L’acte de naissance en RCA: l’exception plutôt que la règle

République centrafricaine (la)Droits des enfantsNews

Bangui, le 2 octobre 2017 – La plupart des Centrafricains, surtout les plus jeunes, ne disposent pas d’un acte de naissance et n’existent donc pas aux yeux de l’Etat. A quoi cet déficit d’enregistrement est-il dû? Quels sont les obstacles à l’accès à l’état civil? Quelles en sont les conséquences? ASF a mandaté Thierry Vircoulon, spécialiste de l’Afrique centrale, pour réaliser une étude permettant de mieux cerner la problématique et de proposer des solutions. Il nous a accordé un entretien dans lequel il revient sur ses principales conclusions.
Thierry Vircoulon
Thierry Vircoulon: l’acte de naissance est l’exception plutôt que la règle parmi la jeunesse centrafricaine. La cause principale est le double appauvrissement de l’Etat et de la population. En raison du déclin progressif de l’Etat centrafricain depuis les années 90, il y a eu un véritable processus de dés-administration du territoire. Les administrations n’ont plus eu les moyens financiers de gérer les populations en province et de leur fournir les services basiques. La délivrance des actes administratifs a suivi cette tendance. A ce problème s’ajoute l’appauvrissement de la population, qui doit payer pour les actes administratifs le même prix qu’avant, alors qu’elle est de plus en plus pauvre. Même des petits notables comme les chefs de quartier ne déclarent pas toujours leurs enfants faute d’argent. Pour les familles de condition modeste, le coût d’acquisition d’un acte de naissance est trop élevé. Parfois, des mères doivent arbitrer entre acheter à manger et payer un acte de naissance. Il se crée un cercle vicieux de dés-administration de la population: l’administration doit faire payer ces actes et documents car elle n’a pas d’argent et, comme la population n’a pas d’argent, elle a de moins en moins accès à l’administration. D’autres raisons moins importantes expliquent aussi ce faible taux d’enregistrement: la complexité de la procédure, la difficulté pour la population rurale d’accéder aux services municipaux, et un manque de capacité dans certaines municipalités. Heureusement, l’administration ajuste sa pratique aux réalités locales et fait preuve de flexibilité dans l’application des lois et règlements. Ainsi, comme la majorité des enfants sont dépourvus d’acte de naissance, les directeurs d’écoles ne s’opposent pas à leur inscription. Le problème surgit plus tard, lors de l’inscription aux examens de passage (passage de l’école primaire au collège, du collègue au lycée et baccalauréat). L’acte de naissance est demandé pour ces procédures. Ne pas en avoir peut constituer un blocage et conduit à des pratiques de corruption, de fraude (faux documents), etc. Il y a un paradoxe: les jeunes ont rarement un acte de naissance mais ils en veulent tous un. Cette demande reflète la demande générale de papiers d’identité en RCA. Suite à la crise, de nombreuses personnes ont perdu leurs papiers, y compris leurs actes de naissance. Ce phénomène est particulièrement marqué à Bangui, où certains quartiers ont été détruits et où les déplacements de population ont été importants. Des archives d’état civil ont été détruites dans certaines municipalités, la reconstitution des actes d’état civil est longue et onéreuse et le gouvernement ne délivre plus de cartes d’identité depuis 2013. De plus, toutes les familles interrogées dans le cadre de cette étude connaissent l’utilité administrative et sociale (preuve d’appartenance familiale et de filiation) de l’acte de naissance. Les principaux motifs avancés par les familles pour obtenir un acte de naissance sont l’inscription à l’école et la reconnaissance administrative de la personne. La population sait aussi que ne pas avoir de papiers est un obstacle à la circulation à l’intérieur du pays, à cause des innombrables barrières tenues par les forces de sécurité le long des routes. Le gouvernement de transition a décidé de rendre gratuits les actes de naissance des enfants nés pendant le conflit, mais cette décision n’a pas été respectée par les municipalités qui sont habituées à percevoir ces recettes et ne reçoivent pas de dotations de fonctionnement suffisantes de la part du gouvernement. La politique de gratuité n’a donc pas été appliquée. Cela est problématique. Cependant, comme de nombreux jeunes n’ont pas leur acte de naissance, les autorités publiques font preuve de tolérance et acceptent des documents de substitution, comme par exemple les documents de scolarisation. Ce problème ne figure pas parmi les priorités du gouvernement, qui est confronté à des défis sécuritaires et des urgences humanitaires. Le réenregistrement de la population ne pourra avoir lieu que lorsque les administrations municipales fonctionneront mieux et que le problème du coût des documents administratifs aura été résolu. La mesure la plus simple et la plus radicale serait de rendre gratuits les actes de naissance. Pour les raisons expliquées précédemment, cela a déjà été fait et a échoué complètement. Il faudrait revoir la dimension financière des relations entre les mairies/tribunaux et le gouvernement, et créer des incitations financières positives au niveau des différents acteurs. Cette réforme d’organisation est impossible actuellement. La principale mesure proposée est donc l’allongement du délai légal de déclaration des nouveau-nés de un mois (délai légal actuel) à six mois. Cela serait une manière indirecte de réduire les coûts de déclaration, en laissant plus de temps aux familles pour faire la démarche et en évitant ainsi d’avoir à payer des jugements supplétifs. L’autre mesure consiste à simplifier la procédure au niveau des hôpitaux et à faire en sorte que les femmes qui ont accouché n’aient pas à revenir plusieurs fois à l’hôpital pour obtenir la déclaration de naissance. Subventionner la distribution d’actes de naissance n’est ni une priorité ni une solution durable. Les acteurs internationaux devraient inclure cette question dans l’agenda de la reconstruction administrative, et engager une réflexion avec les autorités centrafricaines pour trouver une solution durable. Celle-ci impliquera certainement un changement des relations financières entre le gouvernement et les mairies et tribunaux, et des textes réglementaires. *** L’étude Etat civil en République centrafricaine: enjeux et pratiques a été réalisée dans le cadre du projet « Amélioration de l’accès à la justice pour les personnes en situation de vulnérabilité », mis en œuvre par ASF en RCA depuis 2015, avec le soutien du ministère français des Affaires étrangères.
Photo de couverture: A la maternité des Castors à Bangui, les déclarations de naissance sont délivrées immédiatement, contrairement à d’autres maternités du pays qui demandent aux mères de revenir à deux reprises avant de recevoir le document © T. Vircoulon pour ASF