Le rapport annuel d’ASF est disponible !

L’équipe d’Avocats Sans Frontières est ravie de pouvoir vous présenter son dernier rapport annuel.

Que de chemin parcouru depuis la création d’ASF en 1992 par des avocat.e.s belges. Durant ces 30 années, ce sont des centaines de personnes qui ont contribué à faire évoluer l’organisation pour qu’elle devienne ce qu’elle est aujourd’hui : une organisation militante active dans une dizaine de pays qui œuvre pour la promotion de l’accès à la justice et d’un État de droit fondé sur les droits humains en étroite collaboration avec des acteur.rice.s locaux.les.

Ces trente années d’action, les ancrages locaux que nous avons développés et les liens que nous avons tissés avec des défenseur.e.s des droits humains des quatre coins du monde nous donnent beaucoup de force et de confiance pour envisager l’avenir et poursuivre le déploiement d’une action impactante au service des populations en situation de vulnérabilité (femmes, enfants, communauté LGBTQI+, minorités ethniques, personnes en situation de détention, personnes en situation de migration, etc.).

Mais les défis sont nombreux. Partout à travers le monde, les organisations de la société civile et les défenseur.e.s des droits humains font face à des évolutions et des tendances inquiétantes : montée des autoritarismes, rétrécissement de l’espace civique, défiance croissante des populations envers les institutions, tensions sociales exacerbées, etc.

Les défenseur.e.s des droits humains et de l’accès à la justice doivent travailler dans des contextes qui leur sont de plus en plus hostiles. Les notions mêmes de droits humains et d’État de droit sont remises en question. Les activistes, les avocat.e.s et les journalistes qui œuvrent pour la défense des droits fondamentaux des populations en situation de vulnérabilité sont de plus en plus systématiquement visés par des politiques répressives illibérales.

Chaque page de ce rapport témoigne de la vigueur de la flamme qui anime celles et ceux qui s’engagent pour maintenir les droits humains au cœur même de nos sociétés, au risque et au péril de leur propre liberté. Ce rapport est un hommage à chacune et chacun d’eux.elles.

La pénalisation des pratiques de charlatanisme et de sorcellerie : Entrave à la réalisation des droits des femmes et des personnes mineures en République centrafricaine

Cet article est extrait du rapport annuel 2021 d’Avocats Sans Frontières.

En République centrafricaine (RCA), la pratique du charlatanisme et de la sorcellerie (PCS) est considérée comme une infraction par le code pénal. Les poursuites qui sont engagées à l’encontre des personnes suspectées de PCS conduisent fréquemment à des violations graves des droits humains et impactent, de façon systématique, les femmes et les enfants. À la maison d’arrêt pour femmes de Bimbo, la moitié des femmes incarcérées le sont pour des infractions présumées de PCS. La répression subie par les personnes accusées de PCS peut trouver son origine dans la justice formelle mais aussi dans la vindicte populaire. Celles-ci sont régulièrement victimes d’humiliation et de châtiments corporels pouvant parfois entraîner la mort.

De telles violences trouvent leurs racines dans les inégalités structurelles et les schémas de domination, notamment patriarcale, à l’encontre des femmes et de certaines catégories de personnes en situation de vulnérabilité. Ce type de violence est donc la conséquence de normes sociales et culturelles qui entravent la réalisation des droits des femmes et des personnes mineures. L’objectif d’ASF n’est pas de lutter contre ces croyances ancrées dans la société centrafricaine mais de lutter contre la « chasse aux sorcières ». L’action d’ASF à ce sujet s’articule principalement autour de trois axes.

(i) Avec la soutien d’ASF, des organisations de la société civile animent des sessions de sensibilisation et d’information sur ces pratiques, leur propension à affecter particulièrement certaines catégories de la population et les conséquences désastreuses qu’elles peuvent avoir sur la vie de ces individus.

(ii) ASF œuvre pour offrir une assistance holistique aux personnes accusées de PCS. En collaboration avec les organisations de la société civile, les acteur. rice.s de la chaîne pénale, les leaders communautaires et les ONGs, ASF veille à identifier le plus tôt possible les personnes accusées de PCS pour qu’elles puissent bénéficier d’une assistance judiciaire dès la garde à vue et pendant leur éventuelle détention provisoire. Il est aussi fondamental d’assister ces personnes le plus tôt possible pour limiter les conséquences d’une telle accusation sur leur réputation, et donc sur leur chance d’insertion dans la communauté ou de subvenir à leurs besoins et à ceux de leur famille.

