La médiation communautaire pour promouvoir l’accès à la justice

En Ouganda, l’accès à la justice est limité par les ressources financières des populations locales mais aussi par leur éloignement géographique des cours et tribunaux. La plupart des services judiciaires se concentrent dans les zones urbaines et dans la région centrale du pays. Seul 18.2% de la population habitant dans les zones rurales peut accéder à un tribunal dans une distance de 5 km ou moins (contre 56% dans les zones urbaines.) Ces difficultés d’accès poussent souvent les victimes violations et plus globalement les justiciables à renoncer à leurs droits.

Les femmes sont confrontées à des obstacles supplémentaires pour accéder à la justice formelle. Elles renoncent souvent à recourir aux cours et tribunaux à cause des normes patriarcales et des discriminations de genre toujours bien présentes dans la société ougandaise. Il est par exemple considéré comme inapproprié pour une femme de parler d’affaires familiales dans l’espace public.

Pour toutes ces raisons, beaucoup de personnes ont recours à la justice informelle pour régler leurs conflits. Et les médiateur.rice.s communautaires ont un rôle important à jouer pour soutenir les populations locales dans leur demande de justice, particulièrement les femmes qui font face à des obstacles structurels et peinent à trouver des espaces pour exprimer leurs griefs.

ASF, à travers les projets de médiation LEWUTI et de la DGD, a offert des services de médiation à 633 personnes dans les sous-régions de Karamoja, Albertine et Acholi. Les médiations menées par des praticien.ne.s formé.e.s par ASF ont été bien accueillies par la population. Dans le cadre du projet LEWUTI par exemple, 94% desbénéficiaires se sont déclaré.e.s satisfait.e.s des services prodigués.

La structuration du projet a été un facteur clé de sa réussite. Le programme de médiation communautaire, financé par ENABEL et la DGD, a permis de fournir les fondations pour mettre en place des services de médiation fondés sur le respect des droits humains. Des personnes de confiance à l’intérieur de ces communautés ont vu leur capacité renforcées dans la résolution de conflit. Les médiateur.rice.s travaillent au sein de leur communauté et y fournissent des services gratuits de médiations.

Chaque médiateur.rice bénéficie d’un.e coach et d’un.e mentor pour leur permettre de guider au mieux les communautés locales sur les questions légales, et dans le choix des recours à entreprendre pour résoudre leurs conflits. La formation continue a considérablement amélioré la qualité des services rendus par les praticien.ne.s. Cela leur a également permis de gagner la confiance de leur communauté. Les chefs locaux et les anciens renvoient maintenant régulièrement vers les médiateur.rice.s entrainé.e.s par ASF dans le cadre de règlement de conflits entre membres de la communauté.

Les services fournis par les médiateur.rice.s communautaires ont été particulièrement utiles lors de la crise pandémique, notamment à cause des restrictions imposées. Il.elle.s ont joué un rôle crucial en offrant une assistance judiciaire de première ligne durant la crise, qui fut source d’encore plus d’inégalités dans l’accès à la justice, particulièrement dans les zones rurales.

Communiqué de presse – Interpellation de Perenco : en finir avec l’opacité pour mettre un terme à l’impunité de la multinationale

Dans une lettre rendue publique aujourd’hui, Sherpa, les Amis de la Terre France et Avocats sans Frontières interpellent l’entreprise pétrolière Perenco S.A. Nos associations dénoncent l’opacité de l’organisation et du fonctionnement du groupe Perenco, ainsi que l’absence de toute information sur la manière dont l’entreprise française prend en compte les conséquences sociales et environnementales de ses activités à l’étranger. Alors que ses activités sont régulièrement pointées du doigt pour leurs impacts négatifs sur l’environnement et les droits humains, la multinationale semble favoriser cette opacité, ce qui lui permettrait de continuer à opérer en toute impunité.

Le groupe Perenco est une entreprise familiale spécialisée dans l’extraction de puits de pétrole en fin de vie. Très peu connu du grand public, de nombreux rapports dénoncent pourtant des atteintes graves à l’environnement et aux droits humains récurrentes dans les différents pays où les sociétés du groupe opèrent [1]. La répétition des atteintes recensées dans de nombreux pays tels que la République démocratique du Congo, la Tunisie, le Guatemala ou l’Equateur semble illustrer un mode opératoire systémique et organisé, ainsi qu’une absence totale de politique sociale et environnementale efficace [2].

Le groupe est organisé en une myriade de sociétés écrans, dont la plupart sont enregistrées dans des paradis fiscaux comme les Îles Vierges, Bermudes et Bahamas, où l’accès à l’information est totalement verrouillé [3]. En raison de cette opacité, il est extrêmement difficile de trouver des informations sur l’organisation et le fonctionnement du groupe, en particulier quant aux liens entre la société française Perenco S.A. et les sociétés opérant à l’étranger.

Tandis que Perenco S.A., dont le siège social est situé en France, nie tout lien de contrôle sur les autres sociétés du groupe lorsqu’elle est interrogée sur les dommages résultant de son activité à l’étranger, le groupe n’hésite pas à revendiquer la nationalité française à son bénéfice [4].

L’absence de transparence rend quasiment impossible l’accès aux informations permettant de poursuivre en justice les entreprises responsables de dommages environnementaux ou de violations de droits humains qui peuvent résulter de leurs activités économiques à l’étranger. Selon nos informations, c’est bien Perenco S.A., via sa politique d’entreprise, qui pilote les activités à l’étranger : à ce titre, cette politique constituerait donc le fait générateur des potentiels dommages causés. Face à cette difficulté, nos organisations ont en vain tenté de solliciter des informations : Sherpa et les Amis de la Terre France par la voie judiciaire sur le cas de la République Démocratique du Congo, Avocats Sans Frontières par la voie extra-judiciaire (médiation) sur le cas de la Tunisie [5].

Le premier rapport extra-financier publié par Perenco France confirme ce choix de l’opacité.  Même si la législation actuelle peut être critiquée pour son manque d’ambition, un tel rapport constitue l’une des rares opportunités [6] d’en savoir plus sur le fonctionnement de la multinationale, sur ses activités et surtout sur sa gestion des risques sociaux et environnementaux [7]. Pourtant, le rapport de Perenco France est si peu fourni qu’il ne respecte même pas les dispositions légales. A titre d’exemple :

  • alors que l’exploitation d’hydrocarbures se trouve au cœur de ses activités et que la majeure partie de ses salarié·es sont déployé·es à l’étranger, le rapport ne fait absolument pas état des risques associés aux opérations pétrolières (toutes situées à l’étranger) ;
  • la seule mention du mot pétrole se trouve ironiquement dans la section “Favoriser le bien-être des salariés” dans la catégorie “Voile : stages de préparation et participation à la Coupe du pétrole” ;
  • les seuls risques environnementaux évoqués concernent la gestion des déchets des locaux parisiens du siège social de la société : papiers, cartons, gobelets, etc. !

Dans ce contexte, nous interpellons Perenco S.A. afin qu’elle respecte ses obligations déclaratives en matière de performance extra-financière. Nous lui demandons également de mettre un terme à l’opacité sur ses opérations, notamment en communiquant certaines informations clés sur la structure et l’organisation du groupe, ainsi que sur les liens de Perenco France avec les sociétés du groupe à l’étranger.

Mise à Jour, le 31 août 2021 : Dans un courrier en date du 4 août 2021, la société Perenco a répondu à notre interpellation par l’intermédiaire de ses avocats, en affirmant être en conformité avec la législation.

