales en adoptant une stratégie transnationale et multisectorielle.

Intervenant‧e‧s

  • Khayem Chemli – Head of advocacy chez ASF – région Euromed (modérateur)
  • Soheila Comninos – Senior program manager chez Open Society Foundations
  • Arnaud Dandoy – Research & Learning Manager chez ASF – région Euromed
  • Asmaa Fakhoury – Country director ASF Maroc
  • Maria José Aldanas – Policy Officer chez FEANTSA

Lutter contre la surpopulation carcérale et les détentions illégales en République démocratique du Congo

Cet article est extrait du rapport annuel 2022 d’ASF.

En décembre 2022, selon les chiffres officiels partagés par l’administration pénitentiaire, la population carcérale dans les 142 prisons recensées en République démocratique du Congo (RDC) s’élevait à 44.536 personnes. Les personnes incarcérées en RDC sont victimes de violations graves de leurs droits fondamentaux, notamment ceux relatifs au respect des garanties procédurales et au droit à des conditions de détention dignes et respectueuses des standards internationaux. Parmi elles, environ 70% est en attente de jugement. Dans 4 des principales prisons centrales du pays (Kinshasa, Goma, Matadi et Mbuji-Mayi), le taux de surpopulation moyen est de 720%.

Le recours abusif à la détention préventive, la lenteur et les entraves administratives, le dysfonctionnement structurel des appareils judiciaire, pénitentiaire et sécuritaire du pays, l’absence d’un système d’aide légal garantissant l’accès à un avocat.e, le manque de personnel qualifié, un budget insuffisant et un accès trop limité à la libération sous caution sont autant de facteurs qui expliquent ce niveau alarmant de surpopulation des centres de détention.

Ces dysfonctionnements structurels touchent de façon disproportionnée les populations en situation de vulnérabilité, notamment celles en situation de vulnérabilité socio-économique.

Face à ces constats, ASF, en partenariat avec des acteur.rice.s locaux.les, renforce l’accès à la justice des populations les plus vulnérables en situation de détention en RDC. En 2022, ASF a travaillé en collaboration étroite avec les Barreaux et les organisations de la société civile actives dans le milieu carcéral, et est intervenue dans 8 prisons centrales de 6 provinces (Kinshasa, Ituri, Kongo Central, Kasaï, Kasaï Oriental, et Nord Kivu).

  • 1.820 personnes en détention ont été identifiées, rencontrées et orientées vers les services appropriés lors des descentes de monitoring dans les prisons.
  • ASF et ses partenaires ont garanti l’accès à l’aide légale de première ligne (via des consultations juridiques gratuites proposées par les Bureaux de Consultation Gratuites des Barreaux) à 3.511 personnes en situation de détention.
  • 2.162 adultes détenu.e.s et enfants en situation de placement dans des centres pénitentiaires ont bénéficié d’une assistance judiciaire gratuite par un.e avocat.e et 19 personnes en grave situation de vulnérabilité et/ou de vulnérabilité psycho-médico-sociale ont reçu un appui psychosocial après leur remise en liberté.
  • Les interventions d’ASF ont permis le renforcement de capacités et l’accompagnement technique de 92 avocat.e.s et d’observateur.rice.s des prisons congolaises.

La portée de l’intervention d’ASF et de ses partenaires reste pourtant limitée au vu du caractère structurel et de la magnitude du problème de la surpopulation carcérale en RDC. Des réformes institutionnelles coordonnées sont nécessaires. Parmi elles, on peut citer la nécessité de mettre en place des mécanismes de contrôle et de redevabilité efficaces et crédibles, mais aussi d’offrir des services multisectoriels complémentaires aux personnes détenues. ASF et ses partenaires mènent un travail de sensibilisation afin de promouvoir des mécanismes extra-judiciaires de résolution de conflits et le recours à des mécanismes de justices locales pour le traitement des délits mineurs ou bénins afin de lutter contre la surpopulation carcérale endémique en RDC.

Enfin, ASF déploie des efforts de plaidoyer au niveau provincial et national pour promouvoir un changement structurel et durable en faveur du respect des droits humains des personnes détenues en RDC.

La mise en liberté sous caution en Ouganda : Un droit ou un privilège ?

Session de sensibilisation sur la détention préventive menée par ASF et le Legal Aid Service Providers Network (LASPNET).

Cet article est extrait du rapport annuel 2022 d’ASF.

La mise en liberté sous caution est devenue une question de plus en plus controversée. Des débats juridiques et sociaux sur l’équilibre entre la sécurité publique et le droit à la liberté font rage dans beaucoup de pays, et c’est particulièrement le cas en Ouganda. Beaucoup appellent à une réforme du cadre législatif régissant l’accès à la liberté sous caution et de nombreuses initiatives vont dans ce sens. ASF travaille avec ses partenaires locaux pour promouvoir une réforme en profondeur de la législation et des pratiques en la matière en Ouganda.

Les législateur‧rice‧s, les membres de la société civile, les membres du système judiciaire et d’autres acteur‧rice‧s ont exprimé de nombreuses préoccupations parfois contradictoires sur les conditions qui encadrent l’octroi des demandes de mise en liberté sous caution en Ouganda.