(iii) ASF a pu constater que l’arsenal juridique centrafricain était inadapté pour prendre en charge ce fait social. L’infraction ne dispose pas de définition claire et un large spectre de preuves et d’indices permet à ce jour d’attester de l’infraction devant un tribunal malgré son absence de définition dans le code pénal. ASF mène un travail de recherche pour pouvoir mieux appréhender le traitement socio-culturel des PCS et pouvoir à terme développer un plaidoyer pour une prise en charge de ces infractions plus respectueuse des droits humains.

L’acte de naissance en RCA: l’exception plutôt que la règle

Bangui, le 2 octobre 2017 – La plupart des Centrafricains, surtout les plus jeunes, ne disposent pas d’un acte de naissance et n’existent donc pas aux yeux de l’Etat. A quoi cet déficit d’enregistrement est-il dû? Quels sont les obstacles à l’accès à l’état civil? Quelles en sont les conséquences? ASF a mandaté Thierry Vircoulon, spécialiste de l’Afrique centrale, pour réaliser une étude permettant de mieux cerner la problématique et de proposer des solutions. Il nous a accordé un entretien dans lequel il revient sur ses principales conclusions.
  • Le taux d’enregistrement des naissances en République centrafricaine (RCA) est l’un des plus bas du continent africain. Qu’est-ce qui explique cet état de fait?
Thierry Vircoulon
Thierry Vircoulon: l’acte de naissance est l’exception plutôt que la règle parmi la jeunesse centrafricaine. La cause principale est le double appauvrissement de l’Etat et de la population. En raison du déclin progressif de l’Etat centrafricain depuis les années 90, il y a eu un véritable processus de dés-administration du territoire. Les administrations n’ont plus eu les moyens financiers de gérer les populations en province et de leur fournir les services basiques. La délivrance des actes administratifs a suivi cette tendance. A ce problème s’ajoute l’appauvrissement de la population, qui doit payer pour les actes administratifs le même prix qu’avant, alors qu’elle est de plus en plus pauvre. Même des petits notables comme les chefs de quartier ne déclarent pas toujours leurs enfants faute d’argent. Pour les familles de condition modeste, le coût d’acquisition d’un acte de naissance est trop élevé. Parfois, des mères doivent arbitrer entre acheter à manger et payer un acte de naissance. Il se crée un cercle vicieux de dés-administration de la population: l’administration doit faire payer ces actes et documents car elle n’a pas d’argent et, comme la population n’a pas d’argent, elle a de moins en moins accès à l’administration. D’autres raisons moins importantes expliquent aussi ce faible taux d’enregistrement: la complexité de la procédure, la difficulté pour la population rurale d’accéder aux services municipaux, et un manque de capacité dans certaines municipalités.
  • Dans l’étude, vous expliquez que les enfants sans acte de naissance accèdent malgré tout à l’école. Quelles sont les conséquences réelles du déficit d’enregistrement des naissances sur les droits de la population?
Heureusement, l’administration ajuste sa pratique aux réalités locales et fait preuve de flexibilité dans l’application des lois et règlements. Ainsi, comme la majorité des enfants sont dépourvus d’acte de naissance, les directeurs d’écoles ne s’opposent pas à leur inscription. Le problème surgit plus tard, lors de l’inscription aux examens de passage (passage de l’école primaire au collège, du collègue au lycée et baccalauréat). L’acte de naissance est demandé pour ces procédures. Ne pas en avoir peut constituer un blocage et conduit à des pratiques de corruption, de fraude (faux documents), etc. Il y a un paradoxe: les jeunes ont rarement un acte de naissance mais ils en veulent tous un. Cette demande reflète la demande générale de papiers d’identité en RCA. Suite à la crise, de nombreuses personnes ont perdu leurs papiers, y compris leurs actes de naissance. Ce phénomène est particulièrement marqué à Bangui, où certains quartiers ont été détruits et où les déplacements de