Au terme de sa réponse, l’entreprise refuse de communiquer les documents que nous sollicitions relatifs à l’organisation et au fonctionnement du groupe.  Elle prétend une nouvelle fois n’entretenir aucun lien avec les autres sociétés opérant à l’étranger et n’avoir aucune activité d’exploitation de gisements d’hydrocarbures. S’agissant des nombreux dommages recensés dans notre courrier, Perenco n’apporte aucune réponse non plus. Nous déplorons que l’entreprise maintienne l’opacité sur ses activités et sa structuration.

[1] RDC : rapport du Sénat congolais réalisé par la Commission d’enquête sur la pollution causée par l’exploitation pétrolière à Muanda dans la province du Bas-Congo, publié en octobre 2013 ; Le Monde, Perenco, boîte noire pétrolière et toxique en RDC, 9 octobre 2019 ; Observatoire des Multinationales, Perenco en RDC : quand le pétrole rend les pauvres encore plus pauvres, 23 janvier 2014 ; Muanda : la société civile veut voir clair sur le nouveau contrat d’exploitation du pétrole par Perenco, 22 février 2018 ; Radio Okapi, Le Sénat accuse Perenco de polluer l’eau, l’air et le sol de Moanda au Bas-Congo, 26 novembre 2011; Radio Okapi, Kongo-Central: PERENCO et SOCIR accusés de sous-traiter leurs employés permanents, 2 mars 2017. Gabon : Medias 241, POLLUTION : LANCEMENT D’UN AUDIT OPÉRATIONNEL DES INSTALLATIONS DE PERENCO, 22 janvier 2021 ; RFI, Pollution pétrolière au Gabon: des actions en justice contre la société française Perenco, 23 janvier 2021 ; Pérou/Amazonie : Observatoire des Multinationales, Perenco, Mauret et Prom : des firmes pétrolières francaises à l’assaut de l’Amazonie, 20 décembre 2013 ;  CCFD-Terre solidaire, Le Baril ou la vie ? Impacts des activités des entreprises pétrolières françaises Perenco et Maurel & Prom en Amazonie péruvienne : quelles responsabilités des entreprises et des états?, 7 septembre 2015 Guatemala : Observatoire des Multinationales, Perenco au Guatemala : exploiter le pétrole coûte que coûte ?, 13 décembre 2010 ; Le Monde, L’entreprise pétrolière franco-britannique Perenco en conflit avec des populations du Guatemala, 14 octobre 2012; Equateur : Business and Human Rights Resource Center, Ecuador: Protesters call for oil company Perenco to “leave & pay for environmental damages”, 4 juillet 2006l Colombie :  Centro de medios independientes, Derrame de Petróleo en Petén, 2 juillet 2015l Vénézuela: Reuters, Exclusive: France’s Perenco, Russia’s Gazprombank named in Venezuela graft case – source, 1 novembre 2018; US Department of Justice, Former Executive Director at Venezuelan State-Owned Oil Company, Petroleos de Venezuela, S.A., Pleads Guilty to Role in Billion-Dollar Money Laundering Conspiracy, 31 octobre 2018; Trinidad et Tobago :Trinidad & Tobago Guardian, Perenco workers beg authorities to step in, 22 décembre 2020; Cameroun : Médiapart, À PERENCO CAMEROUN: NATIONAUX ABONNÉS AUX DÉCLASSEMENTS, HARCÈLEMENTS, LICENCIEMENTS, 27 juillet 2016; Tunisie: en 2018, une procédure a été lancée devant le Point de Contact National Français en relation avec les opérations du groupe en Tunisie.

[2]  Principes directeurs des Nations unies relatifs aux entreprises et aux droits de l’homme (A/HRC/17/31, 2011) ; Principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales (rev. 2011).

[3] 39 sociétés du groupe Perenco apparaissent dans la base de données du Consortium international des journalistes d’investigation des Bahamas Leaks, dont les fichiers ont mis en lumière l’existence de sociétés écrans et fiducies créées aux Bahamas, ICIJ Offshore Leaks Database, Résultats pour Perenco. Pour plus de détails sur les Bahamas Papers, voir ICIJ, Former EU Official Among Politicians Named in New Leak of Offshore Files from The Bahamas, 20 septembre 2016.

[4] Reuters, Ecuador to pay $374 million to French oil company Perenco to settle dispute, 2 juin 2021.

[5] Voir Le Monde, Perenco, boîte noire pétrolière et toxique en RDC, 9 octobre 2019; Communiqué de Sherpa et des Amis de la Terre France, L’opacité continue: la justice refuse de donner accès aux informations détenues par la pétrolière française Perenco, 17 septembre 2020; Communiqué d’Avocats Sans Frontières: Saisine du PCN français pour établir la transparence sur les activités du Groupe Perenco en Tunisie, 10 septembre 2019. Avocats Sans Frontières et son partenaire tunisien, I Watch, se sont depuis retirés de la procédure devant le Point de Contact National français de l’OCDE.

[6] Perenco France n’est en effet pas soumise à la loi sur le devoir de vigilance (du fait d’un nombre de salarié·es déclaré inférieur aux seuils prévus par la loi), et ne fournit donc pas plus d’information sur ce fondement.

[7] Article L. 225-102-1 du Code de commerce. Cette obligation est inscrite dans le droit français depuis la loi NRE de 2001 et a été progressivement renforcée en 2010 (Loi Grenelle II) et 2017 (Ordonnance et décret d’application relatifs à la publication d’informations non financières par certaines grandes entreprises et certains groupes d’entreprises).

[8] Perenco France is not subject to the law on the duty of vigilance (because the number of employees declared is lower than the thresholds provided for by the law), and therefore does not provide further information on this basis.

[9] Article L. 225-102-1 of the French Code of Commerce. This obligation has been enshrined in French law since the law on New Economic Regulations of 2001 and was progressively reinforced in 2010 (Grenelle II law) and 2017 (Order and implementing decree on the publication of non-financial information by certain large companies and certain groups of companies).

Contact presse

Sherpa, Laura Bourgeois, laura.bourgeois@asso-sherpa.org

Amis de la Terre France, Léa Kulinowski, lea.kulinowski@amisdelaterre.org

Avocats Sans Frontières, Simon Mallet, smallet@asf.be; Elisa Novic, enovic@asf.be

Communiqué de presse : Appel à la sécurité sanitaire et aux droits des travailleuses et travailleurs des industries à forte intensité de main d’œuvre face à la pandémie COVID-19