D’un côté, le président ougandais dénonce ouvertement certaines décisions de justice accordant la liberté sous caution à des personnes soupçonnées de meurtre, estimant qu’il s’agit d’une provocation à l’égard de la population. Celui-ci plaide pour des conditions plus strictes concernant l’octroi de la mise en liberté sous caution. Ce qui est le cas d’une partie de la population des acteur‧rice‧s judiciaires également, qui s’inquiètent de l’augmentation des crimes capitaux dans le pays.

Face à eux‧elles, d’autres considèrent que les amendes exorbitantes et les cautions en espèces inabordables imposées par les tribunaux aux demandeur‧euse‧s de liberté sous caution sont discriminatoires, car cela limite dans les faits l’accès à ce droit aux personnes les plus aisées.

Globalement, chacun‧e semble s’accorder sur le fait qu’il est nécessaire de mettre fin au système actuel et aux nombreuses incohérences dans les décisions prises par les tribunaux lors de l’examen des conditions de mise en liberté sous caution.

Le coût de la politique de l’État en termes de détention préventive et de mise en liberté sous caution est aussi l’object d’intenses débats en Ouganda. Le maintien en détention a un prix et les personnes détenues ne peuvent pas subvenir aux besoins de leur famille et contribuer à l’économie. Le coût global du maintien d’un‧e détenu‧e en Ouganda pour le trésor public est de 22.966 UGX (+- 5,64€) par prisonnier et par jour. En décembre 2022, les prisons ougandaises comptaient 74.414 prisonnier‧ère‧s, dont 35743 étaient des détenu‧e‧s préventif‧ve‧s, ce qui porte le coût annuel de l’entretien des prisonnier‧ère‧s à +- 150.000.000€ , dont plus de la moitié, sont consacrés aux détenu‧e‧s en attente de jugement.

En décembre 2021, le président de la Cour suprême a publié des propositions de lignes directrices sur la mise en liberté sous caution. Celles-ci étaient destinées à compléter les dispositions légales existantes et à promouvoir l’uniformité et la cohérence dans les décisions prises par les tribunaux lors de l’examen des demandes de mise en liberté sous caution. L’un des objectifs des lignes directrices proposées était de remédier aux abus dans l’utilisation de la détention provisoire et à la surpopulation carcérale qui en résulte.

En février 2022, ASF et ses partenaires ont soumis un mémorandum au comité des règles judiciaires soulignant certains des problèmes clés qui entravent et ont un impact négatif sur le traitement des détenu‧e‧s provisoires. Certaines recommandations clés n’ont pas été prises en compte. Par exemple, la recommandation sur la libération sous caution obligatoire des délinquant‧e‧s qui ont été en détention pendant 60 ou 180 jours pour les petits délinquant‧e‧s et les délinquant‧e‧s capitaux‧les sans passer devant un juge.

Les Constitutional Directions ont été adoptées et lancées par le Chief Justice le 27 juillet 2022. Certaines clauses des directives ont depuis lors modifié de manière conséquente la disposition constitutionnelle relative à la mise en liberté sous caution, en particulier les clauses prévoyant la mise en liberté sous caution obligatoire pour les infractions passibles de la peine de mort. Auparavant, les magistrat‧e‧s étaient compétent‧e‧s pour accorder une mise en liberté sous caution aux auteur‧rice‧s d’infractions passibles de la peine de mort avant que leur affaire ne soit renvoyée devant la Haute Cour. Avec l’entrée en vigueur des lignes directrices relatives à la mise en liberté sous caution, la compétence pour accorder une mise en liberté sous caution aux auteur‧rice‧s d’infractions passibles de la peine de mort est désormais limitée à la seule High Court[8]. Cela limite donc l’accès à ce droit pour les détenu‧e‧s provisoires, en particulier ceux‧elles qui sont accusé‧e‧s d’avoir commis des crimes pouvant entraîner la peine capitale.

Dernièrement, la libération sous caution des condamné‧e‧s à la peine capitale est devenue difficile, car ceux‧elles qui parviennent à demander à la Haute Cour de les libérer sous caution sont traduits en justice avant que leur dossier ne soit examiné par la Haute Cour. Dans les régions où il n’y a pas de Haute Cour, les détenu‧e‧s ont perdu espoir et plaident souvent coupable pour obtenir une peine alternative. L’engorgement de certaines prisons s’est aggravé en raison de l’augmentation du nombre de prévenu‧e‧s.

En Ouganda, ASF, en partenariat avec le Legal Aid Service Providers Network (LASPNET), met en œuvre un projet de trois ans intitulé « Protecting procedural and constitutional rights through access to justice », financé par l’Austrian Development Cooperation (ADC).

Dans le cadre de ce projet, ASF a recruté des assistant‧e‧s juridiques et des avocat‧e‧s pour surveiller les violations des droits procéduraux et constitutionnels et fournir une assistance juridique dans huit districts de l’Ouganda. Depuis le début du projet, plus de 4.000 cas de violation des droits de la détention provisoire ont été enregistrés, dont 2.047 dans les prisons. Plus des deux tiers des détenu‧e‧s trouvé‧e‧s dans les prisons ont dépassé la période obligatoire de mise en liberté sous caution, ce qui constitue une violation de leur droit à la mise en liberté sous caution et une violation de leurs droits procéduraux. ASF a également entrepris une étude de base sur le profil socio-économique des détenu‧e‧s et les raisons de leur incarcération. L’une des principales conclusions de cette étude est que 30 % des détenu‧e‧s ignoraient qu’il‧elle‧s avaient le droit de demander une libération sous caution et avaient donc dépassé la durée de leur détention provisoire.

