La région Euro-Méditérranée, un espace fait d’interdépendances et de luttes communes pour les droits humains et l’État de droit

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En 2018, ASF a pris la décision de créer un hub régional dans la région Euro-Méditerranée, basé à Tunis, dans le but de mutualiser les moyens et de renforcer et harmoniser son action dans la région. L’aspect novateur du bureau régional est d’assumer pleinement les liens historiques, économiques, politiques et culturels qui existent entre les deux rives de la Méditerranée, et de les prendre en compte pour mettre en place une action au niveau régional qui soit cohérente et efficiente.

Le bureau régional Euro-Méditerannée d’Avocats Sans Frontières a été créé en 2020 dans le cadre d’un processus de décentralisation et de régionalisation qui a aussi mené à la création d’un bureau régional en Afrique de l’Est. Depuis son lancement, la région a été confrontée à de nombreuses crises : pandémie, revirement autoritaire en Tunisie, guerre en Ukraine, nouvel embrasement du conflit israélo-palestinien, crises sociales et économiques, ….

2023 fut l’occasion d’établir un premier bilan pour le bureau régional, de se consolider structurellement et d’identifier les grands axes stratégiques pour les 5 prochaines années.

Un contexte difficile en mutation permanente

Au Nord et au Sud de la Méditerranée, la société civile agit dans des contextes de rétrécissement de l’espace civique et de réduction de la liberté d’expression, rendant ses appels à plus de démocratie et un meilleur respect des droits humains et de l’État de droit de moins en moins audibles. Le coup de force opéré par le président de la république tunisienne en juillet 2021 a mis un coup d’arrêt aux espoirs de démocratisation de la rive Sud de la méditerranée, tandis que la montée des populismes au Nord remet en cause le paradigme des droits humains et de l’État de droit.

Les politiques sécuritaires et xénophobes que les États membres de l’Union européenne ont adopté sur les questions migratoires, ainsi que la réaction des gouvernements européens face aux massacres à Gaza, y compris en restreignant la liberté d’expression et de manifestation de ses citoyen‧ne‧s, ont alimenté encore davantage la méfiance des populations d’Afrique du Nord (voire du Sud Global) à leur égard. La réputation du vieux continent et sa crédibilité à l’étranger sont en berne, en raison du fossé qui existe entre ses paroles et ses actes. Si l’Union européenne et ses États membres continuent de se présenter en garants des valeurs démocratiques, ils soutiennent en parallèle des régimes autoritaires pour externaliser les politiques de contrôle des mouvements migratoires au mépris du droit international. Les valeurs fondatrices de l’Union européenne et de ses institutions sont mises en péril si, en son sein-même, la société civile est réprimée et les décisions de justice ne sont pas respectées par les autorités lorsqu’elles s’opposent aux politiques qu’elle mène. L’Union européenne prêche des valeurs qu’elle n’incarne plus, qu’elle instrumentalise en fonction de ses objectifs géopolitiques.

Ce renoncement à ses valeurs alimente les mouvements anti-démocratiques en Europe et abime la crédibilité des défenseur.re.s des droits humains et de l’État de droit au Nord comme au Sud de la Méditerranée.

Ce sont ces crises et ces défis multiples qui ont orienté les réflexions stratégiques d’ASF pour la région Euro-Méditérannée. Le bureau régional veut contribuer à un changement de narration en proposant une vision de la région Euro-Méditérannée comme un espace fait d’interdépendances, uni par des siècles d’histoire, de métissage culturel et d’échanges économiques. On ne pourra lutter contre la résurgence des nationalismes identitaires sans redécouvrir cette proximité et la conscience de cet espace commun.

Tout en gardant cet objectif de long terme à l’esprit, la société civile doit agir tous les jours pour faire front face aux violations des droits humains qui découlent des politiques identitaires des pouvoirs en place dans la région.

Le projet TACKLE

C’est fort de ces réflexions qu’ASF a conçu et lancé « TACKLE – Promouvoir l’émergence d’une nouvelle génération de défenseurs de l’égalité », un vaste projet mis en œuvre dans cinq pays du Nord de la méditerranée (Italie, France, Espagne, Belgique et Pays-Bas) et deux du Sud (Tunisie et Maroc), afin de renforcer la capacité d’agir des jeunes dans la lutte contre le racisme et la xénophobie. Pour ASF, il existe un lien intrinsèque entre passé colonial, xénophobie et politique migratoire. Si l’on veut renverser la narration qui accompagne les politiques migratoires actuelles, il faut donc s’attaquer aux cause-racines de celles-ci.

Le renforcement du sentiment d’appartenance à un espace commun signifie également abandonner le prisme colonial qui façonne les relations Nord-Sud et identifier des tendances et des luttes communes qui unissent les opprimé.e.s des deux rives.

La campagne pour la décriminalisation de la pauvreté, du statut et de l’activisme

La campagne pour la décriminalisation de la pauvreté, du statut et de l’activisme porte en soi ce dépassement. Cette campagne, qu’ASF mène avec de nombreuses autres organisations de la société civile à travers le monde, lutte notamment contre la restriction du droit à manifester pacifiquement, la criminalisation des mouvements écologistes, les attaques homophobes ou misogynes, ou encore le délit de faciès, etc. Des attaques aux droits des individus qui touchent les deux rives de la Méditerranée. En 2023, ASF a décidé de s’impliquer encore davantage dans la campagne en rejoignant le Comité de Coordination du Groupe Francophone.