ExPEERience Talk #11 – Décriminaliser la pauvreté, le statut et l’activisme : une urgence mondiale, une campagne internationale

  • Quand ? 5 octobre – 12h (GMT+1, Tunis) ; 13h (GMT+2, Bruxelles)
  • Langue : Français
  • Évènement gratuit en ligne – Inscription obligatoire

Ce 11ème ExPEERience Talk sera consacré à la Campagne pour la décriminalisation de la pauvreté, du statut et de l’activisme. Plusieurs de ses membres viendront y présenter son histoire, son fonctionnement, ses premières victoires et aborderont les défis rencontrés et les opportunités que présentent la mise en réseau d’une multiplicité d’acteur.rice.s pour s’attaquer à un enjeu mondial et systémique d’une telle ampleur.

Partout dans le monde, en effet, des lois et des pratiques policières et pénales tendent à contrôler, arrêter et enfermer disproportionnellement les populations en situation de vulnérabilité ou de marginalisation (personnes pauvres ou sans-abri, personnes LGBTQI+, travailleur‧euse‧s du sexe, personnes migrantes, etc.). Les délits mineurs – mendicité, désordre sur la voie publique, consommation de drogues, vagabondage…- sont utilisés contre ces personnes dans le seul but de criminaliser ce qu’elles représentent dans la société plutôt que les délits qu’elles ont commis. On assiste aussi, dans de nombreux pays, à un rétrécissement de l’espace civique et à une instrumentalisation du droit pénal pour réprimer l’activisme et étouffer la dissidence. Ces phénomènes sont profondément ancrés dans les législations, institutions et pratiques des États à travers le monde.

Au cours de cet ExPEERience Talk, des intervenant.e.s, travaillant pour plusieurs organisations membres de la campagne, viendront illustrer les conséquences très concrètes de ces lois et pratiques liberticides sur la société civile et les populations. Il.elle.s évoqueront également différentes actions entreprises dans le cadre de la campagne : recherches conjointes, actions contentieuses et actions de plaidoyer devant les institutions nationales et internationales.

À ce jour, la campagne est portée par une cinquantaine d’organisations de la société civile issues de nombreux pays. Son ambition est de créer les conditions d’un changement global des lois, politiques et pratiques pénales et sociales en adoptant une stratégie transnationale et multisectorielle.

Intervenant‧e‧s

  • Khayem Chemli – Head of advocacy chez ASF – région Euromed (modérateur)
  • Soheila Comninos – Senior program manager chez Open Society Foundations
  • Arnaud Dandoy – Research & Learning Manager chez ASF – région Euromed
  • Asmaa Fakhoury – Country director ASF Maroc
  • Maria José Aldanas – Policy Officer chez FEANTSA

Le rapport annuel d’ASF est disponible !

L’équipe d’Avocats Sans Frontières est ravie de pouvoir vous présenter son dernier rapport annuel.

Que de chemin parcouru depuis la création d’ASF en 1992 par des avocat.e.s belges. Durant ces 30 années, ce sont des centaines de personnes qui ont contribué à faire évoluer l’organisation pour qu’elle devienne ce qu’elle est aujourd’hui : une organisation militante active dans une dizaine de pays qui œuvre pour la promotion de l’accès à la justice et d’un État de droit fondé sur les droits humains en étroite collaboration avec des acteur.rice.s locaux.les.

Ces trente années d’action, les ancrages locaux que nous avons développés et les liens que nous avons tissés avec des défenseur.e.s des droits humains des quatre coins du monde nous donnent beaucoup de force et de confiance pour envisager l’avenir et poursuivre le déploiement d’une action impactante au service des populations en situation de vulnérabilité (femmes, enfants, communauté LGBTQI+, minorités ethniques, personnes en situation de détention, personnes en situation de migration, etc.).

Mais les défis sont nombreux. Partout à travers le monde, les organisations de la société civile et les défenseur.e.s des droits humains font face à des évolutions et des tendances inquiétantes : montée des autoritarismes, rétrécissement de l’espace civique, défiance croissante des populations envers les institutions, tensions sociales exacerbées, etc.

