Afrique de l’Est – Protéger l’espace civique : une approche basée sur le contentieux stratégique

Cet article a été publié dans le rapport annuel 2022 d’ASF.

En 2022, le bureau régional Afrique de l’Est d’ASF a lancé un projet couvrant trois pays de la région : le Burundi, la Tanzanie et l’Ouganda. L’objectif de ce projet est de contribuer à la promotion de l’État de droit en encourageant les organisations de la société civile à recourir à des courts, des organes, des mécanismes et des instruments régionaux de traités des droits humains, notamment en renforçant leurs capacités et leurs connaissances en la matière.

En pratique, le projet se concentre sur la promotion de l’utilisation des contentieux stratégiques comme outils d’influence, afin d’apporter des réformes positives dans les domaines de l’espace civique et des libertés civiles. Dans ses pays d’intervention, ASF a identifié des contentieux existants et en développement menés par des organisations de la société civile de la région. Le projet apporte un soutien financier et technique à ces organisations, les accompagne afin d’affiner leurs réflexions stratégiques et de renforcer leurs actions en couplant la mise en place de ces contentieux à des actions de plaidoyers notamment. Le projet, au vu de sa dimension régionale, a pour ambition d’appuyer les contentieux qui sont portés devant des mécanismes régionaux tels que la Cour de justice de l’Afrique de l’Est ou la Cour africaine des droits de l’homme et des peuples (CADHP).

Avec le soutien de l’Union panafricaine des avocats, ASF travaille sur le dépôt d’un contentieux devant la CADHP en matière de droit d’association, qui couvre une douzaine d’États africains. ASF a fait le constat, sur la base d’observations et d’analyses juridiques que les pratiques et lois régissant les ONG dans de nombreux États africains étaient en violation de la liberté d’association. Ces soumissions visent à faire respecter les libertés civiles fondamentales et à imposer aux États une obligation positive de réformer les lois en vigueur et de mettre fin aux pratiques portant atteinte au droit d’association.

ASF apporte également un soutien financier et technique à une pétition constitutionnelle déposée par des organisations de la société civile, dont Chapter Four, devant la Cour constitutionnelle de l’Ouganda, pour contester la constitutionnalité de la loi sur l’utilisation abusive de l’informatique votée en octobre 2022. Bien que cette loi controversée ait été saluée par le gouvernement comme une protection nécessaire de la vie privée à l’ère numérique, elle est perçue par de nombreuses OSC locales comme une atteinte aux libertés d’expression et de la presse.

Rapport Justice ExPEERience 2021-2023

Développement d’approches régionales : Les hubs régionaux

Cet article est extrait du rapport annuel 2022 d’ASF.

Pour développer une action respectueuse de son mandat et cohérente avec les besoins spécifiques des contextes, ASF s’appuie sur des analyses solides des enjeux dans les pays où elle intervient. L’ancrage dans les réalités des pays est essentiel afin de disposer d’une expertise contextualisée, de développer des partenariats stratégiques au niveau local et de pouvoir mettre en place des actions pertinentes et qualitatives pour les populations locales.

D’autre part, les enjeux que nous abordons ne s’arrêtent pas aux frontières et ont souvent des dimensions transnationales.

C’est pour répondre à ces exigences qu’ASF développe depuis plusieurs années des approches régionales à travers ses hubs régionaux dans la région Euro-Méditerranée et en Afrique de l’Est, avec respectivement des bureaux à Tunis et à Kampala.

Ces bureaux régionaux garantissent la proximité nécessaire avec les bénéficiaires des actions et les partenaires locaux.les afin de renforcer l’ancrage d’ASF dans la région. Ils favorisent le développement de son action en se basant sur l’expertise et des réseaux déjà existants.

La création de ces hubs s’inscrit également dans une dynamique de décentralisation de l’organisation. Une de leurs fonctions est de renforcer le dialogue stratégique entre les différents bureaux et de s’assurer que la perspective, les expériences et l’expertise développées au niveau régional nourrissent les approches globales d’ASF.