population ont été importants. Des archives d’état civil ont été détruites dans certaines municipalités, la reconstitution des actes d’état civil est longue et onéreuse et le gouvernement ne délivre plus de cartes d’identité depuis 2013. De plus, toutes les familles interrogées dans le cadre de cette étude connaissent l’utilité administrative et sociale (preuve d’appartenance familiale et de filiation) de l’acte de naissance. Les principaux motifs avancés par les familles pour obtenir un acte de naissance sont l’inscription à l’école et la reconnaissance administrative de la personne. La population sait aussi que ne pas avoir de papiers est un obstacle à la circulation à l’intérieur du pays, à cause des innombrables barrières tenues par les forces de sécurité le long des routes.
  • Les autorités centrafricaines sont-elles suffisamment conscientes des manquements en matière d’état civil, et engagées pour y remédier?
Le gouvernement de transition a décidé de rendre gratuits les actes de naissance des enfants nés pendant le conflit, mais cette décision n’a pas été respectée par les municipalités qui sont habituées à percevoir ces recettes et ne reçoivent pas de dotations de fonctionnement suffisantes de la part du gouvernement. La politique de gratuité n’a donc pas été appliquée. Cela est problématique. Cependant, comme de nombreux jeunes n’ont pas leur acte de naissance, les autorités publiques font preuve de tolérance et acceptent des documents de substitution, comme par exemple les documents de scolarisation. Ce problème ne figure pas parmi les priorités du gouvernement, qui est confronté à des défis sécuritaires et des urgences humanitaires. Le réenregistrement de la population ne pourra avoir lieu que lorsque les administrations municipales fonctionneront mieux et que le problème du coût des documents administratifs aura été résolu.
  • Concrètement, quelles pistes avez-vous identifiées pour garantir un meilleur enregistrement des naissances?
La mesure la plus simple et la plus radicale serait de rendre gratuits les actes de naissance. Pour les raisons expliquées précédemment, cela a déjà été fait et a échoué complètement. Il faudrait revoir la dimension financière des relations entre les mairies/tribunaux et le gouvernement, et créer des incitations financières positives au niveau des différents acteurs. Cette réforme d’organisation est impossible actuellement. La principale mesure proposée est donc l’allongement du délai légal de déclaration des nouveau-nés de un mois (délai légal actuel) à six mois. Cela serait une manière indirecte de réduire les coûts de déclaration, en laissant plus de temps aux familles pour faire la démarche et en évitant ainsi d’avoir à payer des jugements supplétifs. L’autre mesure consiste à simplifier la procédure au niveau des hôpitaux et à faire en sorte que les femmes qui ont accouché n’aient pas à revenir plusieurs fois à l’hôpital pour obtenir la déclaration de naissance.
  • Quel rôle les acteurs internationaux peuvent-ils jouer?
Subventionner la distribution d’actes de naissance n’est ni une priorité ni une solution durable. Les acteurs internationaux devraient inclure cette question dans l’agenda de la reconstruction administrative, et engager une réflexion avec les autorités centrafricaines pour trouver une solution durable. Celle-ci impliquera certainement un changement des relations financières entre le gouvernement et les mairies et tribunaux, et des textes réglementaires. *** L’étude Etat civil en République centrafricaine: enjeux et pratiques a été réalisée dans le cadre du projet « Amélioration de l’accès à la justice pour les personnes en situation de vulnérabilité », mis en œuvre par ASF en RCA depuis 2015, avec le soutien du ministère français des Affaires étrangères.
Photo de couverture: A la maternité des Castors à Bangui, les déclarations de naissance sont délivrées immédiatement, contrairement à d’autres maternités du pays qui demandent aux mères de revenir à deux reprises avant de recevoir le document © T. Vircoulon pour ASF