Les défenseur.e.s des droits humains et de l’accès à la justice doivent travailler dans des contextes qui leur sont de plus en plus hostiles. Les notions mêmes de droits humains et d’État de droit sont remises en question. Les activistes, les avocat.e.s et les journalistes qui œuvrent pour la défense des droits fondamentaux des populations en situation de vulnérabilité sont de plus en plus systématiquement visés par des politiques répressives illibérales.

Chaque page de ce rapport témoigne de la vigueur de la flamme qui anime celles et ceux qui s’engagent pour maintenir les droits humains au cœur même de nos sociétés, au risque et au péril de leur propre liberté. Ce rapport est un hommage à chacune et chacun d’eux.elles.

ExPEERience Talk #10 – Responsabilité des entreprises et droits humains : le cas du secteur du textile en Tunisie

  • Quand ? 22 juin 202313h (GMT+1, Tunis) ; 14h (GMT+2, Bruxelles)
  • Langue de la présentation : Français
  • Sur Big Blue Button

Lors de ce 10ème ExPEERience Talk, Nadia Ben Halim (consultante) et Zeineb Mrouki (Coordinatrice programmes ASF Tunisie) présenteront une étude sur la responsabilité des entreprises en matière de droits humains dans le secteur du textile dans le gouvernorat de Monastir en Tunisie.

L’industrie textile pèse aujourd’hui 3000 milliards de dollars, c’est un des secteurs économiques les plus importants à l’échelle mondiale. En Tunisie, la production de vêtements représente un quart de la production industrielle du pays en termes de produit intérieur brut, ce qui en fait un secteur central de l’économie tunisienne. Cependant, depuis des années, des organisations de défense des droits humains et rapports officiels documentent des violations systémiques des droits des travailleur‧euse‧s (conditions de travail indignes, travail informel et illégal, etc.). Parmi les entreprises qui se rendent coupables de violations flagrantes des droits des travailleur‧euse‧s, on retrouve bon nombre de sous-traitants d’entreprises multinationales. Celles-ci manquent systématiquement à leurs obligations et à l’application du devoir de diligence tout au long de la chaîne d’approvisionnement, comme prévu par les standards internationaux.

L’étude, réalisée sur la base de recherches documentaires, d’enquêtes de terrain et notamment de consultations avec les ouvrières du secteur textile dans le gouvernorat de Monastir, fait le constat de violations systématiques des droits des travailleur‧euse‧s, notamment l’absence de couverture sociale, des licenciements abusifs, la non-comptabilisation des heures supplémentaires, ainsi que des discriminations visant spécifiquement les femmes. Des recommandations sont formulées afin de lutter contre l’impunité des entreprises face aux violations de droit qu’elles commettent.

Cette étude s’inscrit dans le cadre du projet PREVENT – Pour une Responsabilité et une Vigilance des Entreprises, déployé en collaboration par Avocats Sans Frontières (ASF), le Forum Tunisien des Droits économiques et sociaux (FTDES) et l’organisation I Watch. Ce projet a notamment permis la mise en place d’un mécanisme visant à fournir l’accès à l’information et à l’assistance judiciaire aux personnes les plus exposées aux violations des activités des entreprises industrielles, notamment dans le secteur du textile.

L’étude sera publiée sur le site d’ASF à la fin du mois de juin. Vous pouvez déjà lire le policy brief sur le site d’ASF : « Les travailleueur‧euse‧s du textile tunisien en quête de dignité et de justice face à des pratiques abusives et discriminatoires ».

Policy Brief : Les travailleueur.euse.s du textile tunisien en quête de dignité et de justice face à des pratiques abusives et discriminatoires

Représentations sorcellaires et traitement judiciaire de l’infraction des Pratiques de Charlatanisme et de Sorcellerie en République centrafricaine

Pénalisation des Pratiques de charlatanisme et sorcellerie en République centrafricaine

L’étude « Représentations sorcellaires et traitement judiciaire de l’infraction des Pratiques de Charlatanisme et de Sorcellerie en République centrafricaine » sera présentée lors d’un ExPEERience Talks ce jeudi 12 janvier par Julien MORICEAU, consultant chez Inanga, qui a réalisé l’étude.

Vous pouvez vous inscrire pour suivre la présentation de l’étude en ligne.