Le choix de créer en priorité ces deux bureaux régionaux a été guidé par des facteurs internes et externes à l’organisation :

  • Le choix de renforcer notre présence dans des régions où nous avons démontré notre valeur ajoutée, notre capacité de mobiliser les acteur.rice.s pertinent.e.s et nos relations avec les acteur.rice.s nationaux.les et internationaux.les
  • La présence d’un bureau d’ASF avec une expérience importante du contexte régional
  • L’identification d’enjeux transnationaux

Fonctions principales des hubs

  • Développement et encadrement stratégique

Les hubs assurent l’accompagnement et l’encadrement des missions déjà existantes, et la mise en place d’actions qui sont développées dans d’autres pays de la région ou au niveau régional.

  • Expertise et Knowledge

Les hubs produisent des expertises pertinentes et contextualisées en partant des données collectées sur le terrain et en lien avec les stratégies de plaidoyer de l’organisation.     

  • Plaidoyer international et animation de réseaux

Le hub apporte un soutien aux réseaux qui pourront ainsi bénéficier d’un accompagnement adapté en matière d’élaboration, suivi et évaluation de stratégie d’influence. Si les enjeux nationaux restent du ressort des bureaux pays, le hub s’intéresse plus spécifiquement à l’accompagnement des réseaux au niveau international pour influer sur l’élaboration des politiques publiques.

  • Renforcement des capacités

Il s’agit du renforcement des capacités aux équipes pays dans la région dans des domaines fonctionnels au développement des stratégies d’intervention et sur la base d’une approche soft de renforcement par les pairs.

Cette stratégie de renforcement des dynamiques régionales a démontré son intérêt dès la première année d’installation de bureaux régionaux :

  • Des projets régionaux sont déjà lancés en Afrique de l’Est et dans la région Euro-Med.
  • Cela a permis d’engager des actions au niveau d’instances régionales, telle que la Cour Africaine des droits de l’homme et des peuples à Arusha.
  • Elle nous permet de développer des actions dans des pays où nous n’avons pas d’équipe fixe, comme la Tanzanie ou le Kenya.
  • Rationalisation et mutualisation des ressources humaines à travers la création de fonctions régionales, couvrant les actions dans plusieurs pays

(Anglais) Communiqué de presse : Commission parlementaire spéciale sur le passé colonial belge : Une clôture en décembre 2022 ne permettrait pas la pleine réalisation du mandat de la commission

Communiqué de presse : Commission parlementaire spéciale sur le passé colonial belge : Une clôture en décembre 2022 ne permettrait pas la pleine réalisation du mandat de la commission

(Anglais) Communiqué de presse – Publication du rapport d’experts sur le passé colonial belge : les signataires appellent à un processus de justice holistique et inclusif

Fermeture de notre bureau au Burundi

Comme toutes les ONG internationales présentes au Burundi, Avocats Sans Frontières a vu ses activités dans le pays suspendues par le Conseil national de sécurité depuis le 1er octobre dernier, pour motif de ne pas s’être mise en conformité avec la loi sur les organisations non gouvernementales étrangères (ONGE) adoptée en janvier 2017. Le Ministère de l’intérieur burundais a conditionné la levée de cette suspension au dépôt et à la validation, avant le 31 décembre de cette année, d’un dossier comprenant quatre documents. Il s’agit plus précisément d’une convention de partenariat avec le Ministère des relations extérieures, d’un protocole d’accord avec le Ministère de la justice, d’un engagement à respecter les lois bancaires et la loi sur les ONGE, et d’un plan d’action pour mettre en place des mesures de recrutement visant à atteindre des quotas déterminés en termes de composition ethnique de notre personnel. Après mûre réflexion, nous estimons que répondre favorablement à certaines demandes des autorités serait contraire au fondement même de notre organisation et à ses valeurs. Nous ne serons donc pas en mesure d’obtenir la levée de notre suspension. Après 20 ans de présence ininterrompue au Burundi, nous sommes ainsi contraints, à notre plus grand regret, de fermer notre bureau à Bujumbura et de quitter le pays à la date du 31 décembre 2018. Notre volonté d’agir en faveur de l’accès à la justice pour les populations burundaises reste, elle, intacte, et nous espérons pouvoir y contribuer à nouveau dans le futur. Nous remercions vivement toutes les personnes, associations et institutions ayant soutenu notre action au Burundi depuis 1999, et leur souhaitons une bonne continuation. N’hésitez pas à nous contacter pour toute information complémentaire à ce sujet.
Photo © ASF/Monica Rispo