ASF au Tchad: bilan et perspectives

Début mai, l’Union européenne a officiellement renouvelé son soutien aux activités d’Avocats Sans Frontières (ASF) au Tchad, permettant ainsi à l’organisation d’y poursuivre son travail en faveur des droits humains. L’occasion de faire le point sur quelques résultats engrangés jusqu’à présent, et sur les défis à venir. Le Tchad vit depuis quelques années de fortes tensions sociales, dues à une crise économique majeure et à la mauvaise gestion des recettes de l’Etat. Le respect des droits humains, lui aussi, évolue négativement: les autorités ont réduit l’espace public et l’exercice des libertés. La population rencontre par ailleurs toujours de nombreux obstacles pour accéder à la justice. ASF est présente dans le pays depuis 2012, successivement avec le soutien de l’Union européenne, du Département fédéral des Affaires étrangères de Suisse, et de la Deutsche Gesellschaft für Internationale Zusammenarbeit. L’organisation s’y est d’abord concentrée sur l’amélioration de la prise en charge sociale et judiciaire des mineurs d’âge. Plus récemment, elle s’est consacrée à l’accompagnement des organisations de la société civile mobilisées en faveur de l’accès à la justice, comme le Public Interest Law Centre (PILC). « Pour moi, l’accès à la justice est un élément fondamental pour un développement socio-économique harmonieux. C’est aussi une manière efficace de lutter contre l’impunité », explique Delphine Djiraibe, Présidente du PILC. « En Afrique, et plus particulièrement au Tchad, l’impunité est le pire des éléments qui entravent l’exercice effectif de la justice, ainsi que le développement. ». Bénéficiant du soutien financier et technique d’ASF, le PILC a privilégié les femmes comme public cible de ses interventions, autour de questions comme l’égalité des sexes et des chances et la lutte contre les violences basées sur le genre. « Les initiatives mises en place par ASF et ses partenaires au Tchad s’adressent d’un côté à des personnes marginalisées et en situation de vulnérabilité, telles que les femmes et les enfants, ou les détenus, et de l’autre, à des juristes, parajuristes, leaders communautaires, représentants d’autorités locales et membres d’organisations de la société civile », explique Gilles Durdu, Directeur pays sortant d’ASF au Tchad. Tant les activités en faveur de la population, telles que les actions de sensibilisation au droit, ou encore l’organisation de consultations juridiques gratuites, que celles en faveur de la société civile, telles que les formations sur la gestion de conflit au niveau communautaire, « ont connu un grand succès, dépassant souvent nos attentes. ». ASF a ainsi facilité avec succès les réflexions de la société civile autour de la pratique du parajuridisme, aboutissant à la réalisation d’un statut commun des parajuristes, cosigné par 7 organisations. Ce statut est une réelle avancée pour harmoniser la pratique du parajuridisme dans le pays et offrir à tous les bénéficiaires le mêmes garanties de qualité du service. Deux ambitieuses études ont par ailleurs été réalisées en 2016. Consacrée aux enjeux et conséquences de la détention sur la population carcérale et la société tchadienne, la première a permis d’amorcer un dialogue entre les acteurs concernés par la problématique, y compris les autorités du pays. Portant sur la gestion communautaire des conflits liés aux ressources naturelles, la seconde propose de nombreuses recommandations pour une meilleure gestion des ressources naturelles au niveau local et des conflits qui y sont liés. D’une durée de 2 ans, le nouveau projet d’ASF sera mis en œuvre dès l’été 2017 avec le soutien de l’Union européenne, en partenariat avec la Ligue tchadienne des droits de l’Homme, sous l’intitulé « Soutien aux initiatives citoyennes visant la promotion et la défense des droits humains au Tchad ».  ASF poursuivra son appui aux organisations de la société civile œuvrant pour la défense des droits humains.
Photo © ASF/G. Durdu

Sans identité, pas de droits

Bangui, le 15 avril 2016 – Sans déclaration de naissance, vous êtes privés d’un grand nombre de droits. Comment bénéficier d’un accès à des soins de santé sans document d’identité ? Comment se rendre à l’école ? Comment aller voter ? La plupart des Centrafricains, surtout les plus jeunes, n’existent pas aux yeux de l’Etat. En réponse à ce problème, Avocats Sans Frontières organise des audiences foraines : des membres du tribunal, du parquet et du greffe se rendent dans les villages pour prononcer des jugements supplétifs d’actes de naissance.

Selon la législation en vigueur en République centrafricaine, un mois après l’accouchement, il n’est plus possible de dresser un acte de naissance. Cet acte est pourtant essentiel pour tout citoyen puisqu’il donne accès aux droits civils, politiques, économiques, sociaux et culturels, sans lequel l’enfant n’a pas droit à l’école, aux services de santé, à la succession, à la propriété… et, plus tard, au droit d’élire et d’être élu.

La plupart des citoyens centrafricains, surtout les plus jeunes, ne disposent pas de titre d’Etat civil valable. Cette situation est due à plusieurs facteurs. Le premier est économique : un acte de naissance coûte 1.500 francs CFA (environ 2,5 euros), alors que le salaire moyen en RCA est de 39.000 fCFA. Ludovic Kolengue Kaye, Coordinateur ASF : «  L’argent est certainement une cause du faible enregistrement des naissances, mais le manque d’information de la population et la complexité des démarches sont aussi à pointer du doigt ». On constate également un dysfonctionnement structurel au niveau des services d’Etat civil et des autorités compétentes, suite aux pillages et destructions commis durant les violences ayant affecté le pays en 2012-2013.