Un univers et des représentations sorcellaires omniprésents

En République centrafricaine (RCA), la sorcellerie est omniprésente : elle domine et façonne la vie quotidienne des populations, principalement rurales. Les représentations sorcellaires, partie intégrante des us et coutumes centrafricains, permettent de fournir un cadre explicatif à tous les événements de la vie : la mort, la maladie, les accidents, les échecs professionnels ou scolaires… Les crises successives qui ont secoué le pays depuis 2013 ont par ailleurs renforcé le recours à l’explication sorcellaire, tout comme l’implication toujours plus prononcée des instances religieuses dans la « lutte » contre la sorcellerie (une « lutte » qui s’appuie notamment sur de violentes pratiques d’exorcisme).

Dans le code pénal centrafricain, les articles 149 et 150 condamnent les « pratiques de charlatanisme ou de sorcellerie susceptibles de troubler l’ordre public ou de porter atteinte aux personnes ou à la propriété », notamment les pratiques qui occasionnent des « blessures graves ou des infirmités permanente » ou encore « la mort ». Les accusations de sorcellerie, portées sur base de ces deux articles aux contours vagues et imprécis, sont légions et conduisent fréquemment à un déchainement de violence par la vindicte populaire, à l’égard de la personne accusée : exclusion, lynchage, voire même, dans le pire des cas, exécution brutale. Ces allégations sont instrumentalisées pour écarter les personnes devenues indésirables au sein de la communauté et touchent de manière disproportionnée les personnes vulnérables et isolées, particulièrement les femmes âgées.

Le traitement judiciaire de l’infraction des pratiques de charlatanisme et sorcellerie (PCS)

Le flou juridique entourant les infractions de PCS est reconnu par la plupart des acteurs du monde judiciaire centrafricain et constitue un terreau fertile de prises de décision empreintes d’arbitraire. Pour traiter judiciairement les affaires de sorcellerie, les juges ont tendance à s’en remettre à leur intime conviction et à leurs croyances individuelles. De plus, confrontés à la difficulté d’apporter la preuve matérielle d’un acte de sorcellerie, la plupart des acteurs judiciaires considèrent les aveux de la personne accusée comme la « reine des preuves », indépendamment des motivations qui ont poussé l’accusée à formuler ces aveux bien souvent employés à des fins d’apaisement social et/ou de protection personnelle. En outre, la pression sociale exercée par la communauté ainsi que la prétendue protection de l’ordre public, invoquée comme principe supérieur, pèsent de tout leur poids sur la prise de décisions des juges, voire détournent la justice dans un but de satisfaction de la majorité de la population.

Par ailleurs, l’intervention judiciaire n’est pas à même d’assurer la protection et la réintégration des accusées de sorcellerie. En judiciarisant une personne pour PCS, la justice atteste de la réalité de sa sorcellerie et la personne condamnée restera exposée à de nouvelles condamnations, voire à de nouveaux actes violents (même après sa sortie de prison). La justice a également pour effet d’officialiser l’omniprésence du risque sorcellaire, participant à l’effervescence de tels types de discours. En cas d’acquittement, la population, majoritairement méfiante envers le pouvoir judiciaire, pourrait chercher à se faire justice soi-même, indirectement encouragée par l’apparente passivité dont les institutions judiciaires font preuve pour traiter les violences infligées aux personnes accusées.

L’action d’ASF et ses partenaires

Depuis 2021, grâce au soutien de l’Union européenne, ASF et ses partenaires (Centre pour la promotion des droits de l’enfant (CPDE), Organisation des Jeunes leaders du développement (OJLD), Maison de l’enfant et de la femme pygmée (MEFP) et Défis et Objectifs Centrafrique (DOC)) interviennent au cœur des systèmes de justice étatique et communautaire en favorisant l’accès à la justice et la défense des femmes accusées de PCS. Les observations présentées ci-dessus sont tirées de l’étude « Les représentations sorcellaires et traitement judiciaire de l’infraction des Pratiques de Charlatanisme et de Sorcellerie en RCA ». Cette étude a été commanditée par Avocats Sans Frontières dans le cadre du projet « Contribuer au respect durable du droit au procès équitable et des droits inhérents à la personne humaine pour les femmes accusées de sorcellerie en RCA », afin d’informer davantage l’action et les futures interventions de l’organisation en la matière.


La pénalisation des pratiques de charlatanisme et de sorcellerie : Entrave à la réalisation des droits des femmes et des personnes mineures en République centrafricaine

Cet article est extrait du rapport annuel 2021 d’Avocats Sans Frontières.

