Avocats Sans Frontières, présent en République Démocratique du Congo depuis 2002, ne saurait agir sans ses partenaires, et c’est la raison pour laquelle nous leur laissons la parole aujourd’hui. Ces femmes et ces hommes nous ont parlé de leur quotidien, de leurs réalités et de leurs convictions. À travers une série de portraits, nous vous proposons donc de rencontrer les figures qui incarnent la Commission Diocésaine Justice & Paix de Boma, la Ligue Congolaise contre la Corruption et les Réseaux d’Observateurs.
Toutes et tous travaillent dans la province du Kongo central et, plus particulièrement, dans la zone côtière de Muanda, dans le cadre du projet « Placer les intérêts des populations locales au cœur de la gestion des ressources naturelles : transparence, redevabilité et protection des droits » (plus d’informations en bas de page).
Grâce à ce projet, ASF a contribué à la création et à la revitalisation de réseaux d’observateurs. Ils sont indépendants d’ASF et sont gérés de manière autonome par leurs membres. ASF collabore avec ces réseaux pour renforcer les capacités d’action des populations impactées par les activités des entreprises extractives.
Ces réseaux sont composés de représentant·e·s des villages/communautés nommés par les communautés car ils et elles sont particulièrement engagé.e.s et volontaires. Ils ont pour objectif d’assurer la participation des populations locales dans les processus de gestion des ressources naturelles et de s’assurer que les activités et/ou processus sont transparents et respectent les droits humains. Pour accomplir ces objectifs, les membres du réseau suivent, collectent, documentent, d’une manière continue, les potentiels cas des pratiques corruptives et les différentes violations perpétrées par les acteurs privés et/ou publics impliqués dans l’exploitation des ressources naturelles au niveau de leurs villages. Sur base des données collectées, avérées et vérifiées, les membres des réseaux engagent des processus de dialogue et de concertation avec les autorités locales, les représentants des populations concernées et les porteurs de responsabilités en vue de promouvoir la gouvernance participative dans la gestion des ressources naturelles.
Aujourd’hui, nous partons à la rencontre des membres des réseaux de la région de Muanda. Nous leur avons, à tous·tes, posé la même question : Pouvez-vous vous présenter en quelques mots et nous expliquer pourquoi vous faites partie d’un réseau d’observateur·rice·s ?
Jeanne* : Je m’engage pour les filles et les mamans de mon village
J’habite le village Muanda. Je tiens un commerce et je travaille avec des « maréeuses », des femmes qui vivent avec la marée, qui transforment les poissons pêchés. Dans ma coopérative, j’emploie 3 hommes et 28 femmes. Nous faisons du poisson frais, du poisson salé, du poisson fumé… C’est dur d’être une femme et d’être à la tête d’un commerce, il faut changer sa manière de travailler, et beaucoup s’adapter. Dans le domaine de la transformation des produits de la pêche, nous avons beaucoup de problèmes. Nous n’avons pas vraiment de point de vente, parfois nous travaillons et c’est impossible de vendre, et comme nous n’avons pas de moyens de conserver, et bien… c’est dur. Mais c’est très important que des femmes deviennent fortes et tiennent des commerces.
Aujourd’hui, au Congo, les mamans ne sont pas considérées, alors que nous devrions, nous toutes, les femmes, nous impliquer partout, dans les villages, les sociétés, les rassemblements, c’est important. Et c’est pour ça que j’ai accepté de devenir observatrice dans mon réseau quand les chefs traditionnels m’ont proposé. J’ai choisi de défendre l’intérêt de ma communauté, et surtout celui de toutes les filles et de toutes les mamans.
François* : Je m’engage pour les pêcheurs
La pêche, avant, était le métier le plus accessible. Nos communautés vivent principalement de l’agriculture et de la pêche, encore aujourd’hui. Nous pratiquons la pêche artisanale, dans de petits bateaux, avec des lignes et des filets. Mais la pêche devient de plus en plus dure… Parfois, les bateaux des entreprises endommagent nos filets lorsqu’ils naviguent, et même si nous essayons de faire remonter les incidents, les délais sont interminables et, pendant ce temps, les gens ne peuvent plus pêcher, parce que la réparation du matériel a un coût. En plus, même quand les réparations financières nous parviennent, l’argent passe par un circuit très compliqué. Dans les circuits, il y a des tuyaux, et les tuyaux ce n’est pas toujours très étanche, surtout quand il s’agit d’argent, alors il y a beaucoup de fuites entre le départ et l’arrivée.