Version arabe disponible ici – النسخة العربية متوفرة هنا Au vu des circonstances exceptionnelles qui touchent l’ensemble de la planète, dues à la menace grave et imminente que représente la « pandémie COVID19 » pour la santé et la vie humaines, et sur la base des diverses mesures de prévention prônées par l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) et adoptées par de nombreux pays pour en endiguer la propagation (procédures visant à réduire les contacts humains, mesures de mise en quarantaine ou de confinement, etc),.. Le Forum Tunisien pour les Droits Economiques et Sociaux (FTDES) et Avocats Sans Frontières (ASF) expriment leurs profondes préoccupations quant au maintien de l’activité dans les industries à forte intensité de main-d’œuvre, notamment le secteur du textile. Les conditions-mêmes du processus de production rendent les travailleuses et travailleurs du secteur particulièrement vulnérables au risque de contamination. Tout en saluant la décision de certains fabricants d’interrompre leurs activités pendant quinze jours, les organisations signataires notent à regret la poursuite du travail dans de trop nombreuses usines textiles, dans le mépris le plus total des mesures de prévention susmentionnées. Ceci contribue à accroître les sentiments d’anxiété et de détresse des travailleuses et travailleurs, dont la situation économique est déjà extrêmement précaire. Ces personnes ne peuvent se permettre de s’auto-isoler par crainte de perdre leur travail, ainsi leur principale ressource de survie. Par conséquent, les organisations signataires en appellent au devoir de vigilance et de responsabilité des parties prenantes, notamment les industriels du secteur, pour faire face à cette pandémie dans le respect la protection de la santé des travailleuses et travailleurs. C’est dans cet esprit que les organisations signataires invitent : Tous les propriétaires d’usines à :
  • Consulter les décideurs institutionnels en vue de décider la suspension immédiate des activités de production et l’octroi de congés exceptionnels aux salariées ;
  • Prendre toutes les mesures nécessaires pour assurer le paiement des salaires des travailleuses et travailleurs sans délai, et leur fournir un accompagnement approprié en cas de contamination.
Toutes les entreprises multinationales donneuses d’ordre du secteur textile à :
  • Différer la réception de leurs commandes en provenance des pays producteurs
  • Prendre en compte les circonstances exceptionnelles que traversent la Tunisie et le monde entier en suspendant toutes les mesures de pénalité normalement prévues en cas de retard dans les délais de livraison.
Les industriels impliqués dans la production des matériaux nécessaires à la lutte contre la pandémie à :
  • Prendre toutes les mesures nécessaires pour prévenir les risques de contamination dans le strict respect des normes sanitaires imposées par les autorités (stérilisation, mesures de distanciation sociale appliquées au travail et dans les transports, etc.).
Dans cette période difficile, nous comptons sur la prise en compte des craintes légitimes des travailleuses et travailleurs du secteur textile pour leur santé et les risques de contaminations. Nous en appelons à la responsabilité collective pour faire face, en solidarité, à cette pandémie et ses graves répercussions. Contacts presse ASF Tunisie  Zeineb Mrouki : zmrouki@asf.be Forum Tunisien pour les Droits Economiques et Sociaux  Romdhane ben Amor : romdhane@ftdes.net  

Portraits de partenaires 4/4 : Les Réseaux d’Observateurs

Avocats Sans Frontières, présent en République Démocratique du Congo depuis 2002, ne saurait agir sans ses partenaires, et c’est la raison pour laquelle nous leur laissons la parole aujourd’hui. Ces femmes et ces hommes nous ont parlé de leur quotidien, de leurs réalités et de leurs convictions. À travers une série de portraits, nous vous proposons donc de rencontrer les figures qui incarnent la Commission Diocésaine Justice & Paix de Boma, la Ligue Congolaise contre la Corruption et les Réseaux d’Observateurs.

Toutes et tous travaillent dans la province du Kongo central et, plus particulièrement, dans la zone côtière de Muanda, dans le cadre du projet « Placer les intérêts des populations locales au cœur de la gestion des ressources naturelles : transparence, redevabilité et protection des droits » (plus d’informations en bas de page).

Grâce à ce projet, ASF a contribué à la création et à la revitalisation de réseaux d’observateurs. Ils sont indépendants d’ASF et sont gérés de manière autonome par leurs membres. ASF collabore avec ces réseaux pour renforcer les capacités d’action des populations impactées par les activités des entreprises extractives.

Ces réseaux sont composés de représentant·e·s des villages/communautés nommés par les communautés car ils et elles sont particulièrement engagé.e.s et volontaires. Ils ont pour objectif d’assurer la participation des populations locales dans les processus de gestion des ressources naturelles et de s’assurer que les activités et/ou processus sont transparents et respectent les droits humains. Pour accomplir ces objectifs, les membres du réseau suivent, collectent, documentent, d’une manière continue, les potentiels cas des pratiques corruptives et les différentes violations perpétrées par les acteurs privés et/ou publics impliqués dans l’exploitation des ressources naturelles au niveau de leurs villages. Sur base des données collectées, avérées et vérifiées, les membres des réseaux engagent des processus de dialogue et de concertation avec les autorités locales, les représentants des populations concernées et les porteurs de responsabilités en vue de promouvoir la gouvernance participative dans la gestion des ressources naturelles.

Aujourd’hui, nous partons à la rencontre des membres des réseaux de la région de Muanda. Nous leur avons, à tous·tes, posé la même question : Pouvez-vous vous présenter en quelques mots et nous expliquer pourquoi vous faites partie d’un réseau d’observateur·rice·s ?

Jeanne* : Je m’engage pour les filles et les mamans de mon village

J’habite le village Muanda. Je tiens un commerce et je travaille avec des « maréeuses », des femmes qui vivent avec la marée, qui transforment les poissons pêchés. Dans ma coopérative, j’emploie 3 hommes et 28 femmes. Nous faisons du poisson frais, du poisson salé, du poisson fumé… C’est dur d’être une femme et d’être à la tête d’un commerce, il faut changer sa manière de travailler, et beaucoup s’adapter. Dans le domaine de la transformation des produits de la pêche, nous avons beaucoup de problèmes. Nous n’avons pas vraiment de point de vente, parfois nous travaillons et c’est impossible de vendre, et comme nous n’avons pas de moyens de conserver, et bien… c’est dur. Mais c’est très important que des femmes deviennent fortes et tiennent des commerces.

Aujourd’hui, au Congo, les mamans ne sont pas considérées, alors que nous devrions, nous toutes, les femmes, nous impliquer partout, dans les villages, les sociétés, les rassemblements, c’est important. Et c’est pour ça que j’ai accepté de devenir observatrice dans mon réseau quand les chefs traditionnels m’ont proposé. J’ai choisi de défendre l’intérêt de ma communauté, et surtout celui de toutes les filles et de toutes les mamans.

François* : Je m’engage pour les pêcheurs

La pêche, avant, était le métier le plus accessible. Nos communautés vivent principalement de l’agriculture et de la pêche, encore aujourd’hui. Nous pratiquons la pêche artisanale, dans de petits bateaux, avec des lignes et des filets. Mais la pêche devient de plus en plus dure… Parfois, les bateaux des entreprises endommagent nos filets lorsqu’ils naviguent, et même si nous essayons de faire remonter les incidents, les délais sont interminables et, pendant ce temps, les gens ne peuvent plus pêcher, parce que la réparation du matériel a un coût. En plus, même quand les réparations financières nous parviennent, l’argent passe par un circuit très compliqué. Dans les circuits, il y a des tuyaux, et les tuyaux ce n’est pas toujours très étanche, surtout quand il s’agit d’argent, alors il y a beaucoup de fuites entre le départ et l’arrivée.

Un autre de nos problèmes, ce sont les zones de sécurités. Les entreprises qui exploitent les ressources naturelles de la mer ont délimité des zones dans lesquelles nous n’avons plus le droit d’entrer ou de pêcher. Sauf qu’il y avait des espèces que nous pêchions dans ces zones, et comme nous n’y avons plus accès, nous devons aller plus loin sur l’océan, et les risques et les coûts sont plus élevés, parce que les vagues sont plus fortes et que nous devons payer des bateaux plus solides. D’autres fois, il y a des poissons morts dans nos filet et l’eau ne sent pas bon. Et je pourrais aussi parler des problèmes avec les bateaux étrangers qui viennent faire de la pêche en grande quantité et qui épuisent tout le poisson… Alors, comme je fais partie de la coopérative de pêche, j’ai accepté de représenter mon village dans le réseau pour pouvoir aider les villageois à continuer de vivre de leurs activités, surtout les pêcheurs.

Dominique* : Je m’engage pour notre avenir, pour notre terre

J’ai été témoin de beaucoup de choses, et c’est pour cela que j’ai tout de suite accepté de faire partie du réseau de mon village quand on m’a désigné. Je peux vous donner un exemple. Avant, les torchères – systèmes pour brûler les gazs dégagés lors de l’extraction de pétrole brut – étaient de grands tuyaux qui allaient dans le ciel et brûlaient tout le temps. Aujourd’hui, les torchères sont au niveau du sol, voire même en dessous, puisqu’elles sont installées dans des trous creusés exprès. Le problème, c’est que quand il pleut, les trous se remplissent d’eau et l’eau va éteindre le gaz qui brûle. Alors ce gaz, il va se dissoudre dans l’eau, et quand l’eau va déborder du trou, tout ce mélange va se déverser dans nos rivières et dans nos champs. Il faut donc être très attentif pour signaler rapidement quand une torchère est noyée, sinon il y aurait de grands dégâts dans la nature.