En République centrafricaine (RCA), la pratique du charlatanisme et de la sorcellerie (PCS) est considérée comme une infraction par le code pénal. Les poursuites qui sont engagées à l’encontre des personnes suspectées de PCS conduisent fréquemment à des violations graves des droits humains et impactent, de façon systématique, les femmes et les enfants. À la maison d’arrêt pour femmes de Bimbo, la moitié des femmes incarcérées le sont pour des infractions présumées de PCS. La répression subie par les personnes accusées de PCS peut trouver son origine dans la justice formelle mais aussi dans la vindicte populaire. Celles-ci sont régulièrement victimes d’humiliation et de châtiments corporels pouvant parfois entraîner la mort.

De telles violences trouvent leurs racines dans les inégalités structurelles et les schémas de domination, notamment patriarcale, à l’encontre des femmes et de certaines catégories de personnes en situation de vulnérabilité. Ce type de violence est donc la conséquence de normes sociales et culturelles qui entravent la réalisation des droits des femmes et des personnes mineures. L’objectif d’ASF n’est pas de lutter contre ces croyances ancrées dans la société centrafricaine mais de lutter contre la « chasse aux sorcières ». L’action d’ASF à ce sujet s’articule principalement autour de trois axes.

(i) Avec la soutien d’ASF, des organisations de la société civile animent des sessions de sensibilisation et d’information sur ces pratiques, leur propension à affecter particulièrement certaines catégories de la population et les conséquences désastreuses qu’elles peuvent avoir sur la vie de ces individus.

(ii) ASF œuvre pour offrir une assistance holistique aux personnes accusées de PCS. En collaboration avec les organisations de la société civile, les acteur. rice.s de la chaîne pénale, les leaders communautaires et les ONGs, ASF veille à identifier le plus tôt possible les personnes accusées de PCS pour qu’elles puissent bénéficier d’une assistance judiciaire dès la garde à vue et pendant leur éventuelle détention provisoire. Il est aussi fondamental d’assister ces personnes le plus tôt possible pour limiter les conséquences d’une telle accusation sur leur réputation, et donc sur leur chance d’insertion dans la communauté ou de subvenir à leurs besoins et à ceux de leur famille.

(iii) ASF a pu constater que l’arsenal juridique centrafricain était inadapté pour prendre en charge ce fait social. L’infraction ne dispose pas de définition claire et un large spectre de preuves et d’indices permet à ce jour d’attester de l’infraction devant un tribunal malgré son absence de définition dans le code pénal. ASF mène un travail de recherche pour pouvoir mieux appréhender le traitement socio-culturel des PCS et pouvoir à terme développer un plaidoyer pour une prise en charge de ces infractions plus respectueuse des droits humains.

Indonésie : 5 ans à soutenir l’accès à la justice

En 2017, ASF lançait ses activités en Indonésie avec deux partenaires locaux.les. Dans le cadre de cette collaboration, nous avons œuvré pour accroître l’accès aux mécanismes de justice formelle et informelle pour les groupes marginalisés et en situation de vulnérabilité, grâce à des services adaptés implémentés au niveau communautaire. Un accent particulier a été mis sur la formation et le soutien des parajuristes afin qu’il.elle.s puissent répondre aux besoin des populations locales en matière de justice.

Dans les pays où il y a très peu d’avocat.e.s par habitant, les parajuristes sont des praticien.ne.s qui ne possèdent pas de diplôme en droit mais qui ont une connaissance et une compréhension de base de la loi et donnent des conseils juridiques à la population. ASF a travaillé avec des parajuristes dans plusieurs de ses pays d’intervention car il.elle.s peuvent être des acteur.rice.s fondamentaux.les pour aider les populations locales à accéder à la justice.

Une étude de perception de base sur les parajuristes et le rôle qu’ils peuvent jouer dans le renforcement de l’accès à la justice a été réalisée au début du projet. Ses conclusions ont été utilisées pour créer des modules de formation. Ces modules ont ensuite été utilisés par plusieurs organisations locales pour renforcer les capacités des parajuristes. Ils abordent un large éventail de sujets, et on été adapté thématiquement et en fonction des zones géographiques afin de les rendre plus flexibles et utiles pour un maximum d’organisations. D’après nos partenaires, celui-ci fut particulièrement précieux pour promouvoir la réforme de la législation encadrant l’aide juridique adoptée à Bali en 2019.