Burundi: combler le fossé entre justice formelle et informelle

Bujumbura, le 20 mars 2018 – Début mars s’est tenu le premier atelier d’échanges entre les 90 avocats des deux barreaux du Burundi, sélectionnés pour collaborer au projet « Menya Utunganirwe » (Connais et revendique tes droits) d’ASF. L’objectif était notamment de les sensibiliser à l’utilisation des modes alternatifs de résolution des conflits (MARC). Non enseignés dans leur parcours de formation, les MARC sont peu connus des avocats. ASF estime qu’ils constituent pourtant un levier essentiel pour résoudre des conflits, et que les avocats ont un rôle primordial à jouer dans leur promotion. Au Burundi, certains MARC (médiation, négociation, conciliation…) existent dans la loi, mais ces mécanismes sont peu utilisés par les avocats. Me Salvator Kiyuku, Bâtonnier du Barreau de Bujumbura, estime que « le manque d’accès à la justice froisse le besoin de justice tant du citoyen que de l’avocat ». Ici, « l’occasion est donnée aux avocats d’être une voie, une voix et un être social pour assister les personnes que la douleur accable. » Pour mieux répondre aux besoins de la population burundaise, la justice doit être envisagée dans un sens large, dépassant ses aspects institutionnels et formels : une justice réconciliatrice, transformant le conflit destructeur en une opportunité de construire la paix durable pour le futur. Les avantages sont nombreux : moins couteuse en temps et en argent, cette justice offre le contrôle aux parties en conflit et préserve la confidentialité. Céline Laloux, Coordinatrice stratégie & développement d’ASF, a invité les avocats à « ouvrir leurs habitudes et leur pratique, à être des ‘avocats sans frontières’, afin progressivement de combler le fossé existant entre justice formelle et justice informelle, complémentaires l’une de l’autre. » Me Jean Bosco Bigirimana, Bâtonnier du Barreau de Gitega, ajoute qu’« un mauvais arrangement vaut mieux qu’un bon procès. ». Une remarque qui n’a pas manqué d’interpeller les avocats ! La réflexion autour des MARC a d’ailleurs suscité de nombreux questionnements sur le rôle des avocats au sein de la société et la perception de leur métier : « Si les parties ont trouvé un arrangement et que l’avocat n’a pas plaidé, sera-t-il payé ? », « Le client va penser qu’il n’a pas gagné s’il n’y a pas de jugement devant un tribunal »… Longin Baranyizigiye, Coordinateur recherche et apprentissage chez ASF, répond que dans sa pratique, l’avocat doit être bien informé et tracer un cadre avec son client. « Si le résultat est positif pour la relation entre les parties, le client sera satisfait et les qualités de l’avocat seront reconnues, » précise-t-il. Il invite les avocats à développer de bonnes pratiques innovantes lorsqu’ils accompagnent leurs clients dans un processus de conciliation. « C’est pour l’avocat une opportunité de sortir du cadre rigide de la procédure classique et de laisser s’exprimer son talent et sa créativité au service de son client. »
D’une durée de 5 ans (2017-2021), le projet « Menya Utunganirwe » est financé par la Coopération belge au Développement et mis en œuvre par ASF, les Barreaux de Bujumbura et Gitega, l’Association pour la Paix et les Droits de l’Homme et l’Association des Femmes Juristes.
Photo © ASF/H. Talbi