Parfois, il y a aussi des fuites de brut, dans les rivières, dans les champs… et là aussi il faut être très attentif. D’abord, il faut prévenir qu’il y a une fuite, puis la procédure pour obtenir des réparations pour les dommages subis est très compliquée et, si on ne fait pas attention, il y a beaucoup d’argent qui se perd en route. Alors être membre d’un réseau, ça me permet d’être appelé·e par les villageois quand ils ont des problèmes, des questions, et de les accompagner comme je connais bien les règles et les procédures. Nous surveillons ce qu’il se passe autour de nous, pour sauvegarder nos champs, nos rivières, notre nature et notre futur, pour nous et pour que nos enfants eux aussi puissent profiter de nos champs fertiles et de nos cours d’eau pleins de poissons.

Avant, je défendais ma communauté mais je n’avais pas beaucoup de connaissances. Grâce à Avocats Sans Frontières et aux formations proposées, on ne parle plus seulement de « ressources naturelles », on va plus loin dans le sujet. Je ne connaissais qu’un peu le domaine des hydrocarbures, aujourd’hui je le connais bien, je comprends mes droits, et je comprends aussi les enjeux des forêts, des rivières, des champs… Je me sens de plus en plus capable de représenter et de soutenir les gens de mon village, et ça me fait plaisir, pour moi, pour eux, pour notre terre.

*Les noms des observateurs ont été modifiés pour respecter leur anonymat.

L’objectif général du projet est de contribuer à la gestion transparente des ressources naturelles dans le respect des droits humains. Plus spécifiquement, il vise à soutenir l’implication et la participation des populations concernées en vue (i) d’assurer la transparence des processus de gestion des ressources naturelles et la lutte contre les pratiques corruptives et (ii) la protection et la réalisation de leurs droits dans ce cadre.

The overall objective of the project is to contribute to the transparent management of natural resources in accordance with human rights. More specifically, it aims to support the involvement and participation of concerned populations in order to (i) ensure the transparency of natural resource management processes and the fight against corrupt practices and (ii) protect and realise their rights in this framework.

The project contributes to the emergence of the essential conditions for an inclusive, sustainable and human rights-based development. It does so by empowering local populations so that they are fully able to play a role in the natural resource management processes, as well as accompanying them in order to guarantee the protection of their rights.

Photos and interview: Camille Burlet

 

Portraits partenaires 3/4 : Annie Masengo

Avocats Sans Frontières, présent en République Démocratique du Congo depuis 2002, ne saurait agir sans ses partenaires, et c’est la raison pour laquelle nous leur laissons la parole aujourd’hui. Ces femmes et ces hommes nous ont parlé de leur quotidien, de leurs réalités et de leurs convictions. À travers une série de portraits, nous vous proposons donc de rencontrer les figures qui incarnent la Commission Diocésaine Justice & Paix de Boma, la Ligue Congolaise contre la Corruption et les Réseaux d’Observateurs. Toutes et tous travaillent dans la province du Kongo central et, plus particulièrement, dans la zone côtière de Muanda, dans le cadre du projet « Placer les intérêts des populations locales au cœur de la gestion des ressources naturelles : transparence, redevabilité et protection des droits » (plus d’informations en bas de page). Aujourd’hui, c’est Annie Masengo qui prend la parole pour nous parler de son combat au sein de la Ligue Congolaise contre la Corruption (LICOCO). Elle nous parle de ce qui l’a poussée à s’engager dans la lutte contre la corruption, phénomène endémique dans le secteur des ressources naturelles, et de l’importance que tous les membres des communautés, sans distinction de genre, puissent faire entendre leur voix. Parler du droit des femmes pour faire évoluer les mentalités
  • Parlez-nous de votre parcours et de votre engagement. Expliquez-nous comment et pourquoi vous êtes ici aujourd’hui ?
Je suis avocate depuis 2000, c’est ma profession principale. C’est en 2006 que je me suis lancée dans le mouvement associatif, et plus précisément dans l’ONG Nouvelle dynamique de la jeunesse féminine. Cette ONG a pour objectif de défendre les droits de la femme, de la jeune fille, de lutter contre les violences sexuelles et contre l’impunité qui entoure ces violences. Je suis restée longtemps dans cette organisation mais il y avait une autre thématique qui me tenait beaucoup à cœur : la lutte contre la corruption, surtout au vu du degré de corruption que notre pays a atteint. Le souci de mieux faire, de militer pour le changement m’a poussée à m’engager dans les deux domaines et c’est pourquoi que j’ai décidé de rejoindre la LICOCO. Je veux lutter contre la corruption, sans oublier l’enjeux du genre, parce que les deux sont aussi très liés. Dans cette structure, je m’occupe des CAJAC, Centre d’Assistance Judiciaire et de l’Action Citoyenne. C’est dans ces centres que nous recevons les différentes plaintes des gens qui ont saisi la justice et n’y ont pas trouvé gain de cause, à cause de lenteurs de traitement de leurs dossiers, de corruption… La volonté d’aider les autres est ce qui m’anime au quotidien, j’aime que les gens vivent à l’aise mais, malheureusement, nous sommes dans une société où les choses ne fonctionnent pas comme on le souhaite. C’est pourquoi je me range du côté des opprimés, de ceux qui sont privés de leurs droits, de la justice, privés de tout. Je veux me battre à leurs côtés.
  • Plus haut, vous mentionniez le fait que tout est lié, la corruption, les femmes, le droit… Pensez-vous également qu’il y a un lien avec les ressources naturelles ? Est-ce que vous pouvez nous en dire plus ?
Bien sûr que tout est lié ! Lutter contre la corruption dans la gestion des ressources naturelles, c’est justement une façon d’aider la communauté à bénéficier de quelque chose qui lui revient de droit. Dans ce secteur, il y a trop d’exploitants qui marchent sur les droits des communautés locales, qui s’accaparent leurs terres sans même les contacter, ou encore qui traitent directement avec ceux qui dirigent le pays sans tenir compte de la présence de ces communautés. Et lorsque ces communautés vont se plaindre, il y a une sorte de bras de fer qui se créé et on passe directement par la corruption, le trafic d’influence, pour les empêcher de revendiquer leurs droits. Trop souvent, ces communautés rencontrent des obstacles et ne savent plus à quel saint se vouer. Alors il faut lutter avec elles. Cette lutte permet aussi le développement, car on ne peut pas parler de développement lorsqu’il y a de la corruption à grande échelle. La constitution même reconnait que les richesses de ce pays doivent être partagées avec et entre les communautés mais, en réalité, vous trouvez que ces communautés ne bénéficient de rien. Vous trouvez qu’une fois qu’une entreprise veut exploiter quelque part parce qu’on a constaté qu’il y a des gisements, des minerais, etc… on passe directement aux autorités. On va les voir, on fait des cadeaux, on signe des contrats, parfois sans même tenir compte du fait qu’il y a des gens qui habitent le coin qui est sollicité ! On ne tient pas compte des conséquences que ça peut avoir sur l’état de santé des gens, on ne parle pas de pollution… on ne parle de rien de tout ça. Et c’est même pire ! En parallèle, si on veut être en harmonie avec les communautés, on leur fait signer des contrats qui ne seront pas respectés, on prend des engagements qui ne seront pas tenus, on prétend qu’on va indemniser les gens, payer des redevances aux communautés, mais on ne le fera pas. Parfois on instrumentalise un groupe de soi-disant représentants de ces communautés, on leur donne un petit rien et puis finalement toute la population qui reste là ne bénéficie de rien et ceux qui semblent représenter ces familles, eux, récupèrent plus que les autres. On va même jusqu’à empêcher ces gens de connaître leurs droits. Dès que les communautés sentent qu’on a marché sur leurs droits, sur le peu qu’elles connaissent, quand elles vont en justice, ces entreprises vont aussi aller en justice, faire appel, aller voir les magistrats, leur donner des pots de vin et le petit peuple se retrouve sans force, sans rien. Et dans des situations pareilles, le pouvoir va chercher à étouffer les revendications et cela passe inaperçu, car ces communautés ne savent pas par où passer pour obtenir justice. C’est pourquoi ces luttes nous intéressent car elles ont, ces communautés, le droit de bénéficier de tout ce qui leur revient. L’aspect genre est très très important, parce qu’il y a, dans la communauté, des catégories de personnes différentes, avec des réalités différentes et des besoins différents. Depuis toujours, les gens se font à l’idée que lorsque l’on parle de « communauté », ce sont seulement les hommes. On met de côté l’existence des femmes, alors qu’elles font partie intégrante de cette communauté, et elles sont même plus nombreuses ! Mais lorsque les hommes se mettent autour d’une table pour décider du développement du village, ou de l’évolution de leur communauté, ou lorsqu’ils sont approchés pour des négociations en rapport avec l’exploitation des ressources naturelles, ils se désignent des représentants, entre eux, se retrouvent là, entre eux, et décident, entre eux. Or, ils ne sont pas nombreux, ne sont que des hommes, et ils vont prendre des décisions sur des choses qui souvent ne les concernent pas, les impactent moins que les femmes. Je pense par exemple à toutes les décisions prises par des hommes sur la terre, alors que nous savons tous que ce sont les femmes qui travaillent les champs et font l’agriculture pour faire subsister leur foyer. Ils ne connaissent pas les désidératas des femmes, ils se contentent de les exclure. Et en plus de faire ça, ils prennent la parole comme s’ils parlaient pour toutes et tous. Et lorsqu’ils la prennent, cette parole, ça pose un énorme problème parce que les besoins des femmes ne seront pas connus, pas reconnus ni exprimés. Il est nécessaire que les gens enlèvent de leur tête l’idée selon laquelle la femme est un être faible, qu’on peut traiter comme on objet. Il faut considérer que les femmes et les hommes ont le même potentiel, sont aussi intelligents, et que la femme peut et doit contribuer au développement de toute sa communauté. Dans tout ce que nous faisons, dans les espaces de prise de décisions, dans les choix effectués au nom de la communauté, il faut que les femmes soient présentes car ce sont elles les plus aptes pour exprimer leurs propres besoins. Nos lois sont claires là-dessus, les us et coutumes qui avilissent une catégorie de personnes doivent être bannies. Et s’il y a des lois, pourquoi les femmes continuent-elles à demeurer dans cet état ? Pourquoi est-ce que les hommes n’aident pas les femmes à se relever ? Pourquoi ne le veulent-ils pas ? Pourquoi ne comprennent-ils pas que, pour qu’il y ait véritablement un développement durable, les hommes et les femmes doivent travailler ensembles ? Nous voulons que les femmes et les hommes avancent et luttent main dans la main et, si les hommes comprennent cela, ils verront que leur combat sera bien plus victorieux, dans le domaine des ressources naturelles comme partout ailleurs dans notre société.
L’objectif général du projet est de contribuer à la gestion transparente des ressources naturelles dans le respect des droits humains. Plus spécifiquement, il vise à soutenir l’implication et la participation des populations concernées en vue (i) d’assurer la transparence des processus de gestion des ressources naturelles et la lutte contre les pratiques corruptives et (ii) la protection et la réalisation de leurs droits dans ce cadre. En consolidant le pouvoir d’agir des populations locales afin que celles-ci soient en mesure de jouer pleinement leur rôle dans les processus de gestion des ressources naturelles et en accompagnant ces populations en vue de garantir la protection de leurs droits, le projet participe à l’émergence des conditions essentielles en vue d’un développement inclusif, durable et respectueux des droits humains.
Photos et entretien : Camille Burlet