Afin de poursuivre ses actions de plaidoyer en faveur des droits des détenu‧e‧s provisoires, ASF, en partenariat avec Ssekaana Associated Advocates and Consultants et un requérant individuel, Stephen Kalali, a saisi la Cour constitutionnelle pour contester certaines dispositions des directives sur la mise en liberté sous caution. Nous espérons que cela permettra de mettre en lumière les dysfonctionnements de la loi et de la pratique en matière de libération sous caution.

Les défis de la détention en République centrafricaine

Cet article est extrait du rapport annuel 2022 d’ASF.

Depuis 2015, ASF porte une attention particulière à la problématique de l’enfermement en République centrafricaine (RCA). En partenariat avec le Barreau, des avocat.e.s et la société civile, ASF mène des actions de sensibilisation des détenu.e.s, de monitoring des conditions de détention, offre des services juridiques aux détenu.e.s et effectue un travail de plaidoyer afin que la réforme de la justice (politique sectorielle de justice) entamée dans le pays soit pleinement mise en œuvre. ASF est en dialogue avec le Ministère de la justice, l’administration pénitentiaire, les forces de police, les magistrat.e.s et les avocat.e.s pour mettre en évidence les réalités du terrain sur les questions de détention. 

En mars 2022, ASF a réalisé une étude qui aborde de façon approfondie les enjeux liés à la détention en RCA. Le rapport « Les pratiques de privation de liberté en République centrafricaine, reflets d’une justice de crise et d’une justice en crise« , réalisé avec le bureau Inanga et avec le soutien financier de l’Union européenne, pointe du doigt des pratiques de criminalisation de la pauvreté et un recours abusif à la détention préventive.

En effet, et même si comparativement, la RCA présente un taux d’enfermement plutôt bas, on constate ces dernières années une explosion du nombre de personnes détenues, notamment en raison d’un recours accru à la détention avant jugement. Plus de 80 % des détenus à Ngaragba, la principale maison d’arrêt du pays, sont en attente de leur procès. La prison, initialement conçue pour accueillir au maximum 400 personnes, compte actuellement plus de 1400 prisonniers. Parmi eux, beaucoup sont incarcérés au mépris des normes centrafricaines et des standards internationaux. 

La République centrafricaine traverse des crises politiques et sécuritaires récurrentes qui secouent le pays depuis plusieurs années. Dans ce contexte, l’État tente de réaffirmer sa présence et son autorité, l’appareil judiciaire semble être utilisé exclusivement à des fins répressives, sous la pression des autorités nationales et des partenaires internationaux.

Selon de nombreux acteurs.rices, cette situation de crise justifie une justice de crise. Parmi les personnes détenues avant jugement, beaucoup sont poursuivies pour des infractions directement liées à cette situation de crise : association de malfaiteur.euse.s, atteinte à la sûreté de l’État, rébellion, détention d’armes, etc. Leur culpabilité est souvent présumée par les juges en charge de leur placement et de leur maintien en détention.

Dans un pays qui aspire à la justice et où les dirigeant.e.s considèrent la lutte contre l’impunité comme une priorité, le recours à la détention avant jugement semble être une pratique peu remise en question. Comme l’exprime amèrement un Haut Magistrat du Siège dans l’étude précitée, « il vaut mieux enfermer un.e innocent.e que mettre un.e criminel.le en liberté« . Ainsi, les principes fondamentaux du droit, tels que la présomption d’innocence et le droit à une défense équitable, sont souvent relégués au second plan au profit de considérations politiques et de la nécessité de rétablir la paix et la cohésion sociale.

En juin 2022, lors d’un atelier organisé sous l’égide du Ministère de la Justice, l’étude a été présentée à l’ensemble des acteur.rice.s de la justice. Cet événement réunit des haut.e.s magistrat.e.s, des président.e.s de cour, des magistrat.e.s du siège et du parquet, des juges d’instruction, des avocat.e.s, ainsi que des représentant.e.s d’organismes internationaux tels que les agences des Nations-Unies, les représentations de l’Union européenne et des Etats-Unis, mais aussi des ONG internationales. Les discussions ont abouti à l’obtention d’un consensus sur la gravité de la situation et les constats rapportés par ASF et ses partenaires. Les participant.e.s se sont accordé.e.s sur une série de recommandations à mettre en place urgemment. Parmi ces recommandations, on peut par exemple évoquer la nécessité de rendre des décisions de justice dans des délais plus courts et de former davantage les magistrat.e.s du parquet et les juges d’instruction en charge du suivi des dossiers des personnes détenues.

Grâce à la mise en lumière des conditions de détention et le rapportage des expériences de terrain des acteur.rice.s locaux.les, la question de la détention est devenue une priorité pour le Ministère de la justice centrafricain. En octobre 2022, l’inspection générale des services judiciaires a été renforcée. Celle-ci est désormais compétente et outillée pour agir directement sur les questions de détention.