Cinq partenaires pour un meilleur accès à la justice au Burundi

Bujumbura (Burundi), le 7 décembre 2017 – Après plusieurs mois de préparatifs, le lancement officiel du projet «Menya Utunganirwe» («Connais et revendique tes droits») a eu lieu la semaine dernière à Bujumbura. Avocats Sans Frontières, les Barreaux de Bujumbura et Gitega et deux organisations de la société civile, l’Association pour la Paix et les Droits de l’Homme et l’Association des Femmes Juristes du Burundi, se retrouvent autour d’un objectif commun: rapprocher les justiciables de la justice, en en facilitant l’accès par des mécanismes de proximité qui répondent à leurs préoccupations et leurs attentes.

Bien qu’il s’agisse d’un droit reconnu, l’accès à la justice reste difficile pour la majorité des citoyens burundais. Un des défis rencontrés est la méconnaissance des procédures, due notamment à leur complexité et à un taux élevé d’analphabétisme. Les citoyens ne sont pas informés. «Vendre son lopin de terre pour payer une procédure judiciaire, est-ce une solution?» soulève Sistor Havyarimana, coordinateur de programme chez ASF. «Le justiciable doit pouvoir être informé des possibilités qui existent et faire un choix selon sa situation». La distance et le faible accès aux avocats limitent également l’accès à la justice. «Certains conflits s’enveniment : un simple conflit foncier peut engendrer un meurtre, alors qu’une intervention plus tôt aurait pu mener à une solution pacifique».

Monsieur Arcade Harerimana, Secrétaire Permanent au Ministère de la Justice et Mme Christella Kankindi, responsable du groupe de coordination «demande de justice», ont rappelé que le droit d’accès à la justice est consacré dans la politique sectorielle du Ministère. Néanmoins, tous deux ont souligné les obstacles qui subsistent pour de nombreux citoyens vulnérables. «Cette vulnérabilité peut être financière, personnelle (l’âge, la maladie, l’éducation, la religion…) ou encore liée à la nature du problème rencontré» précise Mme Kankindi.

C’est pourquoi ASF et ses partenaires s’engagent ensemble pendant cinq ans autour d’un projet qui s’articule en trois axes :

  • Renforcer le pouvoir d’agir des justiciables pour favoriser la prévention des conflits, en les rendant acteurs dans la réalisation et la revendication de leurs droits. Des facilitateurs communautaires, proches des citoyens, seront accompagnés pour répondre aux besoins d’information et d’orientation de la population. Il s’agit également de diversifier les modes de résolution de conflit.
  • Renforcer des mécanismes de justice indépendants, efficaces et de qualité, afin de contribuer à l’avènement de l’état de droit. Les compétences des avocats seront renforcées et ceux-ci seront formés sur des thématiques identifiées. La délivrance de services d’aide légale de qualité par les avocats sera également appuyée par ASF. Selon Maître Salvator Kiyuku, bâtonnier du Barreau de Bujumbura, les avocats sont soucieux de répondre aux défis que rencontrent les citoyens burundais. L’avocat a un rôle social à jouer et doit défendre les citoyens vulnérables ; « c’est une obligation morale, déontologique et sociale », a-t-il précisé.
  • Coordonner les acteurs de la justice et échanger sur les pratiques innovantes. Les mécanismes alternatifs de résolution de conflit et les mécanismes judiciaires sont vus comme complémentaires et les acteurs peuvent se renforcer mutuellement en créant un cadre de travail commun.

Le projet « Menya Utunganirwe » est financé par la Coopération belge au Développement.

>> Téléchargez le document de présentation du projet (PDF)

– Photo ci-dessus: La cérémonie officielle de lancement du projet s’est tenue le 1er décembre à Bujumbura © Papy Amani pour ASF – Photo de couverture: sensibilisation de la population de Matongo à la résolution des conflits fonciers © APDH

Le détenu préventif dispose-t-il de garanties relatives à ses conditions de détention?