Dans le prochain article, des villageois membres des réseaux d’observateurs, dynamisés dans le cadre de notre projet, prendront la parole pour nous décrire leur combat quotidien pour la bonne gouvernance et la transparence dans le secteur des ressources naturelles.

 

Portraits partenaires 2/4 : Ghislain Lukambo

<<< Lire le portrait de Marceline Avocats Sans Frontières, présent en République Démocratique du Congo depuis 2002, ne saurait agir sans ses partenaires, et c’est la raison pour laquelle nous leur laissons la parole aujourd’hui. Ces femmes et ces hommes nous ont parlé de leur quotidien, de leurs réalités et de leurs convictions. À travers une série de portraits, nous vous proposons donc de rencontrer les figures qui incarnent la Commission Diocésaine Justice & Paix de Boma, la Ligue Congolaise contre la Corruption et les Réseaux d’Observateurs. Toutes et tous travaillent dans la province du Kongo central et, plus particulièrement, dans la zone côtière de Muanda, dans le cadre du projet « Placer les intérêts des populations locales au cœur de la gestion des ressources naturelles : transparence, redevabilité et protection des droits » (plus d’informations en bas de page). Aujourd’hui, c’est Ghislain Lukambo qui prend la parole pour nous parler de son combat au sein de la Ligue Congolaise contre la Corruption (LICOCO). Il nous parle de ce qui l’a poussé à s’engager dans la lutte contre la corruption, phénomène endémique dans le secteur des ressources naturelles, et de l’importance que tous les membres des communautés, sans distinction de genre, puissent faire entendre leur voix. Ghislain : changer une justice congolaise trop ancrée dans la corruption
  • Quel a été votre parcours personnel ?
Quand je suis devenu avocat, j’ai commencé à exercer au sein du barreau du Kongo central. Je me suis vite rendu compte que notre justice est ancrée dans certaines pratiques négatives qui désavantagent ceux qui peuvent avoir raison mais n’ont que peu de moyens au profit de ceux qui n’ont pas raison mais qui ont du pouvoir. Cette lutte est d’abord, pour moi, personnelle. Mais, comme combattre seul n’est pas efficace, j’ai décidé d’intégrer la Ligue Congolaise contre la Corruption, LICOCO.
  • Pourquoi avez-vous choisi d’intégrer la LICOCO ?
La LICOCO est une ONG qui a pour objectif principal de créer une société plus saine où les antivaleurs seront bannies, mises de côté au profit d’un bien-être sociétal qui avantage tout le monde. Nous militons pour un État de droit qui permette à chacun de s’exprimer selon ses motivations. Nous estimons que celui qui a raison, dans un litige précis, doit pouvoir aller devant les cours et tribunaux pour que justice soit faite. Aujourd’hui, ce n’est pas le cas. Nous avons une justice qui fonctionne à « deux poids, deux mesures », et dont la balance penche toujours au profit de la partie économiquement forte. Alors nous, la LICOCO, nous voulons aider toutes les communautés marginalisées.
  • Vous travaillez donc avec ASF dans le domaine de la gestion des ressources naturelles. Pourquoi ce domaine vous semble-t-il important ?
Nous voulons aider toutes les communautés marginalisées et, dans ce secteur, il y en a beaucoup. Ces communautés méritent une justice plus saine ! Il y a beaucoup de pratiques d’antivaleurs au Kongo central, elles sont dures à combattre, alors il faut avancer à pas de tortue. Mais des pas de tortue, c’est quand même avancer. Le problème auquel nous devons faire face est que le peuple congolais continue à croire que ces antivaleurs sont un mode de vie, alors que c’est faux. La bonne gouvernance, l’État de droit, ça se base sur une société qui n’entretient pas une classe aisée et ignore une classe marginalisée, qui s’appauvrit et souffre. Et pourtant, vous le savez comme moi, c’est dans une société comme cela que nous évoluons. Prenons l’exemple de la cité côtière de Muanda. C’est une cité qui longe l’océan Atlantique et dispose de beaucoup de ressources naturelles, comme le pétrole. Dans bien des cas, les cités qui regorgent de pétrole sont plus développées que les autres parce que les sociétés qui exploitent dans la zone ont un impact positif sur le vécu quotidien des habitants. Mais allez donc à Muanda… vous allez vous rendre compte que les communautés, alors qu’il y a du pétrole dans leurs sols, n’ont presque rien. Quelques villages seulement sont éclairés alors que l’extraction de brut dans leur région est quotidienne. À Muanda comme ailleurs, nous devons aussi parler des femmes. Les femmes sont à la base de beaucoup de choses et, si elles ne connaissent pas leurs droits, nous n’aurons pas une vraie société saine. Car toute société qui ne se fonde que sur les hommes est une société morte. Si nous n’arrivons pas à associer la femme dans la gestion du quotidien, des ressources naturelles et partout ailleurs, alors nous n’aurons rien fait de bon. Il faut donc qu’on puisse redoubler d’efforts et continuer à avancer, même à pas de tortue ! [rires] Je suis certain et conscient que l’impact généré par l’exploitation des ressources naturelles, actuellement, ne profite qu’à une frange de la population et non à tous les habitants. Nous avons choisi de travailler avec ASF parce que nous avons le même combat : pousser toutes ces communautés à comprendre et connaître leurs propres droits, puis à les revendiquer. Ça va prendre du temps mais, ensemble, nous pouvons le faire.
L’objectif général du projet est de contribuer à la gestion transparente des ressources naturelles dans le respect des droits humains. Plus spécifiquement, il vise à soutenir l’implication et la participation des populations concernées en vue (i) d’assurer la transparence des processus de gestion des ressources naturelles et la lutte contre les pratiques corruptives et (ii) la protection et la réalisation de leurs droits dans ce cadre. En consolidant le pouvoir d’agir des populations locales afin que celles-ci soient en mesure de jouer pleinement leur rôle dans les processus de gestion des ressources naturelles et en accompagnant ces populations en vue de garantir la protection de leurs droits, le projet participe à l’émergence des conditions essentielles en vue d’un développement inclusif, durable et respectueux des droits humains.
Photos et entretien : Camille Burlet