En 2023, ASF poursuit son travail en partenariat avec les acteur.rice.s locaux.les, notamment judiciaires et pénitentiaires, ainsi que son plaidoyer auprès des autorités pour que les engagements pris donnent lieu à des réformes structurelles offrant des solutions durables au problème de la détention en RCA.

Le rapport annuel d’ASF est disponible !

L’équipe d’Avocats Sans Frontières est ravie de pouvoir vous présenter son dernier rapport annuel.

Que de chemin parcouru depuis la création d’ASF en 1992 par des avocat.e.s belges. Durant ces 30 années, ce sont des centaines de personnes qui ont contribué à faire évoluer l’organisation pour qu’elle devienne ce qu’elle est aujourd’hui : une organisation militante active dans une dizaine de pays qui œuvre pour la promotion de l’accès à la justice et d’un État de droit fondé sur les droits humains en étroite collaboration avec des acteur.rice.s locaux.les.

Ces trente années d’action, les ancrages locaux que nous avons développés et les liens que nous avons tissés avec des défenseur.e.s des droits humains des quatre coins du monde nous donnent beaucoup de force et de confiance pour envisager l’avenir et poursuivre le déploiement d’une action impactante au service des populations en situation de vulnérabilité (femmes, enfants, communauté LGBTQI+, minorités ethniques, personnes en situation de détention, personnes en situation de migration, etc.).

Mais les défis sont nombreux. Partout à travers le monde, les organisations de la société civile et les défenseur.e.s des droits humains font face à des évolutions et des tendances inquiétantes : montée des autoritarismes, rétrécissement de l’espace civique, défiance croissante des populations envers les institutions, tensions sociales exacerbées, etc.

Les défenseur.e.s des droits humains et de l’accès à la justice doivent travailler dans des contextes qui leur sont de plus en plus hostiles. Les notions mêmes de droits humains et d’État de droit sont remises en question. Les activistes, les avocat.e.s et les journalistes qui œuvrent pour la défense des droits fondamentaux des populations en situation de vulnérabilité sont de plus en plus systématiquement visés par des politiques répressives illibérales.

Chaque page de ce rapport témoigne de la vigueur de la flamme qui anime celles et ceux qui s’engagent pour maintenir les droits humains au cœur même de nos sociétés, au risque et au péril de leur propre liberté. Ce rapport est un hommage à chacune et chacun d’eux.elles.

Protéger les droits constitutionnels et procéduraux des personnes en détention provisoire à travers l’accès à la justice en Ouganda

L’équipe d’ASF en Ouganda vient de publier l’étude de référence « Protéger les droits constitutionnels et procéduraux des personnes en détention provisoire à travers l’accès à la justice en Ouganda « . Elle est disponible sur notre site et sera présentée lors d’une conférence ExPEERience le 2 mars 2023. Vous pouvez vous inscrire pour suivre la présentation en ligne.

Le recours (excessif) à la détention provisoire en Ouganda

Bien que la détention avant procès doive être l’exception plutôt que la règle, le recours à la détention provisoire est très répandu en Ouganda. En mars 2022, plus de la moitié de la population carcérale était en attente de jugement, l’un des principaux facteurs contribuant à un taux d’occupation des prisons de plus de 300%.

L’usage excessif de la détention provisoire ne mène pas seulement à la surpopulation carcérale : il expose aussi les personnes détenues à des risques accrus de torture, de mauvais traitements et de contrainte. Pour un.e suspect.e ou un.e accusé.e, le fait de passer un temps important en prison dans l’attente de son procès compromet ses chances de bénéficier d’un procès équitable ainsi que sa présomption d’innocence.

Il existe des garanties dans le droit ougandais, notamment dans la Constitution, pour que la détention provisoire soit utilisée avec parcimonie et dans le respect des droits et libertés d’un.e accusé.e. Cependant, ces dispositions sont souvent violées, que ce soit en raison de l’abus de pouvoir des fonctionnaires, de la lenteur des enquêtes, de la corruption, de l’accumulation des dossiers, de l’ignorance de la loi et/ou du manque de représentation juridique adéquate. En 2021, ASF a mené une étude de référence pour rassembler des preuves et des données indispensables sur la situation des détenu.e.s provisoires dans les prisons ougandaises. L’objectif de l’étude était de fournir un aperçu du profil socio-économique des détenu.e.s, des pratiques de détention et d’arrestation, et des expériences de la détention provisoire.

Le profil socio-économique des personnes en détention provisoire : Ce que l’étude de base nous apprend

En Ouganda comme dans beaucoup de pays, la détention provisoire touche de manière disproportionnée les personnes défavorisées. La majorité des suspect.e.s et des détenu.e.s interrogé.e.s (77 %) n’avait aucune qualification ou n’avait terminé que l’école primaire. Seul.e.s 8 % d’entre eux.elles occupaient un emploi formel au moment de leur arrestation, tandis que les autres dépendaient du secteur informel ou de la paysannerie.

Ceci représente un enjeu important pour le système de justice pénale. Les personnes issues de milieux économiquement et socialement défavorisés sont plus susceptibles d’être impliquées dans de la petite délinquance, pour laquelle la détention préventive se justifie rarement et renforce la marginalisation de ces populations déjà en situation de vulnérabilité. De plus, ces personnes sont généralement moins susceptibles de connaître leurs droits, rencontrent plus de difficultés pour accéder à l’aide juridique et ne disposent souvent pas des ressources et des réseaux de soutien nécessaires pour se remettre d’une longue période de détention provisoire. Certains groupes présentant des vulnérabilités supplémentaires, comme les réfugié.e.s, les femmes et les enfants, rencontrent encore davantage de difficultés pour accéder à des services d’aide juridique.