Dans le cadre du projet, trois plateformes numériques ont été lancées pour soutenir les organisations de la société civile.

Un système de gestion des cas a été créé et est maintenant utilisé par plusieurs organisations pour gérer les cas sur lesquels elles travaillent dans une base de données. Il a été développé en open source afin que toute organisation d’aide juridique puisse l’utiliser librement.

Le système d’information parajuridique a été créé pour aider les parajuristes à demander et à recevoir un soutien juridique de la part des avocat.e.s afin de les aider dans les affaires sur lesquelles il.elle.s travaillent.

Enfin, une application appelée E-resource a été créée pour permettre aux prestataires de services d’aide juridique d’accéder à des livres et autres ressources.

Pour soutenir les efforts de plaidoyer, une communauté de pratique a été créée avec de multiples parties prenantes travaillant sur les questions d’aide juridique. Elle a permis aux membres de débattre des futures réformes législatives à promouvoir.

Ces 5 années en Indonésie nous ont permis, ainsi qu’à nos partenaires, de tirer des conclusions importantes concernant l’accès à la justice dans la région. Tout d’abord, il est indéniable que les parajuristes jouent un rôle essentiel pour subvenir aux besoins des populations locales en matière de justice. Leur statut doit être davantage reconnu par les autorités locales et nationales. Deuxièmement, la production de modules de formation flexibles avec la possibilité de choisir les matériaux est plus facile à reproduire et devrait être privilégiée par rapport à un module de formation unique. Enfin, même si l’utilisation de plateformes numériques pour renforcer les capacités des organisations de la société civile est prometteuse, elle s’est avérée très coûteuse et longue à mettre en œuvre. Elle doit être adaptée à chaque organisation, ce qui peut prendre des mois de discussions. La disponibilité d’un agent informatique et la maintenance par le biais d’une source de financement doivent être trouvées pour assurer la durabilité du service.

Journée Internationale des Droits des Femmes : Genre et sorcellerie en République centrafricaine, lutter contre les discriminations à l’encontre des femmes et des enfants

En République centrafricaine, les poursuites des personnes suspectées de pratiques de sorcellerie et de charlatanisme (PCS), conduisant fréquemment à des violations graves des droits humains, impactent, de façon systématique, les femmes et les enfants. Cet état de fait doit être examiné sous l’angle des violences basées sur le genre.

La violence anti-sorcellaire a été spécifiquement mise en avant dans plusieurs rapports internationaux de monitoring des violations des droits humains qui pointent le fait que l’État centrafricain fait défaut à son devoir de protection des citoyen.ne.s, en particulier des filles et des femmes accusées de PCS et victimes de graves violences allant jusqu’à la mise à mort par des groupes armés ou des groupes d’individus.

À cet égard, l’expérience démontre que de telles violences trouvent leurs racines dans les inégalités structurelles et les schémas de domination patriarcale à l’encontre des femmes et de certaines catégories de personnes en situation de vulnérabilité. Ce type de violence est donc la conséquence de normes sociales et culturelles qui entravent la réalisation des droits des femmes et des personnes mineures.

Actions

Avec ses partenaires centrafricain.ne.s, et grâce aux financements conjoints de l’Union européenne et du Ministère français des affaires étrangères, ASF s’engage pour promouvoir le respect des garanties procédurales et de l’accès à la justice des femmes et des mineur.e.s (notamment des personnes accusées de PCS), en agissant durablement sur la réduction des inégalités de genre.

Trois axes d’interventions concourent pour réaliser cet objectif :

  1. Le legal empowerment, qui considère les personnes comme acteur.rice.s à part entière de la réalisation de leurs droits et intègre différents mécanismes
  2. La représentation en justice et à des solutions (« remedies ») fondées sur le droit et respectueuses des droits des femmes et des enfants
  3. L’engagement des acteur.rice.s institutionnel.le.s pour l’adoption de réformes et de pratiques conformes aux droits des femmes, notamment sur les questions de PCS. Cet axe est complémentaire aux précédents pour apporter des actions d’influence et de plaidoyer fondées sur les réalités du terrain.