Portraits partenaires 1/4 : Marceline Nzati

Lire le portrait de Ghislain (2/4) >>>

Avocats Sans Frontières, présent en République Démocratique du Congo depuis 2002, ne saurait agir sans ses partenaires, et c’est la raison pour laquelle nous leur laissons la parole aujourd’hui. Ces femmes et ces hommes nous ont parlé de leur quotidien, de leurs réalités et de leurs convictions. À travers une série de portraits, nous vous proposons donc de rencontrer les figures qui incarnent la Commission Diocésaine Justice & Paix de Boma, la Ligue Congolaise contre la Corruption et les Réseaux d’Observateurs. Toutes et tous travaillent dans la province du Kongo central et, plus particulièrement, dans la zone côtière de Muanda, dans le cadre du projet « Placer les intérêts des populations locales au cœur de la gestion des ressources naturelles : transparence, redevabilité et protection des droits » (plus d’informations en bas de page). Aujourd’hui, la parole est à Marceline Nzati, une sœur à la tête de la Commission Diocésaine Justice & Paix de Boma (CDJP). C’est à la fin d’un atelier mené le 22 novembre 2019 à Boma, dans la province du Kongo central, en RDC, que nous la retrouvons pour lui poser quelques questions. Elle nous parle d’elle, de l’importance pour les populations locales de reprendre contrôle de la gestion des ressources naturelles et du rôle que les femmes peuvent jouer dans la réappropriation de ces questions. Marceline : défendre la dignité humaine grâce à la connaissance du droit
  • Quel a été votre parcours personnel ? Comment êtes-vous arrivée à la CDJP ?
J’ai fait l’école primaire et secondaire au Congo. Après avoir enseigné pendant quelques années, je suis partie étudier à Kinshasa. Étant très intéressée par l’éducation religieuse, chrétienne, des jeunes et des adultes, j’ai suivi la catéchèse. On m’a ensuite proposé d’aller en France dans un centre de formation pour sœurs. Après trois années, j’ai terminé mes études à l’Université Catholique de Lille et je suis retournée au Congo en 1990. Dès mon retour, j’ai travaillé dans un centre pastoral et j’ai formé des animateurs pastoraux dans les paroisses. Et lorsque la CDJP a été créée, on m’a proposé d’en faire partie, et cela fait maintenant plus de 20 ans que j’y travaille !
  • Présentez-moi la CDJP
C’est un organe de l’église qui travaille pour les droits humains, la justice sociale et la paix. Notre objectif est d’arriver à créer des relations harmonieuses dans la société, entre les humains, mais aussi entre les humains et l’environnement. Nous faisons principalement des sensibilisations et des formations sur les droits humains, les droits de la femme et des personnes marginalisées. Nous voulons que les gens soient conscients qu’ils ont des droits et que ceux-ci doivent être respectés ! Vous savez, les droits, ce sont des prérogatives inaliénables des personnes, cela fait partie de la dignité humaine. Dès qu’une personne naît, c’est un sujet de droit, elle a des droits et des devoirs, et il faut qu’elle le sache parce qu’on ne peut pas défendre sa dignité sans connaître ses droits. C’est important pour les hommes, mais plus particulièrement pour les femmes parce qu’elles sont encore plus nombreuses à ignorer ceux-ci, ici, au Kongo central. La doctrine de l’église parle beaucoup de la dignité de la personne, des droits, de la justice sociale et de la paix. Ce sont toutes ces thématiques qui nous préoccupent et c’est pourquoi nous voyageons à travers les paroisses, avec d’autres Organisations de la Société Civile (OSC) pour sensibiliser les populations. Récemment, nous avons commencé à aborder également les questions de la lutte contre les violences faites aux femmes et les principes de bonne gouvernance. La CDJP fait également partie de l’Observatoire des Ressources Naturelles (ORN). C’est un véritable enjeu, il en va de la survie de populations entières. Les ressources naturelles doivent être gérées par les populations locales, pour qu’elles se développent, mais aussi pour qu’elles préservent celles-ci pour les futures générations. L’accès aux ressources naturelles est un droit et il faut que les populations soient conscientes qu’elles sont en droit de les exploiter et d’en bénéficier. Les gouvernants doivent nous aider à avoir de bonnes politiques de gestion des ressources naturelles, mais ils ne le font pas. Nous attendons d’eux qu’ils aident les populations à connaître leurs droits, à collaborer et à participer activement aux processus de gestion des ressources naturelles. Et puis, il y a les entreprises. Elles ont l’appareillage nécessaire à l’exploitation, nous devons rentrer contact avec elles, apprendre à les connaître et créer des partenariats pour que les autochtones puissent aussi bénéficier de cette activité. Les ressources appartiennent à tout le monde; vous, qui êtes là, vous pouvez en bénéficier ! Mais lorsque nous partageons nos ressources avec les entreprises, nous sommes en droit de participer au processus de gestion et de savoir comment elles sont exploitées.
  • Et pourquoi cela vous a paru pertinent de travailler avec ASF ?
Nous sommes la société civile, nous sommes avec les populations, c’est important que nous puissions nous réunir, nous mettre ensemble pour défendre nos droits, ceux des populations congolaises, des communautés, c’est pourquoi nous travaillons avec ASF. Ce qui nous plait avec ASF, c’est aussi que ce sont des gens qui vivent ici, ils comprennent nos réalités, ils sont conscients des inégalités dans le partage. Nous savons qu’ils sont là pour nous aider à faire respecter nos droits.
  • Après avoir remercié Marceline, nous lui avons demandé si un autre sujet était important pour elle, si elle voulait nous parler de quelque chose d’autre, et elle a tout de suite répondu :
C’est important de parler des femmes ! Nous essayons d’en parler mais ce n’est pas toujours facile de trouver les bons arguments pour convaincre, c’est pourquoi des juristes, des avocats peuvent vraiment nous aider. Ils parlent de la gouvernance des ressources naturelles et de la question des femmes sur des bases juridiques, ce qui est d’une grande aide. Moi, par exemple, je ne suis pas juriste, il y a beaucoup de paramètres qui m’échappent, c’est d’autant plus important de pouvoir en parler avec des spécialistes. Vous savez, nous disons souvent ici que la réflexion est la mère de la science, alors il faut en parler, pour retenir et pour apprendre et, après, pour transmettre.
  • Un autre membre de la CDJP, Elie, acquiesce et prend la parole :
Nous devons avoir une attention particulière pour les femmes lors de nos sensibilisations. Même si elles viennent, il faut qu’elles soient encore plus nombreuses et, surtout, qu’elles participent ! Un jour, nous sommes venus pour une sensibilisation et nous nous sommes rendus compte que l’heure approchait mais qu’il n’y avait pas beaucoup de monde. Nous avons demandé aux leaders d’aller chercher les gens dans leurs foyers, de les inciter à venir. Quand ils sont arrivés, il y avait beaucoup de chaises et les hommes se mettaient sur les chaises. Les femmes, elles, se mettaient à côté, par terre, et ça, c’est la culture… Ici, la femme laisse la place à l’homme, sa place est loin, par terre, à distance. Elles viennent, mais elles ne disent rien et ne s’approchent pas, même quand il reste des chaises !
  • Marceline enchaîne :
Il faut sensibiliser les hommes et les femmes sur les questions de genre. Il est évidemment important de faire des sensibilisations ciblées pour les femmes et les jeunes mais l’objectif, à long terme, c’est que les femmes et les hommes soient sensibilisés ensemble.
  • La dialogue continue et Elie complète :
Oui ! Alors il nous faut des femmes comme Maître Annie (Cf. portrait 2/3), qui véhiculent un exemple, qui prennent la parole, leur montrent que c’est possible. C’est « une dose de tonus » pour encourager d’autres femmes à faire de même.
  • C’est Marceline qui conclura cet entretien en reliant tous ces enjeux :
Le fait même d’exister donne accès à ces droits, et surtout au droit à la participation. Tout est lié vous savez… Le développement durable ne peut être envisagé sans les communautés, et les communautés sans les femmes, sans qu’elles participent, que leurs droits se réalisent. Il est aussi très important de parler du développement durable, car aujourd’hui, la population congolaise souffre tellement que la seule chose qui importe pour elle est le présent : « j’ai faim, il faut que je mange maintenant », et quand on a trouvé quelque chose à manger, on attend demain et on recommence. Mais le développement durable, ce n’est pas ça ! Le développement durable, c’est maintenant, demain, après-demain, pour nous, pour les hommes, pour les femmes, pour les enfants, pour les générations à venir, et ça, il faut le dire, alors nous, au quotidien, nous essayons de faire passer ce message.