Pour répondre à cette problématique, ASF organise des audiences foraines à Bangui (la capitale) et Bouar (à l’est du pays). Il s’agit de pallier l’inexistence d’un acte de naissance émis dans les délais légaux, par un jugement supplétif rendu par un juge qui reconnait officiellement la naissance d’une personne. Contrairement à des audiences classiques, les audiences foraines se tiennent hors des cours et tribunaux, par exemple à la mairie d’un arrondissement, afin de permettre aux habitants de s’y rendre plus facilement.

Arsène, père de Kestia, un an, témoigne : «  Il ne m’avait pas été possible de déclarer l’enfant à la municipalité, faute de moyens. J’ai appris pour les audiences par mon chef de quartier qui a circulé dans les rues avec un mégaphone, et je suis venu ».

Arsène et sa fille Kestia
Arsène et sa fille Kestia

Des membres du tribunal, du parquet, de la greffe et de la mairie sont présents. Un médecin est aussi sur place pour déterminer l’âge de l’enfant. ASF prend en charge les frais des jugements supplétifs, équivalents à 15 euros.

«  Ma fille pourra s’inscrire à l’école et cela facilitera toutes les démarches de sa vie », explique encore Léana, mère d’Esther.

Léana et sa fille Esther
Léana et sa fille Esther

Chaque audience foraine est précédée par des sensibilisations informant la population de l’importance d’enregistrer les naissances, et les autorités locales sur la procédure et leur rôle dans le processus d’établissement de document d’Etat civil.

A ce jour, six audiences foraines ont déjà été organisées, permettant ainsi à 403 enfants âgés de 1 mois à 16 ans de se voir assurer leurs droits.

Ces activités sont réalisées grâce au soutien financier de la délégation de l’Union européenne et de l’Ambassade de France en République centrafricaine.

Photos © ASF/B. Langhendries

Sans existence légale, pas de droits pour les citoyens congolais

Lubero, RD Congo, le 15 mai 2015 – L’enregistrement à l’état civil des naissances, mais aussi des mariages, est une condition essentielle à la réalisation des droits des citoyens. C’est le message qu’Avocats Sans Frontières et ses partenaires ont partagé avec plus de 6.000 habitants du territoire de Lubero, dans le Nord Kivu.

Les citoyens congolais font régulièrement l’objet de graves violations de leurs droits fondamentaux. « Les enfants sont particulièrement vulnérables », explique Jules Rhuhunemungu, Responsable de programmes ASF. « Beaucoup d’entre eux n’ont pas été enregistrés à l’office d’état civil dans les délais prévus par la loi (90 jours après la naissance). Officiellement, ils n’existent donc pas et ne bénéficient pas du droit à une nationalité, aux services de santé de base, à la scolarité, à la succession de leurs parents, etc ». Les femmes dont le mariage n’a pas été inscrit ne peuvent quant à elles pas hériter de leur conjoint.

Pour attirer l’attention de la population sur ces questions, ASF et ses partenaires* ont récemment organisé une campagne de sensibilisation dans le Nord Kivu, sur le territoire de Lubero. Plus de 6.000 personnes, en majorité des femmes, ont bénéficié non seulement d’informations sur leurs droits, mais aussi de 400 consultations juridiques gratuites assurées par les avocats du barreau de Goma. 57 enfants de moins de 3 mois se sont ainsi vu délivrer une attestation de naissance. La campagne s’est clôturée par une audience du tribunal de paix de Lubero, au cours de laquelle plusieurs familles ont introduit des requêtes en vue de régulariser la situation de 50 enfants ayant dépassé le délai des 90 jours – on parle alors d’un jugement supplétif d’acte de naissance. « Cela a permis aux populations de prendre connaissance de la procédure à suivre lorsque les enfants, et même adolescents et jeunes adultes, ne sont pas enregistrés dans le délai légal », se félicite Jules Rhuhunemungu.

Remise des affiches au responsable du bureau de Lubero
Remise des affiches au responsable du bureau de Lubero

« C’est la première fois que je vois des avocats qui offrent des consultations sans demander de l’argent », s’est réjouit une des mères de famille présentes. « J’ai trouvé extraordinaire le contenu de la sensibilisation, qui disait aux populations qu’ils allaient recevoir les attestations de naissance de leurs enfants sans payer un sou », a renchéri son voisin. La demande est grande pour renouveler ce type d’activité, qui permet aux habitants d’accéder à un avocat et de connaître leurs droits. Une session est prévue courant mai dans le territoire de Masisi.