Garanties constitutionnelles et procédurales

La Constitution ougandaise prévoit qu’un.e suspect.e détenu.e dans un poste de police doit être présenté.e. à un.e magistrat.e dans les 48 heures, ceci afin de permettre un contrôle judiciaire de l’accusation et de la nécessité de la détention. Dans l’étude de référence menée par ASF, seul.e.s 7% des suspect.e.s rencontrés dans les postes de police y avaient été détenus pour moins de 48 heures. La majorité des suspect.e.s (63%) ne connaissaient pas non plus leur droit de demander la libération sous caution, ce qui signifie que peu d’entre eux.elles étaient en mesure de défendre leurs intérêts.

S’agissant de détention provisoire en maison d’arrêt, la Constitution prévoit que la détention provisoire ne doit pas dépasser 180 jours pour les infractions pouvant mener à la peine capitale et 60 jours pour les autres infractions. Dans la pratique, 59 % des détenu.e.s interrogé.e.s dans les prisons avaient passé plus de 180 jours en détention provisoire. Plusieurs détenu.e.s attendaient leur procès depuis plusieurs années, dont une jeune femme de 21 ans qui avait été maintenue en détention provisoire pendant six ans. L’adoption récente de nouvelles directives sur la mise en liberté sous caution risque d’aggraver la situation.

L’accès à l’assistance judiciaire : une condition nécessaire mais insuffisante pour garantir le respect des droits des détenu.e.s

Sur l’ensemble des détenu.e.s interrogé.e.s, seuls 19% avaient eu accès à des services d’aide juridique pendant leur détention. Des services d’aide juridique gratuits et accessibles sont essentiels pour garantir que les détenu.e.s soient informé.e.s de leurs droits et accompagné.e.s pour faire avancer leur dossier ou pour obtenir une libération sous caution. À l’occasion du lancement du rapport l’étude d’ASF, les parties prenantes des institutions de justice pénale et les prestataires de services d’aide juridique ont demandé que le projet national de loi sur l’aide juridique soit adopté afin que l’accès à l’aide juridique soit garanti pour les personnes indigentes et en situation de vulnérabilité.

Toutefois, des changements plus systémiques sont indispensables pour garantir que le recours à la détention provisoire soit limité aux cas pour lesquels elle est nécessaire, et utilisé conformément aux garanties procédurales et constitutionnelles. Dès l’arrestation, toutes les parties prenantes de la chaîne pénale ainsi que le gouvernement ougandais ont un rôle à jouer pour garantir que les droits et les libertés individuelles des personnes arrêtées soient respectés, que le système de justice pénale ne criminalise pas indûment les personnes défavorisées, et que les violations soient identifiées, étudiées et réparées.

La liste complète des recommandations formulées par ASF est disponible dans le rapport de référence.

Le travail d’ASF sur la détention provisoire en Ouganda

Depuis 2019, ASF et son partenaire le Legal Aid Service Providers Network (LASPNET), avec le soutien de la Coopération Autrichienne pour le Développement (ADC), travaillent pour protéger et promouvoir les droits constitutionnels et procéduraux dans l’administration de la justice en Ouganda. Dans ce cadre, des services gratuits d’aide juridique ont été fournis à plus de 4000 personnes dans huit districts du pays. ASF organise également des sensibilisations pour autonomiser les communautés dans la défense de leurs droits, et effectue également un plaidoyer aux niveaux local et national pour des réformes positives.

Lutter pour la dépénalisation de la pauvreté et des délits mineurs

poverty is not a crime

Cet article est extrait du rapport annuel 2021 d’Avocats Sans Frontières.

Au Maroc, comme dans d’autres pays, ASF s’engage en faveur de la dépénalisation de la pauvreté et des délits mineurs. Ces délits touchent principalement les catégories de la population en situation de vulnérabilité, particulièrement les personnes en situation de précarité socio-économique et les personnes subissant des discriminations sur la base de leur genre, leur origine ou leur orientation sexuelle. La pénalisation de ce type de délits contribue grandement à l’engorgement des prisons et donc à la surpopulation carcérale dans de nombreux pays, particulièrement en Afrique.

Née dans les pays d’Afrique anglophone, la campagne panafricaine pour la dépénalisation de la pauvreté et des délits mineurs a été lancée au Maroc en 2021 dans le contexte de la pandémie mondiale de Covid-19. Durant cette période, le nombre d’arrestations a été en augmentation et a mis encore davantage sous tension un système carcéral déjà surchargé. ASF et ses partenaires, Adala et l’Observatoire Marocain des Prisons (OMP) ont joint leur force et expertise afin de renforcer le dialogue entre les acteur. rice.s de la société civile avec pour objectif de définir une stratégie commune en matière de plaidoyer et de réformes législatives.