Dans le prochain article, Ghislain

prendra la parole pour nous parler de son travail

au sein de la Ligue Congolaise contre la Corruption.

Lire le portrait de Ghislain (2/4) >>>

L’objectif général du projet est de contribuer à la gestion transparente des ressources naturelles dans le respect des droits humains. Plus spécifiquement, il vise à soutenir l’implication et la participation des populations concernées en vue (i) d’assurer la transparence des processus de gestion des ressources naturelles et la lutte contre les pratiques corruptives et (ii) la protection et la réalisation de leurs droits dans ce cadre. En consolidant le pouvoir d’agir des populations locales afin que celles-ci soient en mesure de jouer pleinement leur rôle dans les processus de gestion des ressources naturelles et en accompagnant ces populations en vue de garantir la protection de leurs droits, le projet participe à l’émergence des conditions essentielles en vue d’un développement inclusif, durable et respectueux des droits humains.
Photos en entretien : Camille Burlet

Communiqué de presse : Saisine du PCN français pour établir la transparence sur les activités du Groupe Perenco en Tunisie

ASF et I Watch sont unies dans la promotion des principes de respect et protection des droits humains dans le contexte des activités économiques. C’est dans ce cadre que nous avons saisi le 26 juillet 2018 le Point de contact national (PCN) français de l’OCDE au sujet des activités du Groupe Perenco dans le gouvernorat de Kebili en Tunisie, et de leur conformité avec les Principes directeurs de l’OCDE à l’intention des entreprises multinationales. Ces principes posent des normes de conduite que les entreprises doivent adopter en matière de respect des droits humains, de l’environnement, des droits des travailleur-se-s, et de lutte contre la corruption et de fiscalité. La France et la Tunisie ont toutes deux adhéré à ces principes. L’adhésion engage les Etats à mettre en place un Point de Contact National qui veille à la promotion et au respect des Principes directeurs par les entreprises multinationales. Les PCN remplissent aussi une fonction extra-judiciaire de résolution des différends pour traiter des plaintes ou « circonstances spécifiques » portées par toute personne intéressée et visant le comportement d’une entreprise. La saisine est avant tout motivée par un souci de transparence sur les activités extractives menées par le groupe autour des puits d’hydrocarbures situés dans les délégations d’El Faouar et de Douz, dans la région de Kebili, et qui font l’objet de contrats de concession entre l’Etat tunisien et le groupe Perenco. Ces sites sont régulièrement le théâtre de mouvements sociaux de la part des populations locales, inquiètes de l’impact que ces activités ont ou peuvent avoir sur la santé et l’environnement. Après avoir essayé en vain d’entrer en contact avec la filiale tunisienne du Groupe Perenco afin d’obtenir des informations sur ses activités et d’entamer une démarche de dialogue, ASF et I Watch se sont tournées vers le PCN français pour établir un cadre de dialogue et ainsi tenter de pallier au manque d’informations relative à la nature des activités menées sur ces sites, les risques qu’elles peuvent poser pour les droits humains et l’environnement et les mesures prises par l’entreprise pour les prévenir et atténuer. ASF et I Watch regrettent que plus d’une année se soit déjà écoulée depuis le dépôt de la saisine, du au refus initial de l’entreprise de reconnaître la compétence territoriale du PCN français. Nous accueillons toutefois positivement le revirement de l’entreprise, annoncé dans le communiqué publié le 6 décembre 2019 par le PCN français venant clôturer la phase d’évaluation initiale. Nous notons malgré tout que le PCN a accordé une importance disproportionnée aux différents montages juridiques résultant en « une filiale tunisienne, société de droit des Îles Cayman », en dépit de la réalité du lien entre la société basée en France et sa filiale tunisienne et de l’esprit des Principes directeurs. Nous espérons, sous les auspices du PCN français, pouvoir engager avec le Groupe Perenco une discussion ouverte sur son système de diligence raisonnable en Tunisie, ses obligations fiscales envers l’Etat tunisien et la nécessité d’inclure les populations riveraines de ses sites d’activités dans les décisions affectant leurs droits et leur environnement. Contact presse – International : Simon Mallet, smallet@asf.be Contact presse – Tunisie : Zeineb Mrouki (ASF Tunisie), zmrouki@asf.be ; Manel Ben Achour (I WATCH), manel@iwatch-organisation.org  