Les habitants ne sont d’ailleurs pas les seuls à en bénéficier : l’office de l’état civil de Lubero a repris son fonctionnement à l’issue de la campagne. Un registre d’état civil vierge, envoyé à Lubero en 2014 par la Division de l’intérieur, a servi pour la première fois. L’officier de l’état civil ne l’utilisait pas alors que des enfants naissaient tous les jours.

* Les partenaires d’ASF dans cette campagne de sensibilisation sur l’enregistrement des naissances et des mariages à l’office d’état civil sont: la Division provinciale de l’intérieur du Nord Kivu, le barreau de Goma et l’organisation congolaise SODPAD. Dans le cadre du programme « Uhaki Safi » (« justice équitable » en Swahili), mis en œuvre avec le soutien de l’Union Européenne et des contributions belges et suédoises.
Photos © Equipe Accès à la justice du bureau d’ASF à Goma

Enfin la liberté pour une soixantaine de mineurs emprisonnés!

N’Djamena, 21 août 2013 – Grâce à son projet mineurs, Avocats Sans frontières (ASF)  a pu obtenir la libération de 64 jeunes détenus dans la prison de N’Djamena, au Tchad. Mené en partenariat avec l’ONG tchadienne Association pour la Promotion des Libertés Fondamentales au Chad et financé par le Programme d’Appui à la Justice au Tchad de l’Union européenne, le projet  a également permis de mettre en évidence les difficultés que rencontrent enfants et adolescents dans le système judiciaire et les abus manifestes dont ils sont victimes.

Ali n’a que 16 ans lorsqu’il est déféré à la prison de N’Djamena  pour abus de confiance : « Je suis resté en prison pendant sept mois, sans voir la juge une seule fois !  J’ai appelé mon père au téléphone.  J’ai pleuré,  je n’en pouvais plus. » Dans le cadre  du projet ASF,  un avocat est alors désigné pour venir en aide à l’adolescent. Il s’avère que le dossier d’Ali a tout bonnement disparu, lors de la mutation des magistrats compétents. Les démarches entreprises par l’avocat permettent finalement d’obtenir sa libération.

La responsable du centre d’accueil pour mineurs de Dieu Bénit © ASF / L. Deramaixaix
La responsable du centre d’accueil pour mineurs de Dieu Bénit © ASF / L. Deramaix

Ce cas illustre l’absence de structures judiciaires ou sociales susceptibles de respecter pleinement les droits des mineurs au Tchad. « La loi n’est pas sévère à l’égard des mineurs qui commettent des infractions. Mais comme il n’y a pas assez de centres d’accueil, nous sommes obligés de les mettre en prison », reconnaît un Juge des Enfants. Les mineurs sont incarcérés avec les adultes. « Ici, pas de réinsertion, pas d’éducation, pas d’instruction », résume le greffier de la prison de N’Djamena.

« Dans le cadre du projet, après avoir examiné les dossiers des 86 mineurs détenus dans la prison de N’Djamena, nous avons obtenu la libération pour trois quart d’entre eux ! » se réjouit Coralie de Lhoneux, avocate ASF au Tchad. « Sept autres mineurs ont enfin été jugés. Pour les autres,  les dossiers de procédure sont à présent suivis de près par la juge et le procureur. »

Face aux dysfonctionnements du système judiciaire qui par ailleurs, s’affronte aux règles coutumières toutes-puissantes au Tchad, des organisations de la société civile tentent d’améliorer le sort des mineurs en difficulté mais elles manquent  cruellement d’expertise et de moyens. « C’est pourquoi nous avons  soutenu des centres d’accueil et d’hébergement car ces initiatives privées  sont souvent l’unique recours quand il s’agit de trouver un toit pour les enfants en difficulté.  Ainsi, 125 enfants ont pu être pris en charge par ces centres », précise encore l’avocate ASF.

ASF a fait appel aux Facultés Universitaires Saint Louis de Bruxelles pour réaliser un état de lieux participatif du secteur en début de projet, afin de sensibiliser tous les acteurs du secteur et de lancer une synergie autour du projet. La population a également été sensibilisée à la question des droits de l’enfant, et des formations ont été organisées pour tous les intervenants du secteur, pour améliorer la prise en charge des mineurs : police et gendarmerie, autorités traditionnelles, ONG, centres d’hébergement, et avocats.