Les partenaires ont organisé un atelier de partage d’expérience entre des acteur.rice.s tunisien.ne.s et marocain.e.s afin d’identifier les priorités et la stratégie à mettre en place dans le cadre de la campagne dans les deux pays. Au Maroc, l’opportunité est d’autant plus à saisir que le pays s’est engagé à réformer son code pénal en 2013 en adoptant la « Charte pour la réforme du système judiciaire ». Il est donc fondamental pour les acteur.rice.s de la société civile de se saisir de ce moment pour s’adresser aux autorités, particulièrement au Ministère de la Justice et au Parlement, pour promouvoir une refonte du code pénal qui prend en compte le vécu des justiciables et le caractère discriminant de la pénalisation de la pauvreté et des délits mineurs, afin de notamment répondre au problème de la surpopulation carcérale dans le pays.

Être détenu.e à la prison de Makala à l’heure de la pandémie : Entretien avec l’ONG PRODHOJ

Samuel Atweka est avocat au Barreau de Kinshasa/Gombe en République démocratique du Congo.

Il est également président de l’ONG Promotion des droits de l’homme et de la justice (PRODHOJ).

Gysy Umba est avocate au Barreau de Kinshasa/Matete et fait partie de PRODHOJ. Elle a mené les entretiens avec des détenu.e.s de la prison de Makala, principalement des mineur.e.s.

Entre mars et septembre 2021, PRODHOJ, avec le soutien d’Avocats Sans Frontières, a effectué un travail de monitoring pour évaluer les conditions de détention et d’accès à la justice des détenu.e.s dans la prison centrale de Kinshasa, dite de « Makala », dans le contexte de la pandémie de COVID19. Makala, qui signifie « charbon » en Lingala, est la plus grande prison de la RDC. Construite lors de la colonisation belge en 1957 pour accueillir 1500 détenu.e.s, elle en compte aujourd’hui près de 9000, ce qui représente un taux d’occupation de près de 600 %.

Dès les premiers mois de la pandémie, ASF a débuté un travail de monitoring pour analyser l’impact des mesures sanitaires sur les libertés individuelles et l’État de droit dans plusieurs de ses pays d’intervention. Dans le cadre de son projet « Droits humains et Covid-19 » , financé par la Coopération belge au développement, il fut tout naturel pour ASF de s’associer à PRODHOJ pour évaluer l’impact de la pandémie sur les conditions de détention et d’accès à la justice en RDC. dddd

PRODHOJ fut créé en 2019 avec pour objectif de contribuer à l’émergence d’un État de droit en République démocratique du Congo. Ses leviers sont la promotion et la défense des droits humains, de l’accès à la justice et du respect du droit à un procès équitable. Cet objectif guide son action, notamment dans ses activités de monitoring des violations des droits humains, d’observation de procès et de services d’assistances judiciaire ou extrajudiciaire.

Nous avons proposé à Samuel Atweka et Gysy Umba de nous faire part des résultats de leur monitoring, de leur avis sur les dysfonctionnements de la chaîne pénale et de leurs recommandations pour y remédier.

Quelles mesures ont été mises en place en RDC suite à la crise sanitaire ? Quels ont été les résultats de ces mesures ?

Samuel Atweka [SA] : Le 21 mars 2020, Le procureur général près la Cour de Cassation a diffusé une circulaire pour décongestionner les prisons de la RDC. Cette circulaire visait à lutter contre la propagation du COVID-19 en milieu carcéral. Elle fixa des critères d’éligibilités pour les détenu.e.s qui peuvent être libéré.e.s, tel.le.s que les détenu.e.s en détention provisoire, jugé.e.s pour des délits mineurs et ceux.elles en mesure de payer une amende transactionnelle pour bénéficier d’une liberté provisoire. Cette circulaire est encore en vigueur aujourd’hui mais sa mise en œuvre effective a été compromise par les dysfonctionnements structurels préexistants de la chaîne pénale.

Cette circulaire fixa aussi les mesures à mettre en palce dans les centres de détention pour protéger les détenu.e.s de la pandémie qui se propageait. Mais, encore une fois, il fut difficile d’appliquer ces mesures compte tenu du dysfonctionnement de l’administration pénitentiaire dans le pays.

Nous n’avons pas eu accès au registre nous permettant de connaître avec exactitude le nombre de prisonnier.ère.s qui ont pu bénéficier des mesures de désengorgement de la Circulaire de mars 2020. Selon la Commission nationale des droits humains (CNDH), moins de 50 détenu.e.s en ont bénéficié en avril 2020. Ce qui est évidemment très peu au regard du nombre de personnes que nous avons identifié comme des bénéficiaires potentiels de cette mesure lors de notre monitoring.

Aujourd’hui, les magistrat.e.s que nous avons rencontré.e.s disent ne plus tenir compte de cette circulaire. Il semble également qu’au niveau du Ministère de la Justice il n’y ait pas de pression pour faire appliquer cette circulaire.

Quels étaient les objectifs du monitoring que vous avez effectué en partenariat avec ASF ? Comment ça s’est passé ?

Gysy UMA [GU] : Nous voulions observer les conditions de détention des détenu.e.s en ces temps de crise sanitaire, nous entretenir avec eux.elles pour mieux comprendre si leurs droits fondamentaux sont et ont été respectés durant cette période, s’il.elle.s ont été suffisamment informé.e.s des mesures de protection contre le Covid-19. Nous avons également échangé avec des membres du personnel pénitentiaire pour mettre en parallèle leur ressenti avec celui des détenu.e.s.