Ces actions contribuent à rendre visibles les besoins spécifiques des victimes de VBG et des groupes potentiellement affectés et à amplifier la voix des personnes affectées pour encourager l’adoption et la mise en œuvre de réformes résorbant durablement les inégalités de genre et les violations des droits humains des personnes poursuivies de PCS.

Les cliniques juridiques pour soutenir l’accès à la justice en temps de pandémie

Partout dans le monde, la pandémie a éloigné encore un peu plus les justiciables de la justice. Au Maroc, ASF mise depuis plusieurs années sur des cliniques juridiques, installées dans des universités, pour promouvoir l’accès à la justice, particulièrement pour les personnes en situation de vulnérabilité. Sous la supervision d’enseignant.e.s et de professionnel.le.s du droit, des étudiant.e.s y délivrent des services juridiques à la population.

Durant la pandémie, ces structures ont permis à ASF et son partenaire local, l’association Adala, de maintenir le lien avec les justiciables, et notamment avec l’un de leur principal public cible : les femmes victimes de violence. Car l’un des effets pervers du confinement imposé pour contenir la propagation du virus fut l’augmentation conséquente des signalements de faits de violences conjugales. L’impossibilité de se déplacer et la fermeture des certaines administrations privèrent les victimes de violence conjugale des systèmes de prise en charge habituels.

Pour répondre à ce problème, la clinique juridique a continué à assurer des consultations et de l’orientation juridiques via des consultations téléphoniques et par l’intermédiaire de l’application What’s app. En prenant en compte les habitudes d’utilisation des bénéficiaires, ASF a pu maintenir le contact avec les femmes victimes de violence pour les accompagner durant le confinement.

La pandémie a aussi représenté un défi pour l’organisation des cliniques juridiques. Les déplacements vers les prisons et les centres de protection mais aussi l’accès aux locaux des cliniques juridiques furent limités. Pour pallier à cette situation, 4 avocates ont assuré un service via différentes plateformes digitales (Zoom et Whatsapp) pour accueillir les appels des justiciables et répondre à leurs besoins en matière d’écoute, de conseil et d’orientation juridiques.

Les séances de coaching et de renforcement des capacités en ligne à l’attention des étudiant.e.s ont connu un réel succès. Malgré quelques difficultés d’adaptation au début, les étudiant.e.s, soutenu.e.s par des avocat.e.s, ont pu assurer la réception des plaintes et l’orientation des victimes.

Les cliniques juridiques ont également organisé des procès fictifs via zoom, pour préparer les étudiant.e.s à la numérisation de la chaîne pénale du monde judiciaire (et en particulier aux procès à distance). Cette activité a permis à ASF d’anticiper les défis à venir liés à cette transformation.

La médiation communautaire pour promouvoir l’accès à la justice

En Ouganda, l’accès à la justice est limité par les ressources financières des populations locales mais aussi par leur éloignement géographique des cours et tribunaux. La plupart des services judiciaires se concentrent dans les zones urbaines et dans la région centrale du pays. Seul 18.2% de la population habitant dans les zones rurales peut accéder à un tribunal dans une distance de 5 km ou moins (contre 56% dans les zones urbaines.) Ces difficultés d’accès poussent souvent les victimes violations et plus globalement les justiciables à renoncer à leurs droits.

Les femmes sont confrontées à des obstacles supplémentaires pour accéder à la justice formelle. Elles renoncent souvent à recourir aux cours et tribunaux à cause des normes patriarcales et des discriminations de genre toujours bien présentes dans la société ougandaise. Il est par exemple considéré comme inapproprié pour une femme de parler d’affaires familiales dans l’espace public.

Pour toutes ces raisons, beaucoup de personnes ont recours à la justice informelle pour régler leurs conflits. Et les médiateur.rice.s communautaires ont un rôle important à jouer pour soutenir les populations locales dans leur demande de justice, particulièrement les femmes qui font face à des obstacles structurels et peinent à trouver des espaces pour exprimer leurs griefs.

ASF, à travers les projets de médiation LEWUTI et de la DGD, a offert des services de médiation à 633 personnes dans les sous-régions de Karamoja, Albertine et Acholi. Les médiations menées par des praticien.ne.s formé.e.s par ASF ont été bien accueillies par la population. Dans le cadre du projet LEWUTI par exemple, 94% desbénéficiaires se sont déclaré.e.s satisfait.e.s des services prodigués.