La réponse des femmes ougandaises au développement des industries extractives

Kampala, le 8 mars 2019 – En cette journée internationale pour les droits des femmes, ASF s’intéresse aux stratégies et initiatives prises par les femmes face aux changements qui s’opèrent dans les industries minières et pétrolières en Ouganda. Pour les Ougandais, le développement des industries extractives est porteur de nombreuses promesses de progrès économiques et sociaux, en particulier pour les communautés souvent démunies qui vivent à proximité des ressources naturelles. Mais face aux intérêts économiques en présence, le respect de leurs droits humains est loin d’être acquis. Comme dans d’autres contextes, de nombreuses violations des droits des femmes et l’accroissement des inégalités de genre sont à déplorer. En effet, alors que les hommes sont plus susceptibles de bénéficier des retombées économiques, notamment en termes d’emplois et de revenus, les femmes sont plus exposées aux conséquences négatives (perturbations sociales, dégradation de l’environnement), qui affectent non seulement leurs sources de revenus, mais aussi leur intégrité physique. Afin de mieux comprendre la manière dont les femmes vivent ces transformations économiques, ASF a effectué des recherches au sein des régions minières et pétrolières du Bunyoro et du Karamoja. Les résultats montrent que dans un environnement caractérisé par des dynamiques patriarcales, un faible état de droit et une importante asymétrie des pouvoirs, les femmes font preuve d’initiative quand il s’agit de subvenir à leurs besoins économiques immédiats, mais sont limitées dans leur capacité à réagir face à d’autres types d’injustices, telles que des violences basées sur le genre ou des violations de leur droits fonciers, leur droit à la santé ou leur droit à un environnement sain. L’étude révèle ainsi certains éléments structurels qui semblent soit permettre, soit compromettre, la capacité des femmes à réagir et s’adapter aux changements qu’elles subissent du fait de l’exploitation des ressources extractives. A titre d’exemple, l’existence préalable de groupes tels que des groupes d’épargnes et de crédit, en ce qu’ils offrent aux femmes une base pour l’action collective dans un espace public dominé par les hommes, s’avère être un des facteurs facilitant l’action. Ce pouvoir d’agir est en revanche restreint par d’autres facteurs, typiquement lorsque les femmes doivent compter sur l’intervention d’acteurs externes. Elles se trouvent alors fortement limitées pour redresser les injustices causées. Ce constat est loin d’être surprenant dans un contexte légal et institutionnel souffrant de nombreuses lacunes. Néanmoins, les données indiquent que l’arrivée d’acteurs privés puissants, soutenus par les élites gouvernementales, semble avoir eu pour effet d’affaiblir d’avantage les structures de soutien telles que les gouvernements locaux, les leaders communautaires et les acteurs impliqués dans la résolution des conflits. Dans un contexte marqué par une forte asymétrie des pouvoirs, les structures locales se retrouvent ainsi démunies lorsqu’elles doivent agir en faveur des femmes et aux communautés lésées. De leur côté, les entreprises ne proposent pas de réelles mesures pour contrecarrer les conséquences négatives de leurs activités – voire instrumentalisent les faiblesses institutionnelles existantes à leur avantage. En fin de compte, peu d’avenues sont offertes aux femmes et communautés pour revendiquer et faire valoir leurs droits. Pour remédier à ces lacunes, ASF propose un programme d’autonomisation juridique à multiples facettes, ciblant l’ensemble des acteurs de la justice. Du côté de la demande, il s’agit d’équiper les femmes et les communautés affectées par l’exploitation de leurs ressources pour bénéficier pleinement de leurs droits, prendre une part active dans le développement socio-économique, mais également contrôler leurs élites. Du côté de l’offre, les mécanismes de justice doivent être rendus plus fiables et disponibles et être mieux coordonnés. A cette fin, un large catalogue d’actions peut-être déployé, allant du renforcement de capacités des acteurs de justice communautaires à l’adoption et à la mise en œuvre de lois permettant de tenir les acteurs de l’industrie extractive responsables pour leurs actes. >> Téléchargez le rapport d’ASF Digging for Power. Women empowerment and justice amidst extractive industry developments in the Albertine and Karamoja, Uganda >> Regardez la vidéo
Avec le soutien de la Coopération belge au Développement.
Photo © ASF/Alexia Falisse

Entre méfiance et espoir: le regard des jeunes sur la gouvernance locale en Tunisie

Tunis, le 22 mai 2018 – Depuis près de trois ans, ASF et IWatch soutiennent l’implication et la participation constructive des citoyens tunisiens dans la gouvernance locale en matière de gestion des ressources naturelles. Une enquête sur la perception des jeunes a été menée dans les régions extractives de Tataouine et Médenine. L’analyse des résultats dévoile leur méfiance envers les institutions politiques, à l’aube des élections municipales du 6 mai dernier. Le vent de contestation qui a balayé la Tunisie en 2011 n’a pas fini de souffler, en particulier sur les régions Sud du pays, encore en proie à des nombreux défis sociaux, économiques et environnementaux. Malgré leur fort potentiel en ressources naturelles, elles affichent des taux élevés de chômage et de pollution, ainsi qu’une désertification inquiétante. Premières victimes de cet état de fait, les jeunes sont à l’initiative de nombreux mouvements sociaux revendiquant plus de transparence et de redevabilité des entreprises publiques et privées ainsi qu’un meilleur partage des richesses issues de l’exploitation des ressources naturelles. A travers une enquête de terrain, ils confient leur vision, leurs espoirs et leurs attentes. L’enquête répond à deux objectifs : donner la parole aux jeunes citoyens de Tataouine et Médenine en matière de démocratie locale et de gestion durable des ressources, et permettre aux élus municipaux, d’apprécier le degré de confiance que ces jeunes accordent aux institutions locales et nationales. Entre novembre et décembre 2017, 650 personnes âgées entre 18 et 35 ans ont été interrogées dans les deux gouvernorats. Un fil conducteur relie la plupart des réponses : la forte méfiance des sondés vis-à-vis des institutions étatiques et des partis politiques – seul l’échelon local fait exception, avec un taux de confiance relativement positif. Si les jeunes cultivent un fort sentiment d’appartenance régionale et nationale, ils sont peu optimistes quant à l’avenir de leur pays. Ils sont d’ailleurs majoritaires à ne nourrir aucun espoir de voir leurs conditions de vie s’améliorer au cours des trois prochaines années. Malgré un faible taux d’inscription aux élections municipales (45%), ils ont conscience de l’importance de la démocratie participative. Mais la transparence douteuse des élections et le manque d’informations dû au faible débat public et médiatique, freinent leur engagement dans la vie sociale et politique. Tout en étant le secteur principal en matière de développement économique, les ressources naturelles demeurent fortement méconnues. 69% des jeunes jugent négativement la gestion actuelle des ressources et pensent que le gouvernement manque à son devoir de contrôle et de surveillance des activités extractives. En dépit de cette méfiance généralisée, une grande majorité des jeunes sondés accordent encore un espoir à l’action collective et la citoyenneté. 58% d’entre eux ont indiqué être prêts à s’impliquer personnellement dans la lutte pour la transparence dans le secteur énergétique. ASF et IWatch appellent à la mise en place de mécanismes de démocratie participative et de gouvernance ouverte, afin de renforcer la connaissance et l’engagement de tous. Il revient à l’Etat tunisien de renforcer son contrôle sur la gestion des activités extractives et aux organisations de la société civile, aux syndicats et aux partis politiques, d’être d’avantage présents et accessibles dans les régions du Sud, afin d’offrir aux jeunes des cadres structurés de participation à la vie politique et citoyenne.
L’enquête a été officiellement présentée le 27 avril à Tunis © ASF
>> Télécharger l’enquête Les élections municipales dans les régions extractives : le regard de la jeunesse sur la gouvernance locale
Photo de couverture: le sondage s’est fait sous forme de questionnaire papier, présenté en face à face © ASF