Pour ce faire, nous avons effectué plusieurs visites à la Prison de Makala munis de nos outils de monitoring : fiches d’observation, fiches d’entretien pour les détenu.e.s et fiches d’entretien pour les membres du personnel pénitentiaire.

Nous nous sommes entretenu.e.s avec 255 détenu.e.s parmi lesquels 230 hommes (dont 53 mineurs appelés « enfants en conflit avec la loi »[1]) et 25 femmes (dont une fille mineure).

Nous rencontrions les détenu.e.s dans les parloirs. Nous devions parfois attendre longtemps car avant d’accéder au parloir, les détenu.e.s doivent revêtir des combinaisons spéciales. Or, elles sont en nombre très limité. Les détenu.e.s doivent donc attendre qu’un détenu sorte du parloir pour récupérer sa combinaison.

Qu’est ce qui t’a le plus marqué ?

[GU] : Lors du monitoring, je me suis principalement entretenue avec les mineur.e.s. J’ai pu constater que leurs conditions d’hygiène et sanitaires sont très précaires. Un des mineurs m’a raconté qu’il se lavait avec de l’eau sale. Beaucoup souffrent de problème de peau.

Lors d’une visite, j’ai constaté qu’un enfant était très malade. Il urinait du sang. À Makala, il ne pouvait pas bénéficier de soins appropriés. J’ai dû intervenir pour qu’il soit transféré dans un autre centre afin qu’il soit pris en charge correctement.

Les mineur.e.s se plaignent également de l’alimentation fournie par l’administration. Elle est pauvre et elle n’est pas adaptée. Certain.e.s mineur.e.s revendent leur nourriture auprès de leurs pair.e.s pour s’acheter des biscuits ou de l’eau. Les mineur.e.s qui ont des familles reçoivent des compléments alimentaires lors des visites. Mais les mineur.e.s sans famille n’ont d’autres choix que de manger ce qui leur ait donné, soit tous les jours la même chose, en l’occurrence le repas de prédilection de tout.e détenu.e (tout âge confondu) appelé Vungulé (un mélange des haricots et maïs mélangés et préparés ensemble).

Quels sont les principaux constats que vous avez observés pendant ces sept mois de monitoring ?

[SA] Le principal constat est le dysfonctionnement de toute la chaine pénale. Ce dysfonctionnement engendre des situations dramatiques en termes humains et de violations graves des droits fondamentaux. À Makala, bon nombre d’hommes, de femmes et d’enfants restent emprisonné.e.s dans des conditions inhumaines alors qu’il n’y a pas de raison valable de les maintenir en détention. Le bon fonctionnement de la justice permettrait de résoudre en partie le problème de la surpopulation carcérale dans le pays.

La grande majorité de détenu.e.s de Makala sont en détention irrégulière. En avril 2020, un rapport de la Commission national des droits de l’homme confirma ce constat.

La lenteur manifeste dans le traitement des dossiers a comme conséquence que les détenu.e.s sont en détention irrégulière. La pandémie est venue accentuer cette lenteur avec la suspension des procès comme relevé ci-dessus. Les détenu.e.s passent des mois sans voir un.e magistrat.e .Une grande majorité des détentions ne sont pas régularisées. Les dossiers instruits par les magistrat.e.s restent au Secrétariat sans que les dossiers passent aux tribunaux. En droit congolais, le Parquet a un délais de 115 jours pour instruire un dossier; et pourtant les observations de terrain démontrent que certain.e.s détenu.e.s passent plusieurs mois, voire plusieurs années, dans cette phase préjuridictionnelle.

Nous avons rencontré des cas de détenu.e.s qui attendent parfois des années que leur dossier soit instruit. C’est le cas notamment d’un détenu que nous avons rencontré pendant notre monitoring qui est poursuivi pour coups et blessures simples. Cela fait 5 ans qu’il est en détention préventive alors que la peine maximale prévue par le Code pénale pour ce type de délit est de 6 mois. Si les détenu.e.s n’ont pas d’avocat.e ou de famille pour faire le suivi, le Parquet laisse le dossier de côté.

Dans d’autre cas, le.a détenu.e ne s’est tout simplement pas vu signifié la décision de justice. Cette situation crée des violations graves du droit de la défense. En droit congolais, lorsqu’un jugement est rendu en l’absence du.de la prévenu.e, les délais de droit de recours commence le jour où le.a prévenu.e est signifié.e de la décision judiciaire. C’est ainsi que nous avons pu faire appel d’une décision pour une personne détenue depuis 7 ans. Il n’avait jamais été informé de sa condamnation à 15 ans de prison.

Nous avons également rencontré le cas d’un détenu qui est en prison depuis 18 ans. Il a été jugé mais il n’y a aucune trace de cette décision. Nous avons alerté le Ministre des droits humains et la Ministre de la Justice sur ce cas.

Par ailleurs, il y a de nombreuses personnes emprisonnées pour des délits mineurs comme le vol de portable. Or, dans le contexte de la pandémie, ces personnes devraient bénéficier des mesures de désengorgement. On trouve également des détenu.e.s acquitté.e.s ou ayant bénéficié de la liberté provisoire mais ils manquent de moyens pour faire acter la procédure auprès des greffier.ère.s. Il.elle.s restent ainsi des mois en détention.