La structuration du projet a été un facteur clé de sa réussite. Le programme de médiation communautaire, financé par ENABEL et la DGD, a permis de fournir les fondations pour mettre en place des services de médiation fondés sur le respect des droits humains. Des personnes de confiance à l’intérieur de ces communautés ont vu leur capacité renforcées dans la résolution de conflit. Les médiateur.rice.s travaillent au sein de leur communauté et y fournissent des services gratuits de médiations.

Chaque médiateur.rice bénéficie d’un.e coach et d’un.e mentor pour leur permettre de guider au mieux les communautés locales sur les questions légales, et dans le choix des recours à entreprendre pour résoudre leurs conflits. La formation continue a considérablement amélioré la qualité des services rendus par les praticien.ne.s. Cela leur a également permis de gagner la confiance de leur communauté. Les chefs locaux et les anciens renvoient maintenant régulièrement vers les médiateur.rice.s entrainé.e.s par ASF dans le cadre de règlement de conflits entre membres de la communauté.

Les services fournis par les médiateur.rice.s communautaires ont été particulièrement utiles lors de la crise pandémique, notamment à cause des restrictions imposées. Il.elle.s ont joué un rôle crucial en offrant une assistance judiciaire de première ligne durant la crise, qui fut source d’encore plus d’inégalités dans l’accès à la justice, particulièrement dans les zones rurales.

Indonésie – Fournir des services multidisciplinaires et un environnement sûr pour les femmes victimes de violence en temps de pandémie

Partout à travers le monde, l’augmentation des cas de violence à l’encontre des femmes fut une résultante malheureuse de la crise pandémique Et l’Indonésie ne fit pas exception. D’après les données récoltées par nos partenaires locaux, le nombre de plaintes déposées à Jakarta a augmenté de 50% entre 2019 et 2020. Ces chiffres nous rappellent que les inégalités de genre sont toujours fortement ancrées dans la structure de la société indonésienne.

Et ces inégalités ont été aggravées par un manque de considération pour la question des discriminations de genre dans les politiques de lutte contre la propagation du virus Covid-19. L’accessibilité aux services sociaux pour les femmes victimes de violence, déjà limitée en temps normal, n’a pas été prise en compte dans les mesures adoptées. Nous déplorons l’insuffisance des budgets consacrés, les carences dans les services de soutien médical et psychologique proposés, le manque d’accès à l’information et à des environnements d’accueil, mais aussi les difficultés rencontrées par les victimes pour pouvoir effectivement déposer leur plainte.

Considérant ce vaste champ de points à améliorer, ASF a décidé de concentrer son action sur des activités de plaidoyer afin d’encourager les autorités locales à fournir des services multidisciplinaires pour soutenir les victimes de violence, notamment intrafamiliale. Dans cette optique, ASF a organisé plusieurs réunions en ligne avec des parajuristes, acteur.rice.s de première ligne dans la prise en charge des bénéficiaires. Ces discussions ont abouti à la formulation d’une série de recommandations à l’attention du gouvernement local.

Le gouverneur de Jakarta a depuis pris plusieurs mesures pour prévenir et prendre en charge les cas de violence à l’encontre des femmes et des enfants. Parmi ces mesures, des points de contact ont été créés dans les transports publics pour permettre aux femmes d’enregistrer leurs plaintes ; une application en ligne ainsi qu’un numéro d’urgence ont été mis en place, également pour faciliter le dépôt de plaintes ; et le gouvernement local s’est engagé à fournir des hébergements aux victimes, ainsi qu’à mettre à leur disposition des services d’accompagnement social, légal et médical. Les autorités locales ont également reconnu la nécessité pour elles de sensibiliser la population sur la question de l’égalité de genre.

Cette nouvelle approche des pouvoirs publics, comprenant notamment la mise en place de services multidisciplinaires pour améliorer l’accès à la justice pour les femmes victimes de violence, est à saluer et pourrait devenir un important précédent pour tous les justiciables. C’est un progrès majeur pour l’accès à la justice dans la région et ASF espère que cela pourra constituer une nouvelle base solide pour faire avancer les droits humains dans le pays.