« Les autorités judiciaires ont accueilli le projet favorablement et une aide ponctuelle a pu être apportée grâce au projet. Tout l’enjeu maintenant est de voir si les efforts entrepris seront poursuivis  par les acteurs locaux pour que ces jeunes soient pleinement pris en charge », conclut Coralie de Lhoneux.

Photo de couverture: Centre d’accueil pour mineurs de Yalna © ASF / L. Deramaix

Pour une meilleure aide à la jeunesse au Tchad

N’Djamena, Tchad – 21 août 2012. Avocats Sans Frontières (ASF), en partenariat avec l’ONG locale APLFT (Association pour la Promotion des Libertés Fondamentales au Tchad) a lancé un projet visant à améliorer la prise en charge des mineurs d’âge à N’Djamena. Ce projet renforcera les capacités des différents acteurs de la chaîne sociale et judiciaire concernés par la problématique. Des campagnes de sensibilisation seront également organisées auprès de la population et des autorités afin de mieux faire (re)connaître les droits des mineurs.

Sorti des différentes guerres et troubles politiques qui l’ont secoué jusqu’en 2008, le Tchad est en pleine reconstruction. Les difficultés sont nombreuses, notamment dans le domaine social. L’aide à la jeunesse en particulier doit faire face à d’importants défis : les structures étatiques mises en place ne sont pas opérationnelles ; les parents, souvent démunis, ne bénéficient d’aucun soutien dans l’éducation de leurs enfants ; les services sociaux et /ou judiciaires sont inefficaces et manquent de moyens.

Nord-Est du Tchad, à la frontière avec le Darfour du Nord © Michael Von Bergen

Les enfants sont les premières victimes de ces carences. Beaucoup sont négligés voire abandonnés. « Un nombre incalculable de mineurs est soumis à des maltraitances et aux pires formes d’exploitation », témoigne Coralie de Lhoneux, experte ASF au Tchad. « Aucune mesure n’est prise par le gouvernement, que ce soit pour venir en aide à ces mineurs ou pour poursuivre les auteurs de maltraitance ». Les mineurs en conflit avec la loi sont régulièrement envoyés en prison, sans avoir eu l’occasion de consulter un avocat. Ils restent en détention préventive prolongée ou subissent de lourdes peines, mélangés aux adultes et maintenus dans un environnement carcéral inadapté. Ils ne bénéficient d’aucune mesure d’accompagnement et d’éducation, pourtant indispensables à leur réinsertion.

Malgré les déclarations d’intentions officielles, la prise en charge des mineurs en difficulté reste problématique.

Depuis plusieurs années et malgré des moyens limités, les ONG de la société civile ont pris le relais pour fournir une aide sociale et légale aux populations vulnérables.

Financé par l’Union européenne, le projet d’ASF a débuté en avril 2012 par des formations pour des centres d’hébergement de mineurs, des ONG d’aide légale et des juristes de l’APLFT.

Parallèlement, une équipe d’avocats chargés d’accompagner et défendre les mineurs en conflit avec la loi doit être mise en place sous la supervision d’ASF. Ces mêmes avocats participeront à des ateliers d’échange avec les magistrats afin d’améliorer ensemble le suivi judiciaire des mineurs.

Des campagnes de sensibilisation visant un large public et impliquant les chefs traditionnels et les forces de police et de gendarmerie sont également organisées.

Enfin, ASF plaide auprès des ministères compétents pour un renforcement des structures d’accueil et d’accompagnement, ainsi que pour un suivi effectif des mineurs en difficulté avec la justice.

« Centres d’hébergement, ONG d’aide légale, assistants sociaux, juges pour enfants, avocats, autorités publiques, forces de police, chefs traditionnels… tous doivent travailler ensemble. La réussite du projet dépend des synergies fonctionnelles de tous les acteurs concernés », explique Coralie de Lhoneux.

« Notre action porte enfin sur le respect de la législation nationale et internationale. Même s’ils sont parfois lacunaires, les textes en vigueur doivent servir de base à toute décision. Leur mise en application concrète et une conscientisation publique sont les premières étapes du long processus d’amélioration de la situation sociale et juridique des mineurs tchadiens. Leurs droits et leur bien-être doivent impérativement être respectés. » conclut Coralie de Lhoneux.

Photo de couverture: Tchad 2012 © Tom Stevens