Enfin, en ce qui concerne le COVID-19, les détenu.e.s ne reçoivent aucune information sur les mesures de prévention par l’administration pénitentiaire.

Quels sont les causes de ces dysfonctionnements ?

[SA] Les causes de ces dysfonctionnements sont multiples et concernent toute la chaine pénale.

Au-delà de la lenteur de l’administration et du manque du suivi des dossiers par les magistrat.e.s, une des causes est le manque de communication entre le Greffe de la prison et le Greffe des juridictions sur les dossiers. Pour faire le suivi des dossiers, les greffier.ère.s rançonnent les détenu.e.s par exemple. Or les détenu.e.s ne sont pas en mesure de payer ces frais illégaux demandés, surtout si il.elle.s n’ont pas de famille pour les aider. Un greffier a demandé 150 US$ à un détenu que nous avons rencontré.

À Makala, il existe par ailleurs une administration parallèle à l’administration officielle. La gestion des détenu.e.s au quotidien est reléguée par l’administration officielle elle-même à cette administration non officielle. On a mis à jour un organigramme parallèle au sein de la prison. Les membres de cette administration parallèle sont des prisonniers. Ils bénéficient d’un statut et d’avantages particuliers. Cette administration officieuse est organisée par l’administration officielle. Ces prisonniers sont par exemple dotés de téléphones portables. Dans ce contexte, l’administration pénitentiaire officielle ne gère pas directement les détenu.e.s.

Quelles sont les principales recommandations que vous faites à l’issue des constats observés ?

[SA] Nos recommandations s’adressent à tou.te.s les acteur.rice.s de la justice, que ce soit le Ministère mais aussi le Conseil supérieur de la Magistrature. Il est important que tou.te.s les acteur.rice.s de la chaine pénale s’assurent que les droits des détenu.e.s et de la défense soient respectés surtout en cette période de Covid-19 pendant laquelle les détenu.e.s de la Prison de Makala sont devenu.e.s plus vulnérables qu’auparavant.

Les détenu.e.s doivent également connaitre leurs droits pour mieux les faire respecter.

Mais aussi, particulièrement à cette période de pandémie, il est impérieux que l’Administration pénitentiaire et/ou sa tutelle informent les détenu.e.s sur les mesures de protection contre le Covid-19 et mettent à leur disposition le nécessaire en leur donnant notamment accès à la vaccination.

[1] L’Article 2 de la Loi n°09/001 du 10/01/2009 dispose que l’enfant en conflit avec la loi est « l’enfant âgé de quatorze à moins de dix-huit ans, qui commet un manquement qualifié d’infraction à la loi pénale.

La prison en Tunisie : inerties du tout répressif

En Tunisie, les acteur.rice.s de la chaîne pénale tendent à perpétuer les réflexes répressifs de l’ancien régime de Ben Ali. La surpopulation carcérale y reste très élevée : environ 131% de taux d’occupation avec 23.607 détenu.e.s à la fin 2020 (prévenu.e.s et condamné.e.s confondu.e.s) pour environ 18.000 places disponibles, avec pour corollaire des conditions de détention en deçà des standards internationaux.

Les mesures prises pour contrer la pandémie avait permis d’infléchir un temps les chiffres. Entre mi-mars et fin avril, 8.551 détenu.e.s ont été libéré.e.s, soit une chute de 37% de la population carcérale. Cette décrue fut notamment le fruit de la mobilisation de plusieurs organisations de la société civile, dont Avocats Sans Frontières et ses partenaires du projet « L’Alternative ». En multipliant les appels à la décroissance de la population carcérale, la société civile a contribué à cette baisse notable du taux d’occupation des prisons.

Mais cette déflation historique ne fut que temporaire. Résultat de mesures conjoncturelles (grâces présidentielles, moindre placement en détention préventive et libérations conditionnelles accrues), cette baisse a rapidement été effacée par les dynamiques structurelles répressives dont souffre toujours la politique pénale tunisienne. 

Le conservatisme des juges, les difficultés d’accès à une défense dès le moment de la garde à vue, le recours massif à la détention préventive (62% des personnes incarcérées sont des prévenu.e.s), l’emprisonnement pour des délits mineurs (comme la consommation de cannabis ou encore les chèques impayés), le faible recours aux peines alternatives à la prison sont autant de facteurs qui expliquent la persistance de ce taux élevé d’incarcération.

Changer les mentalités et s’éloigner de ces réflexes répressifs, notamment au niveau de la magistrature, est un travail à mener sur le long terme. C’est pourquoi une attention toute particulière est accordée au développement d’un plaidoyer auprès des acteur.rice.s de la chaîne pénale et des décideur.euse.s politiques. Celui-ci est d’autant plus important que des réformes du Code pénal et du Code de procédure pénal, dont l’aboutissement serait nécessaire à tout changement structurel significatif, sont en cours.

Pour contribuer à la réforme de la politique pénale et carcérale en Tunisie, ASF poursuit son travail auprès de ses partenaires malgré le ralentissement de la transition démocratique et une période d’instabilité politique en Tunisie. Notamment à travers son projet « L’Alternative », l’organisation fournit un appui technique et financier à des organisations de la société civile qui travaillent aux différents niveaux de la chaîne pénale (avant, durant et après l’incarcération).