Un autre de nos problèmes, ce sont les zones de sécurités. Les entreprises qui exploitent les ressources naturelles de la mer ont délimité des zones dans lesquelles nous n’avons plus le droit d’entrer ou de pêcher. Sauf qu’il y avait des espèces que nous pêchions dans ces zones, et comme nous n’y avons plus accès, nous devons aller plus loin sur l’océan, et les risques et les coûts sont plus élevés, parce que les vagues sont plus fortes et que nous devons payer des bateaux plus solides. D’autres fois, il y a des poissons morts dans nos filet et l’eau ne sent pas bon. Et je pourrais aussi parler des problèmes avec les bateaux étrangers qui viennent faire de la pêche en grande quantité et qui épuisent tout le poisson… Alors, comme je fais partie de la coopérative de pêche, j’ai accepté de représenter mon village dans le réseau pour pouvoir aider les villageois à continuer de vivre de leurs activités, surtout les pêcheurs.
Dominique* : Je m’engage pour notre avenir, pour notre terre
J’ai été témoin de beaucoup de choses, et c’est pour cela que j’ai tout de suite accepté de faire partie du réseau de mon village quand on m’a désigné. Je peux vous donner un exemple. Avant, les torchères – systèmes pour brûler les gazs dégagés lors de l’extraction de pétrole brut – étaient de grands tuyaux qui allaient dans le ciel et brûlaient tout le temps. Aujourd’hui, les torchères sont au niveau du sol, voire même en dessous, puisqu’elles sont installées dans des trous creusés exprès. Le problème, c’est que quand il pleut, les trous se remplissent d’eau et l’eau va éteindre le gaz qui brûle. Alors ce gaz, il va se dissoudre dans l’eau, et quand l’eau va déborder du trou, tout ce mélange va se déverser dans nos rivières et dans nos champs. Il faut donc être très attentif pour signaler rapidement quand une torchère est noyée, sinon il y aurait de grands dégâts dans la nature.
Parfois, il y a aussi des fuites de brut, dans les rivières, dans les champs… et là aussi il faut être très attentif. D’abord, il faut prévenir qu’il y a une fuite, puis la procédure pour obtenir des réparations pour les dommages subis est très compliquée et, si on ne fait pas attention, il y a beaucoup d’argent qui se perd en route. Alors être membre d’un réseau, ça me permet d’être appelé·e par les villageois quand ils ont des problèmes, des questions, et de les accompagner comme je connais bien les règles et les procédures. Nous surveillons ce qu’il se passe autour de nous, pour sauvegarder nos champs, nos rivières, notre nature et notre futur, pour nous et pour que nos enfants eux aussi puissent profiter de nos champs fertiles et de nos cours d’eau pleins de poissons.
Avant, je défendais ma communauté mais je n’avais pas beaucoup de connaissances. Grâce à Avocats Sans Frontières et aux formations proposées, on ne parle plus seulement de « ressources naturelles », on va plus loin dans le sujet. Je ne connaissais qu’un peu le domaine des hydrocarbures, aujourd’hui je le connais bien, je comprends mes droits, et je comprends aussi les enjeux des forêts, des rivières, des champs… Je me sens de plus en plus capable de représenter et de soutenir les gens de mon village, et ça me fait plaisir, pour moi, pour eux, pour notre terre.
*Les noms des observateurs ont été modifiés pour respecter leur anonymat.
L’objectif général du projet est de contribuer à la gestion transparente des ressources naturelles dans le respect des droits humains. Plus spécifiquement, il vise à soutenir l’implication et la participation des populations concernées en vue (i) d’assurer la transparence des processus de gestion des ressources naturelles et la lutte contre les pratiques corruptives et (ii) la protection et la réalisation de leurs droits dans ce cadre.
The overall objective of the project is to contribute to the transparent management of natural resources in accordance with human rights. More specifically, it aims to support the involvement and participation of concerned populations in order to (i) ensure the transparency of natural resource management processes and the fight against corrupt practices and (ii) protect and realise their rights in this framework. The project contributes to the emergence of the essential conditions for an inclusive, sustainable and human rights-based development. It does so by empowering local populations so that they are fully able to play a role in the natural resource management processes, as well as accompanying them in order to guarantee the protection of their rights. |
Photos and interview: Camille Burlet